SUR LA PRÉDESTINATION ET LE PETIT NOMBRE DES ÉLUS

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[Tentation de désespoir]. — Une des plus grandes tentations dans la vie spirituelle, c'est celle de la défiance, qui consiste à se figurer qu'on sera apparemment réprouvé, et par conséquent que tout ce qu'on fait pour Dieu est inutile. Tentation dangereuse ! Elle nous conduit à la tiédeur dans le service de Dieu, à l'oubli des devoirs essentiels, au désespoir du salut. Opposons à une si pernicieuse défiance une pleine et entière confiance aux mérites du Fils de Dieu. Suis-je prédestiné ? C'est là pour le chrétien un mystère impénétrable; mais il sert un Dieu fidèle et plein de bonté : c'est ce qu'il lui suffit de savoir; car il nous suffit de savoir avec quelle bonté et quelle miséricorde il en use à notre égard. Au reste, si nous ne pouvons résoudre les difficultés que notre imagination nous forme, tantôt sur de certaines faveurs que Dieu accorde à quelques-uns et qu'il nous refuse, tantôt sur la prédestination, tantôt sur la persévérance finale dans le bien, ne nous en affligeons pas davantage. Les hommes les plus éclairés ne voient rien de plus que nous dans ces mystères impénétrables ; et il nous suffit de pouvoir dire avec certitude, comme l'Apôtre S. Paul : Je sais à qui je me suis fié. Cette foi vive doit être plus efficace pour apaiser tous nos troubles que les plus sublimes lumières, que les révélations particulières, qui ne sont quelquefois que des illusions. Il n'est pas même nécessaire que, dans les inquiétudes qui nous viennent sur notre salut, nous puissions dire : Je sais à qui je me fie ; il suffit de dire, comme l'Apôtre : Je sais à qui je me suis fié. L'habitude de la foi supplée alors à l'acte que nous ne pourrions former. Rappelons-nous donc, en ces moments de perplexité, les actes de foi et de confiance que nous avons faits tant de fois : ce souvenir a de quoi nous rassurer pour le présent. (Le P. Ségneri, Méditations),


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[Tout contribue à la sanctification des élus]. — Un mélange de bien et de mal compose toute la vie de l'homme. On comprend assez que les faveurs et les consolations divines tournent à l'avantage des élus : elles leur sont, en effet, des engagements nouveaux de servir le Seigneur, de s'attacher encore plus à lui, de lui offrir de plus purs et de plus fréquents sacrifices de louanges : Cantabo Domino, qui bona tribuit mihi. Mais comment l'adversité, la tentation, le péché, qui sont les maux de là vie, se convertissent-ils en bien pour les justes ? C'est ce qu'il est difficile de comprendre ; c'est ce qu'on a beaucoup de peine à se persuader, et ce que nous pouvons cependant prouver être très-véritable. Car, premièrement, les tribulations des justes produisent en eux un surcroît de vertus et de mérites ; les persécutions augmentent leur charité et lui donnent un lustre nouveau d'autant plus éclatant qu'ils souffrent davantage de persécutions ; les humiliations perfectionnent leur humilité; les infirmités et les misères de la vie accroissent leur patience et leur résignation aux volontés divines : Dominus est quod bonum est in oculis suis faciat (Reg. I). En second lieu, la tentation devient pour le juste une école où il apprend à combattre les puissances de l'enfer, où il se forme à en découvrir les ruses, et où il s'accoutume à en mépriser les efforts: Beatus vir qui suffert tentationem (Jac. I). Enfin, il n'y a pas jusqu'au péché dont les élus ne retirent du fruit. Leurs chutes leur sont une source de soupirs et de larmes, le motif d'une humilité plus profonde et d'une vigilance plus continuelle et plus soutenue. Rien n'est donc plus vrai, tout tourne à l'avantage des justes : Diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum. (Rom. VIII). Mais, par la disposition contraire des pécheurs, tout se change pour eux en mal ; les grâces mêmes que Dieu leur donne ne servent qu'à les rendre plus coupables, et la divine miséricorde, qui devrait amollir leurs cœurs, les ramener à Dieu, leur faire connaître ses infinies bontés à leur égard, n'a point d'autre effet sur leurs mauvais cœurs que de les rendre plus coupables, que de les établir plus tranquillement dans leurs désordres et de causer en eux une insensibilité étonnante : Peccavi, et quid mihi accidit triste ? (Eccl. V.) A ces marques, vous pouvez juger en quelque sorte de votre destinée éternelle. Tout se change-t-il en bien à votre égard ? vous avez le caractère des prédestinés; et c'est par où l'Apôtre nous apprend à les distinguer : Scimus quoniam diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum, iis qui secundùm propositum vocati sunt sancti (Rom. VIII). (Le P. Ségneri, Ibid.).


