Le troisième état de cette même âme est celui de la partie intellectuelle. qui est une substance spirituelle comme les Anges, qui n'est point attachée à aucun organe corporel, comme sont les sens et les passions, et qui comprend la mémoire intellectuelle, l'entendement et la volonté, avec la partie suprême de l'esprit que les théologiens appellent la pointe, la cime ou l'éminence de l'esprit, laquelle ne se conduit point par la lumière du discours et du raisonnement, mais par une simple vue de l'entendement et par un simple sentiment de la volonté, par lesquels l'esprit se soumet à la vérité et à la volonté de Dieu.
C'est cette troisième partie de l'âme, qu'on appelle esprit, la portion mentale, la partie supérieure de l'âme, qui nous rend semblables aux Anges, et qui porte en soi dans son état naturel l'image de Dieu, et dans l'état de grâce sa divine ressemblance.
C'est cette partie intellectuelle qui est le cœur et la plus noble partie de l'âme.
Car premièrement, elle est le principe de la vie naturelle de l'âme raisonnable, qui consiste en la connaissance qu'elle peut avoir de la Vérité suprême, par la force de la lumière naturelle de son entendement, et en l'amour naturel qu'elle a pour la souveraine Bonté. Comme aussi étant animée de l'esprit de la foi et de la grâce, elle est avec lui le principe de la vie surnaturelle de l'âme, qui consiste à connaître et aimer Dieu par une lumière céleste et par un amour surnaturel : Haec est vita æterna ut cognoscant te solum Deum verum (1) .
Secondement, cette même partie intellectuelle est le cœur de l'âme, parce que c'est en elle que se trouve la faculté et la capacité d'aimer, mais d'une manière beaucoup plus spirituelle, plus noble et plus relevée, et d'un amour incomparablement plus excellent, plus vif, plus actif, plus solide et plus durable que celui qui procède du cœur corporel et sensible.
C'est la volonté éclairée de la lumière de l'entendement et du flambeau de la foi, qui est le principe de cet amour. Lorsqu'elle se conduit seulement par la lumière de la raison humaine, et qu'elle n'agit que par sa vertu naturelle, elle ne produit qu'un amour humain et naturel, qui n'est point capable d'unir l'âme avec son Dieu; mais lorsqu'elle suit le flambeau de la foi, et qu'elle se meut étant poussé par l' esprit de la grâce, elle est la source d'un amour surnaturel et divin qui rend l'âme digne de Dieu .
En troisième lieu, la sainte théologie nous apprend, qu'encore que la grâce, la foi, l'espérance et la charité répandent leurs célestes influences et leurs divins mouvements sur les autres facultés de la partie inférieure de l'âme, elles font néanmoins leur spécial séjour et leur vraie et naturelle demeure dans la partie supérieure. D'où il s'ensuit que cette même partie est le véritable cœur de l'âme chrétienne, parce que la divine charité ne peut pas avoir d'autre demeure que le cœur de l'âme qui la possède, selon ces paroles de saint Paul: La charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs (2).
En quatrième lieu, n'oyez-vous pas ce même Apôtre qui crie à tous les chrétiens: D'autant que vous êtes enfants de Dieu, il a envoyé l'Esprit de son Fils dans vos cœurs (3) , et qui les assure qu'il fléchit les genoux devant le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ pour obtenir de lui que son Fils fasse sa demeure dans leur cœur (4). Or quel est ce cœur, je vous prie, sinon la partie supérieure de leur âme, puisque le Dieu de grâce et d'amour ne peut pas occuper d'autre lieu dans une âme chrétienne, que celui où la grâce et la charité font leur résidence ?
Toutes ces choses font voir clairement que le vrai et le propre cœur de l'âme raisonnable, c'est la partie intellectuelle qu'on appelle l'esprit, la portion mentale, la partie supérieure.
Cela étant ainsi, il est manifeste que le Cœur spirituel de la bienheureuse Vierge, c'est cette partie intellectuelle de son âme qui comprend sa mémoire, son entendement, sa volonté et la suprême pointe de son esprit. C'est ce Cœur qui est exprimé en ces premières paroles de son admirable Cantique :
Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit est transporté de joie en Dieu mon Sauveur (5). Car c'est l'esprit, qui est la première et la plus noble partie de l'âme, qu'il appartient premièrement et principalement de glorifier Dieu et de se réjouir en lui.
(1) Joan. XVII. 3.
(2) « Charitas Dei diffusa est in cordibus nostris. » Rom. V, 5.
(3) « Quoniam autem estis filii, misit Deus Spiritum Filii sui in corda vestra. » Galat. IV, 6.
(4) « Flecto genua ad Patrem Domini nostri Jesu Christi,... ut det vobis... Christum habitare per fidem in cordibus vestris.» Ephes. III, 14-17.
(5) « Magnificat anima mea Dominum. »Luc. I, 46.