SUR L'HYPOCRISIE, sermon du R.P. Bourdaloue

Avatar de l’utilisateur
InHocSignoVinces
Messages : 2999
Inscription : dim. 26 août 2018 11:43
Localisation : Tharsis, Hispania

SUR L'HYPOCRISIE, sermon du R.P. Bourdaloue

Message par InHocSignoVinces »

SUR L'HYPOCRISIE


Dixit Jésus discipulis suis : Attendite
a falsis prophetis, qui veniunt ad vos in
vestimentis ovium, intrinsecus autem sunt
lupi rapaces.


Jésus dit à ses disciples : Gardez-vous des
faux prophètes qui viennent à vous déguisés
en brebis, et qui dans le fond sont des loups
ravissants. Saint Matth. , chap. 7.




C'est de tout temps qu'il y a eu de faux prophètes et des hypocrites
dans l'Église de Jésus-Christ; et c'est à nous, mes chers
auditeurs , aussi bien qu'aux premiers disciples , que s'adressent
ces paroles de notre adorable Maître. Il n'est rien de plus saint
que la piété, rien de plus excellent et de plus divin;
mais ne puis-je
pas dire avec douleur qu'il n'est rien aussi de plus exposé aux
profanations et aux abus, ni rien de plus dangereux que ces
âmes artificieuses qui , sous le voile d'une dévotion apparente
cachent ou le venin d'une doctrine corrompue, ou le dérèglement
d'une conduite criminelle ?
Ceci, chrétiens, m'engagerait à parler
aujourd'hui contre l'hypocrisie, si Dieu ne m'avait inspiré un autre
dessein qui, quoique différent de celui-là, ne laisse pas de s'y
rapporter, et dont je me promets encore plus de fruit pour la
réformation de vos moeurs. L'hypocrisie, dit ingénieusement saint
Augustin, est cette ivraie de l'Évangile, que l'on ne peut arracher
sans déraciner en même temps le bon grain.
Laissons-la
croître jusqu'à la moisson, selon le conseil du père de famille,

pour ne nous point mettre en danger de confondre avec elle les
fruits de la grâce et les saintes semences d'une piété sincère et
véritable.
Au lieu donc d'employer mon zèle à combattre
l'hypocrisie, j'entreprends de combattre ceux qui, raisonnant mal sur
le sujet de l'hypocrisie, ou en tirent de malignes conséquences,
ou en reçoivent de funestes impressions, ou s'en forment de fausses
idées, au préjudice de la vraie piété. Je veux considérer l'hypocrisie
non pas en elle-même, mais hors d'elle-même; non pas
dans son principe, mais dans ses suites; non pas dans la personne
des hypocrites, mais dans ceux qui ne le sont pas. En un mot,
je veux, autant qu'il m'est possible, vous préserver des tristes
effets que produit communément en nous l'hypocrisie d'autrui.


Esprit saint, vous qui êtes souverainement et par excellence l'esprit
de vérité, éclairez-nous et conduisez-nous par votre grâce,

afin que nous marchions en assurance dans le chemin du salut,
et que nous ne recevions nul dommage de l'imposture et du
mensonge. C'est ce que je vous demande par l'intercession de la
Vierge à qui vous communiquâtes vos plus pures lumières, et
que je salue en lui disant : Ave.



A SUIVRE...
Avatar de l’utilisateur
InHocSignoVinces
Messages : 2999
Inscription : dim. 26 août 2018 11:43
Localisation : Tharsis, Hispania

Re: SUR L'HYPOCRISIE, sermon du R.P. Bourdaloue

Message par InHocSignoVinces »

Vous avez trop de pénétration, chrétiens, pour n'avoir pas
compris d'abord le dessein et le plan de ce discours. Je distingue
dans le christianisme trois sortes de personnes qui, sans être
hypocrites ni le vouloir être,
se font de l'hypocrisie d'autrui un
obstacle essentiel à leur salut.
Remarquez-en bien les divers caractères.
Les premiers , ce sont les mondains et les libertins du
siècle, qui, déclarés contre Dieu et contre son culte, se prévalent
ou veulent se prévaloir de l'hypocrisie d'autrui pour autoriser
leur libertinage et s'élever contre la vraie piété.
Les seconds , ce
sont les chrétiens lâches, à qui l'hypocrisie d'autrui est une occasion
de scandale et de trouble , jusqu'à les dégoûter et à les rebuter
de la vraie piété.
Et les derniers, ce sont les ignorants et
les simples, qui ne consultant ni leur foi ni leur raison, se laissent
séduire par l'hypocrisie d'autrui, et la prennent pour la vraie
piété.



