Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le dimanche de la Passion

Avatar de l’utilisateur
Laetitia
Messages : 2607
Inscription : ven. 20 oct. 2006 2:00

Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le dimanche de la Passion

Message par Laetitia »



DEUXIÈME SERMON POUR LE DIMANCHE DE LA PASSION.
Explication de l'Évangile.



Qui ex Deo est, verba Dei audit : propterea vos non auditis, quia ex Deo non estis.
Celui qui est de Dieu écoute les paroles de Dieu ; ce qui fait que vous ne les écoutez pas, c'est que vous n'êtes pas de Dieu.

Joann. VIII, 47.

Le Seigneur a coutume d'en agir à l'égard des pécheurs et des maladies de l'âme, comme les médecins à l'égard des maladies corporelles. Ces derniers emploient d'abord toutes les ressources de l'art de guérir ; mais s'ils n'obtiennent aucun résultat, soit parce que la violence de la maladie rend les remèdes inutiles, soit parce que le malade refuse de les prendre, alors ils abandonnent le traitement. C'est précisément ce que fait à l'égard des pécheurs le Médecin céleste. Il essaie d'abord de les guérir, tantôt par des avertissements publics, tantôt par des inspirations secrètes, tantôt par des châtiments ou des menaces terribles, tantôt par des bienfaits ou d'engageantes promesses, n'épargnant aucun moyen pour les rappeler à de meilleurs sentiments. Mais si tout cela est resté inutile, il les abandonne à leur obstination, sans leur ôter cependant les secours nécessaires au salut. C'est ce que nous voyons dans Jérémie, lorsqu'il nous représente les anges parlant de Babylone en ces termes : « Nous avons traité Babylone, et elle n'a pas été guérie ; abandonnons-la, et que chacun retourne en son pays, parce que la condamnation qu'elle mérite est montée jusqu'au ciel. » Jerem. LI, 9.

Le Sauveur en a agi ainsi avec les Juifs. Après leur avoir envoyé en vain des prophètes pour les guérir et les faire renoncer à leurs crimes, il a daigné venir lui-même à eux, afin qu'ayant méprisé les serviteurs, ils écoutassent du moins le Maître. Par mille moyens, il a essayé de les attirer à lui, et de guérir leur incrédulité et la dureté de leurs cœurs. Il a employé successivement les prodiges, les bienfaits, les exemples d'une sainteté admirable, et enfin la prédication assidue de la céleste doctrine, prédication par laquelle il produisait tant d'impression sur ses auditeurs, qu'on les entendait s'écrier : « Jamais homme n'a parlé ainsi. » Tous ces moyens ayant échoué, au point que, par un blasphème horrible, on osait attribuer ses bienfaisants miracles au prince des démons, il s'y prend différemment dans l'évangile de ce jour, et ne voulant négliger aucun remède, il a recours à des raisonnements du plus grand poids. Car l'homme, étant une créature raisonnable, ne peut dégénérer de sa nature au point de s'oublier lui-même, et de ne plus sentir la force d’un raisonnement. Comme donc, après avoir frappé Pharaon de plusieurs plaies, le Seigneur ajouta : « Je ne frapperai plus Pharaon que d'une seule plaie, et après cela il vous laissera aller, » Exod. 1, 1 ; de même notre Seigneur, après avoir inutilement employé tant de moyens, essaie, presque à la veille de sa mort, celui que nous lisons dans l'évangile de ce jour, décidé, s'il n'en peut tirer de résultat, à abandonner ces endurcis comme des malades incurables.

« Qui de vous, leur dit-il d'abord, me convaincra de péché ? » C'est comme s'il leur disait : « Pour obtenir créance, le meilleur titre, c'est la probité, c'est une vie sans tache. Qui donc d'entre vous pourra signaler une tache dans ma vie ? Quoique vous soyez mes ennemis, et que je pusse à bon droit vous récuser, cependant je vous fais juges de ma conduite. Qui de vous me convaincra de péché ? » Par où nous voyons, mes frères, que la vie du Sauveur fut tellement pure de toute faute et même de toute apparence de mal, que l'œil même d'un ennemi, malgré sa perspicacité proverbiale, n'y pouvait rien trouver à reprendre. Après avoir ainsi prouvé son innocence, il leur oppose en ces termes la vérité de sa doctrine : « Si je vous dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas ? » En effet, ce qui est appuyé sur le témoignage de Dieu, ne peut pas ne pas être vrai. Or, les œuvres que je fais en confirmation de ma parole n'appartiennent qu'à Dieu, et donnent à ma parole l'appui du témoignage de Dieu. Si donc ce que je prêche est aussi vrai qu'il l'est que Dieu ne peut mentir, pourquoi ne croyez-vous pas à ce témoin irrécusable ? Évidemment il faut attribuer votre manque de foi, non à un défaut de ma personne ou de ma doctrine, mais à vos mauvaises dispositions.
(à suivre)
Avatar de l’utilisateur
Laetitia
Messages : 2607
Inscription : ven. 20 oct. 2006 2:00

