Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le IIème dimanche après Pâques

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Laetitia
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Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le IIème dimanche après Pâques

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SECOND SERMON POUR LE IIe DIMANCHE APRÈS PÂQUES.

Des fonctions pastorales qu'exerce spirituellement Jésus-Christ Notre Seigneur dans les âmes des personnes pieuses.

Explication du psaume [XXII]

Dominus regit me. Dominus regit me, et nihil mihi deerit, in loco pascuæ ibi me collocavit.
Le Seigneur est mon pasteur, et je ne manquerai de rien. Il me fait reposer en d'agréables pâturages. Psal. XXII, 1.

Comme dans l'évangile de ce jour il est question du devoir d'un bon pasteur, devoir qu'a rempli si pleinement notre Sauveur tant qu'il vivait parmi nous; j'ai jugé convenable de parler, dans le présent discours, de la manière dont il exerce les mêmes fonctions maintenant qu'il habite au ciel. Le royal Prophète, dans le psaume dont je viens de vous présenter le commencement, l'explique nettement, mais avec brièveté ; je crois donc bien faire en vous développant ce psaume, si toutefois le Seigneur daigne m'inspirer. Mais je vais d'abord lire l'évangile, qui est la source et le fondement de cette doctrine.

Le Seigneur dit donc : « Je suis le bon pasteur. Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis ; mais le mercenaire qui n'est point pasteur, à qui les brebis n'appartiennent pas, ne voit pas sitôt venir le loup, qu'il abandonne les brebis et s'enfuit ; le loup les ravit et les disperse .
Or, le mercenaire s'enfuit, parce qu'il est mercenaire, et qu'il ne se met pas en peine des brebis, etc., etc. » Joan. x, 11 à 16 .
Ave, Maria.
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Laetitia
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Très-chers frères, puisque l'homme, par un instinct naturel, est si avide de bien-être et de bonheur, et que tant de bien-être et de bonheur est promis en récompense à ceux qui observent la loi divine, comment se fait-il que dans le siècle on voie si peu d'hommes qu'une telle récompense porte à pratiquer la piété et la justice ? N'est-ce pas une question qui mérite d'être approfondie ?

En effet, sur la grandeur de cette récompense, saint Augustin s'exprime ainsi : « Ce que Dieu a préparé à ceux qui l'aiment, n'est pas saisi par la foi, n'est pas atteint par l'espérance, n'est pas embrassé par la charité, mais dépasse les désirs et les vœux ; on peut l'acquérir, non l'estimer à sa juste valeur. » Cela n'a rien d'étonnant ni d'incroyable pour quiconque a contemplé l'immensité de la bonté et de la puissance divine. Aussi saint Bernard, expliquant ce verset de David : « Je le délivrerai et l’élèverai en gloire, » Eripiam eum et glorificabo eum, Ps. XC, 15, s'écrie -t-il :
« Une telle immensité ne glorifiera que d'une manière immense. Car d'une gloire magnifique ne peut sortir qu'une grande glorification. Cette gloire est appelée magnifique, parce qu'elle glorifie
magnifiquement. »

Telle étant donc la grandeur de la récompense divine, n'a-t-on pas raison de s'étonner de l'aveuglement des hommes, qu'une si magnifique rémunération ne porte pas à pratiquer la piété et la justice ? Ce désordre a bien des causes ; Salomon l'insinue : « Qui veut se séparer de son ami, en trouve les occasions. » Prov . XVIII, 1. Et l’Ecclésiastique : « Le pécheur évitera d'être repris, et il trouvera des interprétations de la loi selon son désir. » Eccli . XXXII, 21. C'est-à-dire, il ne manquera pas de fausses consolations, de ressources trompeuses pour rester tranquille dans ses crimes, en repoussant de sages conseils. Toutefois, entre ces subterfuges de la malice humaine, lesquels sont nombreux et divers, il en est deux principaux. L'un, c'est qu'étrangers aux choses divines, les pécheurs allèguent pour prétexte que la voie de la vertu est inabordable ; en effet, ils la mesurent aux seules forces humaines, sans avoir égard au secours de la grâce divine, qu'ils ne connaissent point. L'autre, c'est qu'ils s’imaginent que le prix et la récompense de la vertu sont, non pas pour cette vie, mais uniquement pour l'autre .

