Dom Guéranger, dans l'Année Liturgique a écrit :
Cette fête a pour but de remercier Dieu du grand bienfait dont il daigna gratifier la chrétienté occidentale, lorsque, pour compenser la perte du saint Sépulcre, il fit transporter miraculeusement en terre catholique l'humble et auguste maison dans laquelle la Vierge Marie reçut le message de l'Ange, et où, par le consentement de cette divine Mère de Dieu, le Verbe se fit chair et commença d'habiter avec nous. Tel est le résultat du triste rationalisme auquel la piété française avait été asservie durant plus d'un siècle, qu'il n'est pas rare de rencontrer des personnes sincèrement dévouées à la foi catholique, et pour lesquelles un si grand événement est presque comme s'il n'était pas. Pour venir à leur secours, au cas que ce livre leur tombât entre les mains, nous avons cru devoir placer ici le récit exact et succinct du prodige qui fait l'objet de la Fête d'aujourd'hui; et afin d'accomplir cette tâche d'une manière qui puisse satisfaire toutes les susceptibilités, nous emprunterons la narration qu'a publiée de cet événement merveilleux le savant et judicieux auteur de la Vie de M. Olier, dans les notes du premier livre de cette excellente biographie :
« Ce fut sous le Pontificat de Célestin V, en 1291, et lorsque les Chrétiens avaient entièrement perdu les Saints-Lieux de la Palestine, que la petite maison où s'est opéré le mystère de l'Incarnation dans le sein de Marie, fut transportée par les Anges, de Nazareth dans la Dalmatie ou l'Esclavonie, sur un petit mont appelé Tersato. Les miracles qui s'opéraient tous les jours dans cette sainte maison, l'enquête juridique que des députés du pays allèrent faire à Nazareth même, pour constater sa translation en Dalmatie, enfin, la persuasion universelle des peuples qui venaient la vénérer de toutes parts, semblaient être des preuves incontestables de la vérité du prodige. Dieu voulut néanmoins en donner une nouvelle, qui eût en quelque sorte l'Italie et la Dalmatie pour témoins.
Après trois ans et sept mois, en 1294, la sainte maison fut transportée à travers la mer Adriatique au territoire de Recanati, dans une forêt appartenant à une Dame appelée Lorette (1); et cet événement jeta les peuples de la Dalmatie dans une telle désolation, qu'ils semblaient ne pouvoir y survivre. Pour se consoler, ils bâtirent, sur le même terrain, une église consacrée à la Mère de Dieu, qui fut desservie depuis par des Franciscains, et sur la porte de laquelle on mit cette inscription : Hic est locus in quo fuit sacra Domus Nazarena quae nunc in Recineti partibus colitur. Il y eut même beaucoup d'habitants de la Dalmatie qui vinrent en Italie fixer leur demeure auprès de la sainte Maison, et qui y établirent la Compagnie du Corpus Domini, appelée pour cela des Esclavons, jusqu'au Pontificat de Paul III.
Cette nouvelle translation fit tant de bruit dans la Chrétienté, qu'il vint de presque toute l'Europe une multitude innombrable de pèlerins à Recanati, afin d'honorer la Maison dite depuis de Lorette. Pour constater de plus en plus la vérité de cet événement, les habitants de la province envoyèrent d'abord en Dalmatie, et ensuite à Nazareth, seize personnes des plus qualifiées, qui firent sur les lieux de nouvelles enquêtes. Mais Dieu daigna en montrer lui-même la certitude en renouvelant, deux fois coup sur coup, le prodige de la translation dans le territoire même de Recanati. Car, au bout de huit mois, la forêt de Lorette se trouvant infestée d'assassins qui arrêtaient les pèlerins, la Maison fut transportée à un mille plus avant, et se plaça sur une petite hauteur qui appartenait à deux frères de la famille des Antici ; et enfin ceux-ci ayant pris les armes l'un contre l'autre pour partager les offrandes des pèlerins, la Maison fut transférée, en 1295 dans un endroit peu éloigné, et au milieu du chemin public où elle est restée, et où a été bâtie, depuis, la ville appelée Lorette.»
Sous le point de vue de simple critique, ce prodige est attesté non seulement par les annalistes de l'Église, et par les historiens particuliers de Lorette , tels que Tursellini et Martorelli , mais par des savants du premier ordre entre lesquels nous citerons Papebrock , Noël Alexandre, Benoît Trombelli, etc. Quel homme grave et impartial oserait avouer de vaines répugnances, en présence de ces oracles de la science critique, dont l'autorité est admise comme souveraine en toute autre matière ?