Re: Sermon de Saint Louis de Grenade pour le dimanche de la Passion

Message par Laetitia »

« Celui qui est de Dieu, écoute les paroles de Dieu ; ce qui fait que vous ne les écoutez pas, c'est que vous n'êtes pas de Dieu. » Chacun aime ce qui lui touche de près : le soldat, ses armes ; l'homme d'étude, ses livres; l'avare, son argent; l'ambitieux, les honneurs. Celui donc qui est de Dieu, c'est-à-dire, qui, animé de l'esprit divin, participe à la nature de Dieu, celui-là aime les choses divines, qui lui sont si familières. C'est ce qui fait que pour les saints rien n'est plus agréable que de prendre Dieu pour sujet de leurs entretiens, de leurs actions et de leurs pensées. Nous lisons de sainte Cécile qu'elle passait les jours et les nuits dans la prière. Et le royal Prophète s'écrie : « Combien est grand, Seigneur, l'amour que j'ai pour votre loi ! Elle est le sujet de ma méditation durant tout le jour. » Ps. CXVIII, 97. Que si tout homme, qui aime Dieu, s'occupe volontiers des choses divines, comment croire que l'on aime Dieu, lorsqu'on est sourd, muet, rempli d'aversion pour tout ce qui le regarde ?

Le Sauveur a donc bien raison de dire : « Ce qui fait que vous n'écoutez pas, c'est que vous n'êtes pas de Dieu. » Notre Seigneur ayant prononcé, pour éclairer les Juifs, cette parole si pleine de vérité, ceux-ci, persévérant dans leur malice, lui répondent : « N'avons-nous pas raison de dire que vous êtes un Samaritain, et que vous êtes possédé du démon ? » Voyez, je vous prie, comme ils sont aveugles en plein midi, comme l'envie, la haine et la méchanceté les enveloppent de ténèbres, lorsqu'ils outragent de cette manière Celui dont ils ne peuvent ni incriminer la vie, ni révoquer en doute la véracité, ni blâmer la doctrine. D'où venait un tel aveuglement, un jugement si dépravé, sinon de la corruption de leurs cœurs ? Car la cause de tous les mensonges et de toutes les erreurs, ce sont les mauvaises passions. Où la passion domine, il n'y a plus de place pour la raison et le jugement, mais l'erreur et le mensonge bouleversent tout. De là cette parole de César, rapportée par Salluste, et justement louée : « Tous ceux qui délibèrent sur des cas douteux, doivent être exempts de haine, d'amitié, de colère et de compassion. Une âme, occupée de ses passions, trouve difficilement la vérité, et nul n'a jamais consulté à la fois ses inclinations et ses intérêts. Si votre esprit s'applique, il est fort ; mais si la passion l'a envahi, elle domine, et l'esprit est sans force. » Cette parole, quoique venant d'un païen, montre parfaitement que les erreurs sont l'effet des mauvaises passions. Aussi, Alphonse, le célèbre roi d'Aragon, avait coutume de dire que s'il avait vécu au temps des Romains, il aurait fait bâtir près du lieu de réunion du sénat un temple à Jupiter Dépositaire, dans lequel les sénateurs, avant de délibérer sur les affaires de la république, auraient déposé toutes leurs passions, afin que, débarrassés de ces obstacles, ils pussent voir clairement la vérité et la proclamer sans crainte.