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[Sujet de s'humilier]. — Nous trouvons, dans la vue de l'avenir, un grand sujet d'humiliation et un grand motif d'humilité. Suis-je prédestiné ? serai-je réprouvé ? serai-je sauvé ? Je n'en sais rien. Que cette incertitude est humiliante ! Ce que je sais, c'est que je ne serai point sauvé sans la grâce de la persévérance. Mais, hélas ! cette grâce, je ne la puis mériter, ni ensuite m'en assurer. Sur quoi pourrais-je m'en assurer ? Sur la volonté de Dieu ? Elle m'est inconnue là-dessus : Quis cognovit sensum Domini ? Sur ma volonté ? Elle est si déréglée , si faible, si inconstante ! Sur mes bonnes œuvres ? Hélas ! les œuvres les plus excellentes ne peuvent mériter cette grâce. Sur les grâces que j'ai reçues ? Qui m'a dit que j'y serai fidèle ? Qui a plus reçu de grâces que Salomon ? il est assez probable qu'il n'a pas eu celle de la persévérance. Sur la
perfection de mon état ? est-il plus parfait que celui de Judas, compagnon et apôtre du Fils de Dieu, témoin de ses vertus et de ses miracles ? Il devient un traître, un apostat, et meurt désespéré. Si les colonnes du firmament ont été renversées, faibles roseaux que nous sommes, quelle est notre confiance ? Et n'avons-nous pas bien sujet de trembler et de nous humilier ? (Le P. Nepveu, Réflexions chrétiennes).


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[Les desseins de Dieu sont un abîme]. — Quoique les desseins de Dieu sur les hommes soient des abîmes dont on ne voit point le fond, il faut avouer cependant que de tous les secrets divins il n'y en a point de plus impénétrable que celui de la prédestination et de la réprobation éternelles. Car de savoir, dans toutes les conjonctures particulières, pourquoi Dieu comble souvent les impies de biens temporels et laisse leurs crimes impunis en cette vie ; pourquoi, d'autre part, il permet qu'une infinité de saints manquent de tout et soient méprisés, persécutés, outragés injustement, c'est ce qu'il ne faut point espérer, quoiqu'en général on puisse rapporter plusieurs raisons de cette conduite. Il est certain que Dieu accorde à de grands pécheurs des prospérités temporelles en récompense de quelques vertus morales qu'ils ont exercées, parce qu'il ne peut donner autre chose à des gens indignes de la béatitude éternelle, ou parce que ce peut être un moyen d'amollir la dureté de leurs cœurs, de les ramener à la raison, de les détacher de la terre et de leur faire venir le goût des vrais biens, qui sont ceux de l'éternité. Que s'il laisse quelquefois leurs désordres impunis, ce n'est pas qu'il veuille les épargner, c'est qu'il se réserve à les punir dans l'autre monde beaucoup plus sévèrement qu'il ne pourrait faire en celui-ci. Au contraire, il permet souvent que les justes soient dépouillés de leurs biens, humiliés et maltraités en toutes manières ; mais c'est afin que, par la patience, ils puissent expier les fautes légères qu'ils commettent par fragilité ; et que, croissant en mérites, ils acquièrent dans le ciel un plus haut degré de gloire. (Bellarmin, Opuscules).


