Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour la Fête du Très Saint Sacrement

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Laetitia
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Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour la Fête du Très Saint Sacrement

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PREMIER SERMON POUR LA FÊTE DU TRÈS-SAINT SACREMENT,

OÙ L'ON EXPLIQUE L'ÉVANGILE ; PUIS ON MONTRE QUE TOUTES LES PROPRIÉTÉS DE LA NOURRITURE CORPORELLE SE TROUVENT SPIRITUELLEMENT DANS LE SACREMENT DE L'EUCHARISTIE, COMME L'ENSEIGNE LE CONCILE DE FLORENCE.

Caro mea vere est cibus, et sanguis meus vere est potus.
Ma chair est véritablement viande, et mon sang est véritablement breuvage.

Joan. VI, 56.

Très-chers frères, quoique tous les mystères que la foi catholique nous propose aient droit à une égale croyance, parce qu'ils s'appuient également sur la révélation de Dieu, il en est cependant quelques-uns de plus difficiles à comprendre. De ce nombre est la puissance de la grâce, qui élève l'homme au-dessus de sa nature, le renouvelle, et en le faisant renoncer à son ancienne manière de vivre, le transforme en une autre créature. De là vient qu'ayant entendu le Seigneur parler de ce sujet, Nicodème, quoique maître en Israël, ne put comprendre et fit question sur question. Ainsi, comme le Seigneur disait, qu'il faut que l'homme naisse de nouveau, pour être digne du royaume des cieux, son interlocuteur étonné s'écria : « Comment peut naître un homme, qui est déjà vieux ? Peut-il rentrer dans le sein de sa mère, pour naître une seconde fois ? » Jésus-Christ ayant répondu que cela avait lieu par la vertu du Saint- Esprit, qui faisait vivre l'homme d'une vie spirituelle et nouvelle, Nicodème, non moins étonné qu'auparavant, demanda : « Comment cela se peut-il faire ? » Alors Jésus lui dit : « Quoi, vous êtes maître en Israël, et vous ignorez ces choses ? En vérité, je vous déclare, etc. Si vous ne me croyez pas, lorsque je vous parle des choses de la terre, comment me croirez-vous, quand je vous parlerai des choses du ciel ?» Joan. III, 1 et seq.

Quand donc, Seigneur, avez-vous parlé d'intérêts terrestres, vous qui toujours avez appelé les hommes à l'amour des choses célestes et au mépris des choses de la terre ? Jamais assurément. Mais ici, mes frères, il appelle terrestres les enseignements de la philosophie morale, qui sont une partie, et une partie non méprisable de la loi divine ; il les qualifie de terrestres, parce que la lumière de la raison humaine y peut atteindre. C'est comme s'il disait : « Quand je vous communiquais des enseignements accessibles à la raison humaine, vous ne me croyiez pas ; bien plus, les pharisiens, esclaves de l'avarice, se moquaient de ma doctrine, lorsque j'invectivais contre l'avarice et la passion des richesses ; comment donc me croirez-vous, si je vous parle des choses célestes, qui sont au-dessus de la portée de l'esprit humain ? » Or, tels étaient les enseignements que le Sauveur donnait alors à Nicodème sur la régénération de l'homme par l'infusion de l'Esprit.

Ces mystères sont donc presque inaccessibles et incompréhensibles pour ceux qui n'en ont pas l'expérience. Aussi le Seigneur dit- il dans l’Apocalypse : « Je donnerai au victorieux une manne cachée, et un nom nouveau, que nul ne connaît, que celui qui le reçoit. » Vincenti dabo manna absconditum, et nomen novum, quod nemo scit, nisi qui accipit. Apoc. 11, 17. Par ce nom nouveau il est clair qu'il faut entendre un être nouveau, une nouvelle vie. Et à moins de la recevoir, personne ne connaît cette vie ; c'est-à-dire, personne ne sait combien elle est haute, pure et heureuse.

Mais à quoi bon ce préambule ? – C'est qu'aujourd'hui nous avons à parler du moyen qui procure aux justes cette vie nouvelle, de la nourriture divine qui les rend en quelque sorte divins, c'est-à-dire de l'Eucharistie, de ses propriétés et de ses effets merveilleux. Il faut donc supplier Celui qui est contenu dans ce sacrement,de nous éclairer de sa lumière, afin que nous puissions parler dignement et intelligiblement d'un si grand mystère. Que si nous ne pouvons saisir pleinement ce qui sera dit, contentons nous de la foi; car nous sommes tenus, non de comprendre, mais de croire. Ce sera même pour nous une occasion de perfectionner notre foi, qui est d'autant plus méritoire, que la raison humaine lui prête moins d'appui.

Nous exercerons en même temps notre charité, comme le Seigneur l'a figuré dans la loi, en ordonnant qu'aucune partie des chairs de l'agneau pascal ne fût réservée pour un autre jour : « S'il en reste quelque chose, dit-il, vous le brûlerez dans le feu. » Exod. XII, 10.
Qui pensera que ce précepte du Seigneur ne cache pas un mystère ? Gardons-nous de croire que la sagesse divine prescrive quelque chose d'oiseux ou de superflu. Qu'a-t-elle donc voulu insinuer ici ? Elle a voulu nous donner à entendre que, dans le mystère de l'agneau pascal, immolé pour nous sur la croix, ce qui est au-dessus de la portée de l'esprit humain, doit nous exciter davantage à aimer Dieu ; car nous voyons par là que la magnificence et la tendresse de la bonté divine ont été telles à l'égard des hommes, que pour notre salut elle a opéré des œuvres qui surpassent toute intelligence humaine, des œuvres qu'il n'est guère moins étonnant que les hommes aient crues, qu'il ne l'est que Dieu les ait faites. Ainsi, ce qui est pour les incroyants l'occasion d'une plus grande infidélité, alors qu'ils ne croient pas à la réalité de ce que leur esprit ne saisit pas, est pour nous un excitant à un plus grand amour de Dieu, quand nous contemplons la munificence de la libéralité divine, qui a fait pour les hommes ce que leur intelligence est impuissante à comprendre. C'est donc ainsi, qu'à l'exemple des Juifs, nous brûlons, par le feu de la charité, ce dont notre intelligence ne peut se nourrir.

