Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le IIème dimanche après Pâques

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Laetitia
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Re: Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le IIème dimanche après Pâques

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Ainsi donc, mes frères, quiconque règle sa vie de manière à mériter d'être compté parmi les pieuses brebis du Christ, celui-là ne sera pas abattu par la pauvreté, ne se consumera pas de chagrin, ne sera pas blessé des traits de l'envie, ne sera brisé par aucun désastre ni aucun fléau. La détresse est pour lui l'abondance ; les maladies de son corps fortifient son âme; quand il paraît s'éteindre, c'est alors qu'il jouit pleinement de la vie. Un tel homme n'a donc à redouter l'invasion d'aucun mal. Car le ciel s'abîmera, la terre périra dans une conflagration universelle, toute la nature enfin sera détruite ; mais la parole de Dieu sera toujours vraie.

En effet, dans Isaïe, Dieu fait aux justes cette promesse : « Levez les yeux au ciel, et rabaissez-les vers la terre ; car le ciel disparaîtra comme la fumée, la terre s'en ira en poudre comme un vêtement usé, et ceux qui l'habitent périront de la même manière; mais le salut que je donnerai sera éternel, et ma justice ne sera point anéantie. Isa. LI, 6. Si donc le salut, que Dieu apporte à ses amis, défie tous les obstacles, comme on le voit par ce passage ; si la justice de Dieu, qui ne fait qu'un avec sa fidélité et avec sa vérité, est éternelle ; il s'ensuit que ceux à qui s'applique cette magnifique promesse trouvent dans la protection divine la paix et la sécurité. « Celui qui les touche, dit le prophète Zacharie, touche la prunelle de l’œil du Seigneur. » Zach. 11, 8. Cela étant, le Psalmiste n'a -t-il pas raison de dire : « Quand je marcherais au milieu de l'ombre de la mort, je ne craindrais aucun mal, parce que vous êtes avec moi? »

De ce qui précède, il résulte clairement que ce seul bienfait de la protection divine, quand il n'y en aurait pas d'autre, serait assez et par-delà pour que les méchants, gagnés par une si grande espérance, revinssent à la voie de la justice, et pour que les hommes pieux menassent une vie tranquille et sereine, dans quelque condition que ce fût. Mais ce n'est pas encore la fin des miséricordes du Seigneur. Car le Prophète dit ensuite :
« Votre verge et votre bâton m'ont consolé. » La verge est destinée à corriger, et le bâton destiné à soutenir. Or, notre pasteur emploie l'un et l'autre avec ses brebis : il les châtie de la verge, pour peu qu'elles s'écartent de la voie ; et, tout en les corrigeant, il les soutient du bâton, de peur que le poids du malheur ne soit trop lourd pour elles. Il dit lui-même dans son Apocalypse : « Ceux que j'aime, je les reprends et les châtie. » Apoc. III, 19. Et par la voix de l'Apôtre : « Dieu châtie celui qu'il aime; il frappe de verges tous ceux qu'il reçoit au nombre de ses enfants. » Hebr. XII, 6 .

Cependant quand Dieu nous châtie et nous laisse tenter, il nous fait tirer avantage de la tentation, afin que nous puissions persévérer ; c'est ce qu'indique le bâton, dont l'office est de soutenir notre faiblesse, et de nous empêcher de tomber. Or, il n'est pas douteux que le bâton, joint à la verge, ne procure une grande consolation aux justes. Car la verge sans le bâton ne console pas; au contraire, elle tue. Pharaon a senti la verge ; Sennacherib, roi d'Assyrie, l'a sentie ; mais le bâton ayant fait défaut, l'un et l'autre ont péri. David sentit aussi la verge, après avoir ordonné le dénombrement du peuple ; Nabuchodonosor la sentit également quand l'orgueil l'aveugla ; mais le bâton de soutien étant venu en aide, l'un et l'autre trouvèrent le salut, et par conséquent la consolation.