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Voilà pourquoi saint Ambroise, parlant des méchants, s'exprime en ces termes : « Il paraît difficile aux hommes d'acheter l'espérance au prix de la douleur, et de gagner la vie future en sacrifiant le présent. C'est que tous les méchants, trompés par les ruses de l'antique serpent, se mettent dans l'esprit qu'il n'y a d'autres récompenses de la vertu que celles qui sont promises pour la vie à venir. Or, comme elles ne leur apportent aucune utilité présente, ils les dédaignent et les comptent pour rien, comme hors de portée et trop éloignées ; au moins, ils ne veulent pas les acquérir en perdant les avantages et les plaisirs présents, ni échanger le présent contre l'avenir.

Pour répondre à ces prétextes des hommes ignorants et insouciants, je vais rappeler ici certains privilèges particuliers que la bonté divine accorde aux justes, même dès cette vie. Comme, dans un État, les nobles ont des prérogatives spéciales ; comme, dans l’Église, ceux qui ont reçu les ordres sacrés jouissent de grâces et d'immunités particulières dont sont exclus les séculiers ; de même la divine Sagesse, qui étend sa providence sur toutes choses et principalement sur les personnes pieuses, a préparé à celles-ci, et dans la vie présente et dans la vie future, des dons et des bienfaits à elles propres, pour rémunérer leur piété et leur justice.
Quels sont-ils ?

Les saints livres en font mention à toutes les pages. Mais, pour ne pas trop nous étendre, pour ne pas feuilleter toute la sainte Écriture, ni nous écarter de l'évangile de ce jour, qui traite des fonctions pastorales du Sauveur, je me contenterai de vous expliquer un psaume de David qui traite ce même sujet avec une concision remarquable. Le poète sacré y compte douze bienfaits réservés aux justes : onze pour cette vie, et le douzième pour la vie future. Outre que ce sont des bienfaits, ce sont aussi de puissants stimulants à la pratique de la vertu : non-seulement ils aplanissent la voie des divins préceptes, par elle-même inaccessible aux seules forces humaines, mais même ils la rendent facile et agréable. Il ne sera donc pas hors de propos, ni infructueux, je l'espère, d'exposer brièvement ces bienfaits dans le présent discours; pleine satisfaction sera ainsi donnée, je pense, aux deux prétextes sur lesquels s'appuient des hommes ignorants .

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I.


De ces bienfaits, le premier et la source de tous les autres, est la sollicitude pastorale que le Seigneur étend sur ses brebis, c'est-à -dire, sur les justes. Le poète sacré s'en glorifie, quand il dit, au commencement du psaume XXII : « Le Seigneur me conduit. » Ici l'interprétation de saint Jérôme s'accorde mieux avec notre sujet, car il traduit : « Le Seigneur est mon pasteur. » De même, ailleurs, au lieu de notre leçon : Qui regis Israel, intende, le même saint Jérôme traduit : Pastor Israel, ausculta, qui deducis velut ovem Joseph. « Ecoutez, pasteur d'Israël, vous qui conduisez Joseph comme une brebis. » Ps. LXXIX, 2. Le Sauveur prend donc fréquemment dans les saintes Lettres le nom de pasteur. Or, cette dénomination peint merveilleusement le soin, la sollicitude pastorale avec laquelle il veille sur les justes. Car, comme le bon pasteur est tout entier à la garde et à la protection de ses brebis, leur procurant par tous les moyens possibles la vie, la sécurité, le salut ; de même ce pasteur céleste s'applique à conserver ses brebis, à les nourrir, à les diriger, à les garantir des bêtes féroces ; on dirait que, libre de tout autre soin, il n'a pas autre chose à surveiller.

Quels sont les biens qui découlent de cette sollicitude pastorale ? – A cette question le Psalmiste répond brièvement : « Rien ne me manquera. » Par un seul mot, il renverse de fond en comble les deux allégations des hommes charnels, que nous avons mentionnées plus haut.