Pour entendre aujourd'hui, dans ces sentiments, les propriétés et les mystères de l'agneau pascal, implorons humblement l'assistance céleste par l'intercession de la très-sainte Vierge.
Ave, Maria.
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Laetitia
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Le saint évangile de ce jour est rempli de tant de mystères, qu'il serait impossible de les expliquer convenablement dans un seul discours. Mais avant d'arriver à cet évangile, il faut exposer ce qui le précède, afin que nous voyions l'enchaînement des faits.

Peu après le miracle mémorable par lequel notre Seigneur, avec cinq pains, avait rassasié cinq mille hommes, ceux-ci étant revenus le trouver, il leur fit des reproches, de ce qu'un si grand prodige ne les avait pas gagnés à la foi. Ils demandèrent alors, pour croire en lui, un autre miracle plus magnifique, et comme ils alléguaient que Moïse en avait opéré un plus merveilleux, en nourrissant autrefois leurs ancêtres dans le désert pendant quarante ans, le Sauveur, profitant de l'occasion, ouvrit les précieux trésors de la doctrine de l'Eucharistie,moins pour eux que pour nous, qui croyons en sa parole. Il montra dans un long discours que l’Éternel avait donné aux hommes un pain plus merveilleux, en envoyant au monde son fils, par qui les hommes devaient vivre d'une vie, non corporelle, précaire, et sujette à mille douleurs, mais spirituelle, divine et immortelle.
Et, après avoir donné ces enseignements et bien d'autres sur l'excellence de ce pain, il ajouta ces paroles que nous lisons dans le saint évangile de ce jour : « Ma chair est véritablement viande, et mon sang est véritablement breuvage. »

Pour comprendre cette pensée, il faut savoir que, parmi les créatures, il y en a qui existent seulement, sans avoir la vie : tels sont les éléments, les pierres et les métaux ; et d'autres, au contraire qui outre l'existence ont la vie, comme les plantes, les bêtes, les hommes, les anges. Toutes celles qui vivent ont un point commun, c'est qu'il leur faut une nourriture pour sustenter leur vie. Ainsi les unes se nourrissent sur la terre, les autres dans l'eau, d'autres dans l'air ; d'autres enfin ont une nourriture plus épurée ; car les anges, étant doués de vie, ont aussi leur aliment, qui les soutient. Voilà pourquoi l'ange Raphaël dit à Tobie : « Il vous a paru que je buvais et que je mangeais avec vous ; mais moi, j'use d'une viande invisible, et d'un breuvage qui échappe aux yeux des hommes. » Tob. XII, 19.

Il y a en effet cette distinction à établir au sein des créatures vivantes, que les corporelles se nourrissent d'un aliment corporel, tandis que les créatures spirituelles usent d'un aliment spirituel. Mais comme, entre tous les êtres animés, l'homme seul est composé d'un corps et d'une âme, il s'ensuit qu'il a besoin de deux aliments, dont l'un soutienne la vie du corps, et l'autre, celle de l'âme. Le premier lui est commun avec les bêtes, à la nature desquelles il participe ; et le second, avec les substances spirituelles, auxquelles il ressemble par son âme. De sorte qu'il partage la nourriture de tous les êtres dont il partage la condition. En effet, saint Augustin l'a dit : « Les hommes ont le même aliment que les anges, quoique cependant il y ait une différence. Car ceux-ci se rassasient et trouvent la béatitude en voyant Dieu et le possédant à découvert ; tandis que nous, c'est en contemplant et en aimant la beauté et la bonté infinies, que nous vivons de la vie spirituelle, qui n'est autre que la charité. Oui, la vie spirituelle consiste dans l'amour de Dieu. Car qui aime, vit; et qui n'aime pas, ne vit pas ; c'est la parole même de saint Jean : « Qui n'aime point, demeure dans la mort. » I Joan. 111, 4. De là cette maxime : La vie ne sert à rien, à qui n'aime pas Dieu. » Il résulte donc de tout ce que nous avons dit, que Dieu même est la nourriture des anges et de nos âmes, nourriture dans laquelle ils trouvent la béatitude, et nous, la vie spirituelle.