Ainsi les impies pensent trouver dans l'hypocrisie d'autrui
la justification de leur impiété; les lâches, le prétexte de leur lâcheté;
les simples, l'excuse de leur imprudence et de leur témérité.

Mais je prétends leur montrer à tous combien leur conduite
est insoutenable et leurs raisonnements frivoles.
Je prétends, dis-je,
faire voir au libertin combien il est mal fondé quand, pour se
confirmer dans son libertinage et son désordre, il se sert de l'hypocrisie
d'autrui : ce sera la première partie ; au lâche , combien il
est faible et coupable dans sa faiblesse,
quand il se trouble de
l'hypocrisie d'autrui jusqu'à s'éloigner des voies de Dieu :
ce sera
la seconde partie; à l'ignorant et au simple, combien il est inexcusable
devant Dieu lorsqu'il se laisse surprendre à l'hypocrisie
d'autrui :
ce sera la troisième partie. Trois points d'une extrême
importance,
et que je traiterai selon que le temps me le permettra.
Commençons.


A SUIVRE...
Avatar de l’utilisateur
InHocSignoVinces
Messages : 2999
Inscription : dim. 26 août 2018 11:43
Localisation : Tharsis, Hispania

Re: SUR L'HYPOCRISIE, sermon du R.P. Bourdaloue

Message par InHocSignoVinces »

PREMIÈRE PARTIE.


C'est l'injustice et le malignité du libertin de prétendre tirer
avantage de l'hypocrisie et de la fausse dévotion ; et si vous voulez
savoir en quoi consiste cet avantage, et quel est là-dessus le
secret de sa politique, il me suffit, pour vous en instruire pleinement,
de développer ici la remarque de saint Chrysostome dans
un excellent discours qu'il nous a laissé sur cette matière , où il
rainasse en peu de mots tout ce qu'on en peut dire de plus sensé
et de plus solide; car voici comment il raisonne. Le libertin, dit
ce grand docteur, ne manque jamais de se prévaloir de la fausse
piété pour se persuader à lui-même qu'il n'y en a point de vraie,
ou du moins qu'il n'y en a point qui ne soit suspecte, et pour affaiblir
par là le reproche qu'elle semble lui faire continuellement
de son libertinage. Double prétexte, l'un et l'autre très dangereux,
que lui suggère l'esprit du monde, et qui sont en lui autant d'oppositions
formelles à l'esprit de Dieu.
Prenez garde, s'il vous
plaît.
Il veut s'autoriser dans sa vie libertine et déréglée; et parce
qu'il voit des gens de bien qui vivent autrement que lui et dont
les exemples le condamnent, que fait-il ? il en appelle de cette
condamnation à son jugement propre; et s'érigeant de plein droit
eu censeur du prochain , il prononce sans hésiter que toute cette
piété qui parait dans les autres n'est qu'hypocrisie et qu'un spécieux
fantôme ; ou, s'il ne va pas jusqu'à porter un arrêt si déci-
sif et si absolu, du moins il tient toute piété qui se montre à ses
yeux pour douteuse, comme s'il n'y en avait aucune sur quoi l'on
pût sûrement compter. Damnables principes, auxquels il s'attache
d'autant plus volontiers qu'ils sont plus favorables à sa passion
et plus capables de le confirmer dans ses dérèglements.
Donnons
jour encore à ces deux pensées , et tâchez à les bien comprendre.


A SUIVRE...
Avatar de l’utilisateur
InHocSignoVinces
Messages : 2999
Inscription : dim. 26 août 2018 11:43
Localisation : Tharsis, Hispania

Re: SUR L'HYPOCRISIE, sermon du R.P. Bourdaloue

Message par InHocSignoVinces »