Pour l'intelligence de ceci, il faut savoir qu'au temps de saint Augustin l'Eglise fut affligée de l'abominable hérésie de Pélage. Cet hérésiarque attribuait à la nature humaine et au libre arbitre une puissance excessive ; il allait jusqu'à prétendre que l'homme, sans aucun secours divin, peut non -seulement observer tous les préceptes de la loi divine, mais encore s'élever au faite de la perfection chrétienne. Contre une telle hérésie saint Augustin, enflammé d'indignation, publia d'illustres écrits, et combattit vaillamment pour maintenir la nécessité de la grâce de Dieu.
C'est alors que se tint le concile de Milève, auquel assista saint Augustin, et où fut anathématisé le pélagianisme; il y fut défini que nul mortel, par les seules forces de la nature, ne peut accomplir tous les préceptes de la loi divine, mais que pour cela le secours de la grâce est indispensable, suivant que le Seigneur l'a dit à ses disciples : « Comme la branche de la vigne ne saurait d'elle-même, et sans demeurer attachée au cep, porter aucun fruit; il en est de même de vous, si vous ne demeurez en moi. » Joan. XV, 4. La même vérité est ainsi attestée par l'Apôtre : « Nous ne pouvons former de nous-même aucune bonne pensée, comme de nous -mêmes ; mais c'est Dieu qui nous en rend capables. » II Cor. III, 5. Et encore : « Opérez votre salut avec crainte et tremblement. Car c'est Dieu qui opère en vous et le vouloir et le faire, selon son bon plaisir. » Philip. 11, 12 et 13.

Tout nous vient donc de la grâce de Dieu, et les bonnes pensées, et la volonté, et même l'action. Il est bien vrai que nous agissons, mais Dieu aussi agit en nous.
Les théologiens confirment cette vérité en s'appuyant d'un exemple tiré des choses naturelles. Car quoique Dieu, dans sa bonté, ait fourni à toutes choses les forces et les facultés nécessaires pour qu'elles puissent agir selon leur nature et remplir leurs fonctions ( car nous voyons le feu échauffer par sa force propre, le soleil éclairer tout de ses rayons lumineux, enfin les fruits et toutes les productions de la terre croître par une puissance occulte et naturelle); cependant la puissance de Dieu concourt si bien à l'action de toutes les créatures, que s'Il n'agissait de concert avec elles, s'Il ne leur fournissait continuellement la faculté d'agir, assurément elles ne pourraient s'acquitter de leurs fonctions, ni effectuer quoi que ce soit. De la même manière, quoique le Seigneur, auteur de la grâce, aussi bien que de la nature ait donné aux justes la grâce, et avec elle toutes les vertus, par lesquelles Il les rend aptes à tout ce qui est bien, cependant Il assiste d'autant plus de son secours et de sa puissance ceux qui vivent saintement, que la fin où tend la grâce est plus noble que celle où la nature s'efforce d'atteindre.

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Cette vérité, cet article de foi étant donc établi, voici, mes frères, le langage que je vous tiens : Puisque le Seigneur, sous la menace d'un éternel supplice, a ordonné aux hommes de garder ses commandements ; puisqu'Il sait que par les seules forces humaines il n'est pas possible de les observer ; il faut nécessairement avouer, ou que Dieu est injuste, Lui qui a prescrit aux hommes une obéissance qu'Il savait impossible ; ou qu'Il leur accordera, à moins qu'ils ne le repoussent, le secours de la grâce céleste, pour les fortifier et les mettre en état d'observer sa loi dans toute sa plénitude. Mais supposer Dieu injuste, est un blasphème horrible, qui fait dresser les cheveux. Reste donc, que Dieu législateur fournira largement et d'une main libérale, aux hommes faibles, une force céleste et le secours de sa grâce, afin qu'ils puissent accomplir pleinement ce qu'une nature malade et dégénérée est impuissante à faire par elle seule. Or, c'est en ce sens que le Psalmiste, après s'être glorifié d'avoir Dieu pour pasteur, ajoute : « Rien ne me manquera ; » c'est-à -dire, Dieu me conduisant, rien de ce qui est nécessaire pour bien vivre et pour être heureux, ne peut jamais me manquer.

Cette vérité, qui prouve contre les méchants que la vertu n'est pas inaccessible, renverse également leur seconde allégation, par laquelle ils prétendent que la vertu procure les seuls biens de la vie future, mais non pas les biens présents. Car si, en cette vie, j'ai Dieu pour pasteur et pour gardien, s'Il veille avec sollicitude sur moi, et se charge de me nourrir et de me défendre ; je le demande, qu'est-ce qui pourra me nuire, qu'est-ce qui pourra me manquer sous un tel gardien ? Si mon pasteur est tout-puissant, s'Il dispose de tous les biens, s'Il est d'une sagesse incompréhensible, d'une bonté, d'une libéralité, d'une munificence qui ne peuvent être bornées par aucune limite, que me reste-t-il à redouter ou à désirer ? Que me manquera -t-il, quand j'ai auprès de moi, ou plutôt, au dedans de moi, la source de tous les biens ?