Puis donc que Dieu lui-même est présent en réalité dans cet auguste sacrement, le Sauveur a eu raison de dire dans le saint évangile de ce jour : « Ma chair est véritablement viande, et mon sang véritablement breuvage. » C'est une nourriture ainsi appropriée à la noblesse de nos âmes, que la divine Providence devait nous destiner. Car elle a plus de souci des grandes choses que des petites. Or, notre âme est infiniment plus relevée que le corps. Par conséquent, cette providence, qui procrée sur la terre et dans la mer, pour l'alimentation du corps, tant de productions diverses, tant de fruits, tant d'espèces d'oiseaux, de poissons et de quadrupèdes, tant de variétés de condiments, a dû trouver pour notre âme quelque chose de plus noble que tous ces produits, c'est-à-dire, une nourriture appropriée à l'élévation d'une nature spirituelle ; nourriture qui, comme nous l'avons dit, n'est autre que Dieu même, contenu dans ce sacrement.
Quand vous voyez tant d'aliments divers destinés à nourrir les corps, ne vous étonnez point que nos âmes n'en aient qu'un seul, puisque ce seul aliment contient en soi la vertu et la suavité de tous les aliments spirituels. La nature multiplie les choses qui sont imparfaites, afin que toutes ensemble elle fassent ce qu'une seule ne pourrait faire. Mais celles qui sont parfaites, sont uniques. Par exemple, il n'y a au monde qu’un soleil, parce que sa splendeur est parfaite, et il y a un grand nombre d'astres, parce que leur lumière est médiocre. Donc, puisque dans l'Eucharistie est contenu celui qui contient tout, cette nourriture a dû être unique, parce que, seule, elle tient lieu de tout, et est au-dessus de tout. Aussi est-ce avec une justesse frappante qu'elle est figurée par la manne fournie à nos pères, laquelle réunissait en soi toutes les saveurs les plus délicieuses.

L'Eucharistie étant donc la vraie pâture des âmes, on y trouve au plus haut degré tous les effets et toutes les utilités de la nourriture. Car ce n'est pas métaphoriquement, c'est vraiment et proprement qu'on l'appelle une nourriture, quoiqu'elle soit destinée à nourrir les âmes, et non les corps. Aussi, dans le concile de Florence, il fut défini que ce pain céleste produit dans les âmes des justes, ce qu'opère dans les corps la nourriture matérielle. Mais, comme cette courte définition renferme beaucoup de choses, nous allons les exposer une à une dans le présent discours, d'autant plus que notre Seigneur a exprimé la même pensée dans le saint évangile de ce jour.

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I.

I. D'abord, la nourriture corporelle sustente le corps, et éloigne la mort en maintenant les esprits vitaux ; de même cette nourriture spirituelle conserve l'âme dans la vie de la justice, et la préserve du péché mortel, qui lui ferait perdre la vie spirituelle.

II. Ensuite, la nourriture corporelle donne au corps des forces et de l'énergie. Ceux qui voyagent à pied en font l'expérience, lorsqu'après avoir bu et mangé, ils retrouvent leurs forces qu'avait épuisées la fatigue de la marche. Or, cela convient parfaitement à ce pain céleste, qui confère à ceux qui le reçoivent dignement le courage spirituel et l'énergie nécessaire pour marcher d'un pas ferme et sûr dans la route épineuse de la vertu. C'est parce qu'il donne cette énergie et cette force pour accomplir ce genre de voyage, qu'on le nomme aussi viatique. Nous lisons dans l’Écriture, qu’Élie, après avoir mangé le pain cuit sous la cendre, offert par l'ange, et qui était la figure de ce pain spirituel, y trouva force et vigueur, et marcha pendant quarante jours, sans prendre d'autre nourriture, jusqu'à ce qu'il fût arrivé à Oreb, la montagne de Dieu. III Reg. xix, 5 et seq.

Nous aussi, mes frères, puisque nous marchons vers la montagne de la céleste patrie, dont Oreb nous offre l'image, et que ce chemin est long, difficile, et embarrassé de mille entraves, pensons que l'ange qui réveilla Élie dit à chacun de nous : « Lève-toi et mange ; car il te reste une longue route à faire, une route que nul ne peut accomplir, sans le céleste viatique. » C'est surtout, mes frères, dans la solennité présente que cette parole doit retentir à vos oreilles. Car beaucoup s'imaginent qu'ils ont fait assez, lorsqu'ils ont accompagné cet auguste sacrement par les voies publiques avec toute la pompe et toute la solennité possibles. Sans doute, cet hommage lui est dû au titre le plus sacré ; mais la meilleure manière de le vénérer, c'est de le recevoir au fond de notre cœur avec toute la ferveur de la piété et de la dévotion. En effet, tel en est le principal usage, celui pour lequel il a été institué par l'auteur de notre salut. Certes, il y a de la piété, de la religion, à accompagner par les voies publiques ce pain céleste exposé à l'adoration de tous ; cependant notre piété et notre dévotion ne doivent pas s'arrêter là ; nous devons aller plus loin ; nous devons nous en nourrir avec empressement, et lui donner pieusement un asile dans notre cœur. Mais pour nous épargner de la peine, et pour n'être pas obligés de purifier notre âme, nous observons soigneusement, il est vrai, la première pratique, tandis que la seconde est négligée d'une grande partie des fidèles.

