John Galvin sur Humanae Vitae

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Le texte ci-dessous a été originalement publié dans la revue américaine Latin Mass Magazine dans son numéro d'hiver 2002. La présente traduction est aimablement autorisée par la direction du Latin Mass Magazine . L'auteur est conciliaire, mais dans l'ensemble l'article est une excellente analyse textuelle et contextuelle de Humanae Vitae .

L'encyclique Humanae Vitae : héroïque, insuffisante, ou les deux à la fois ?

Par John Galvin.

Les progressistes comme les conservateurs sont d'accord pour dire qu'en opposition à l'"esprit de Vatican II" qui régnait dans l'Église à l'époque, l'encyclique Humanae Vitae a été une réaffirmation forte de l'enseignement traditionnel de l'Église concernant la contraception. Les progressistes y déplorent un retour à l'approche "d'avant Vatican II" tandis que les conservateurs se réjouissent de ce temps d'arrêt dans toutes ces expérimentations nouvelles.

Le but de cet article est de déterminer si la réalité est conforme à cette opinion répandue. Nous allons analyser de près le texte même de l'encyclique, et voir si elle perpétue vraiment l'enseignement constant de l'Église. Ce qui nous conduira à envisager la possibilité que cette encyclique répudie en fait à peu près tout ce que les prédécesseurs de Paul VI ont dit sur le sujet. Et si HV n'était pas du tout un texte conservateur mais plutôt une innovation radicale dans l'histoire de la doctrine morale catholique ?

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Commençons par remarquer qu'un fait s'élève, incontestable, au-dessus de toutes les controverses concernant HV : l'encyclique a complètement échoué dans sa mission de commander et de persuader les catholiques. Les statistiques montrent que l'usage des contraceptifs est omniprésent. Des données aisément accessibles montrent que seulement 5% des femmes en age de procréer s'abstiennent totalement de contraceptifs artificiels. L'effet global de cet usage massif de contraceptifs est un taux de natalité bien en-dessous du seuil de renouvellement aussi bien aux États-Unis que dans à peu près tous les pays catholiques d'Europe - l'Italie en est un exemple frappant, elle qui a un des taux de fertilité les plus bas du monde.

L'institut Alan Guttmacher rapporte que le taux de fertilité est resté "bien plus important" chez les catholiques que chez les protestants, "jusqu'à la fin des années 60" (au moment où HV a été publiée), mais que depuis les catholiques sont tombés plus bas encore que les protestants. La proportion de catholiques qui utilisent des méthodes de "régulation des naissances" est aujourd'hui si grande qu'on ne peut s'empêcher de penser qu'elle n'aurait pas été plus grande si HV avait carrément répudié la doctrine constante de l'Église. Comme le disait il y a dix ans déja John Kippley, militant de la régulation naturelle des naissances et fondateur de la ligue des couples, "Si les tendances actuelles continuent sans changement, bientôt de 97% à 99% des nouveaux mariés utiliseront des méthodes artificielles de régulation des naissances."

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Comment expliquer alors un échec si total de la part de l'Église enseignante ? Cela fait trente ans que les progressistes disent que le très faible taux d'acceptation de cette encyclique est une preuve de sa fausseté. Ces dissidents n'ont pas de mal à triompher sur le plan des apparences : "Comment un enseignement de l'Église pourrait-il être si universellement rejeté s'il était juste ?" Mais c'est un argument en cercle vicieux, en fait : "Cet enseignement est faux par ce que je le refuse, et je le refuse par ce qu'il est faux."

Contre cette tautologie, s'élèvent les preuves nombreuses des effets mortels de la contraception, sur le plan spirituel comme sur le plan matériel. Chacun connaît les statistiques montrant la montée en flèche de la pornographie, la masturbation, la fornication, l'adultère, le divorce, l'homosexualité et l'avortement depuis 1968. Ces "statistiques culturelles" montrent bien que le prétendu sensus fidei qu'on nous vante tant aujourd'hui n'est peut-être bien qu'une apostasie généralisée.