Toutefois, non content d'avoir renfermé en ce peu de mots tous les biens que Dieu nous accorde, le Prophète continue ensuite à les énumérer un à un, car il ajoute : « Il m'a établi dans un fertile pâturage. » D'abord le devoir d'un bon pasteur est de chercher pour ses brebis de plantureux pâturages. Or, notre pasteur y pourvoit admirablement. Ces pâturages sont toutes les œuvres de la grâce divine, parmi lesquelles on compte surtout les actes et les mystères merveilleux de la vie du Sauveur et les joies éternelles des âmes bienheureuses. Car les brebis du Christ trouvent dans la contemplation de toutes ces choses de suaves délices et une consolation fortifiante. La pensée des joies célestes surtout apporte à leurs âmes une volupté ineffable.
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Le Seigneur, par la voix d'Ezéchiel, dit de ces pâturages, en parlant de ses brebis : « Je les mènerai paître dans les terres les plus fertiles ; les hautes montagnes d'Israël seront le lieu de leur pâture ; elles s'y reposeront sur les herbes vertes, et elles paîtront sur les montagnes d'Israël dans de gras pâturages. » Ezech. XXXIV, 14. Or, ces montagnes, que sont-elles, sinon celles dont le royal Prophète a dit : « Je lève les yeux vers les montagnes, pour voir d’où il me viendra du secours ? » Ps. CXX, 1 .

C'est encore sur ces montagnes que l'Épouse désirait voir céleste Époux paissant ses brebis, lorsqu'elle disait : « Ô Vous, le bien-aimé de mon cœur, indiquez-moi où vous paissez votre troupeau, où vous le faites reposer à midi. » Cant. I, 6. Car c'est dans la pleine lumière que le Seigneur rassasie pleinement ses brebis ; et la contemplation de ce bonheur est pour l’Épouse, même sur la terre, une nourriture et une joie merveilleuses.
D'ailleurs, tous les livres de la sainte Écriture, tous les divins oracles, que sont-ils autre chose qu'une pâture spirituelle des âmes, qui soutient et fortifie les cœurs des justes dans la vie spirituelle ? C'est pourquoi saint Jérôme, demandant à un ami dans une lettre une partie de la Bible, lui disait : « Vous savez que méditer jour et nuit la loi du Seigneur est la pâture de l'âme. Lors donc que le Seigneur fortifie du collyre de son ineffable sagesse les yeux des justes, lorsqu'il donne satisfaction à cette demande du Prophète : Ôtez le voile de dessus mes yeux, afin que je contemple les merveilles de votre loi, Ps. CXVIII, 18, alors le suprême pasteur des âmes rafraîchit et nourrit ses brebis dans la douce contemplation des saintes Écritures. » Hieron. Epist.

Par ce qui précède, on voit combien les pâturages des justes sont plus nourrissants et plus savoureux que ceux des anciens philosophes. Nous, en effet, nous avons tous les pâturages qui viennent d'être énumérés ; tandis qu'eux, ils n'en avaient d'autres que les seules œuvres de la nature, qui se voient en ce monde. Ce qui faisait dire à Cicéron : « La considération, la contemplation de la nature est comme une pâture naturelle de nos âmes et de nos esprits ; pour un homme dont l'intelligence est cultivée, penser, c'est vivre ; » et à Pline le Jeune : « Il est étonnant combien les ténèbres et la solitude fournissent d'aliments à l'âme. » Epist. Car alors, les fenêtres des sens étant fermées, notre âme, s'isolant en quelque sorte du corps, s'abandonne à des méditations spirituelles qui la fortifient singulièrement, et sont la source de pures jouissances.

Si donc des sages trouvaient tant de charme à se repaître de la contemplation de la nature, combien, je vous le demande, ne sont pas plus heureux les justes, à qui le suprême pasteur procure des pâturages remplis de telles douceurs et de telles délices !

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Quand les brebis sont rassasiées, on les abreuve ; aussi le Prophète ajoute-t-il : « Il me conduit auprès des eaux rafraîchissantes. » Pour comprendre ce que signifient les eaux dans ce passage, il faut se rappeler cette eau dont le Seigneur disait à la Samaritaine : « Quiconque boira de l'eau que je lui donnerai, n'aura jamais soif. » Joan. IV, 13. Cette eau est donc la suavité de la sagesse céleste, la joie de l'esprit, la consolation divine, laquelle apaise la soif des désirs terrestres, en y substituant les joies des douceurs spirituelles et les consolations du Saint-Esprit. Car, comme le dit saint Bernard, quand, nous tournant vers le Seigneur, nous quittons le monde, nous ne restons pas sans joies, mais nous en changeons. Au lieu des joies charnelles, qui ont pour objet les plaisirs du corps et nous sont communes avec les bêtes, nous recevons les joies spirituelles, qui font les délices de l'âme, qui sont propres aux anges, et qui surpassent autant les joies sensuelles, que l'âme raisonnable surpasse le corps. Mais aucune langue mortelle ne saurait en exprimer la douceur et le prix ; l'expérience seule peut l'apprendre. Le même saint Bernard dit encore : « Les consolations que le Seigneur prodigue aux siens même en cette vie, l'Esprit seul les révèle ; vous avez beau tourner la page du livre, consultez plutôt l'expérience. Personne ne connaît le prix de cette sagesse, ni n'en voit la source ; il faut la goûter pour la connaître. C'est une manne cachée, un nom nouveau que nul ne sait, qu'en le recevant. Ce n'est pas l'érudition, c'est l'onction qui l'enseigne ; ce n'est pas la science, c'est la conscience qui le comprend. »

Cette consolation divine est donc l'eau rafraîchissante, dont notre pasteur abreuve ses brebis, et dont il les abreuve si bien, qu'il étanche la soif inextinguible du cœur humain. Aussi, au lieu de notre leçon, aquas refectionis, eaux rafraichissantes, Ps. XXII, 2, d'autres ont traduit dans le même sens, mais plus clairement, aquos. placidas, aquas requiei, eaux tranquilles, parce qu'elles procurent aux âmes le repos et la tranquillité, en apaisant les troubles, les angoisses et la soif de nos désirs. Voilà pourquoi saint Augustin, qui s'y était largement abreuvé, rend ce beau témoignage de leur vertu et de leur suavité : « Qui aura bu, dit-il, au fleuve du paradis, dont une seule goutte vaut mieux que l'Océan, y éteindra facilement la soif de ce monde. Car telle est la douceur, la suavité, la vertu de cette eau céleste, que même une seule goutte, recueillie sur le palais purifié de l'âme, suffit pour faire prendre en dégoût et compter pour rien tous les biens de ce monde. »

Cela étant, il nous est permis de crier à tous ceux qui aiment le monde : Que faites -vous, malheureux ? où allez -vous ? Que cherchez-vous ? pourquoi, laissant la source du vrai bonheur, courez-vous, pour apaiser votre soif, aux mares troubles, bourbeuses et fétides de l’Egypte, qui enflammeront cette soif au lieu de l'étancher ? « Pourquoi, dit le Prophète, employez -vous votre argent à ce qui ne peut vous nourrir, et vos travaux à ce qui ne peut vous rassasier ? » Isa. IV, 2. C'est-à-dire, pourquoi cherchez vous, au prix de tant de sacrifices, de tant de travaux et de tant d'efforts, des richesses périssables, des honneurs fugitifs, des voluptés charnelles, incapables de calmer la soif de votre âme? Car quel ambitieux, de quelques honneurs qu'il ait été accablé, a jamais mis des bornes à son ambition ? Quel avare, après avoir amassé d'immenses richesses, n'en a pas désiré encore davantage ? Quel voluptueux, quel Sardanapale a su imposer un frein à ses caprices, à ses convoitises dépravées ? Et cependant telle est notre stupidité, tel notre aveuglement, que nous préférons des biens fragiles et qui vont périr aux biens célestes et éternels. Car l'antique serpent a jeté dans un tel délire les âmes de ceux qu'il domine, qu'ils aiment mieux suivre le démon qui les frappe, que Dieu qui les caresse, et que les blessures d'un ennemi leur sont plus agréables que les plus doux baisers d'un ami; tant est grande la puissance de ce fourbe adversaire ! Mais c'est avoir assez parlé de ce bienfait. Voyons les autres.

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II.