Si donc vous voulez éviter toute erreur, et prendre dans vos actions la vérité pour règle, il faut, dès qu'une passion vous agite, considérer votre jugement comme un témoin suspect ; autrement vous êtes en danger de vous tromper grossièrement. Pour confirmer cette assertion, je ne vous dirai pas que toutes les lois tiennent pour suspect le juge ou le témoin qui est dominé par la passion ; mais ce que je tiens à vous faire observer, c'est que les médecins les plus expérimentés, qui sont habitués à guérir les autres, reçoivent, dès qu'ils sont malades, la défense de se traiter eux-mêmes, tant l'homme est enclin à mal juger dans sa propre cause. Aussi les saints se défient tellement de leurs pensées, qu'ils osent à peine porter un jugement sur eux-mêmes, à moins que ce ne soit pour se faire des reproches. Ce qui fait dire à Salomon : « Le juste s'accuse lui-même le premier ; son ami vient ensuite, et il sonde le fond de son cœur. » Prov. XVIII, 17. C'est-à-dire, le juste, n'étant jamais content de lui, se défiant de lui-même, et craignant d'avoir péché, quoiqu'il ne l'ait pas fait, s'accuse toujours ; et quant au jugement à porter sur lui-même et sur tout ce qui le touche, il l'abandonne, comme le médecin malade, à un ami.
(à suivre)
Avatar de l’utilisateur
Laetitia
Messages : 2607
Inscription : ven. 20 oct. 2006 2:00

Re: Sermon de Saint Louis de Grenade pour le dimanche de la Passion

Message par Laetitia »

Voilà ce que font les justes ; mais les malheureux Pharisiens étaient bien éloignés d'une telle disposition, eux qui, aveuglés par tant de passions mauvaises, écoutaient avec une attention haineuse la doctrine de vérité, et avaient la folie de dire à l'auteur du salut : « N'avons-nous pas raison de dire que vous êtes un Samaritain, et que vous êtes possédé du démon ? » Que va répondre à cela le Seigneur ? Il leur dit simplement : « Je ne suis pas possédé du démon. » Quoi ! Seigneur, vous ne répondez pas au surnom injurieux de Samaritain ? Non, semble-t-il nous dire, car cela n'est injurieux que pour moi; mais c'est gravement insulter mon Père que d'attribuer ses œuvres au démon ; aussi je dois repousser cette insulte.

En effet, mes frères, la pratique de tous les saints a été de négliger les outrages qui ne s'adressaient qu'à eux, mais de s'indigner de ceux qui s'adressaient au Très-Haut, et de les repousser de toutes manières. Moïse « était le plus doux de tous les hommes qui demeuraient sur la terre. » Num. XII, 3. C'est le témoignage qu'il se rend à lui-même sous l'inspiration du Saint Esprit. Il pria plus d'une fois le Seigneur pour les Hébreux qui le poursuivaient et qui voulaient le lapider ; il pria pour sa sœur Marie, qui était jalouse de sa gloire, et il demanda qu'elle fût guérie de la lèpre. Et cependant cet homme si peu soucieux de sa gloire et de sa vie défendait si ardemment la gloire de Dieu, que pour punir les adorateurs du veau d'or, il ordonna aux Lévites de tuer en un seul jour trois mille hommes, sans épargner leurs propres fils ou leurs propres frères qui se rencontreraient parmi ces idolâtres. Et de quels éloges il combla les courageux exécuteurs de cet acte de justice ! « Aujourd'hui, leur dit-il, vous avez chacun consacré vos mains au Seigneur, en tuant votre fils et votre frère, afin que la bénédiction de Dieu vous soit donnée. » Exod. XXXII, 29. Pour l'adoration de l'idole de Phogor, il fit tuer non plus trois mille hommes, mais (chose étonnante) jusqu'à vingt-quatre mille, et il remplit tout le camp de sang et de cadavres, tant cet homme doux et oublieux des injures était prompt à combattre pour la gloire de Dieu. La disposition de tous les saints a donc été de veiller avec un soin pieux sur la gloire divine, et de pardonner avec longanimité les injures qui s'adressaient à eux : ce qui est le caractère de la vraie douceur et de la clémence, comme Sénèque le montre en ces termes par une comparaison fort juste : « La munificence, dit-il, consiste non pas à distribuer le bien des autres, mais à donner du sien. De même, j'appelle clément, non celui qui supporte avec patience la douleur des autres, mais celui qui, provoqué vivement, reste calme, et comprend qu'il est magnanime de souffrir les injures en possédant la puissance. » C'est ainsi que le Sauveur ne s'inquiète pas du nom injurieux de Samaritain, qu'on lui adresse, tandis que sensible à l'injure adressée à son Père, dont on attribuait les œuvres au démon, il la repousse par une raison péremptoire, en disant : « Je ne suis pas possédé du démon, mais j'honore mon Père, etc. »
(à suivre)
Avatar de l’utilisateur
Laetitia
Messages : 2607
Inscription : ven. 20 oct. 2006 2:00