Comme l'impie est déterminé à être impie, et que la passion à
laquelle il s'abandonne l'engage à vivre dans une déplorable corruption
de moeurs, il voudrait qu'en cela même tout le reste des
hommes lui ressemblât; et quoiqu'il se reconnaisse pécheur et
qu'il lasse profession de l'être, sa joie serait de se pouvoir flatter
qu'il est aussi homme de bien que tous les autres , ou plutôt
que tous les autres ne sont pas meilleurs que lui. Ce sentiment
est bizarre, et néanmoins très naturel. Quoi qu'il en soit de ce
sentiment bizarre, il se forme une opinion et se convainc peu à
peu que la chose est en effet de la manière qu'il se la figure, et
qu'il souhaiterait qu'elle fut; et parce que l'exemple des hypocrites
et des faux dévots appuie son erreur et lui donne quelque
couleur de vraisemblance, il s'arrête à cette vraisemblance, au
préjudice de toutes les raisons contraires. Parce qu'il y a des dévots
hypocrites, il conclut d'abord que tous le peuvent être ; et
de là passant plus loin, il s'assure que la plupart et même communément
tous le sont.
Il s'obstine dans ses désordres par cette
vaine persuasion, que ceux qu'on croit dans le monde mener une
vie plus régulière et avoir plus de probité, à bien considérer tout,
ne valent pas mieux que lui ; que la différence qu'il y a entre lui
et eux , c'est que ceux-ci sont ordinairement plus dissimulés et
plus adroits à se cacher, mais qu'ils ont du reste leurs engagements
comme il a les siens; que pour certains vices grossiers
que le seul respect humain leur fait éviter, ils en ont d'autres,
plus spirituels à la vérité, mais qui ne sont pas moins condamnables
devant Dieu ; que s'ils ne sont pas débauchés, ils sont orgueilleux,
ils sont ambitieux, ils sont jaloux, ils sont intéressés. D'où
vient que, malgré leur régularité et son libertinage , il a même
l'assurance, je devrais dire l'extravagance, de se croire dans un
sens moins coupable qu'eux , parce qu'il est au moins de bonne
foi, et qu'il n'affecte point de paraître ce qu'il n'est pas. Voilà les
préjugés d'un libertin, qui vont à effacer, autant qu'il est possible,
de son esprit toute idée de la véritable piété , et lui faire juger
que tout ce qui s'appelle ainsi n'est qu'une chimère, qu'un nom
dont les hommes se font honneur, mais qui ne subsiste que dans
leur imagination; qui, dans sa signification propre et rigoureuse,
surpasserait la nature, quelque secours qu'elle reçût de la grâce,
et qui, par conséquent, ne se trouve nulle part dans le monde.
Voilà, dis-je, de quoi il se prévient, et sur quoi il ne veut rien
entendre qui le puisse détromper.



A SUIVRE...
Avatar de l’utilisateur
InHocSignoVinces
Messages : 2999
Inscription : dim. 26 août 2018 11:43
Localisation : Tharsis, Hispania

Re: SUR L'HYPOCRISIE, sermon du R.P. Bourdaloue

Message par InHocSignoVinces »

Que s'il est après tout forcé de convenir que toute piété n'est
pas fausse, du moins prétend-il qu'elle est suspecte , et qu'il y a
toujours lieu de s'en défier. Or cela lui suffit : car il n'y a point
de pieté qu'il ne rende par là méprisable en la rendant douteuse ;
et tandis qu'on la méprisera, qu'on la soupçonnera, elle sera faible
et impuissante outre lui. C'est ce qu'il croit gagner en faisant
de ses entretiens et de ses discours autant de satires de l'hypocrisie
et de la fausse dévotion : car, comme la fausse dévotion
tient en beaucoup de choses de la vraie ; comme la fausse et la
vraie ont je ne sais combien d'actions qui leur sont communes;
comme les dehors de l'une et de l'autre sont presque tout semblables,
il est non seulement aisé , mais d'une suite presque nécessaire,
que la même raillerie qui attaque l'une intéresse l'autre,
et que les traits dont on peint celle-ci défigurent celle-là, à moins
qu'on n'y apporte toutes les précautions d'une charité prudente,
exacte et bien intentionnée, ce que le libertinage n'est pas en disposition
de faire.
Et voilà, chrétiens, ce qui est arrivé, lorsque
des esprits profanes, et bien éloignés de vouloir entrer dans les
intérêts de Dieu, ont entrepris de censurer l'hypocrisie,
non point
pour en réformer l'abus, ce qui n'est pas de leur ressort, mais
pour faire une espèce de diversion dont le libertinage pût profiter,
en concevant et faisant concevoir d'injustes soupçons de la
vraie piété par de malignes représentations de la fausse.
Voilà ce
qu'ils ont prétendu, exposant sur le théâtre et à la risée publique
un hypocrite imaginaire, ou même, si vous voulez, un hypocrite
réel, et tournant dans sa personne les choses les plus saintes
en ridicule : la crainte des jugements de Dieu , l'horreur du
péché, les pratiques les plus louables en elles-mêmes et les plus
chrétiennes. Voilà ce qu'ils ont affecté , mettant dans la bouche
de cet hypocrite des maximes de religion faiblement soutenues,
au même temps qu'ils les supposaient fortement attaquées; lui
faisant blâmer les scandales du siècle d'une manière extravagante;
le représentant consciencieux jusqu'à la délicatesse et au scrupule
sur des points moins importants, où toutefois il le faut être,
pendant qu'il se portait d'ailleurs aux crimes les plus énormes;
le montrant sous un visage de pénitent, qui ne servait qu'à couvrir
ses infamies ; lui donnant , selon leur caprice , un caractère
de piété la plus austère, ce semble, et la plus exemplaire,
mais,
dans le fond, la plus mercenaire et la plus lâche.