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[Bonté de Dieu pour nous]. — Pouvons-nous avoir aucun doute des bontés de Dieu à notre égard ? Nous peuvent-elles être plus sensiblement marquées ? Comparons, pour les connaître, notre état avec celui de tous les infidèles, les schismatiques, les hérétiques qui couvrent la surface de la terre. La plus grande partie du monde est habitée par des gens qui vivent sans foi, ou qui n'ont pas la vraie foi. Encore, parmi ceux qui habitent les pays où la vraie foi est cultivée, combien de libertins, d'athées et d'impies, qui vivent sans foi dans le centre même de la foi ! Combien d'autres qui, n'ayant de la vraie religion que la croyance, n'en remplissent pas les obligations, faute de cette foi vive qui opère par la charité ! Combien qui vivent dans une ignorance profonde de ce qu'ils devraient savoir ! Combien d'autres qui accumulent les injustices, et, s'enrichissant par cette voie, mettent à leur salut un invincible obstacle ! Combien qui se rendent coupables de tous ces crimes dont l'Apôtre a prononcé que ceux qui les commettent n'entreront point dans le royaume des cieux ? Combien d'autres qui, sans beaucoup de crimes, vivent dans l'oubli de leur salut et dans une affreuse indifférence pour le ciel ! Otez presque tous ceux-là, qui ne font point pénitence, ôtez-les du nombre des prédestinés : que restera-t-il, sinon un très-petit nombre de gens qui ont la foi, la religion, la piété, la justice en recommandation, qui, inquiets sur leur salut, y travaillent sérieusement, ou qui, après s'être livrés trop aisément au crime, songent à l'expier par la pénitence ? Or, c'est sans doute à ce petit nombre que le ciel est destiné, et c'est aussi à ce petit nombre que Dieu vous a appelés. Il vous a choisis préférablement à mille autres pour vous mettre de ce nombre chéri; et combien jusqu'à présent de grâces pour vous y faire entrer ! Je ne dis pas de grâces communes et générales, mais de ces secours particuliers, de ces grandes prédilections, de ces faveurs personnelles, qu'il n'a pas faites à tous comme à vous et qui montrent bien le choix qu'il fait de vous pour le ciel, et le désir particulier qu'il a de vous sauver, quand par impossible il serait vrai qu'il eût abandonné tout le reste de l'univers. (Anonyme).


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[Petit nombre des élus]. — Quand la foi ne nous enseignerait pas cette terrible vérité, supposé certains principes de l'Evangile dont tous les chrétiens conviennent, la seule raison suffirait pour nous convaincre que le nombre des sauvés doit être petit. Instruits des vérités de notre religion, informés des devoirs du chrétien, convaincus de notre penchant au mal et de la licence des mœurs des gens du siècle, peut-on conclure qu'il y aura beaucoup de gens sauvés ? Pour être sauvé il faut nécessairement vivre selon les maximes de l'Evangile : et le nombre de ceux qui vivent aujourd'hui selon ces maximes, est-il fort grand ? Pour être sauvé, il faut se déclarer hautement disciple du Sauveur : hélas ! combien de gens ont aujourd'hui honte de paraître tels ! il faut renoncer, ou d'effet ou d'affection, à tout ce qu'on possède ; il faut porter sa croix tous les jours ; quelle pureté inaltérable ! quelle délicatesse de conscience ! quelle humilité plus sincère ! quelle droiture ! quelle charité ! A ces marques, reconnaissez-vous beaucoup de disciples de Jésus-Christ ? Ce sont là cependant les marques les plus certaines que nous puissions avoir de notre prédestination. Le monde est l'ennemi irréconciliable du Fils de Dieu : il n'est pas possible de suivre tout à la fois ces deux maîtres. Jugez lequel des deux le plus grand nombre suit, et par-là vous pourrez connaître aussi combien est petit le nombre des prédestinés. (Le P. Croiset, Exercices de piété).


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[Incertitude utile aux élus]. — L'incertitude de la prédestination et du salut ne peut être que très-pénible aux bonnes âmes. Nous en pouvons juger par ce qui est écrit du grand patriarche S. François, qu'au commencement de sa conversion, Dieu lui ayant fait connaître que ses péchés, qu'il avait pleures longtemps et avec une vive douleur, lui étaient remis, il en eut une joie inconcevable. Mais après tout, quelque peine que puisse faire cette incertitude à ceux qui ont de l'amour pour Dieu, c'est un véritable
effet de la Providence divine sur eux : car ils sont plus retenus, plus humbles et plus vigilants ; ils s'observent avec plus de soin ; ils ne se préfèrent à personne, pas même aux plus grands pécheurs. Pour ce qui est des réprouvés, il leur est fort important qu'ils ne pensent point à la triste fin qui les attend : il est utile pour eux qu'ils ne sachent pas ce qui leur doit arriver, de peur que, s'abandonnant davantage par désespoir à tous les dérèglements imaginables, ils ne causent bien des maux aux fidèles, et que par-là, augmentant toujours et leurs désordres et les peines des autres , ils n'attirent sur leur tète une grande condamnation. (Bellarmin,De gemitu columbae).


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[Les bonnes œuvres nous inscrivent au livre de vie]. — Quand le Fils de Dieu dit à ses disciples « Réjouissez-vous de ce que vos noms sont inscrits au ciel » il ne les assura pas qu'ils étaient prédestinés ; mais il leur apprit que, faisant les œuvres des prédestinés, c'est-à-dire servant Dieu avec fidélité, menant une vie sainte, ils pouvaient et devaient espérer d'être de ce bienheureux nombre. Dieu connaît, il est vrai, ceux qui sont à lui , il connaît ceux qui par la persévérance remporteront la victoire ; ni lui ni personne n'efface les noms qu'il a écrits de la sorte : mais pour nous, qui ne vivons que dans l'obscurité de la foi, nous nous écrivons nous-mêmes, pour ainsi dire, par les bonnes œuvres, et nous nous effaçons par le péché. Nous pouvons, à la vérité, nous réjouir en nous-mêmes de la vertu que nous pratiquons aujourd'hui ; nous pouvons sentir quelque consolation par le témoignage de notre conscience : mais il faut que cette joie ne soit pas empoisonnée par cette vanité qui accompagne assez souvent les bonnes œuvres, parce que, si Dieu nous abandonnait à nous-mêmes, nous ne serions pas demain à lui. Craignons donc de tomber; mais craignons avec confiance que Dieu nous aidera à achever ce qu'il nous a fait commencer par sa grâce, et regardons celles qu'il nous a accordées jusqu'ici comme les arrhes de la grâce finale. (Le Tourneux, Année chrétienne).


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[Réprobation de Judas]. — La réprobation de Judas ne fut point, assurément, une marque que Dieu l'eût prédestiné à une trahison si détestable : ce fut un juste châtiment de son infidélité et de son ingratitude. Vous aviez dessein, ô mon Dieu, d'en faire un grand saint, et il est devenu un malheureux réprouvé ! Vous l'aviez préféré à une infinité d'autres hommes pour l'élever au ministère glorieux de l'apostolat, et il a trompé les desseins favorables de votre providence sur lui par la plus horrible de toutes les perfidies ! Vous aviez joint à la vocation générale qui l'avait associé à votre compagnie plusieurs grâces particulières dont vous l'aviez comblé. Vous l'aviez fait dépositaire des aumônes que l'on vous faisait pour nourrir le collège apostolique. Vous vous abaissâtes jusqu'à ses pieds dans le cénacle. Vous lui fîtes connaître que vous pénétriez jusque dans le fond de son cœur le dessein malheureux qu'il avait formé, pour lui en inspirer de l'horreur. Vous le traitâtes d'ami lorsqu'il vous livra par un baiser détestable. Quel cœur de bronze aurait pu tenir contre tant d'attaques de la bonté divine? Cependant ce monstre d'ingratitude et d'infidélité abusa de tant de grâces. Qui peut nier qu'il ne fût juste de punir un si détestable meurtrier, qui de son plein gré se jeta dans un si monstrueux excès ? (Essais de Panégyriques).


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[Les péchés des élus]. — S. Augustin dit que les péchés même des élus entrent dans l'ordre de leur prédestination, et que Dieu ne permet le mal des fautes qu'ils commettent que pour en tirer le bien de leur pénitence. Car, les grandes vertus devant être appuyées sur une humilité profonde, il est souvent nécessaire que la confusion qui naît du péché nous fasse entrer dans des sentiments d'humilité que nous n'aurions pas si nous conservions toujours l'innocence. L'humilité étant donc la base et le fondement de toutes les vertus, il suit nécessairement qu'elle est en même temps une marque moralement certaine de la prédestination des élus, et même de leur élévation au plus haut degré de sainteté. Le péché donc, quoique directement contraire à cette charité qui nous unit à Dieu, sert à notre prédestination ; il y entre par la profonde humilité où il nous conduit, quand nous venons une fois à réfléchir sur nos excès. Nous voyons dans le Prince même des Apôtres un exemple sensible de ce que j'avance. Dieu permit qu'il tombât dans un si grand excès que de renier son Maître, même avec détestâtion et jurement. Que produisit un si grand mal ? Cet Apôtre, étant revenu à lui, en devint d'autant plus humble; cette humilité lui fit mériter le souverain degré où le Fils de Dieu l'éleva ; il lui apprit en même temps à user de clémence envers ses frères, considérant la faiblesse où tout homme peut tomber par son propre excès. (Essais de panégyriques).


FIN