Re: Sermon de Saint Louis de Grenade pour le dimanche de la Passion

Message par Laetitia »

Après avoir défendu par cette raison la gloire de son Père, notre Seigneur continue à montrer en ces termes l'utilité admirable de la doctrine qu'il enseignait : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si quelqu'un garde ma parole, il ne mourra jamais. » Voilà, mes frères, la récompense de ceux qui observent la parole de Dieu : ils évitent la mort éternelle, et ils acquièrent l'éternel bonheur. A cette récompense future, l'Apôtre en ajoute une présente, quand il dit : « Mais à présent étant affranchis du péché, et devenus esclaves de Dieu, votre sanctification est le fruit que vous en tirez, et la vie éternelle en sera la fin. » Nunc autem liberati a peccato, servi autem facti Deo, habetis fructum vestrum in sanctificationem, finem vero vitam æternam. Rom. VI, 22. Ainsi, en attendant la vie éternelle, qui est réservée pour le siècle futur, les justes reçoivent ici-bas du Seigneur comme les prémices de cette félicité, c'est-à-dire, la sanctification de l'âme, la pureté du cœur, la tranquillité de la conscience, la beauté de l'innocence, et la paix qui en est la compagne inséparable. Tous ces biens, assurés aux observateurs de la loi divine, sont compris sous le nom de sanctification de l'âme.

Mais notre Seigneur, en parlant ainsi, exposait des perles devant des pourceaux. Les Juifs, remplis de fureur, lui dirent : « Nous connaissons bien maintenant que vous êtes possédé du démon. Abraham est mort et les Prophètes aussi, etc. » Il leur répondit : « Si je me glorifie moi-même, ma gloire n'est rien, etc, Abraham votre père, a désiré avec ardeur de voir mon jour : il l'a vu, et il en a été comblé de joie. » Abraham a vu le jour du Sauveur, d'abord quand il a reçu de Dieu cette magnifique promesse : « Toutes les nations de la terre seront bénies par Celui qui sortira de vous. » Gen. XXII, 18. C'est-à-dire, de votre race naîtra un fils qui apportera au genre humain la rédemption et le salut. Rien ne put être plus agréable à ce saint homme que cette magnifique promesse. Il est donc vrai qu'il fut comblé de joie, quand il vit ce bienheureux jour. Il vit encore le jour du Sauveur, lorsque, dans le sacrifice de son propre fils, il contempla l'image du grand sacrifice qui devait rendre la vie au monde et multiplier la race des enfants de Dieu : spectacle qui dut aussi le combler de joie. Ne négligeons pas d'observer que notre Seigneur, en appelant son jour le jour de sa mort, nous montre l'immensité de son amour pour nous; cet amour lui fit trouver plus de joie dans notre vie que de peine dans sa mort ; voilà pourquoi le jour de notre rédemption est son jour, c'est-à dire, un jour de bon augure, de gloire et de joie, dans lequel, en vue de la joie qui lui était proposée d'opérer notre salut, « il souffrit la croix, en méprisant la honte, » Hebr. XII, 2.
(à suivre)
Avatar de l’utilisateur
Laetitia
Messages : 2607
Inscription : ven. 20 oct. 2006 2:00

Re: Sermon de Saint Louis de Grenade pour le dimanche de la Passion

Message par Laetitia »

Les malheureux Juifs, ne soupçonnant pas ce grand mystère, lui répondirent : « Vous n'avez pas encore cinquante ans; et vous avez vu Abraham ? » Il répliqua : « En vérité, je vous le dis, avant qu'Abraham fût, moi je suis. » Dans ces paroles, il faisait évidemment allusion à ses deux natures et à ses deux naissances, dont l'une est antérieure à Abraham, tandis que l'autre lui est postérieure. C'est aussi ce qu'avait en vue saint Jean-Baptiste quand il disait du Sauveur : « Il vient après moi un homme....., qui était avant moi. » Joann. I, 30. La première partie de cette phrase se rapporte à la nature humaine de Jésus-Christ, et la seconde à sa nature divine. Ces furieux, exaspérés par cette réponse, « prirent des pierres pour les lui jeter ; mais Jésus se cacha et sortit du temple. » Il se cacha, lui qui dans sa passion renversa d'un mot une cohorte de soldats qui venaient le saisir ; lui qui pouvait pétrifier les mains déjà étendues pour l'accabler de pierres, comme il paralysa le bras du roi Jeroboam, pour l'empêcher d'arrêter le Prophète qui lui annonçait des châtiments. III Reg. XIII, 4. Plein de miséricorde, et s'oubliant lui-même, « il se cacha et sortit du temple. » Mais en se cachant, comme autrefois il cacha Jérémie et Baruch, qu'un méchant roi voulait faire mourir, Jerem. XXXVI, 26, et en sortant du temple, il semblait dire déjà : « Le temps s'approche où votre maison demeurera déserte. » Ecce relinquetur vobis domus vestra deserta. Matth. XXIII, 38.