Damnables inventions pour humilier les gens de bien, pour
les rendre tous suspects, pour leur ôter la liberté de se déclarer
en faveur de la vertu, tandis que le vice et le libertinage triomphaient :
car ce sont là , chrétiens , les stratagèmes et les ruses
dont le démon s'est prévalu, et tout cela fondé sur le prétexte de
l'hypocrisie. Le monde est plein de ces hypocrites, disait le libertin :
ils sont au milieu de nous, et nous sommes parmi eux, mais
nous ne les connaissons pas , et il n'y a que Dieu, qui sonde les
coeurs, lequel puisse les distinguer. Que savons-nous si toutes
ces vertus qu'on élève si haut, et qu'on nous propose pour modèles,
ne sont point de ces hypocrisies colorées, qui n'ont qu'une
belle face et qu'un certain brillant ?
Ainsi, dis-je, raisonnait l'impie,
et ainsi raisonne-t-il encore tous les jours;
par où, comme
je viens de le remarquer, il prétend se défendre du témoignage
que la piété rend contre lui ,
et pense avoir droit de la récuser,
puisque, du moment qu'elle est suspecte, elle perd toute autorité,
et n'est plus recevable dans ses jugements.
Or je soutiens,
moi, qu'en cela et en tout le reste le libertin raisonne mal; et,
pour renverser son raisonnement, j'en attaque tout à la fois et
la conséquence et les principes.
Redoublez, je vous prie, votre
attention.



A SUIVRE...
Avatar de l’utilisateur
InHocSignoVinces
Messages : 2999
Inscription : dim. 26 août 2018 11:43
Localisation : Tharsis, Hispania

Re: SUR L'HYPOCRISIE, sermon du R.P. Bourdaloue

Message par InHocSignoVinces »

Car je veux bien d'abord convenir avec le libertin des
principes qu'il établit, tout injurieux qu'ils sont à la piété; je
veux bien qu'il n'y ait point de vraie piété dans le monde, ou
qu'il n'y ait qu'une piété douteuse : peut-il conclure de là ce qu'il
conclut, qu'il n'a donc qu'à demeurer dans sa vie mondaine et
déréglée, et que la conduite des autres est une justification de la
sienne? Fausse et pernicieuse conséquence. Que toute piété soit
bannie du christianisme, ou que toute piété qui paraît dans le
christianisme soit sujette à de légitimes soupçons,
il y a toujours
un Dieu qui doit être adoré en esprit et en vérité ;
et quand tous
les hommes lui refuseraient les justes hommages qui lui sont
dus, ils ne lui seraient pas moins dus par chacun des hommes,
et chacun des hommes ne serait pas moins criminel en les lui refusant.


Il y a toujours une loi qui doit être observée dans tous ses
points ; et quand tous les hommes la violeraient, chacun des hommes
ne serait pas moins obligé de l'accomplir, ni moins coupable
en la transgressant. Dieu, en se faisant connaître à nous, ne
nous a pas dit, Vous m'honorerez à proportion que le reste des
hommes m'honorera, et parce qu'il m'honorera ; mais, Vous m'honorerez
parce que je mérite de l'être, parce que je suis le Seigneur,
parce que je suis votre Dieu :
Ego Dominus, et non alius
extra me.
En nous imposant sa loi, il ne nous a pas dit, Vous
ferez cela et vous vous abstiendrez de ceci, selon que vous verrez
les autres le faire ou s'en abstenir ; mais, Vous le ferez parce que
je l'ordonne, vous vous en abstiendrez parce que je le défends,
et parce que j'ai pouvoir d'ordonner l'un et de défendre l'autre,
parce que j'ai raison d'ordonner l'un et de défendre l'autre, parce
qu'il est juste que vous fassiez l'un et que vous vous absteniez
de l'autre :
Mandatum quod proecipio tibi. (Deut.)