III. Ce pain céleste a encore une autre propriété, qui lui donne beaucoup d'analogie avec le pain matériel. Car ce dernier, outre qu'il fortifie et nourrit les corps, les augmente en même temps. Ainsi, au moyen de la nourriture quotidienne, les corps des enfants grandissent et parviennent à leur entier développement. De même, ce pain céleste, toutes les fois qu'il est pris, ajoute à la grâce, aux autres dons du Saint-Esprit, et aux vertus, de sorte que les justes, avançant de vertu en vertu, grandissent dans la vie spirituelle, et de petits enfants, ayant besoin de lait, deviennent des hommes parfaits en Jésus-Christ. Aussi saint Thomas affirme t-il qu'il n'y a pas de sacrement plus utile au salut, parce que par lui les vertus se perfectionnent, et que l'âme se remplit de l'abondance de tous les dons spirituels. Ce qui fait dire à Tertullien : « Votre bouche reçoit le corps du Seigneur, mais au dedans l'âme s'engraisse de Dieu. »
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IV. En outre, la nourriture corporelle rétablit le corps épuisé par la fatigue ou la maladie. C'est précisément ce qu'opère ce pain spirituel dans les âmes des justes. Car son effet propre est la réfection spirituelle, c'est-à-dire le renouvellement d'un esprit affaibli. En effet, la chaleur malfaisante de la concupiscence innée dévore incessamment les biens spirituels ; c'est-à-dire, elle nous en détourne avec force, et nous porte vers les biens terrestres, qui ont avec elle tant d'affinité.
Pour combattre cette maladie de la nature déchue, le Seigneur a institué cette nourriture divine qui, nous faisant goûter la suavité des choses célestes, nous détourne des délices de la chair, et nous porte à l'amour des biens spirituels. Voilà pourquoi saint Thomas dit qu'on ne saurait trop recourir à ce sacrement, dont le fréquent usage renouvelle la ferveur languissante et la dévotion attiédie de notre âme.
En effet, de toutes les misères de la vie humaine, la première ou la principale, c'est que, tandis que la concupiscence est fixée en permanence au fond de nos entrailles, la dévotion et la ferveur de la charité ne tiennent à nous, s'il est permis de parler ainsi, que par un fil si mince, qu'il ne faut rien pour les mettre en fuite ou pour les faire languir, à moins que nous n'ayons fréquemment recours à tout ce qui peut exciter ces pieux sentiments. De même que, si vous éloignez du feu l'eau bouillante, elle retourne bientôt à sa froideur native ( car ce dernier état lui est naturel, tandis que l'autre lui vient d'une cause extérieure ) ; de même la concupiscence, née avec nous, fait partie de notre nature pendant toute la vie, au lieu que la dévotion et la ferveur de la charité nous viennent du dehors, c'est-à-dire, d'un don surnaturel de Dieu, de la vertu des sacrements, de l'étude et de la pieuse contemplation des choses spirituelles. De là il résulte que, si vous retranchez ces excitants de la dévotion, celle-ci s'allanguit, ou périt tout-à-fait ; tandis que la concupiscence, restant toujours attachée à nos entrailles, nous sollicite sans cesse au mal. Ce sacrement divin étant donc la principale cause de la ferveur et de la dévotion, il faut le fréquenter pieusement et saintement, afin qu'il ranime et rétablisse des sentiments si nécessaires.

V. A toutes ces propriétés, il faut en ajouter une autre, qui n'est pas moins commune à l’Eucharistie et à l'aliment matériel. Ce dernier a pour effet de modifier peu à peu dans le sens de sa nature le corps de celui qui le prend. Ainsi nous voyons que la chair des poissons est froide et humide, par la raison que leur nourriture est l'eau, naturellement humide et froide. Ainsi encore, les médecins, sachant que la chair de la tortue est un spécifique efficace contre la phthisie, mais qu'elle inspire de la répugnance aux malades, nourrissent de cet aliment de jeunes poulets qui, ainsi engraissés, ont pour guérir cette maladie la même efficacité que la chair de tortue. Cette propriété d'assimilation, le pain des anges la possède à un bien plus haut degré que toute autre nourriture. En effet, les autres aliments se transforment en la substance de celui qui les absorbe ; mais la nourriture céleste ne se change aucunement en la nature de celui qui la reçoit ; au contraire, c'est elle qui transforme celui-ci en sa propre nature. Aussi le Seigneur dit-il à saint Augustin : « Je suis le pain des forts; grandis, et tu me mangeras. Tu ne me changeras pas en toi, comme la nourriture de ta chair, mais tu te changeras en moi. »
On comprend par là le principal effet de ce sacrement vénérable, qui est, suivant saint Thomas, de rendre peu à peu divins, c'est-à-dire purs, saints, innocents, immaculés, ceux qui le fréquentent avec dévotion et humilité. Et c'est ce que le Sauveur enseigne principalement dans le saint évangile de ce jour, quand il dit : « Qui mange ma chair, et boit mon sang, demeure en moi, et moi en lui. » Il explique par une similitude sublime le résultat de cette cohabitation, lorsqu'il ajoute : « Comme mon Père qui m'a envoyé est vivant et que je vis par mon Père, de même celui qui me mange vivra aussi par moi. » C'est-à-dire, comme ma vie est la même que celle de mon Père, parce que mon Père est en moi ; ainsi la vie de celui en qui je résiderai sera semblable à ma vie, elle reproduira la pure image de mon innocence, de ma justice et de ma sainteté.
Or cette grande transformation de l'homme, par laquelle le juste reçoit ce nom nouveau dont parle l’Apocalypse, comme nous l'avons vu, qui est-ce qui peut la comprendre, sinon celui qui l'a subie par un bienfait de Dieu ? Voilà pourquoi,mes frères, au commencement de ce discours je vous ai avertis que les dons de la grâce divine, en vertu desquels l'homme se transforme en une créature nouvelle, sont obscurs pour les âmes qui ne les ont pas reçus, et ne sont perceptibles pour ces âmes que par la foi.
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II.

