La Documentation catholique, 1925, Tome XII, col. 323-327 a écrit :
Elle est limitée aux seules affirmations religieuses de l’auteur inspiré.
Dans les doctrines du
Manuel il est un principe qui forme la clef de voûte de tout un système, à savoir que le but religieux visé par l’auteur inspiré limite en proportion la valeur de ses affirmations. Les auteurs sacrés ne veulent rien enseigner que la vérité religieuse et n'affirment rien que ce qu’ils enseignent ; voici en quelques mots le fondement sur lequel s’édifie la nouvelle théorie. Si on l’admet, la substance des faits, et non les « petits détails », importe seule à la vérité religieuse ; les auteurs sacrés n’affirment donc que la substance, mais non les « petits détails »
(1). C’est un mode de raisonnement qu’on rencontre souvent dans le
Manuel, soit dans l’introduction générale, où sont exposés les principes, soit dans l’introduction spéciale, où se font les applications particulières ; par exemple, à propos du livre de Josué (II, 1, p. 12), des actes de David (II, 1, p. 62), des divergences entre les évangélistes en général (III, p. 157). Et c’est bien celui qui est posé ou sous-entendu, comme il est facile de s’en convaincre soit par l’introduction générale et la cohérence des principes plus haut mentionnés, soit par des renvois spéciaux à des passages explicites, comme ceux que nous venons de signaler (
v. g. III, p. 665) et où l'on ne veut admettre d’historique, de réel, que la « substance » des faits, où l’on n’exige que la seule historicité « substantielle », par exemple, à propos de la Genèse (I, p. 356), du livre des Juges (II, 1. p. 33) et plus spécialement des actes de Samson (
ibid., p. 48), du livre de Ruth (
ibid., p. 12, note), de Samuel (
Ibid., p. 60), de Daniel (II, 2, p. 421), des Évangiles eux-mêmes (III, p. 448, note, p. 655, note, etc...).
On aboutit ainsi à une critique destructive.
L’immense danger qu'on court en voulant restreindre la vérité historique à la substance — car la distinction entre la substance et l’accessoire est laissée au jugement, bon ou mauvais, de l’exégète ou du critique — ressort avec évidence de l’exemple suivant. Au sujet du caractère historique des récits de Samson (
Iud. XIII, 16), M. Brassac écrit : « La réalité des faits envisagés, au moins dans leur substance, est exigée par le but que poursuit l’auteur du livre. Celui-ci développe la même thèse que dans les chapitres précédents, c’est-à-dire les Israélites sont opprimés, Dieu leur suscite un libérateur. Dès lors, il ne pouvait, sans être traité de faussaire, imaginer le personnage et les exploits de Samson »
(2) (II, I, pp. 48 et sq.). Ainsi donc, toute la réalité historique, indéniable, qu’on puisse rigoureusement tirer de la divine origine du livre est que Samson a existé et délivré le peuple d’Israël. Avec un pareil principe on voit qu’aux erreurs dans la Bible — si elles n’étaient que matérielles, nous passerions dessus — on ouvre une porte autrement plus large qu’avec les
obiter dicta, depuis longtemps si énergiquement condamnés.
On ruine la saine logique.
Mais revenons un peu sur ce principe, constamment posé en principe et jamais démontré dans notre
Manuel : les auteurs sacrés n’affirment que ce qu’il veulent enseigner ; d’où l’on conclut que, la vérité ou l’erreur n’existant, comme en un sujet logique, que dans les affirmations, on ne peut les taxer d'erreur, quoi qu’ils disent, en tout ce qu’ils n’ont pas le but d’enseigner.
Ici donc, avec une hardiesse inadmissible en dialectique, on commence par exiger, pour qu’il y ait affirmation, une intention de l’esprit, intention qui peut certainement influer sur la valeur morale de l’acte (manifestation de sa propre pensée), mais n’entre pas dans la constitution d’une affirmation logique. A celle-ci on ne demande rien autre que d’attribuer à un sujet donné un prédicat déterminé ; ceci posé et ceci seulement, la logique la plus élémentaire dit qu’il y a une affirmation. La vérité ou la fausseté de cette dernière dépendra ensuite du fait que le prédicat existe réellement ou non dans le sujet. L’intention de l’esprit n’en change pas la nature logique, elle n’en change que la nature morale
(3). Si l’affirmation ne répond pas à la réalité, c’est toujours une erreur ; mais l’erreur sera volontaire et
formelle, si j’énonce un jugement le sachant faux ; elle sera
matérielle ou involontaire, si j’exprime un jugement en croyant qu’il répond à la réalité. L’intention d’enseigner, c’est-à-dire de vouloir qu’on croie ce que je dis, rendra de plus l’erreur
effective, c’est-à-dire y ajoutera une malice plus grande ; mais l’absence d’une pareille intention ne dépouillera pas l’erreur énoncée de son défaut intrinsèque, c’est-à-dire de la déformation de l’objet réel
(4). Avec la distinction posée on ne fait donc que renverser le concept de l’affirmation logique.
Non moindre est la confusion de concept, ou tout au moins l’impropriété de langage, quand on nous dit que « l’erreur dont il est question — c’est-à-dire celle qui est exclue de l’inspiration — est non pas l’inexactitude purement matérielle, mais l’erreur logique et formelle, l'erreur au sens philosophique du mot », et que « l’erreur existe uniquement dans les affirmations de l’esprit, c’est-à-dire dans les propositions qui énoncent un jugement catégorique » (III, pp. 58 et sq.). En philosophie, un jugement catégorique est un jugement simple, inconditionné, et ce n’est pas le plus ou moins d’importance que lui accorde la personne qui parle qui peut le rendre tel. En somme, revient constamment ce paralogisme de faire dépendre de la fin ou de l’intention de l’esprit la vérité ou la fausseté d’une assertion, paralogisme que nous avons vu si énergiquement rejeté par Léon XIII. Et toute cette doctrine qu’enseigne le
Manuel est réprouvée de la façon la plus claire par Benoît XV dans l’encyclique
Spiritus Paraclitus : « On ne peut admettre l’opinion de ces modernes qui, ayant introduit la distinction entre l’élément principal ou religieux de l’Écriture et l’élément secondaire ou profane, veulent assurément que l’inspiration s’étende à toutes les phrases et même à tous les mots de la Bible, mais qui en restreignent ensuite les effets, et notamment l’immunité d’erreur, à l’élément principal ou religieux. A leur avis, Dieu n’a eu comme but et n’a enseigné (
intendi ac doceri) dans la Bible que ce qui touche à la religion ; tout le reste, appartenant aux disciplines profanes et ne servant, pour ainsi dire, que de revêtement extérieur à la doctrine révélée, est seulement permis par Dieu et abandonné à l’imperfection de l’écrivain. Qu’on ne s’étonne pas alors que dans les questions physiques, historiques et autres semblables, on trouve dans la Bible beaucoup de passages qui ne peuvent en aucune manière s’accorder avec les progrès actuels des sciences.[/i] (
Civ. Catt., 1920, 4, p. 12)
(5).
(1) - A la fois en italien et en français dans le texte.
(2) - En français dans le texte.
(3) - L’acte moral, suivant la juste remarque de saint Thomas (IIa IIae, q. 110, a. 1), est déterminé spécifiquement par l’objet et la fin ; l’acte intellectuel ne l’est que par l’objet. (Note de l’auteur.)
(4) - Cf. saint Thomas, ibid. (Note de l’auteur.)
(5) - Cf. D. C., t. 4, p. 261, col. 2.