Or, indépendamment de la conduite que tiennent et que peuvent
tenir tous les hommes,
Dieu est toujours Dieu, et par conséquent
toujours maître, toujours adorable, toujours digne de
notre culte et de notre obéissance. La loi est toujours loi, l'Évangile
toujours Evangile, la raison toujours raison, la justice
toujours justice , le bien toujours bien, et le péché toujours péché ;
d'où il s'ensuit que vous devez toujours observer cette loi; que
vous devez toujours le suivre, cet Évangile, que vous devez toujours
l'écouter, cette raison, que vous devez toujours la garder,
cette justice, que vous devez toujours pratiquer ce bien, et toujours
vous préserver de ce péché.



À SUIVRE...
Avatar de l’utilisateur
InHocSignoVinces
Messages : 2999
Inscription : dim. 26 août 2018 11:43
Localisation : Tharsis, Hispania

Re: SUR L'HYPOCRISIE, sermon du R.P. Bourdaloue

Message par InHocSignoVinces »

Voici donc ce que devrait se dire à lui-même le libertin,
pour raisonner juste :
Qu'ai-je affaire de prendre garde à ce que font
tels et tels, et que m'importe de savoir si cette piété qu'ils professent
est sincère ou affectée ? leur vie n'est pas ma règle : si ce
sont de faux dévots, leur fausse dévotion n'est pas à mon égard
un titre pour être mauvais chrétien , pour me livrer impunément
à mon ambition, pour m'abandonner aux mouvements de ma
passion, pour négliger tous les devoirs de la religion;
chacun
répondra pour soi : laissons-les vivre comme ils le voudront;
mais nous, vivons comme nous le devons.



En effet, mes chers auditeurs, si Dieu, dans son dernier jugement,
produit contre nous certains exemples, ce ne sera pas le sujet fondamental de
notre condamnation, mais ce n'en sera qu'une circonstance :
ce
qui décidera de notre éternité bienheureuse ou malheureuse, ce
seront nos oeuvres;
et c'est ce que David avait admirablement
compris, et ce qui le soutenait contre la corruption générale de
son siècle.
En quel état le voyait-il ? dans un dérèglement universel.
Tous se sont égarés, s'écriait-il dans l'amertume de son
coeur : tous sont sortis des voies de Dieu :
Omnes declinaverunt,
(Psalm. 13.) Ce n'est partout que licence, qu'impiété, qu'abomination :
Corrupti sunt , abominabiles facti sunt. (Ibid.)
Sous le voile même de la vertu le vice s'insinue ; et de tous ceux
qui paraissent les plus adonnés au bien, il n'y en a pas proprement
un qui le cherche ni qui le pratique.
Non est qui faciat
bonum, non est usque ad unum.
(Ibid.) Cependant quelle conclusion
tirait-il de là? en devenait-il moins fidèle à Dieu? en
était-il moins zélé pour la loi de Dieu ? disait-il , Suivons le torrent;
et puisqu'il n'y a plus de piété sur la terre , renonçons-y
nous-mêmes, et quittons-en tous les exercices ? Ah ! Seigneur,
reprenait ce saint roi , que tout le monde se tourne contre vous
et profane vos divins commandements , je m'y attacherai toujours,
et je n'oublierai jamais la plus essentielle de mes obligations,
qui est de vous servir :
Ego autem non dereliqui mandata tua.
( Ibid. 118. ) Ainsi en usa Tobie au milieu de tout un peuple idolâtre
et superstitieux. On courait de toutes parts à des veaux
d'or pour leur présenter un encens sacrilège, et, par une fausse
religion, on se prosternait devant ces idoles ;
mais lui, se séparant
de la multitude, il allait à Jérusalem reconnaître le vrai
Dieu et lui offrir ses voeux :
Hic solus fugiebat consortia omnium,
sed pergebat in Jérusalem ad templum Domini, et
ibi adorabat Dominum Deum Israel.
(Tob. ,1.)