Parmi les aliments, il en est de si salutaires, qu'ils sont en même temps des remèdes. Le pain céleste possède cette propriété à tel point, qu'on l'appelle médicament, aussi bien qu’aliment. Ce qui fait dire à saint Cyprien : « Ce pain substantiel profite à la vie et au salut de l'homme tout entier ; il est tout à la fois un médicament et un holocauste, pour guérir les maladies et effacer les iniquités. » In serm. de Cena Domini. Il est le remède de cette terrible maladie qui a infecté toute la nature humaine, et qui est la source de tous les maux, soit du corps, soit de l'âme. L'auteur et modérateur du genre humain, qui a procréé tant de plantes, tant de minéraux, et tant d'espèces de médicaments pour la guérison des maladies corporelles, ne pouvait négliger les maladies bien plus graves et plus nombreuses de notre âme, qui est la plus noble partie de cet univers. Or, la principale de ses maladies, et la source de toutes les autres, est celle dont nous venons de parler, et qui a reçu des théologiens un grand nombre de noms, à cause de la multiplicité de ses moyens de nuire. Car les uns l'appellent concupiscence ou convoitise ; les autres, langueur de la nature ; d'autres, foyer du péché; d'autres encore, vice de nature, tyran, aiguillon de la chair. Quant à l'Apôtre, il la qualifie tantôt de loi des membres, tantôt de corps du péché, tantôt de chair, tantôt même de péché, non pas qu'elle en soit réellement un, mais parce qu'elle excite à les commettre tous.

L'Apôtre, qui désirait vivement se délivrer de cette maladie, s'écriait : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? » Infelix ego homo, quis me liberabit de corpore mortis hujus. Rom. vii, 24. Le médecin céleste a institué un remède efficace contre cette funeste maladie de la nature : c'est le sacrement de l'Eucharistie, par le moyen duquel notre âme, rassasiée et enivrée de douceurs spirituelles, repousse facilement les biens terrestres, en tant qu'ils excitent au mal et qu'ils fomentent le péché. Saint Bernard l'atteste en ces termes : « L'ardeur de la charité éteint l'ardeur des autres désirs, et la suavité de l'onction spirituelle bannit la douceur empoisonnée des vices. » Le même saint montre en ces termes que cette guérison de l'âme est un effet de l’Eucharistie : « Si quelqu'un de vous, mes frères, ne ressent plus si souvent les mouvements funestes de la colère, de la luxure, de l'envie, ou des autres fléaux de ce genre, qu'il rende grâces au corps et au sang du Seigneur ; car la vertu du sacrement opère en lui. » Ainsi les passions et les mouvements tumultueux, qui siégent dans la partie inférieure de notre âme, sont si bien assoupis et calmés par ce pain céleste, et par la ferveur de la dévotion dont il échauffe notre cœur, qu'alors ils ne nous harcellent plus guère, et ne nous étourdissent plus de leurs clameurs et de leurs exigences importunes.

Permettez-moi, mes frères, de vous présenter à ce sujet un exemple fabuleux. Car quoique les fables ne prouvent rien, elles peuvent cependant, suivant la remarque d’Eusebe Emissène, aider à expliquer des points obscurs. Les poètes racontent donc qu’Énée, ayant voulu descendre aux enfers pour voir son père Anchise, reçut de la Sibylle un pain enchanté, afin qu'apercevant Cerbère, ce chien à trois têtes, chargé d'éloigner de ces lieux les vivants, il le lui jetât dans la gueule, et pût ainsi, en calmant, sa fureur et sa rage, entrer librement aux enfers, et en sortir sain et sauf. Cet exemple, tout fabuleux qu'il est, représente parfaitement, et la maladie de notre nature, et le remède qui peut nous guérir. En effet, dans notre cœur est caché un cerbère à trois têtes, c'est-à-dire, la concupiscence, de laquelle vient le triple amour des honneurs, des richesses et des voluptés, amour si emporté que, pour obtenir ces choses, il bouleverserait tout l'univers. Et le remède à un si grand mal est ce pain consacré par la puissance de Dieu, et par le ministère des prêtres, pain qui, reçu pieusement, saintement, et fréquemment, calme et adoucit merveilleusement la rage et la faim de ce monstre à trois têtes.

Mais des fables passons à un fait historique. L'arche d'alliance, image de ce sacrement, nous représente aussi la propriété qu'il a de guérir notre âme. Dès qu'elle fut arrivée sur les bords du Jourdain, les eaux du fleuve s'arrêtèrent, et malgré la pente qui les portait à descendre, demeurèrent suspendues comme une montagne. Jos. III, 13. Miracle, qui arrache au Prophète ce cri d'étonnement: « 0 mer, pourquoi t'es-tu enfuie ? Et toi, Jourdain, pourquoi es-tu retourné en arrière ? » Ps. cxi, 5.
C'est-à-dire, les eaux ne se sont ainsi arrêtées que par l'effet de la toute puissance divine, et comme il le dit plus loin, « à la présence du Seigneur, » a facie Domini. Si ce miracle excite à un tel point l'admiration du Prophète, combien n'est-il pas plus admirable de voir nos passions si variées et si nombreuses, qui, par le vice de la nature déchue, tendent toujours à descendre, de les voir, dis-je, comprimées et réfrénées au point qu'elles demeurent immobiles, ou même qu'elles montent vers les régions supérieures sous l'inspiration de l’Esprit-Saint ? Vraiment, cela n'est pas moins admirable que de voir les eaux du Jourdain s'arrêter, et refluer vers leur source, ou s'élever en montagne. Et ce changement s'accomplit réellement « à la présence du Seigneur, » a facie Domini, parce que c'est l'efficacité de ce sacrement qui opère de telles merveilles.

De plus, comme de tous les mouvements désordonnés de l'âme, le désir de la volupté est le plus impétueux ( car les théologiens conviennent que c'est la blessure la plus dangereuse de la nature déchue), ce sacrement a une efficacité toute particulière pour guérir cette blessure. Ces paroles du Prophète le disent clairement : « Qu'est-ce que le Seigneur a de bon et d'excellent à donner à son peuple, sinon le froment des élus, et le vin qui fait germer les vierges ? » Quid bonum ejus, nisi frumentum ejus, aut quid pulchrum electorum, et vinum germinans virgines ? Zach. ix, 17. Or, qu'est-ce que le froment des élus, sinon le pain des anges ? Et qu'est-ce que ce vin, sinon le sang de Jésus-Christ, qui est contenu sous l'espèce du vin ? Car l'autre vin ne fait pas germer les vierges ; tout au contraire, il attaque la virginité, au témoignage de l'Apôtre, qui dit : « Ne vous laissez point aller aux excès du vin, qui est une source de dissolution. » Ephes. V, 18. Mais ce vin céleste fait véritablement germer les vierges, parce que loin d'exciter au péché, il amortit la fièvre de la concupiscence, et inspire l'amour de la chasteté. Aussi, un homme, qui était vivement harcelé par l'esprit de fornication, n'osant à cause de cela se nourrir de la sainte Eucharistie ; son confesseur lui ordonna de s'approcher de ce divin mystère avec toute la dévotion et l'humilité possible, dès qu'il aurait terminé sa confession. Il le fit, et la fièvre de la concupiscence fut si bien calmée, qu'il n'en resta aucune trace. L'esprit immonde de la fornication ne put tenir devant la présence de l'Agneau immaculé.
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III.

Dans les propriétés et dans l'institution de ce sacrement, brille admirablement la sagesse de la divine Providence. Comme elle dispose toutes choses avec douceur et avec ordre, elle a voulu que la vie rentrât dans le monde par la même voie que la mort y était entrée. En effet, quatre choses ont concouru à la ruine du monde, savoir : un homme désobéissant, une femme orgueilleuse, un arbre interdit, et le fruit de cet arbre. Or, le Seigneur en a aussi destiné quatre au renouvellement du monde.
A l'homme désobéissant il a opposé un autre homme obéissant jusqu'à la mort ; à la femme orgueilleuse, une femme admirablement humble ; à l'arbre prohibé du paradis, l'arbre de la croix du Sauveur ; et au fruit meurtrier, le sacrement vivifiant de l'Eucharistie. De même que le Sauveur a fait disparaître les maux apportés par Adam ; Marie, les maux apportés par Eve ; l'arbre de vie, les maux apportés par l'arbre de mort : de même le pain de vie a délivré le monde de tous les maux qu'y avait semés le fruit défendu. De ce dernier aliment il est écrit : « Au même jour où vous en mangerez, vous mourrez certainement, « Genes. II, 17 ; du premier, au contraire, le Seigneur dit, dans le présent évangile : « Celui qui mange ce pain vivra éternellement. » L'un est donc le pain de mort, et l'autre est le pain de vie.
Ainsi ont été accomplies ces paroles de l'Ecclésiastique : « Chaque chose a son contraire ; l'une est opposée à l'autre, et rien ne manque aux œuvres de Dieu : « Omnia duplicia, unum contra unum, et non fecit quidquam deesse. Eccli. xlii, 25. Car la divine Providence remédie aux contraires par les contraires, non-seulement dans les œuvres de la nature, mais encore dans les œuvres de la grâce ; et pour préserver de la désorganisation les choses qu'elle a sagement établies, elle tempère ou combat la force des unes par la force des autres.
Puisque le Seigneur nous a conféré tant de bienfaits par la vertu de ce sacrement divin, qu'avons-nous donc à faire, mes frères, sinon à lui rendre d'incessantes actions de grâces pour un don si précieux, à célébrer perpétuellement ses louanges, à l'aimer de tout notre cœur et de toutes nos forces, lui qui a daigné ainsi nous visiter, nous nourrir, nous fortifier, nous consoler, nous rétablir, nous éclairer, s'unir à nous, habiter dans nos âmes, nous honorer de la majesté de sa présence, et nous faire participer à ses mérites et à ses travaux ? La faiblesse humaine sera-t-elle jamais en état de lui rendre de dignes actions de grâces pour de tels bienfaits ?

Mais comme le Sauveur, en nous faisant un don si précieux, nous savait incapables de l'en remercier dignement, lui-même, qui conférait le bienfait, s'est chargé de rendre grâces pour nous. Dès qu'il eut institué ce sacrement, il leva les yeux au ciel, et rendit grâces à son Père de ce qu'il avait bien voulu remédier si généreusement à l'infirmité humaine. En effet, de même que Dieu le Père, à cause des mérites de son Fils, nous a adoptés pour ses enfants, suivant ces paroles de saint Jean : « Considérez quel amour le Père a eu pour nous, de vouloir que nous soyons appelés, et que nous soyons en effet enfants de Dieu, » I Joan. III, 1 ; de même à cause des mêmes mérites, il nous a accordé cet immense bienfait, de nous faire asseoir à sa table, et de nous rassasier du pain des anges. Car c'est le même Fils de Dieu, qui, en se laissant voir, nourrit les anges dans le ciel, et qui, en se cachant, nourrit les hommes sur la terre.
(à suivre)
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Laetitia
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Re: Sermon de S. Louis de Grenade pour la Fête du Très Saint Sacrement

Message par Laetitia »

Un exemple montrera tout ce qu'il y a là pour nous d'honneur et de gloire. Entre les dernières recommandations que David mourant fit à son fils Salomon, il en est une à remarquer, c'est qu'il voulut que les fils de Berzellas de Galaad mangeassent toujours à la table royale. Il dit donc à Salomon : « Vous témoignerez aussi votre reconnaissance aux fils de Berzellaï, parce qu'ils sont venus au-devant de moi, lorsque je fuyais devant Absalon, votre frère. III Reg. II, 7. C'est-à-dire, quand presque tout le peuple israélite, après m'avoir abandonné, suivait Absalon, celui-là m'est resté ami fidèle, et a fourni à mon armée et à moi de précieux secours. Reconnaissant de ce bienfait, j'ai témoigné jusqu'ici ma gratitude à ses fils ; mais, ne me croyant pas quitte envers eux, je vous recommande de les admettre à votre table.

