Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le Ve dimanche après la Pentecôte

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Laetitia
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Re: Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le Ve dimanche après la Pentecôte

Message par Laetitia »

Le premier effet de cette maladie est de chasser de l'âme l'Esprit-Saint et la charité, ou du moins d'en bannir la ferveur et cette tranquillité de la paix intérieure dans laquelle ce divin Esprit aime à faire sa demeure. L'ardeur de la colère, en effet, est entièrement contraire à la ferveur de l'esprit et à la paix de l'âme. De là cette parole de saint Grégoire : « Quand la colère répand dans une âme les ténèbres et la confusion, Dieu lui cache le rayon de sa connaissance. » Et dans un autre endroit de ses ouvrages, ce saint docteur nous dit que la colère chasse le Saint-Esprit, qui aime à se reposer sur l'homme humble et paisible, parce que la colère, enlevant à l'âme la paix et la tranquillité, ferme au Saint-Esprit sa demeure. Il se retire, et l'âme ainsi laissée vide est insensiblement conduite au désordre. Ces paroles nous montrent avec quel soin ceux qui possèdent l’Esprit-Saint dans leur âme doivent éviter tout mouvement de colère.

Une autre suite de cette passion, c'est qu'elle rend l'homme tellement odieux aux hommes que Salomon dit : « Qui pourra soutenir un esprit qui s'emporte facilement à la colère ? » Spiritum ad irascendum facilem quis poterit sustinere ? Prov. XVIII, 14, et ailleurs : « Qui pourra soutenir la violence d'un homme emporté ? » Impetum concitati ferre quis poterit ? Ibid. xxvII, 4.

Aussi les hommes prudents évitent-ils l'homme colère comme ils éviteraient une vipère ou une bête féroce qui aurait rompu ses liens et serait sortie de sa cage. Ils craignent qu'il ne les injurie, ou qu'il ne leur soit à eux-mêmes une occasion de que reller ou de s'irriter.

Voici une preuve de la haine que tout le monde porte à ce vice. Qu'un esclave qu'on vient d'acheter s'informe des défauts de son maître, il ne demandera pas si ce maître est superstitieux ou envieux, mais s'il est sujet à la colère. En général, la colère est la ruine de toutes les affections. Un mari ne peut plus supporter la vertu de sa femme, une femme l'amour de son mari, un ami la tendresse de son ami, quand la colère les domine.

(à suivre)
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Laetitia
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Message par Laetitia »

Joignez à cela la bassesse de cette passion, qui s'attaque surtout aux âmes faibles. Aristote, dans l'énumération qu'il fait des devoirs et des vertus de l'homme magnanime, compte particulièrement l'oubli des injures. Le souvenir des injures, au contraire, ainsi que la colère, est le vice propre d'une âme sans énergie. Quelles sont les personnes les plus promptes à se fâcher, sinon les enfants, les vieillards, les malades, les femmes, et les insensés ? Les enfants s'irritent pour un rien, et tout aussitôt expriment leur colère par des larmes. Les vieillards et les malades sont presque toujours d'une humeur chagrine. Quant à la colère des femmes, il est écrit au livre de l'Ecclésiastique : « Il n'y a point de tête plus méchante que la tête du serpent, ni de colère plus aigre que la colère de la femme. » Non est caput nequius super caput colubri, et non est ira super iram mulieris. Eccli xxv, 22. Nous lisons également de la colère de l'insensé : « La pierre est lourde et le sable pesant, mais la colère de l'insensé pèse encore plus que l'une et l'autre. » Grave est saxum et onerosa arena, sed ira stulli utraque gravior. Prov. XXVII, 3. De même que la sagesse est la propre force de l'homme sage, parce qu'elle réprime avec le frein de la raison les mouvements désordonnés de l'âme, selon ce que dit Salomon : « Celui qui est patient, se gouverne avec une grande prudence. » Prov. XIV, 29, et « la science d'un homme se connaît par sa patience, » Ibid. XIX, 11 ; ainsi, au contraire, l'insensé qui manque de cette prudence, manque par là même du frein nécessaire pour réprimer la fougue de ses passions; c'est ce qui fait que les peuples barbares, et entièrement étrangers au culte et à l'étude de la sagesse, sont emportés, violents, féroces, et impitoyables. Par conséquent, tout homme qui veut être exempt de pusillanimité et de barbarie, doit combattre et repousser ce vice de l'orgueil. Mais toutes ces suites funestes de la colère, quelque éloignement qu'elles doivent nous inspirer, ne sont pour ainsi dire rien en comparaison de celles qu'il nous reste à signaler.

Une chose doit surtout nous porter à détester ce vice : c'est qu'il fait décheoir l'homme de sa dignité, en le privant en quelque sorte de l'usage de la raison et du jugement. Les sages, en effet, déclarent que la colère est une folie passagère. De même que la fumée, dit Aristote, incommode les yeux et trouble tellement la vue qu'elle ne nous permet pas de voir ce qui est à nos pieds, ainsi la colère enveloppe la raison d'un brouillard si épais que l'homme irrité ne peut pas même comprendre ce qu'il y a de coupable dans sa conduite. L'Ecclésiastique ne s'écarte pas de ce sentiment, lorsqu'il dit : « Ne soyez point prompt à vous mettre en colère, parce que la colère repose dans le sein de l'insensé. » Ne sis velox ad irascendum, quia ira in sinu stulti requiescit. Eccle. VII, 10. Qui pourrait expliquer les extravagances auxquelles les hommes se laissent entraîner par la colère ? Ce n'est pas seulement contre les autres hommes qu'ils s'indignent à la plus légère occasion, mais contre les objets inanimés, contre des vases, du bois, des pierres, des montagnes et des fleuves. Peut-on ne pas rire des folies d'un Xerxès et d'un Cyrus, roi des Perses, folies qu'on n'oserait pas raconter, dans la crainte de passer pour un conteur de fables, si elles n'étaient rapportées par Plutarque et Sénèque, auteurs graves et dignes de foi. Xerxes, furieux contre le mont Athos, lui écrivit une lettre conçue en ces termes : Malheureux Athos, dont le front s'élève jusqu'au ciel, ne t'avise pas d'opposer des rochers à mes desseins et de les rendre difficiles à tailler, autrement je te rase et te précipite dans la mer. N'est-ce pas là le sublime du ridicule, et le langage d'un insensé qui fait parade d'une vaine puissance ?