A SUIVRE...
Avatar de l’utilisateur
InHocSignoVinces
Messages : 2999
Inscription : dim. 26 août 2018 11:43
Localisation : Tharsis, Hispania

Re: SUR L'HYPOCRISIE, sermon du R.P. Bourdaloue

Message par InHocSignoVinces »

Voilà donc la conséquence du libertin détruite; mais si je remonte
jusqu'aux principes sur lesquels il s'appuie, je ne le trouve
pas mieux établi dans son injuste prétention. Car, quoique je
sois le premier à déplorer la triste décadence du christianisme,
et quoique je déclame si souvent et si hautement contre les désordres
qui y régnent, et qui se sont glissés jusque dans la pratique
de la piété,
je n'ai garde néanmoins de confondre le bon
grain avec l'ivraie; et, convenant avec vous qu'il y a des hypocrites,
je n'en suis pas moins persuadé qu'il y a des âmes solidement
et vraiment vertueuses.
Non, mes frères, Dieu n'a point
tellement abandonné son Église qu'il ne se soit réservé de parfaits
adorateurs, comme autrefois il s'en réserva parmi les Juifs,
lorsque cette aveugle nation tomba dans l'infidélité. Nous voyons
encore des hommes tels que la religion les demande, et dont la
vie exemplaire nous peut servir de modèle; nous voyons des
femmes, des vierges dont la ferveur nous édifie, et dont la dévotion
ardente, charitable, humble, désintéressée, a tous les
caractères de la sainteté évangélique. Outre ceux ou celles que
la Providence, par une vocation particulière , a renfermés dans
les solitudes et dans les cloîtres, il y en a dans tous les états :
il y en a jusqu'à la cour;
et si le libertin les méconnaît, ils ne
feront pas moins devant Dieu sa condamnation , parce qu'il affecte
de les méconnaître, parce qu'il ferme volontairement les
yeux pour ne pas apercevoir ces lumières dont l'éclat l'importune
en lui découvrant sa misère, parce qu'il ne tache à les éteindre,
du moins à les obscurcir, qu'afin de se dérober à lui-même la
connaissance de son iniquité, et de s'épargner le remords que
cette vue excite malgré lui dans son coeur.

S'il était de meilleure foi, il rendrait gloire à Dieu et justice à la vertu;
il s'humilierait, il se confondrait , et peu à peu cette confusion salutaire
le convertirait :
mais, comme il ne veut ni se confondre et s'humilier,
ni changer et se convertir, il conteste ce qu'il y a de plus évident,
il l'interprète, non selon la vérité ni selon les apparences,
mais selon son gré et son intérêt.
Si le public se déclare, il tient
seul contre ce jugement public, et il imagine des raisons de soupçonner
où personne ne forme le moindre doute.
Mais grâces
immortelles vous en soient rendues , Seigneur, vous êtes encore
connu en Israël, et votre saint nom est encore révéré sur la terre.



En vain le pécheur et le mondain s'inscrit en faux contre tout
ce qu'on lui rapporte et tout ce qu'il voit ; ce qui reste de piété
dans le monde ne porte pas moins témoignage contre son péché;
et de ne vouloir pas céder à la force et à l'évidence de ce témoignage,
bien loin de l'excuser, c'est ce qui redouble son crime.
Mais que sais-je, dit-il, ce qui se passe dans l'âme, et si l'intérieur
répond à ces beaux dehors qui frappent les yeux ?
Et moi
je lui dis :
Pourquoi, mon cher auditeur, de deux partis prenez-vous
toujours le moins favorable? et, sur un soupçon vague et
sans nulle preuve particulière, pourquoi voulez-vous que ces
dehors trompent toujours, parce qu'ils trompent quelquefois ?

Mais ces exemples, ajoute-t-il, de vertus véritables et incontestables
sont bien rares. Il est vrai ; mais quoique rares , ce seront
toujours des titres convaincants pour justifier l'arrêt que Dieu
prononcera contre vous : car il est en votre pouvoir de les imiter;

et d'ailleurs le Fils de Dieu vous a fait expressément entendre
que le nombre de ses élus est très petit, et qu'il faut se conformer
à ce petit nombre , qu'il faut marcher avec ce petit nombre,
qu'on ne peut être sauvé que dans ce petit nombre.
Heureux si
désormais vous le suivez, et si vous cessez d'en être l'injuste
censeur pour en devenir le fidèle imitateur; heureux qui le sui-
vra comme vous !
Mais parlons présentement au chrétien lâche,
et montrons-lui combien il est faible et coupable dans sa faiblesse,
quand il se trouble de l'hypocrisie d'autrui jusqu'à s'éloigner des
voies de Dieu.
C'est la seconde partie.