Je ne sais ce que je dois ici admirer le plus, ou Berzellaï, qui reste fidèle à David, quand tous l'avaient abandonné, quoiqu'il comprît le péril qu'il courait lui et ses enfants, si la victoire se déclarait pour le parti contraire ; ou David qui, non content d'avoir témoigné sa reconnaissance aux fils de Berzellaï par des bienfaits signalés, voulut, près de rendre le dernier soupir, c'est-à dire à un moment où l'on se souvient à peine de soi-même, que Salomon les honorât de la participation à sa table. Cette table était si splendide et si somptueuse, que parmi toutes les choses qui, à Jérusalem, ravissaient d'admiration la reine de Saba, on cite les mets et les échansons de la table royale, ainsi que le costume de ceux qui y servaient. III Reg. x, 5. Combien les fils de Berzellaï durent-ils se féliciter alors de la fidélité de leur père, qui leur valait une telle distinction : fidélité dont un seul acte était récompensé en leurs personnes par une gloire permanente !

Par cet exemple, pour le dire en passant, vous pouvez juger, mes frères, combien les justes se féliciteront, dans le ciel, des larmes et des travaux de leur vie passée, en récompense desquels ils se verront associés aux chœurs des anges, pour jouir éternellement des plus suaves délices à la table du vrai Salomon. Quelles sont ces délices ? La parole ne peut l'exprimer, ni la pensée le saisir.

Mais revenons à notre sujet. De même que les fils de Berzellaï furent honorés d'une telle faveur à cause de la fidélité et des mérites de leur père ; de même à cause des mérites de Jésus Christ, qu'Isaïe appelle le père du siècle futur, nous sommes honorés de la faveur insigne de nous asseoir,même dans cet exil, à la table du Tout-Puissant, et de nous repaître du même pain dont il se repaît, c'est-à-dire, de son Fils ; afin qu'aujourd'hui ce divin aliment nourrisse nos âmes dans la vie spirituelle, et que plus tard il nous rassasie dans la gloire céleste.

Au reste, quoique, ni dans le siècle présent, ni même dans le siècle futur, nous ne puissions rendre de dignes actions de grâces pour un tel bienfait ; cependant nous le ferons beaucoup mieux dans le siècle futur, lorsque nous reconnaîtrons que nous avons acquis la vie éternelle par le mérite de ce pain vivifiant. Car, ainsi que le Seigneur l'enseigne dans l'évangile du jour, cette nourriture diffère de celle qui fut donnée aux Hébreux dans le désert, en ce que celle-ci procurait la vie mortelle, tandis que l'autre assure l'éternelle vie. Voici ses paroles : « C'est ici le pain qui est descendu du ciel; il n'en est pas de ce pain comme de la manne que vos pères ontmangée, et qui ne les a pas empêchés de mourir. Celui qui mange ce pain vivra éternellement. » Quand donc nous jouirons de la vie éternelle, alors enfin nous rendrons à notre bienfaiteur des actions de grâces moins indignes pour ce pain qui nous y aura conduits. En attendant, témoignons-lui- en notre reconnaissance le mieux qu'il nous sera possible.
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Laetitia
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Re: Sermon de S. Louis de Grenade pour la Fête du Très Saint Sacrement

Message par Laetitia »

De ce que nous avons dit, il suit encore que Jésus-Christ notre Seigneur, nous ayant mérité par son précieux sang et par les douleurs de sa passion tant de grâces et de dons célestes contenus dans cet auguste sacrement, nous devons nous empresser de participer à une si grande faveur, de peur d'offenser notre Dieu en négligeant ses bienfaits. Car, pour un travailleur, la privation du salaire, qui lui est dû, est plus pénible que la peine de son travail. De là cette maxime : « Celui qui prive le mercenaire de sa récompense est frère de celui qui répand le sang, » Eccli. Xxxiv, 27 ; c'est-à-dire ils sont également coupables. Or, notre Sauveur accepte le nom de mercenaire, lui qui dit être venu pour nous servir, et que l'Apôtre appelle « ministre du sanctuaire. » Hebr. VIII, 2. Et la récompense de ce serviteur, ou mercenaire, c'est le salut et la vie qu'il nous a acquis par sa mort. Car son Père lui a promis cette récompense, quand il a dit par la bouche du Prophète : « Il verra le fruit de ce que son âme aura souffert, et il en sera rassasié..... Lorsqu'il aura livré sa vie en sacrifice pour le péché, il verra une longue postérité, etc. » Isa. Liii, 2 et 10. Nous privons donc de sa récompense ce généreux mercenaire quand, par nonchalance ou paresse, nous ne voulons pas user des secours qu'il nous a laissés dans ce sacrement, secours si utiles pour faire des progrès dans la vie spirituelle et pour acquérir la vie éternelle. En agissant ainsi, nous sommes frères des hommes cruels qui l'ont mis à mort ; car s'ils ont répandu son sang, nous en détruisons le fruit.

