La largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur de la Charité du Christ.
Hujus rei gratia flecto genua mea ad Patrem Domini nostri Jesu Christi… ut det vobis … virtute corroborari per Spiritum ejus interiorem hominem, Christum habitare, per fidem in cordibus vestris : in caritate radicati et fundati, ut possitis comprehendere cum omnibus sanctis, quae sit latitudo et longitudo et sublimitas et profundum : scire etiam supereminentem scientiae caritatem Christi, ut impleamini in omnem plenitudinem Dei.
Dans cette intention, je prie à genoux devant le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, …, afin qu'Il vous donne, … , d'être fortifiés dans la vertu par son Esprit en l'homme intérieur, et que le Christ habite par la foi dans vos cœurs : que vous soyez enracinés et fondés dans la charité, pour pouvoir comprendre avec tous les fidèles quelle est la largeur, et la longueur, et la hauteur, et la profondeur : que vous puissiez savoir aussi la charité du Christ, qui dépasse toute science, afin que vous soyez comblés en toute plénitude de Dieu.
Chanoine Reck, [i]Le missel médité[/i], 1913, XVIe dimanche après la Pentecôte a écrit : Je fléchis les genoux ...
L'Apôtre a fondé une église à Ephèse ; il supplie ses nouveaux chrétiens de ne pas se laisser ébranler dans leur foi au spectacle de ses tribulations, puis il exprime un autre vœu, c'est que sa chrétienté d'Ephèse croisse, prospère et fructifie. Cela n'est point en son propre pouvoir ; son rôle à lui a été de planter, d'être pour les Ephésiens un père spirituel par son apostolat, de les engendrer par l'Evangile. Mais l'accroissement, c'est Dieu qui le donne. Aussi est-ce à Dieu que saint Paul le demande pour ses enfants spirituels. Il leur a donc donné tout ce qu'il était en son pouvoir de donner : l'enseignement oral de l'Evangile, l'édification de l'exemple par son activité et sa sainte vie ; maintenant il y joint la prière, et du même coup il nous enseigne les devoirs de ceux qui ont reçu de Dieu une mission apostolique : la parole, l'exemple et la prière.
Afin qu'Il vous donne, d'être fortifiés par son Esprit en l'homme intérieur, et que le Christ habite par la foi dans vos cœurs : que vous soyez enracinés et fondés dans la charité.
Trois objets de la prière de l'Apôtre. Entrons dans sa pensée, pour nous rendre compte des raisons qui lui font faire ce choix.
1. A quoi serviraient les premiers pas, même les plus satisfaisants, si aucun progrès, aucune croissance, aucun achèvement n'y répondait ? Ils ne serviraient de rien, non plus pour nous que pour d'autres. Pourtant ce qui bien souvent manque le plus à la vie morale et spirituelle, c'est cet accroissement de forces dans l'homme intérieur. On est momentanément ému, saisi par les vérités chrétiennes, on sera touché un instant, enthousiasmé même, au spectacle des beautés du christianisme, des événements de notre propre vie chrétienne ; mais rien de durable, rien de stable : des impressions qui agitent la surface de l'âme, mais qui ne la remuent pas au fond ; la profession de la foi chrétienne se borne à des mots, et ne passe pas aux faits, à la substance de la vie. N'est-ce pas là notre infirmité ? Peut-être avons-nous peu d'attention pour deux choses : la prière pour obtenir l'accroissement des forces de notre âme dans le Saint-Esprit, et peut-être aussi l'obligation où nous sommes de travailler par nous-mêmes à cet accroissement et à ce progrès.
Chanoine Reck a écrit : 2. C'est la foi qui agira pour accroître les forces de l'homme intérieur ; mais non pas une foi quelconque. L'Apôtre dit que le Christ doit habiter par la foi dans nos cœurs. L'entendement et la mémoire ne sont pas les seules facultés en jeu dans la foi , encore moins celle-ci peut-elle se borner à la profession extérieure ; il faut de plus qu'elle prenne possession de notre cœur. Le cœur est le support de la vie chrétienne, qu'il alimente et enrichit sans interruption : « Le Christ vit en moi », dit simplement l'Apôtre.
