Cette bonté du divin Maître, ainsi que ses douces
paroles, fut comme un rayon de lumière qui éclaira
le centurion et qui lui découvrit la majesté, la grandeur
et la divinité de Jésus-Christ, cachées sous le
voile de son humanité; ce fut, dit saint Jérôme, un
trait de la grâce, qui le lui fit admirer, aimer et adorer
(1). C'est pourquoi, confus et étonné, balançant
entre l'admiration et la reconnaissance, entre l'humilité
et l'amour, le centurion s'écria : Qui suis-je,
Seigneur, pour que vous daigniez venir dans ma maison ?
Non, je ne suis pas digne d'un tel honneur (2) !
Ensuite il ajouta, toujours avec le même transport
d'humilité et de foi : Puisque votre bonté est si grande,
Seigneur, qu'est-il nécessaire que vous veniez dans ma
maison ? Dites seulement une parole, une seule parole,
et mon serviteur sera guéri. Admirable expression de
l'humilité la plus profonde, dit saint Pierre Chrysologue.
Ce centurion prie le Sauveur de ne point se
rendre en sa demeure pour la même raison que
saint Pierre le conjura de sortir de sa barque. Ces
hommes vraiment humbles craignaient que leur hos-
pitalité ne fût point digne de cet hôte divin (3),
Ensuite le conturion continua à dire : Car, moi aussi,
je suis un homme soumis à l'autorité d'un autre (4) ;
j'ai sous moi des soldats, je dis à celui-ci : Va, et il va;
et à un autre : Viens , et il vient; et à mon serviteur :
Fais cela, et il le fait. Par ces paroles, il voulait
dire, selon saint Augustin : Si moi, qui ne suis
qu'un homme faible, soumis à l'autorité d'un grand
nombre (5), il me suffit, parce que j'ai quelques
soldats sous mes ordres, de dire à l'un d'eux ou à
mon serviteur qu'il aille ou qu'il vienne , qu'il fasse
une chose ou qu'il l'omette , pour être obéi à l'instant ,
pourquoi ne pourriez-vous pas faire de même,
Seigneur, vous qui êtes indépendant et le souverain
Maître de tout (6)?
Quelle humilité et quelle ferveur ! Se rendant té-
moignage a lui-même et profondément humilié des
péchés qu'il avait commis pendant sa vie sous l'empire
de la superstition païenne, le centenier, au lieu
d'être consolé par l'infinie bouté du Sauveur, en était
plutôt déconcerté, confondu, anéanti (7). Homme
véritablement heureux ! il avait déjà l'esprit de la
loi de Jésus-Christ avant qu'il en fît profession , et
la grâce l'avait déjà initié à ses mystères. Comme le
remarque Origène, il était, par la nationalité et par
le rang, étranger aux Juifs, mais uni à Dieu par la
foi ; ce chef de soldats faisait la joie et les délices des
anges (8).
A SUIVRE...
(1) Ultra corporis tegmen latentem videt divinitatem (Comment.).
(2) Et respondens centurio, ait : Domine, non sum dignus ut intres
sub tectum meum (Matth., viii); sed tantum dic verbo, et sanabitur
puer meus (ibid.).
(3) Dignum dedit de humilitate responsum. Sic Petrus Dominum exire
a se rogat, quomodo centurio ad se supplicat non venire. Agit uterque.
ne indignitas hospitii in hospite emaneat injuriam (Serm. 5, De Cent.).
(4) A Tibère César, alors empereur, à Ponce Pilate, gouverneur de
la Judée, au tribun militaire, chef de la légion. « Apprenons par là, dit
saint Bernard, que celui-là seul sait bien commander qui a appris à bien
obéir. Ainsi l'âme qui veut dominer le corps doit se soumettre humblement
à la volonté de Dieu. Un esprit orgueilleux, qui est rebelle à Dieu,
verra toujours que son corps est rebelle et non dompté, comme il arriva
à Adam ; en punition de l'orgueil, Dieu permet qu'on tombe dans la
luxure. »
(5) Nam et ego homo sum sub potestate constitutus , nal ens sub me
milites ; et dico huic : Vade, et vadit; et alii : Veni , et venit ; et servo
meo : Fac hoc, et facit (Matth., ix).
(6) Si ego qui sub potestate sum, jubendi habeo potestatem, quid tu
poteris, cui omnes serviunt potestates (Serm. 6, De Verb. Dom.) ?
(7) Propter conscientiam vitae gentilis, gravari se magis dignatione
sensit quam juvari (Cat. aur.).— Cujus etsi fide praeditus nondum erat,
sacramentis imbutus.
(8) Externus generatione, sed mente domesticus; militum princeps,
sed plus gaudium angelorum (Loco cit.).