Peut-être quelqu'un s'effarouchera de cette fuite du Sauveur, et regrettera qu'en cette circonstance il n'ait point fait usage de sa puissance divine. Pour moi, loin de m'offusquer de cette apparence de faiblesse, je ne vois guère rien dans la vie du Sauveur qui me touche davantage, quand je considère combien différente a été sa conduite à l'égard de nos maux et à l'égard des siens propres. Il n'est point de maladies, de disgrâces, de calamités, de périls contre lesquels il n'ait déployé toute sa puissance quand il s'agissait de nous ; mais dans ses propres dangers, faisant à peine usage de cette puissance, il a donné tous les signes d'une extrême faiblesse. Aujourd'hui, comme s'il n'était qu'un homme, lui le souverain Maître de toutes choses, il se cache et sort du temple. Une autre fois, il parcourt la Galilée, « ne voulant pas aller en Judée, parce que les Juifs cherchaient à le faire mourir. » Joann. VII, 1. Quand la résolution de l'arrêter fut prise, « il ne se montrait plus en public parmi les Juifs, mais il se retira dans une contrée près du désert, en une ville nommée Ephrem, où il se tint avec ses disciples. » Joann. xi, 54. Quand les Samaritains lui refusèrent l'entrée de leur ville, ses disciples indignés lui ayant dit : « Seigneur, voulez-vous que nous commandions que le feu descende du ciel, et qu'il les consume ? » il apaisa leur colère par cette douce réponse : « Vous ne savez à quel esprit vous appartenez. Le Fils de l'homme n'est pas venu pour perdre les âmes, mais pour les sauver. » Luc. IX 55. Quoi de plus doux, je vous le demande, qu'une telle conduite ? Quoi de plus suave, de plus miséricordieux, de plus étonnant ? Ainsi pour guérir les autres notre Seigneur se montre tout-puissant, il agit en Dieu ; mais quand il s'agit de lui-même, il est homme, il est pauvre, il est faible, puisque pour se défendre il use non de sa puissance divine, mais d'expédients humains, comme la fuite, l'obscurité, les refuges inaccessibles.

Quelle est la raison de cette conduite ? On peut en indiquer plusieurs. D'abord il voulait montrer par là aux apôtres que, pour avoir la vraie charité, il faut chercher non ses propres intérêts, mais ceux du prochain. La vraie charité est toujours riche et puissante pour soulager les maux des autres ; toujours faible et pauvre pour remédier aux siens. Ensuite il voulait par ce moyen déraciner la convoitise qui nous porte à oublier les maux du prochain, et à ne penser qu'à nous et à nos intérêts, de sorte qu'on est pauvre quand il s'agit de faire l'aumône, mais qu'on est toujours riche pour se procurer des plaisirs et des honneurs. Il y a des hommes qui n'ont jamais une obole à donner à Jésus-Christ dans les pauvres, et qui pour une misérable satisfaction d'amour-propre dissipent leur patrimoine, ou se précipitent dans le gouffre de l'usure, d'où ils ne sortiront jamais. Enfin par ce même exemple, le Sauveur a voulu tempérer la puissance des magistrats et des princes, et leur faire entendre que pour bien s'acquitter de leurs fonctions, ils doivent user du pouvoir, non pour leur avantage,mais pour le bien des autres. En effet, comme dit Sénèque, la plus grande fortune est la plus grande servitude. Le même dit encore : « César, en se donnant à l'univers, a renoncé à lui-même. » Telle est la grande leçon que le Roi des rois et le Maître de toutes choses donne en fuyant, en se cachant, en se montrant faible et pauvre pour remédier à ses maux, lui qui est tout à tous ; et voilà pourquoi « il se cacha et sortit du temple. » