Résumé de théologie dogmatique, Livre III : La création et l'ordre surnaturel

[chartreux]

VIII. Il est évident, par leur contenu respectif, que le surnaturel absolu et le surnaturel relatif, considérés en eux-mêmes, ne sont ni identiques, ni essentiellement inséparables, par conséquent qu'il n'est pas absolument nécessaire qu'ils aient été accordés ensemble. La différence essentielle de leur contenu respectif se révèle à première vue dans la diversité de leurs effets spécifiques : la grâce rend l'homme capable d'une vie spirituelle principalement plus élevée, et elle n'agit immédiatement que sur l'esprit ; l'intégrité ne règle parfaitement que la vie naturelle ; elle embrasse directement la nature entière dans son opération. Ils diffèrent aussi par leur nature intime. La grâce rend la partie supérieure de l'âme ressemblante à Dieu même, tandis que l'intégrité élève la partie inférieure de l'âme à une ressemblance avec les anges.

[chartreux]

La possibilité de séparer les deux espèces de dons n'est pas moins visible. En soi, on peut très bien concevoir que Dieu fasse l'homme semblable aux anges, qu'il l'appelle à une pureté angélique, à l'innocence, à la justice ou à l'exemption de tout mal, sans l'appeler et l'élever à une ressemblance surnaturelle avec son excellence et sa gloire propres, à la participation de sa sainteté ou de sa béatitude infinie.

Il est également concevable en soi, du moins in statu viae, que Dieu élève l'homme à la participation de sa dignité et de sa sainteté, sans l'affranchir de ses faiblesses naturelles, suivant ce qui a lieu maintenant dans la concession de la grâce par Jésus-Christ. Nous disons, du moins in statu viae, car dans l'état définitif, la lumière de la gloire emporte nécessairement et a fortiori que l'âme humaine soit capable d'une connaissance purement spirituelle, et qu'elle soit au moins exempte de tout défaut spirituel dans un degré plus parfait que les anges ne le sont par nature.

[chartreux]

Mais la différence des dons respectifs et la possibilité de les séparer n'empêche nullement que ces dons, quand ils sont accordés simultanément, comme dans le premier homme (ou dans Jésus-Christ et la sainte Vierge), soient unis, en vertu d'une disposition divine, éminemment conforme à la nature, afin de former un tout harmonieux, organique et solidaire. La doctrine générale des Pères se résume en ceci : dans l'état primitif, la grâce et l'intégrité, comme anticipation de la gloire définitive, offrent, dans l'idée de Dieu comme dans la réalité, un rapport analogue à celui qui existe visiblement et indubitablement entre la gloire future de l'âme et la gloire du corps.

[chartreux]

Ainsi, d'après ce qui précède, et dans l'ordre effectif du monde, le rapport du surnaturel relatif au surnaturel absolu consiste en ce que le premier n'a pas été voulu et ordonné de Dieu pour lui-même, mais qu'il est partout et toujours dans une dépendance intime de la grâce. Ce n'est donc pas un ordre indépendant, c'est une branche de l'ordre unique et surnaturel de la grâce. Cette dépendance n'est pas une pure abstraction ; c'est une vérité de la plus haute importance en théorie comme en pratique, surtout à cause de son étroite liaison avec cette autre vérité que la nature humaine a été créée elle-même pour l'ordre surnaturel, qu'elle lui est complètement subordonnée et coordonnée dans les vues du Créateur. Cf. le §148 ci-dessus.

[chartreux]

Chapitre 4. Réalisation concrète de l'ordre surnaturel.

Section 153. L'ordre surnaturel dans le monde angélique.

I. L'Écriture sainte, en mettant les bons anges en possession de la vision de Dieu et en n'excluant que les anges déchus, donne à entendre que tous les anges étaient originairement destinés à la félicité surnaturelle. C'est aussi le sentiment de toute la tradition. Plusieurs l'énoncent en disant que les hommes sont appelés à combler les lacunes produites par la chute d'une multitude d'anges.

Quoi qu'il en soit, la vocation surnaturelle de l'humanité entière est une très forte présomption en faveur de la vocation de tous les anges. Il résulte également de l'épreuve que suppose la chute de plusieurs anges, que les anges en général n'ont pas été, non plus que l'homme, mis de prime abord en possession de la félicité surnaturelle, mais qu'ils ont dû la mériter. Or, pour mériter la félicité surnaturelle, les anges avaient besoin, non moins que les hommes, de la grâce surnaturelle, actuelle et habituelle. Il s'agit de savoir si cette grâce a été communiquée à tous et comment elle l'a été.

[chartreux]

I. 1. Il est moralement certain que tous les anges, même les déchus, ont eu la grâce sanctifiante avant de pécher. L'Écriture sainte le donne clairement à entendre et la tradition des Pères se prononce résolument dans ce sens. De l'Écriture sainte, ils appliquent aux anges les passages Ezech. 28:12 et suiv., et Isaïe 14:12. Il est vrai que ces deux passages pris à la lettre se rapportent à des rois de la terre, l'un à celui de Tyr, l'autre à celui de Babylone ; mais la plupart des Pères les appliquent dans un sens mystique aux princes des anges déchus. Il y a une allusion plus nette (bien que non décisive) en Jean 8:44 : "Le diable (...) n’est pas demeuré dans la vérité (veritas)" conféré avec Jude 1:6 : "les anges qui n’ont pas conservé leur dignité".

Veritas, dans la langue habituelle du Nouveau-Testament, exprime la vérité et la Justice fondée sur la grâce, et "dignité" doit s'entendre d'une dignité personnelle éminente dans le royaume de Dieu, laquelle ne peut guère se concevoir sans la grâce.

[chartreux]

Il est encore constant, d'après la tradition indubitable des Pères, que les anges, au moment de leur création ou depuis l'origine, ont été pourvus de la grâce sanctifiante (cf. S. Augustin, De civit. Dei, lib. XI, cap. ix). Enfin, le sentiment général des théologiens est que les différents ordres hiérarchiques que l'Écriture sainte assigne aux anges, indiquent aussi une différence de degré dans la grâce primitive, aussi bien que dans la gloire actuelle, par cette raison, entre autres, que ce que l'ange veut, il le veut avec toute l'énergie qui lui est possible, par conséquent que chacun des anges est devenu pleinement tout ce qu'il pouvait devenir en vertu de la grâce primitive. Il est probable que Dieu a institué dès l'origine la diversité naturelle des anges à raison de la diversité de la grâce qu'il leur destinait, et que les anges ont généralement reçu une plus grande abondance de grâce que les hommes, ce qui ne veut pas dire que quelques hommes ne puissent obtenir un degré de grâce et de gloire supérieur à celui des anges. C'est même la doctrine expresse de l'Église en ce qui concerne la sainte Vierge.

[chartreux]

Il va sans dire que la concession de la grâce était accompagnée de la vertu de la foi et d'une « révélation » acceptable par la foi, des mystères surnaturels dont la connaissance est requise pour tendre sciemment à la fin surnaturelle. C'étaient : a) la connaissance absolument indispensable de l'ordre surnaturel en tant que surnaturel ; b) très vraisemblablement la connaissance de la Trinité, comme condition nécessaire de la parfaite connaissance de cet ordre ; c) pour une raison analogue, selon la plupart des théologiens, la connaissance de l'Incarnation future du Verbe, tous ces dogmes étant si intimement liés à l'ordre de la grâce.

[chartreux]

I. 2. Il est clair que le mérite des anges consistait en général dans le libre accomplissement de la loi divine surnaturelle ou dans une parfaite soumission à Dieu comme auteur de la grâce et de la gloire. Quant à la manière précise dont elle a été accomplie, on ne peut émettre que des opinions plus ou moins vraisemblables. Il est bien possible que les anges aient comme les hommes reçu un commandement spécial devant leur servir d'épreuve. Il est également vraisemblable que l'épreuve des anges consistait dans une limitation de leur supériorité naturelle sur l'homme (comme l'épreuve de l'homme consistait dans une restriction de son empire sur la nature sensible), notamment dans le précepte d'adorer l'Homme-Dieu dans la nature humaine et d'honorer sa Mère comme leur reine.

[chartreux]

I. 3. Il est de foi, d'après ces paroles du Sauveur : "leurs Anges dans le Ciel voient sans cesse la face de Mon Père qui est dans les Cieux." (Matth. 18:10), que les anges n'ont pas été admis à la vision béatifique de Dieu seulement après la résurrection de Jésus-Christ comme les anciens patriarches. Les anges sont entrés dans la gloire immédiatement après leur résolution définitive.