Xerxès s'irritait contre une montagne ; Cyrus s'emporta contre un fleuve. « Comme il courait au siége de Babylone, en toute hâte, parce qu'à la guerre l'occasion fait les succès, il tenta de traverser à gué le Gynde, alors fortement débordé ; ce qui est à peine praticable quand le fleuve, desséché par les feux de l'été, est réduit à ses eaux les plus basses. Un des chevaux blancs qui traînaient le char royal, ayant été emporté par le courant, Cyrus en fut vivement courroucé. Il jura donc que ce fleuve, qui entraînait les coursiers du roi, serait réduit au point que des femmes pussent le traverser et s'y promener. Il y transporta, en effet, tout son appareil de guerre et fit mettre ses soldats à l'œuvre, jusqu'à ce que chaque rive fut coupée par cent quatre vingts canaux, et que les eaux éparses, se dispersant à travers trois cent soixante ruisseaux, laissassent le lit à sec. Il laissa donc échapper le temps, perte bien grande dans de grandes entreprises, et l'ardeur de ses soldats, qu'épuisa un travail inutile, et l'occasion de surprendre Babylone au dépourvu, pendant qu'il faisait contre ce fleuve une guerre déclarée à l'ennemi. » Senec. de Ira, lib. III.

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Laetitia
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Re: Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le Ve dimanche après la Pentecôte

Message par Laetitia »

Mais de tous les maux que la colère apporte avec elle, le plus grand et le plus funeste est la cruauté, la férocité, une soif insatiable du sang humain, qui fait de l'homme un monstre dont la fureur l'emporte sur celle des tigres, des monstres et des serpents, et qui n'a d'égale que la rage des démons. Si, comme le dit le Sauveur, un arbre doit être jugé par ses fruits, quelle idée se faire de la colère ? « Si vous voulez considérer ses effets et ses ravages, jamais fléau, ne coûta plus au genre humain. Je vous montrerai les meurtres, les empoisonnements, les mutuelles accusations des complices, la désolation des villes, la ruine de nations entières, les têtes de leurs chefs vendues à l'encan, la torche incendiaire portée dans les maisons, la flamme franchissant l'enceinte des murailles et de vastes étendues de pays étincelant de feux ennemis. Voyez ces nobles cités dont à peine on reconnaît la place ; c'est la colère qui les a renversées. Voyez ces vastes solitudes qui s'étendent au loin, désertes et sans habitations; c'est la colère qui a fait ce vide. Voyez tous ces hommes puissants transmis à notre mémoire, comme exemples d'un fatal destin. La colère frappe l'un dans son lit ; la colère égorge l'autre dans le sanctuaire du banquet ; elle immole celui-ci devant les tables de la loi, sous les yeux de la foule qui se presse dans le Forum ; elle contraint celui-là à livrer son sang à un fils parricide, un roi à présenter la gorge au fer d'un esclave, cet autre à étendre ses membres sur une croix, » Senec. de Ira, lib. I.
[...]
Voilà quelles sont les conséquences de la colère. On peut juger de la tyrannie et du venin de ce vice par les fruits que produit cette racine empoisonnée. Mais on me dira : Quel remède, mon père, à un si grand mal ? Point d'autre que tout ce que nous venons de dire, et qui est bien propre à exciter la haine de ce vice dans des cœurs même de fer. Si, en effet, la colère, produit de si grands maux, si elle est un obstacle aux rayons de la lumière divine, si elle fait de l'homme emporté un être odieux et insupportable à ses semblables, si elle l'abaisse jusqu'à la pusillanimité des enfants et des femmes, si elle le réduit à la folie et à l'aveuglement de l'esprit, si enfin elle dépouille l'homme de toute humanité et le rend semblable aux animaux les plus féroces, qui ne s'efforcera de bannir de son cœur ce monstre cruel ? Nous avons en horreur et nous fuyons la vipère, l'aspic, le dragon et les autres espèces de serpents ; ne devons-nous pas détester davantage et éviter avec plus de soin un vice mille fois plus dangereux que ces venimeux reptiles, un vice qui exerce dans le monde de bien plus grands ravages ? Appliquons-nous donc, mes frères, par nos constantes prières et nos efforts à triompher de la colère. Ainsi nous éloignerons de nous cette bête féroce, et nous ferons régner dans notre cœur la douceur et la mansuétude. Ces vertus nous procureront ici-bas une vie paisible, et nous obtiendrons, par la grâce de Jésus-Christ (ce divin agneau, le plus parfait modèle de la douceur), la terre promise, dans l’Évangile, à ceux qui, à son exemple, auront pratiqué cette vertu.
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