En effet, quelle plus grande source de consolation et de joie pour les justes que de voir ouvertement qu'ils doivent au bienfait et à la providence du Seigneur d'être délivrés des plus grands périls et des plus grands malheurs ? Le Psalmiste le sentait quand il disait : « Il a séché la mer ; ses serviteurs ont passé la mer à pied sec ; alors nous nous sommes réjouis en lui. » Ps. LXV, 6. C'est-à -dire, quand le Seigneur, par le bienfait de sa présence, nous délivre des périls qui nous assiègent, certes il inonde nos cœurs d'une vive joie, et il ouvre nos bouches pour qu'elles louent et proclament son nom. Oui, cette alliance salutaire de la verge et du bâton, le Seigneur la promet clairement par l'organe du même Prophète, quand, parlant du juste, il dit : « Je serai avec lui dans son affliction, je l'en tirerai et l'élèverai en gloire. » Cum ipso sum in tribulatione, eripiam eum et glorificabo eum. Ps. XC, 15.

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Laetitia
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Message par Laetitia »

Mais laissons saint Bernard célébrer en termes magnifiques cette promesse du Seigneur : « D'où sais-tu que le Seigneur est avec nous dans la tribulation ? D'où je le sais ? De ce que nous y sommes, et de ce que nous n'y défaillons pas. Car qui est-ce qui résisterait sans lui ? Considérons donc comme un grand sujet de joie les afflictions qui nous arrivent, non-seulement parce que c'est par les tribulations qu'il nous faut entrer dans le royaume de Dieu, mais aussi parce que le Seigneur est auprès des cœurs affligés et contrits. Oui, rendons grâces au Père des miséricordes de ce qu'il est avec nous dans les souffrances. S'il en est ainsi, qu'ai-je à demander autre chose que la tribulation ? Seigneur, pourvu que vous soyez avec moi, mieux vaut souffrir que de régner sans vous, que de vivre sans vous dans les délices et la gloire. Mieux vaut être avec vous et vous embrasser dans la fournaise de la tribulation, que d’être sans vous, fût-ce au ciel. Pourquoi trembler ? pourquoi hésiter ? pourquoi fuir cette fournaise ? Le feu est vif, mais le Seigneur est avec nous dans la tribulation. » Comprenez-vous maintenant la grandeur de ce bienfait ?

Le Prophète ajoute ensuite un autre bienfait, et dit : « Vous m'avez préparé une table abondante à la vue de mes ennemis. » Or, qu'entend-il par cette table, sinon le banquet céleste, le pain des anges, et cette dernière cène, où notre pasteur a laissé à ses brebis son corps sacré pour nourriture et son sang pour breuvage, afin que rassasiées et rafraîchies, elles pussent défier courageusement tous les assauts des ennemis ? Car cet aliment non seulement nourrit et soutient la vie spirituelle des âmes, mais il nous donne tant de force et d'énergie, que saint Chrysostome n'hésite pas à dire : « Nous sortons de cette table comme des lions dont les naseaux lancent des flammes, et les démons tremblent à cette vue. »

En effet, quoique ce sacrement admirable contienne le Tout Puissant et avec lui tous les biens, cependant sa vertu principale, et la plus nécessaire à notre salut, est l'énergie qu'il nous confère.
En effet, vivant au milieu des embûches, obsédés de tous côtés par tant d'ennemis, rien ne nous était plus nécessaire que cette force, cette puissance divine, pour nous garantir de toute atteinte, de quelque part qu'elle vînt. Mais comme aucune langue mortelle ne saurait exprimer dignement l'immensité de ce bienfait, passons à autre chose, non pas toutefois sans adorer, sans vénérer ce que nous ne pouvons décrire, ni sans rendre de perpétuelles actions de grâces à l'auteur d'un tel présent. Voyons ce qui suit dans notre psaume.

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Laetitia
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IV.


« Vous avez répandu sur ma tête une huile de parfum. » Impinguasti in oleo caput meum. Un ancien théologien, et d'un grand nom, quoique privé de la vue, Didyme, entend ici par caput, tête, l'intelligence qui est comme la tête de notre âme, car elle est la partie la plus élevée ; et par oleum, huile, il entend le souffle, l'onction du Saint-Esprit, de laquelle saint Jean dit qu'elle instruit de toutes choses. I Joan. 1, 27. En effet, comme l'huile nourrit et entretient la lumière, de même cette onction spirituelle instruit et illumine de la doctrine céleste l'intelligence des justes.

Le Psalmiste veut donc dire que son entendement est largement éclairé de la lumière de l'Esprit divin, en sorte que sa volonté, dirigée par un guide si clairvoyant, ne peut s'égarer dans l'amour et l'appréciation des choses.

Quant à la nécessité de cette lumière divine, elle est évidente. Car la vie chrétienne consiste principalement à aimer Dieu par-dessus tout, et, ce qui en est la conséquence, à détester le péché plus que tout au monde. Or, pour arriver à ces fins, il est nécessaire que nous connaissions d'un côté, la beauté et la bonté de Dieu, pour être attirés puissamment à l'aimer plus que tout le reste, et, de l'autre côté, la laideur, la difformité du péché, afin que notre volonté se porte à lui vouer une haine implacable. Aussi saint Thomas enseigne -t-il que la lumière de notre âme s'accroît avec notre charité, et que le don d’intelligence, un des principaux que nous recevions du Saint-Esprit , se perfectionne et se développe aussi avec la charité, de sorte qu'entre notre volonté et notre intellect il y a proportion, symétrie, équilibre ; la volonté aimant Dieu d'autant plus, que les lumières de l'intelligence lui font mieux comprendre que Dieu doit être aimé.

Cependant l'huile de cette onction sacrée est principalement destinée à éclairer l'entendement. La volonté restera-t-elle donc sans soutien, alors qu'en elle surtout est la racine, le fondement de la vraie sainteté ? Nullement. Car le Prophète ajoute : « Mon calice est enivrant; qu'il est admirable ! » Calix meus inebrians, quam præclarus est ! Or, ce calice, qui enivre les cœurs des justes, qu'est-ce autre chose que le vin de la charité ? Car le vin enflamme le sang, réjouit le cœur, fortifie le corps ; enfin, s'il est pris avec excès, la chaleur naturelle étant impuissante à le digérer, il égare l'esprit, il l'enivre, et met l'homme hors de lui. Tout cela convient parfaitement à la charité. Car qu'est-ce qui excite davantage le cœur de l'homme à l'amour de Dieu et remplit l'âme d'une joie plus vive et plus pure ; puisque le propre de celui qui aime est de s'élancer par le désir vers l'ami absent, et de se réjouir de sa présence ? Qu'est-ce qui fournit à l'âme plus de forces et de courage que la vertu dont il est écrit : « L'amour est fort comme la mort, et son ardeur est inflexible comme l'enfer. » Cant. VIII, 6. Mais comment la charité enivre-t-elle, comment jette -t-elle l'homme hors de lui, et l'arrache-t-elle à lui-même pour le transporter en Dieu ? C'est ce qu'il n'appartient pas à tous d'expliquer, et beaucoup moins encore de sentir ; bien plus, le Prophète lui-même n'a pas osé le dire. Car cette phrase : « Qu'il est admirable ! » semble avoir été ajoutée pour la clarté par l'interprète. Le texte hébreu ne contient que celle -ci : « Mon calice est enivrant. » Le Psalmiste s'est arrêté à cette forme concise, sans pouvoir aller plus loin, parce qu'il ne trouvait pas d'expression convenable pour dépeindre un telle suavité ; et aussi parce que son intelligence interdite et frappée d'impuissance à la pensée d'une si grande chose, s'est arrêtée au milieu du discours et n'a pu continuer. Par cette figure de langage, par ce silence, il a peint, plus vivement que par la parole, la violente agitation de son âme.

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Laetitia
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Message par Laetitia »

C'est ce qu'il a fait encore dans le psaume VI : « Mon âme est dans un grand trouble ; mais vous, Seigneur, jusqu'à quand ? »Ps. VI, 4.
Ce genre d'ivresse appartient, non pas à tous, mais seulement aux parfaits. Ces paroles du Cantique l'attestent : « Amis, mangez et buvez ; enivrez- vous, mes bien -aimés. » Cant. V, 2. Boire est donc pour les amis, et s'enivrer, pour les bien -aimés. De ces derniers était saint Bernard, qui dit de cette sainte ivresse : « Souvent la grâce frappe et éblouit l'esprit de celui qui aime Dieu ; elle l'arrache à lui-même, l'entraîne à des joies silencieuses, et l'homme se transforme en quelque sorte en Dieu. » Ad fratres de monte Dei. C'est-à -dire, comme Dieu est très-heureux dans la contemplation de lui-même, ainsi l'homme se retrempe à sa manière dans la même contemplation ; emporté hors de lui, s'oubliant et oubliant toutes choses, il participe à la félicité divine.
Tel encore était saint Augustin qui, lorsqu'il voulait sortir de lui, et se transporter en Dieu, faisait cette prière : « Que tout se taise devant mon âme, que mon âme se taise elle-même, c'est-à-dire, qu'elle s'absorbe dans l'abîme de la divinité, de telle sorte qu'elle perde le sentiment et le souvenir de tout ce qui n'est pas Dieu, bien plus, le sentiment d'elle-même.

Tel enfin était ce saint anachorète, dont Herpius, à propos de l'élévation de la mémoire vers Dieu, raconte ce trait. Un autre moine lui ayant demandé un objet de première nécessité, il alla dans sa cellule pour le prendre . Mais il n'avait pas fait la moitié du chemin qu'il avait oublié ce qui lui était demandé. La même chose étant arrivée une seconde et une troisième fois, il permit enfin à cet autre moine d'aller lui même dans la cellule prendre ce qu'il voulait, affirmant qu'il ne pouvait compter sur sa mémoire. Les esclaves du siècle jugeront peut-être incroyable un pareil fait. Cependant qu'ils se sondent eux -mêmes, et ils en pourront concevoir la vérité. Car si l'amour impudique transporte d'ordinaire si violemment les cœurs qu'il enflamme, que l'homme semble, non pas aimer, mais être en délire et en fureur ; quoi d'étonnant, si l'amour divin, descendu par la vertu toute-puissante du Saint-Esprit dans les âmes des saints, les jette hors d'eux mêmes, et ne leur laisse plus en quelque sorte la possession de leurs propres personnes.

Enfin outre ces bienfaits il en est un dernier, sans lequel tous les autres ne serviraient de rien, et que le Psalmiste insinue en ces termes : « Et votre miséricorde m'accompagnera tous les jours de ma vie. » Cette miséricorde renferme le don précieux de la persévérance, qui est au -dessus de tout mérite, et sans lequel, après les orages de cette vie, on n'arrive point au port désiré du salut et du bonheur. Car de même que quelquefois des vaisseaux, après avoir traversé de vastes mers, font naufrage en approchant du port ; de même aussi il peut arriver que ceux qui ont échappé aux divers périls de la jeunesse et aux orages de la vie, en viennent à perdre, dans leur vieillesse, la piété et la justice. Ce fut le sort du roi Salomon, et d’Asa, son petit-fils. Leur justice passée leur servit peu, parce qu'il leur manqua le don suprême de la persévérance, caractère distinctif des prédestinés.

Quelle est la conséquence de tous ces bienfaits ? La voici : « J'habiterai éternellement dans la maison du Seigneur. » Cette maison est le palais céleste, où il est présent d'une manière particulière, pour béatifier ses élus, et les rassasier de joies éternelles. Nous n'avons pas à parler maintenant de ce dernier et suprême bienfait. Remarquons seulement qu'il est le but auquel se rapportent les autres biens dont vous avez entendu l'énumération : car tous rendent pour les justes le chemin du ciel facile et agréable, en même temps qu'ils les soutiennent, les aident, les consolent merveilleusement pendant cette vie.

Vous donc qui alléguiez deux inconvénients pour ne point entrer dans la voie du salut, vous avez ici, outre le bien suprême, réservé pour le siècle futur, onze bienfaits magnifiques de la grâce divine, qui réduisent à néant vos craintes vaines et mensongères. Si donc vous croyez que la sainte Écriture est divine, si vous avez foi à ce que nous avons dit, reconnaissez les ruses de l'antique serpent, et préparez-vous à marcher par la route qui sauve, afin que participant à de si grands biens en cette vie, vous méritiez enfin, sous la conduite et la direction du céleste pasteur, de parvenir heureusement aux pâturages de l'éternelle félicité, qui rassasient pleinement les âmes des saints.
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