Le Psalmiste continue : « Il a ramené mon âme. » Animam meam convertit. Ces paroles conviennent moins à David qu'à tout homme touché d'un véritable repentir. Car chacun de ceux-ci pourra dire avec grande vérité : Autrefois mon âme était si éloignée de Dieu, que je ne faisais nulle attention à ses lois et à ses préceptes; que je ne me souciais ni de ses terreurs, ni de ses promesses, ni de ses bienfaits, ni de ses supplices. Toutes mes pensées, toutes mes préoccupations étaient pour les biens fugitifs de ce monde; dans ces biens j'avais placé mon amour, toutes mes espérances, mon trésor ,ma joie et mon bonheur ; jour et nuit j'étais occupé avec une avidité fiévreuse à les acquérir et à les augmenter ; je n'étais tourmenté d'aucun souci pour mon salut, ni pour mon âme, d'aucune crainte du jugement divin. Quand donc j'étais plongé dans ces ténèbres et dans cet aveuglement, quand je croyais qu'il n'y a pas d'autres biens que les biens terrestres, quand je les embrassais avec tant de force que ni le fer, ni le feu, ni une violence quelconque ne m'aurait séparé d'eux et que la mort seule me les aurait arrachés ; – cette bonté immense et infinie, qui pouvait à bon droit abandonner celui qui se détournait et la rejetait, m'a tourné vers elle ; mort, elle m'a rappelé à la vie ; entravé par des chaînes pires que des chaînes de fer, elle m'a délié ; elle m'a tiré des ténèbres pour m'illuminer de la splendeur de ses clartés ; elle a dit : Que la lumière soit; et la lumière fut. Alors j'ai vu mes ténèbres et en ai frissonné d'horreur. J'ai levé les yeux sur mon libérateur qui, sans aucun mérite de ma part, et pour la seule gloire de son nom, m'a délivré du plus grand des périls .

Or cette grâce, qu'on appelle grâce prévenante, et par laquelle Dieu convertit à lui un ennemi, est accordée aux hommes uniquement en considération des mérites du Christ, puisque l'homme, enchaîné dans le crime, et ayant levé contre Dieu l'étendard de la révolte, est impuissant à rien faire pour mériter un tel don. C'est ce que, dans notre psaume, exprime le Prophète, lorsqu'il avoue avoir reçu un si grand bienfait à cause du nom de Dieu, c'est-à dire, à cause de son immense miséricorde. Certes on ne saurait trop louer et célébrer cette miséricorde, par laquelle, dit saint Bernard, le Seigneur prévient non-seulement ceux qui ne méritent pas, mais aussi ceux qui déméritent; par laquelle il confère une bonne inspiration à ceux qui le repoussent et l'offensent.

Quelque chose pourra -t-il attendrir celui qui ne serait pas touché d'une telle miséricorde ? Mais cependant à quoi servirait-il d'être converti, ressuscité, ramené de la voie de la perdition dans la voie du salut, si, après la conversion, retombant dans mes fautes passées, j'irritais plus encore qu'auparavant la justice divine, ce qui arrive, en ce temps pascal, à beaucoup de chrétiens qui, après avoir fait pénitence pendant le carême, retournent à leurs anciens désordres ? Car alors on pourrait m'appliquer parfaitement ces paroles du Prophète : « Celui qui a amassé de l'argent, l'a mis dans un sac percé. » Agg. I, 6. Voilà pourquoi après cette première miséricorde de la grâce prévenante, Dieu confère la grâce concomitante, que le Psalmiste a en vue quand il ajoute : « Il me conduit pour la gloire de son nom dans les sentiers de la justice. » Observons d'abord que lorsqu'il dit sentier, et non voie de la justice, il insinue que la voie du salut est étroite, et suivie seulement du petit nombre ; tandis que la voie de la perdition et de l'injustice est si large que, selon Salomon, infini est le nombre des insensés qui y marchent.

Cela posé, comment célébrer dignement cette miséricorde à la faveur de laquelle, au milieu du naufrage de tant d'individus qui perdent les trésors de la justice et de l'éternelle vie, j'ai été sauvé
d'un si grand péril avec un petit nombre, et je suis parvenu au port du salut, à une rade sûre près du rivage ? Quelle miséricorde, en regard de ce nombre infini d'insensés qui périssent, d'obtenir le salut éternel en compagnie d'un petit nombre d'élus !
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Pour comprendre l'étendue de ce bienfait, représentez -vous une ville prise d'assaut par une armée formidable ; le fer et la flamme répandent la dévastation ; nul refuge pour les malheureux citoyens que sur le faîte d'une montagne à pic, où ne conduit qu'un seul sentier en droite ligne et peu connu. Par là, quelques habitants se mettent à la hâte en lieu de sûreté. Cependant, de ceux qui ignorent l'existence de ce sentier, les uns, courant sans précaution par les escarpements, tombent dans des précipices où ils trouvent la mort ; d'autres, s'engageant dans des marais trompeurs et spongieux, s'enfoncent dans le bourbier, et y demeurent; d'autres, s'enfuyant par des chemins détournés, donnent dans des embuscades dressées par l'ennemi, sont pris, chargés de fers, et emmenés.