3. Et pourquoi veut-il voir les Ephésiens fondés et enracinés dans la charité ? Parce que la charité est tout, et que sans la charité rien ne vaut. Si caritatem non habuero, nihil sum, dit l'Apôtre en parlant de lui-même (I. Cor. XIII, 2). Cela est vrai de nous tous. Comment atteindre cette charité ? C'est elle qui vient à nous, comme don de la grâce, que nous sollicitons de concert avec saint Paul. L'une des voies les plus sûres qui conduisent à la charité est la considération du mystère de l'amour de Dieu, l’œuvre de la Rédemption accomplie par le Christ.
Afin que vous puissiez comprendre avec tous les fidèles quelle est la largeur et la longueur et la hauteur et la profondeur, et savoir la charité du Christ, qui dépasse toute science.
L'accroissement de forces selon l'homme intérieur, que l'Apôtre souhaite aux Éphésiens, s'entend donc de l'intellect et de la volonté. Il consistera à approfondir la connaissance de la vérité chrétienne et à confirmer la volonté dans le bien. Les Chrétiens d’Éphèse acquerront des connaissances surnaturelles plus profondes par deux degrés de révélation : ils recevront extérieurement de la bouche de saint Paul la parole de l’Évangile, puis le Christ, vrai et unique Docteur, fera briller intérieurement dans leurs âmes la claire lumière de la foi. Ce sera sous l'influence de cette divine lumière que s'épanouira la fleur de la charité, dont les racines seront fermes et profondes. Ainsi l’œil de l'âme étant illuminé par les rayons de la foi, le cœur rempli de l'amour de Dieu, le chrétien pourra entrevoir l'infini de l’amour de Jésus-Christ.
Chanoine Reck a écrit : 1.Saisir la longueur, la largeur, la hauteur, la profondeur... Quel est donc l'objet dont nous devons comprendre les dimensions ? C'est l'amour de Jésus-Christ pour nous.
Sa longueur, c'est l'éternité. De toute éternité cet amour est dirigé vers nous, et il veut nous rendre heureux toute l'éternité.Sa largeur ? C'est l'universelle étendue de l'amour de Jésus-Christ, qui n'exclut personne, qui embrasse les créatures humaines de tous les temps et de tous les lieux. La hauteur est l'immensité de la majesté divine ; et la profondeur, ce sont les anéantissements de celui qui s'est abaissé jusqu'à prendre la forme d'esclave.
Voilà ce que nous devons comprendre – ut possitis comprehendere.
2. Est-ce possible ? Oui, et non. Commençons par non ; l'Apôtre lui-même le déclare : « L'amour de Jésus-Christ dépasse toute science – supereminentem scientiae caritatem Christi. » Et cependant nous comprenons. C'est l'amour d'un Dieu infini, il ne peut donc être embrassé dans les limites de la connaissance humaine ; mais il n'est pas absolument inintelligible pour nous. Sans doute nous ne connaissons les sublimes vérités du christianisme que par révélation ; mais celle-ci étant une fois posée, il n'est ni impossible ni infructueux pour l'intelligence guidée par la grâce d'aborder ces mystères, d'y pénétrer, de s'y enfoncer, de s'y plonger. C'est justement parce que cela est possible, que saint Pierre veut que nous croissions dans la connaissance de Dieu, et que saint Paul nous invite à comprendre – comprehendatis.
Il est clair que l'étude spéculative de la théologie n'est pas l'affaire de tous. Mais comme le dit l'Imitation, il n'est impossible à personne de réfléchir, de méditer profondément sur la passion de Notre Seigneur. Or c'est bien là qu'on trouvera la profondeur de la charité du Christ, qu'elle s'y montre pour ainsi dire le plus compréhensible, le plus palpable. Innombrables sont les cœurs pieux et simples que la douloureuse passion du Christ a captivés, éclairés, embrasés. Veux-tu une lumière pour ton âme, dit Thomas de Kempen, veux-tu la force et la joie pour ton cœur, des trésors de vertu pour ta vie, médite la vie et les souffrances du Christ, et embrasse le Crucifix.