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Sur un plan plus fondamental, pour tout catholique croyant, rejeter cet enseignement revient à rejeter la foi. Car cette doctrine morale a été ré-enseignée comme un dogme, non pas par un seul pape, mais par tous les papes récents, et pas seulement dans le passé récent, mais dans toute l'histoire de l'Église. Si l'enseignement dogmatique concernant la contraception est faux, alors l'autorité du Magistère est inexistante. Comme le dit l'abbé John Hardon, s.j. : "Les catholiques professes ne peuvent pratiquer la contraception : soit ils abandonnent la pratique de la contraception, soit ils abandonnent la foi catholique."

Et cependant la hiérarchie récente de l'Église s'est tout aussi constamment acrochée à la croyance qu'il n'y a pas de problème avec HV. Sur ce point comme sur tant d'autres, ils ont résolument choisi la politique de l'autruche. Tandis que l'approche des progressistes équivaut à un abandon de la foi, l'approche de la hiérarchie équivaut à un abandon des fidèles au désespoir. On peut résumer leur position ainsi, "Nous reconnaissons que pratiquement tous les catholiques d'aujourd'hui sont en état de péché mortel, mais nous n'y pouvons rien, et c'est pourquoi nous nous lavons les mains de cette responsabilité."

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Nous ne pensons pas que cette responsabilité pourra être repoussée indéfiniment. Comme le dit l'abbé Hardon, la contraception porte un coup mortel non seulement à la foi, mais aussi au salut : "La pratique de la contraception est un péché grave. Ceux qui s'y adonnent risquent de perdre leur âme immortelle. La doctrine chrétienne a toujours soutenu, soutient aujourd'hui et soutiendra toujours, que la contraception est une offense grave faite à Dieu. À moins d'un repentir, elle est punissable par une privation de la vision de Dieu, ce que nous appelons la mort éternelle."

C'est vraiment intolérable que l'Église reste passive pendant que la vaste majorité de ses membres - des centaines de millions d'âmes - s'enfoncent dans le chemin de la perdition. N'est-il pas vraisembable que c'est la faute de ceux qui prêchent aussi bien que de ceux qui écoutent les prédicateurs ? C'est là que nous devons considérer une troisième possibilité : "la doctrine de HV est vraie, mais sa présentation a été irrémédiablement inefficace."

Par "présentation" je ne veux pas dire le style littéraire ; ce n'est pas seulement une question de dire les mêmes choses d'une manière différente. C'est plutôt que HV devait dire bien d'autres choses si elle était censée présenter la doctrine catholique concernant la contraception dans toute sa plénitude et sa beauté, et avec tout le caractère persuasif requis. C'est l'abandon de l'Écriture Sainte, de la tradition catholique, de la doctrine catholique, de la philosophie catholique qui a rendu l'encyclique incapable de convaincre les fidèles et n'a pas permis à l'Église de juguler la décadence morale qui a atteint à peu près tous les pays catholiques du monde.

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Comme le note l'illustre juriste J. Budziszewski dans la revue First Things , "Bien que n'étant pas adressée aux seuls catholiques romains mais à tous les hommes de bonne volonté, HV est à la fois diffuse et elliptique. Ses présupposés sont éparpillés ça et là, et peu clairs aux non-catholiques. Bien que cette encyclique soit magistrale au sens où elle est l'oeuvre d'un chef qui commande, elle n'est pas magistrale dans le sens d'oeuvre qui explique et enseigne bien. Elle semble ignorer tout l'arsenal pédagogique et rhétorique (indispensable pourtant à toute discussion sur la loi naturelle) qui rend évident au lecteur ce qui est seulement évident de soi, qui rend clair au lecteur ce qui est seulement clair en soi."

Je vais analyser ci-dessous neuf défauts précis qui ont rendu HV impuissante et qui ont conduit au rejet massif de ses conclusions.

1. La bureaucratie et le retard dans la publication.
2. L'omission du contexte plus général du mariage chrétien.
3. La question des méthodes naturelles et des méthodes artificielles.
4. Le manque de preuves tirées de l'Écriture-Sainte.
5. Le manque de références à la Tradition.
6. Le manque de références au Magistère de l'Église.
7. L'inefficace philosophie conséquentialiste.
8. L'envahissante phénoménologie personnaliste.
9. Pas de loi naturelle sans téléologie.

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1. La bureaucratie et le retard dans la publication.