Mes frères, par cette comparaison, j'ai voulu mettre sous vos yeux l'image de la vie humaine. Car nous tous qui vivons sur cette terre, nous courons de pareils dangers, et sommes exposés à de pareils mécomptes. En effet, comme ces habitants fuient l'ennemi et tâchent de se sauver ; de même aussi nous tous, à l'instigation de la nature, nous fuyons de toutes nos forces la misère, et nous courons vers le bonheur, c'est-à -dire, vers un état qui renferme tous les biens, et dans lequel, libres désormais des soucis et des misères qui nous poursuivent, nous puissions mener une vie calme et tranquille. Or, à cette montagne du bonheur, les uns veulent arriver par les voluptés charnelles ; ils s'imaginent qu'ils seront heureux lorsqu'ils auront assouvi la soif de leur âme par les plaisirs. Ceux-là s'engagent dans un bourbier, où ils s'enfoncent et gisent immobiles. Les autres mettent leur félicité dans les honneurs, le commandement, les fonctions élevées ; ils y tendent à travers mille déboires, exposant leur vie à tous les périls pour parvenir au sommet convoité. Ils nous rappellent ceux qui, marchant par les escarpements, bravent tous les dangers, pour n'aboutir qu'à un précipice. D'autres, affamés de richesses et insatiables dans leur cupidité, croient qu'ils seront au comble du bonheur quand ils auront rempli leurs maisons de monceaux d'or, auxquels ils se gardent bien de toucher. Ils sont représentés par ceux qui, tombant aux mains des ennemis, sont emmenés captifs et en servitude; en effet, asservis par leur cupidité, ils ne sont pas les maîtres de leurs richesses, ils en sont les esclaves.

Ainsi donc, ceux qui ne suivent pas le droit sentier, n'atteignent pas ce qu'ils désirent, et de plus ils sont tourmentés de misères sans nombre. Seuls, ceux qui marchent par la voie de la justice, qui est la voie sûre, voie unie et droite, arrivent au comble de leurs vœux ; tous les autres s'embarrassent dans des maux infinis.

Voici le langage de ces derniers : « Nous nous sommes lassés dans la voie de l'iniquité et de la perdition ; nous avons marché par des chemins rudes, et nous avons ignoré la voie du Seigneur. » Lassati sumus in via iniquitatis et perditionis ; ambulavimus vias difficiles, viam autem Domini ignoravimus. Sapient. V, 7. Les seuls justes parviennent donc à la montagne du vrai bonheur par le droit sentier et sans se heurter à rien. Ce qui fait dire à Isaïe : « Le sentier du juste est droit ; sa voie est égale ; vous-même, Seigneur, vous l'aplanissez. » Isa. XXVI, 7. Il l'appelle sentier droit, parce qu'il préserve le juste de toute erreur et le conduit au port souhaité du salut. Ce même sentier est si uni, si facile à suivre, que le Sage en dit : « Je te conduirai par les sentiers de l'équité ; quand tu у marcheras, tes pas ne seront pas resserrés ; si tu cours, rien ne te fera tomber. » Prov. IV, 11 et 12.

Puisqu'il en est ainsi, de l'aveu même des réprouvés, quelle n'est pas cette miséricorde par laquelle Dieu conduit et accompagne les personnes pieuses dans les voies de la justice ? Mais ce qui ajoute à la grandeur de ce bienfait, c'est que le Seigneur l'accorde gratuitement ; le Psalmiste l'indique en termes significatifs quand il ajoute : « A cause de son nom, » c'est-à-dire, à cause de l'étendue immense de la bonté et de la libéralité divines. Mais, dites-vous, comment Dieu donne-t-il gratuitement, lui qui s'est engagé à donner son Esprit et des accroissements de grâce, à celui qui marche dans les voies de la justice ? A cette question saint Bernard répond brièvement et finement, que le Seigneur nous met gratuitement à même de recevoir des bienfaits non gratuits. C'est-à -dire qu'il nous excite gratuitement à prier, et nous accorde gratuitement les secours de sa grâce, afin que nous fassions des œuvres saintes, moyennant lesquelles nous puissions recevoir, non plus gratuitement,mais à titre de justice, un accroissement de grâce et de gloire céleste. De sorte que la récompense de nos bonnes œuvres est en même temps gratuite et méritée.