Au point de vue de la piété catholique, on ne peut nier que ceux-là se rendraient coupables d'une insigne témérité, qui ne tiendraient aucun compte des prodiges sans nombre opérés dans la sainte Maison de Lorette ; comme si Dieu pouvait accréditer par des miracles ce qui ne serait que la plus grossière et la plus immorale des supercheries. Ils ne mériteraient pas moins cette note, pour le mépris qu'ils feraient de l'autorité du Siége Apostolique qui s'est employé avec tant de zèle, depuis plus de cinq siècles, à reconnaître ce prodige, et à le proposer aux fidèles comme un puissant moyen de rendre gloire au Verbe incarné et à sa très-sainte Mère. Nous citerons, comme actes explicites du Saint-Siège sur le miracle de Lorette, les Bulles de Paul II, de Léon X, de Paul III, de Paul IV et de Sixte V; le Décret d'Urbain VIII, en 1632, pour en établir la Fête dans la Marche d'Ancône ; celui d'Innocent XII, en 1699 , pour approuver l'Office; enfin les induits de Benoît XIII et de ses successeurs, pour étendre cette Fête à un grand nombre de provinces de la catholicité.
Pour entrer dans l'esprit du Siége Apostolique, qui encourage avec tant de zèle la pieuse confiance des fidèles en la sainte Maison de Nazareth, devenue, par la miséricorde divine , la Maison de Lorette , nous emprunterons quelque chose à l'Office de sa miraculeuse Translation.
ANTIENNE :
C'est ici le tabernacle de Dieu avec les hommes, et il a habité avec eux ; et ils seront son peuple, et le Dieu qui est avec eux sera leur Dieu.
Nous entrerons dans son tabernacle.
Nous adorerons au lieu où se sont reposés ses pieds.
ORAISON :
0 Dieu, qui avez consacré dans votre miséricorde la Maison de la bienheureuse Vierge Marie par le mystère du Verbe incarné , et qui l'avez placée merveilleusement au sein de votre Église : faites que, séparés des demeures des pécheurs , nous devenions dignes d'être les habitants de votre sainte maison. Par le même Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
Deus, qui beatae Mariae Virginis Domum per incarnati Verbi mysterium misericorditer consecrasti, eam que in sinu Ecclesiae tuae mirabiliter collocasti : concede, ut segregati a tabernaculis peccatorum , digni efficiamur habitatores domus sanctae tuae. Per eumdem Christum Dominum nostrum. Amen.
(1) – Voici le récit de cette translation, d'après par les Petits Bollandistes :
Quant à l'histoire de la nouvelle translation, voici en quels termes un ermite du temps et du pays, Paul Della Selva, l'écrivit au roi de Naples, Charles II.
« L'an de l'incarnation du Seigneur 1294, le samedi 10 décembre, lorsque tout était plongé dans le silence, et que la nuit dans son cours était au milieu de sa route, une lumière sortie du ciel vint frapper les regards de plusieurs habitants des rivages de la mer Adriatique, et une divine harmonie, réveillant la sagesse des plus endormis, les tira du sommeil pour leur faire contempler une merveille supérieure à toutes les forces de la nature. Ils virent donc et contemplèrent à loisir une maison environnée d'une splendeur céleste, soutenue dans les mains des anges, et transportée à travers les airs. Les paysans et les bergers s'arrêtèrent stupéfaits à la vue d'une si grande merveille, et tombèrent à genoux en adoration, dans l'attente du terme et de la fin où aboutirait ce prodige. Cependant cette sainte maison portée par les anges fut placée au milieu d'un grand bois, et les arbres eux-mêmes s'inclinèrent comme pour vénérer la Reine du ciel. Aujourd'hui on les voit encore penchés et recourbés comme pour témoigner leur allégresse. On dit que dans ce lieu était autrefois un temple dédié à quelque fausse divinité, et entouré d'une forêt de lauriers, ce qui lui a fait donner le nom de Lorette, comme on l'appelle encore aujourd'hui. A peine le matin était arrivé, que les paysans se hâtèrent d'aller à Récanati, pour raconter ce qui s'était passé, et tout le peuple s'empressa d'accourir au bois des Lauriers, pour s'assurer de la vérité de cette narration. Parmi les nobles et le peuple, plusieurs restaient muets d'étonnement, plusieurs ne pouvaient se résoudre à croire le miracle. Les mieux disposés pleuraient de joie, et disaient avec le Prophète : « Nous l'avons trouvée dans les champs de la forêt » ; et encore : « Il n'a pas traité ainsi toutes les nations ». Ils honorèrent cette petite et sainte maison, et, pénétrant dans l'intérieur avec dévotion, ils rendirent leurs hommages à la statue de bois de la divine vierge Marie, qui tenait son Fils entre ses bras. De retour à Récanati, ils remplirent la cité d'une sainte joie; le peuple quittait souvent la ville pour aller vénérer la sainte chapelle ; c'était un concours perpétuel de fidèles qui se croisaient sur la route (…) »