A SUIVRE...
Avatar de l’utilisateur
InHocSignoVinces
Messages : 2999
Inscription : dim. 26 août 2018 11:43
Localisation : Tharsis, Hispania

Re: SUR L'HYPOCRISIE, sermon du R.P. Bourdaloue

Message par InHocSignoVinces »

DEUXIÈME PARTIE.


Il ne faut pas s'étonner si l'hypocrisie, dont les libertins profitent
pour se confirmer dans leur libertinage,
est aux chrétiens
faibles et tièdes un sujet de trouble, et une tentation dangereuse
pour les détourner de la vraie piété.
Le démon, qui est le père
du mensonge, étant par la même raison le père de l'hypocrisie;
et Dieu, comme nous l'apprenons de l'Évangile, lui permettant
de se servir de l'hypocrisie pour perdre même , s'il était possible,
les élus, on peut dire qu'il n'y a rien en cela qui ne soit très
naturel.



Il s'agit seulement de bien établir en quoi consiste cette
tentation, afin de la pouvoir détruire, et de bien connaître le
mal qu'elle cause , pour y apporter le remède :
et c'est ce que
vous attendez maintenant de moi.
Or je trouve que cette tentation
a trois pernicieux effets dans les chrétiens faibles.
Car, premièrement,
elle leur imprime une crainte servile de passer dans
le monde pour hypocrites et pour faux dévots; et cette crainte
leur est un obstacle à l'accomplissement des plus saints devoirs
de la religion.
Secondement, elle produit en eux un dégoût de
la piété, fondé, disent-ils, sur ce que la piété, quoique peu solide
en elle-même et estimable devant Dieu , a le malheur d'être
sujette à la censure des hommes et à la malignité de leurs jugements.
Enfin ils tombent par là dans un abattement de coeur qui
va souvent jusqu'à leur faire abandonner le parti de Dieu , plutôt
que de s'engager à soutenir la persécution, c'est-à-dire à essuyer
la raillerie qu'ils se persuadent que ce reproche odieux ou
même que le simple soupçon d'hypocrisie leur attirerait.
De savoir,
mes chers auditeurs, si en tout cela ils sont excusables,
c'est ce que nous allons examiner :
mais auparavant comprenez
quel est leur état, ou, pour mieux dire, leur désordre, le
voici :



Ils voudraient s'attacher à Dieu et faire profession de le servir;
mais ils craignent de passer pour hypocrites, et cette crainte
les arrête:
car voilà ce que nous voyons tous les jours, nous
ministres de Jésus-Christ, secrets confidents des âmes et dépositaires
de leurs sentiments ;
voilà ce qui fait perdre à nos exhortations
les plus pathétiques toute leur vertu et ce qui rend notre
ministère inutile auprès de tant de chrétiens lâches.
Ils ont du
penchant pour la piété ; ils connaissent là-dessus leurs obligations,
et ils seraient très disposés à y satisfaire. Nous tachons à les
v porter, nous leur en représentons l'importance et la nécessité
Ils nous écoutent, ils goûtent tout ce que nous leur disons, ils
en paraissent édifiés , et il semble qu'ils soient déterminés à le
mettre en pratique;
mais dès qu'il faut faire le premier pas,
une malheureuse réflexion survient, et c'est assez pour les retenir.

Que pensera-t-on de moi, et à quels raisonnements vais-je
m'exposer ? croira-t-on que c'est la piété qui me fait agir ? on
se figurera que j'ai mes vues, et que je tends à mes fins; on empoisonnera
mes plus saintes actions; on donnera à mes plus
droites intentions un mauvais tour, et l'on en rira.
N'est-ce pas
ainsi qu'on demeure dans un état de vie d'où l'on souhaiterait
de sortir, et que pour éviter l'hypocrisie, du moins pour en éviter
la réputation et le nom, on tombe pour ainsi dire dans une
autre. Car si c'est une hypocrisie d'avoir les dehors de la piété
sans en avoir le fond, n'en est-ce pas une d'avoir dans le coeur
l'estime de la piété, le désir de la piété, les sentiments de la
piété, et d'affecter des dehors tout opposés; de condamner en
apparence ce qu'intérieurement on approuve , et d'approuver ce
qu'intérieurement on condamne ; de se déclarer pour le monde et
d'en suivre les voies corrompues, lorsqu'on en connaît la corruption,
qu'on en a même une secrète horreur, et qu'on gémit
de s'y voir engagé; de s'éloigner de Dieu et de quitter ses
voies, lorsqu'on juge que ce sont les plus droites et les plus
sûres, et qu'une heureuse inclination, soutenue de la grâce,
nous y attire; en un mot, de se montrer tout autre qu'on n'est
en effet ?