(à suivre)
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Laetitia
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Re: Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le IIème dimanche après Pâques

Message par Laetitia »

Vient ensuite un sixième bienfait que le Prophète énonce en ces termes : « Mais quand je marcherais au milieu de l'ombre de la mort, je ne craindrais aucun mal, parce que vous êtes avec moi. » Qu'entendons-nous par ombre de la mort ? Assurément l'ombre a une grande ressemblance avec le corps, qu'elle reproduit ; elle en est l'image, sans en être toutefois la réalité. Or, tout ce psaume est allégorique et se rapporte à l'âme; il s'agit donc ici de la mort de l'âme, c'est-à -dire du péché, et par conséquent, l'ombre de cette mort est la tentation qui provoque au péché, et toute occasion, tout péril de pécher. Voilà pourquoi toutes les embûches des démons, toutes les suggestions de la chair, toutes les persécutions ou injures par lesquelles les hommes s'attaquent injustement les uns les autres, tous les conseils et tous les exemples des impies et des pervers, enfin tous les pièges du monde, pièges si nombreux que le Prophète nous dit « qu'ils pleuvent sur les méchants, » Ps. x, 6, tout cela est appelé à bon droit ombres de la mort, puisque tout cela nous porte au péché mortel.

Or les justes sont exposés, comme les méchants, à tous ces pièges et à tous ces périls. C'est pour cette raison que l’Epoux du Cantique dit en parlant de l'Epouse : « Tel qu'est le lis entre les épines, telle est ma bien-aimée entre les filles. » Cant. II, 2. Que faut -il entendre par épines ?
Saint Bernard l’expose en ces termes : « L'épine est une faute, l'épine est une peine, l'épine est un faux frère, l'épine est un mauvais voisin. Ô lis éclatant ! Fleur tendre et délicate ! les incrédules et les méchants sont avec toi. Aie soin de marcher avec précaution au milieu des épines. Le monde est plein d'épines ; elles sont sur la terre, dans l'air, dans ta chair. Pour vivre impunément au milieu d'elles, ta vertu ne suffit pas, il faut la puissance divine. »

Mais, contre les périls que présentent de telles épines le juste trouve un sûr refuge dans la présence et la protection du Seigneur ; aussi s'écrie -t-il avec le Prophète : « Quand je marcherais au milieu de l'ombre de la mort, je ne craindrais aucun mal, parce que vous êtes avec moi. » En effet, votre présence, vous me l'avez promise, quand vous avez dit par la bouche du Prophète : « Lorsque tu marcheras à travers les eaux, je serai avec toi, et les fleuves ne te submergeront point ; tu ne seras point brûlé dans le feu. » Isa. XLIII, 2 .

Cette protection merveilleuse, cette providence est décrite avec développement par le Psalmiste dans le psaume XC, où, après avoir exposé les périls divers et les pièges de cette vie, il parle ainsi de la protection divine : « Sa vérité vous servira de bouclier, vous n'aurez point à craindre des terreurs de la nuit, etc. » Il a bien raison d'appeler la vérité de Dieu un bouclier ; oui, et un bouclier impénétrable, parce qu'elle est la parole, non pas d'un homme faible, ou d'un ami tiède, mais du Tout-Puissant, qui entoure ses brebis d'un incomparable amour. Son pouvoir ne connaissant donc pas la faiblesse, ni son amour l'oubli, ni sa vérité le mensonge, on dit à bon droit que ce bouclier est impénétrable. Ce qu'ajoute ensuite le Prophète : « Vous ne craindrez ni les terreurs de la nuit, ni la flèche qui vole durant le jour, etc., » embrasse tous les genres de périls et d'ennemis, que ceux-ci soient corporels ou incorporels ; qu'ils nous attaquent à force ouverte ou par ruse ; couverts de l'image de la vertu, ou démasquant leur malice. Contre tous ces dangers, protégés par le bouclier de la vérité divine, c'est-à -dire, de la divine promesse, nous défierons tous les coups, et vivrons en sûreté.

Ce qui suit rehausse la grandeur du bienfait : « Il en tombera mille à votre gauche, et dix mille à votre droite ; mais le mal n'approchera point de vous. » Ps. XC 4 et seq. C'est-à-dire, vous verrez les méchants s'agiter dans les souffrances, sécher de haine et d'envie, être tourmentés par les passions, par l'ambition, par l'avarice, être égarés par la colère et la fureur, enfin pousser des rugissements et des blasphèmes, quand une calamité les frappe, ou que la mort enlève leurs proches. De ces maux sont exempts les justes que Dieu a pris sous sa protection ; s'il leur envoie quelque adversité pour les éprouver et les purifier, il les aide à la supporter avec patience et résignation.
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