Chanoine Reck a écrit :3. Pourquoi l'Apôtre veut-il que l'on pénètre, que l'on comprenne l'amour de Jésus-Christ, qui dépasse toute connaissance ? Pourrait-il ne pas le vouloir ? Serait-il admissible qu'il existât un tel amour, et les œuvres d'un tel amour, et que notre esprit, notre attention, notre cœur y restât étranger, indifférent ? Ces mystères ne brillent-ils de tant de lumière que pour nous faire fermer les yeux ? N'est-ce pas bien plutôt pour que nous puissions connaître la Majesté divine, y trouver une source de joie et chanter la gloire du Créateur ? Tels doivent être les effets de la lumière des vérités surnaturelles. N'est-ce pas la sublimité de ces grandes idées qui a captivé et élevé tant d'esprits et de cœurs ? Au contraire, lorsque l’œil se détourne volontairement de ces vérités grandioses, que reste-t-il de grand, qui soit digne de l'intelligence, de l'amour, de la vie de l'humanité ? Rien, absolument rien. Il lui manque la lumière et la chaleur du soleil de justice, qui est le Christ. L'humanité peut bien renoncer, pour ainsi dire, aux services bienfaisants de ce soleil ; quant à le remplacer, elle ne le peut point.
4. Quel abîme s'est creusé entre saint Paul et une certaine théologie de nos jours ! On dirait que l'Apôtre lutte avec le langage humain, pour lui faire dire dans une certaine mesure ce que nous devons au Christ, et il déclare que son amour dépasse toute connaissance. Et il y a des théologiens qui, pour définir le caractère essentiel du christianisme, ne trouvent qu'une conception misérable, qui ne valait vraiment pas la peine, disent-ils, qu'on soupirât après le Christianisme et sa révélation. Qui a raison ? Saint Paul ou l'incrédulité moderne ?
Quant à nous, nous voyons dans saint Paul l'envoyé de Dieu, l'Apôtre du Christ, qui pour nous encore est revêtu de la dignité paternelle qu'il tient de Dieu. Laissons-nous conduire par lui à Dieu et au Christ ; et prions le Seigneur d'habiter en nous par la foi ; qu'il veuille bien nous « fonder et nous enraciner dans son amour en cette vie, et qu'un jour il nous fasse entrer dans la plénitude de sa gloire et de notre félicité : Ut impleamini in omnem plenitudinem Dei ».
Chanoine Reck a écrit :L'Apôtre dit de l'amour de Jésus-Christ, qu'il surpasse toute connaissance. Comment pourrions-nous bien développer sa pensée ? La matière est vaste ; mais nous pourrions par exemple nous rappeler trois choses : la crèche, la croix, l'autel. Là en effet nous voyons à l’œuvre l'amour de Jésus-Christ, et nous n'hésitons pas à reconnaître qu'il surpasse toute connaissance – supereminentem scientiae. L'incarnation du Fils de Dieu, sa mort sur la croix, sa présence réelle au saint Sacrement – mystères éclatants de lumière, connus de la seule foi. A la lumière des mystères, la foi se tient ferme et les vénère ; à l'obscurité des mystères, la foi se heurte, et les repousse. D'un côté on croit afin de comprendre, de l'autre au nom de la raison on refuse de croire. Le Seigneur a un jour donné un nom à ce phénomène ; il l'a appelé un jugement, qui doit s'exécuter dans le monde, de telle sorte que ceux qui ne voient pas voient, et que ceux qui voient soient aveuglés : In judicium ego in hunc mundum veni, ut qui non vident videant, et qui vident caeci fiant (Joan. IX, 39).
L'Apôtre veut que nous aussi nous sachions l'infinie charité de Jésus-Christ. Quels chelins nous conduisent à cette connaissance ? L'humilité de la foi, à laquelle il n'est point interdit, tout au contraire, de chercher l'intelligence – fides quarens intellectum. Elle la cherche effectivement, comme dit saint Bernard, dans le raisonnement et dans l'oraison. [Nous aussi, nous devons procéder par ces deux voies de l'étude et de la prière. Puissions-nous suivre cette méthode parfaite, ne pas séparer la prière de l'étude, arriver à la divine lumière par la prière et l'oraison, et à la flamme de l'amour dont Jésus nous aime, embraser notre amour pour Jésus. ]