À la date où HV fut finalement publiée, elle était littéralement une "lettre morte". Les médias tant catholiques que non-catholiques était saturés de discussions sur le sujet depuis longtemps déja. Des réponses et contestations du point de vue de l'Église avaient été préparées et signées, et n'attendaient plus que la sortie de l'encyclique pour être publiées à leur tour. Avec le recul d'aujourd'hui, l'affirmation de HV (au §12) suivant laquelle "Nous pensons que les hommes de notre temps sont particulièrement en mesure de comprendre le caractère profondément raisonnable et humain de ce principe fondamental " paraît bien naïve.

Trente ans après la publication de l'encyclique, n'est-il pas temps pour la hiérarchie de l'Église de reconnaître sa responsabilité dans cet échec et de cesser de se plaindre que HV n'a pas été suffisamment comprise ? La décision de nommer une "commission papale pour l'étude des problèmes de la famille, de la population et du taux de natalité" a été fatale pour l'encyclique, et ce pour trois raisons.

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D'abord, le fait de placer le destin d'une doctrine cruciale de l'Église dans les mains d'une commission ne peut être consideré que comme une imprudence. Janet Smith, qui a étudié à fond l'histoire de HV plus que toute autre personne, dit qu'"il est impossible de trouver une déclaration écrite qui explique clairement la raison d'être et l'objectif de la commission."

Dans les faits, cette nouvelle commission papale fut un désastre majeur. Elle publia dans la presse un "rapport" préconisant des changement dans la doctrine pérenne de l'Église. Ainsi, un document apparamment autorisé était alors accessible très facilement dans la presse, un document signé par neuf cardinaux et archévêques, qui disait qu'une "parenté responsable" pouvait inclure l'usage des contraceptifs. Cette vision de choses et ce document eurent pignon sur rue pendant plus de deux ans, ce qui fut suffisant pour éloigner l'opinion générale de la doctrine de l'Église.

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Deuxièmement, la création de cette commission papale retarda de plusieurs années la publication de l'encyclique. La pilule a commencé à être mise sur le marché en 1958. Vatican II a ouvert en 1962. La comission fut nommée par Jean XXIII en 1963 et agrandie plus tard par Paul VI. Le sujet fut traité dans le document Gaudium et Spes de Vatican II en 1965, mais brièvement par ce que Paul VI se réservait ce sujet pour lui-même, et attendait les recommendations de la comission. La contribution de Vatican II ne fit d'ailleurs qu'aggraver les choses ; quand HV fut publiée, un congrès de théologiens fit une déclaration jointe et publique suivant laquelle "l'encyclique ne satisfait pas aux exigences formulées dans la constitution pastorale Gaudium et Spes".

Ces exigences était discutées dans un flot régulièrement renouvelé d'articles de divers théologiens, experts et spécialistes. En 1966 déja, Richard McCormick, auteur d'un recueil de "notes de théologie morale" publiés dans les Theological Studies , écrivit que la contraception était devenue "le problème moral majeur qui trouble l'Église", et que la production écrite des six derniers mois sur ce sujet était "volumineuse". Il fallut cependant attendre deux années supplémentaires avant la publication de HV.

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Ce fut pendant ces années cruciales que le consensus général dans la société se sépara de l'Église. C'est pendant cette même période que la cour suprême des États-Unis, dans son jugement sur l'affaire Griswold vs. Connecticut, a invalidé les restrictions de chaque état sur la dispensation de contraceptifs. C'est toujours dans cette même période que le taux d'usage des contraceptifs a explosé, obligeant plus tard l'Église à demander aux fidèles de se séparer d'une habitude qu'ils avaient bien acquise, au lieu de leur demander de simplement continuer à faire comme avant.

La différence entre les deux peut être comparée à la différence entre conduire normalement un train et essayer d'arrêter un train qui a déraillé. La première tâche ne demande presque aucun effort, au point qu'on est vite tenté de concentrer son regard sur autre chose que la ligne des rails. La deuxième exige la coordination des efforts de centaines d'hommes, et même alors le succès n'est pas garanti.

Et finalement, cette approche bureaucratique a porté un coup mortel à HV elle-même, l'obligeant a commencer par admettre que la commission papale était arrivée à une conclusion diamétralement opposée. Le message de l'encyclique est flouté par une description de conflits internes à la hiérarchie de l'Église, qui rebute le lecteur. Cette imperfection restera à jamais une tache sur HV.