Quoi qu'il en soit, voilà où en sont réduits une multitude
infinie de chrétiens ; voilà l'esclavage où leur lâcheté les
tient asservis.
Au lieu de prendre l'esprit de saint Paul , cet esprit
généreux et saintement libre, cet esprit supérieur au monde et
à tous ses discours, cet esprit élevé et indépendant;
au lieu de
dire comme cet apôtre :
Mihi autem pro minimo est ut a vobis
judicer aut ab humano die (I Cor., 4.)
Pour moi, je suis peu
en peine de quelle manière vous parlerez, ou quelque homme que
ce soit, quand il s'agit de ce que je dois à mon Dieu; accusez-moi
tant qu'il vous plaira de déguisement et d'hypocrisie, pourvu
que j'en sois innocent devant celui qui est mon juge, je me
consolerai, et de votre jugement j'en appellerai au sien,
Qui
autem judicat me, Dominus est
(Ibid. ); au lieu d'entrer dans
cette disposition vraiment chrétienne,
ils se laissent prévenir
des fausses idées d'une prudence toute charnelle , et vivent dans
une servitude plus honteuse mille fois que tous les mépris dont
ils se font de si vains fantômes.



A SUIVRE...
Avatar de l’utilisateur
InHocSignoVinces
Messages : 2999
Inscription : dim. 26 août 2018 11:43
Localisation : Tharsis, Hispania

Re: SUR L'HYPOCRISIE, sermon du R.P. Bourdaloue

Message par InHocSignoVinces »

Ce n'est pas tout. De cette crainte, dont les serviteurs mêmes
de Dieu ne sont pas exempts, suit le dégoût de la piété, et la
raison en est évidente. Car, comme l'a remarqué saint Chrysostome,
n'y ayant rien dans le monde de plus méprisable ni de
plus méprisé que l'hypocrisie, et un certain amour-propre qui
subsiste en nous jusque dans les plus saints états se trouvant
blessé du seul soupçon de ce vice , nous devons aisément et naturellement
nous dégoûter de ce qui nous expose à ce soupçon.
Or, à moins d'une grâce forte qui nous élève au-dessus de nous-mêmes
et qui guérisse sur ce point notre faiblesse, nous nous
imaginons, et nous croyons même en avoir l'expérience, que
c'est là le sort de la piété , et qu'il est presque impossible de l'embrasser
et de la pratiquer sans avoir tous les jours cette peine à
soutenir, c'est-à-dire sans être tous les jours, sinon condamné,
au moins soupçonné d'hypocrisie.
Et parce qu'un tel soupçon
est en lui-même très humiliant, et que la délicatesse de notre
orgueil ne le peut souffrir, de là vient qu'ébranlés, ou, si vous
voulez, que fatigués de cette tentation, nous perdons peu à peu
la joie intérieure, qui est un des plus beaux fruits de la piété :
que nous nous rebutons de ses pratiques; que nous devenons
tièdes , languissants , pusillanimes sur tout ce qui regarde le culte
de Dieu ; que nous n'accomplissons plus les obligations du christianisme
qu'avec cet esprit de chagrin qui , selon saint Paul , en
corrompt toute la perfection et tout le mérite.



Mais si la persécution du monde se joint à cela, je veux dire
si ce dégoût de la piété vient encore à être excité par les paroles
piquantes et par les insultes, on succombe enfin, on se relâche,
on se dément.
Cette persécution de la piété sous le nom d'hypocrisie
se présentant à l'esprit, on s'en fait un monstre et un ennemi
terrible. En se consultant soi-même, on n'y croit pas pouvoir
résister, on désespère de ses forces , on se défie même de
celles de la grâce, on quitte entièrement le parti de Dieu; et,
plutôt que d'être traité d'hypocrite, on devient impie et libertin.

Voilà, dis-je, mes chers auditeurs, les trois déplorables effets de
cette tentation dont je voudrais aujourd'hui vous préserver. Or
je prétends que ce scandale est très déraisonnable, et qu'à l'égard
d'un homme chrétien, il ne peut être justifié dans aucun
de ces trois chefs. Suivez ceci, s'il vous plaît.


A SUIVRE...
Répondre

Revenir à « Doctrine et débats sur les principes »

Qui est en ligne ?

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 0 invité