Et ne vous imaginez pas qu'il suffise de désirer ce pain céleste pour en recueillir tout le fruit. Il est vrai qu'en ce qui concerne les actes des vertus, si la volonté se porte avec ardeur et énergie à une bonne œuvre, elle en a le mérite aux yeux de Celui qui considère la bonne volonté ; mais, quand il est question des sacrements, le mouvement de la volonté sans l'œuvre n'a pas la même valeur que la volonté jointe à l'œuvre. En effet, les sacrements, par leur vertu propre, ex opere operato, comme on dit en théologie, confèrent la grâce à qui les reçoit dignement ; ceux qui ne les reçoivent point sont donc privés de cette grâce, quoiqu'ils ne perdent point le fruit de leur dévotion. Il ne serait pas plus raisonnable de s'éloigner de ce banquet céleste sous ombre de crainte et de respect. Sans doute cette crainte est digne d'éloges. Car on loue le centurion qui, par respect, ne souffrit pas que le Seigneur entrât sous son toit. Mais, d'un autre côté, on loue Zachée, qui le reçut avec joie dans sa maison. De même, il faut louer ceux qui, par suite d'une crainte religieuse, n'osent approcher de la table sainte, et il faut louer aussi ceux qui osent en approcher avec crainte et dévotion.

Mais quoique les uns et les autres soient dignes d'éloges, cependant, comme l'amour passe avant la crainte, ainsi que l'enseigne saint Thomas, il est mieux de s'approcher de ce sacrement par amour que de s'en abstenir par crainte et respect. On ne doit pas non plus admettre cette excuse vulgaire, qui consiste à dire que c'est assez de faire ce que prescrit l'Eglise, c'est-à-dire de s'approcher de la table sainte une fois l'an. Quoique cela suffise à la rigueur, il est néanmoins déplorable que les hommes se privent spontanément d'un tel bienfait et de si grands trésors de la grâce divine acquis par les travaux de Jésus-Christ notre Seigneur. L'immensité de ces trésors, l'Apôtre nous l'indique dans ce magnifique passage : « Cette grâce m'a été conférée à moi qui suis le moindre d'entre tous les saints, d'annoncer aux Gentils les richesses incompréhensibles de Jésus-Christ, etc. ) Mihi sanctorum minimo data est gratia hæc evangelizandi in gentibus impervestigabiles divitias Christi, etc. Ephes. III, 8. Et ailleurs : « Dieu a voulu faire connaître dans les Gentils les richesses de ce mystère, qui est Jésus-Christ. » Coloss. I, 27. Or, il est certain que les fidèles, toutes les fois qu'ils approchent dignement de ce sacrement, entrent en participation de ces richesses. Par conséquent, prétendre qu'il suffit de communier une fois chaque année, c'est dire : Je ne veux participer qu'une fois l'an aux immenses richesses qui nous sont conférées dans ce sacrement. N'est- il pas vraiment digne de pitié, celui dont la conduite équivaut à un tel langage ?
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Laetitia
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Re: Sermon de S. Louis de Grenade pour la Fête du Très Saint Sacrement

Message par Laetitia »

Au reste, en vous exhortant au fréquent usage de ce sacrement, nous vous exhortons aussi à vous en approcher avec de bonnes dispositions, c'est-à- dire avec une grande pureté de cœur et de corps. Rappelez- vous qu'il est écrit : « La sainteté est l'ornement de votre maison, Seigneur, dans la suite de tous les siècles. » Domum tuam decet sanctitudo, Domine, in longitudinem dierum. Ps. cxil, 5. Et : « La justice et l'équité sont les bases de votre trône. » Justitia et judicium præparatio sedis tuæ. Ps. LXXXVIII, 15. En effet, la demeure de Dieu doit être ornée de ces trésors de justice ; toute souillure du vice en doit être bannie pour qu'elle soit digne d'une si haute majesté. Ce qui fait dire à saint Athanase : « Si quelqu'un est souillé par la gourmandise, ou par des pensées honteuses, où il se complaise comme dans un bourbier ; s'il est travaillé de la haine et du souvenir des injures, comme d'un vertige ; si l'envie ou la colère trouble son cœur ; s'il est esclave de l'orgueil et de l'arrogance ; qu'il n'ose pas approcher de ces mystères purs et divins, avant d'avoir fait amende honorable par la pénitence, et avant de s'être purifié de toute souillure de la chair et de l'esprit. » Mais comme ce sacrement divin entre dans notre âme par la bouche, il faut surtout veiller sur cet organe, afin de conserver pur ce canal par lequel la vie descend en nous. Que notre bouche soit donc pure de paroles déshonnêtes, de médisance, de mensonge, de parjure, d'injures, et de ces imprécations par lesquelles on voue au démon des créatures de Dieu ; de cette manière le démon n'entrera jamais dans le canal par lequel Dieu entre en nous.

Ce que je vous demande, mes frères, c'est de rendre spirituellement à la sainte Eucharistie le culte qu'aujourd'hui vous lui avez tous rendu extérieurement. Car nous avons nettoyé toutes les rues par lesquelles passe le corps du Seigneur, nous avons couvert de tapis les murailles, nous avons jonché le sol de fleurs et de rameaux verdoyants, et nous avons déployé tous les ornements que nous avons pu. Puis donc que le même Seigneur entre, comme je viens de le dire, par notre bouche dans notre cœur, il faut purifier de tout vice, et parer de l'ornement des vertus, non-seulement le cœur où Dieu se choisit une habitation, mais aussi la voie qui lui donne accès à ce cœur. Il arrivera de là qu'après avoir préparé dans notre âme une demeure digne de Dieu, nous mériterons d'être reçus par lui dans les tabernacles éternels, où nous le verrons, l’aimerons, le louerons et le célébrerons à jamais par des hymnes et des cantiques, non plus sous les voiles du sacrement, mais dans l'éclat et la gloire de son immense beauté.
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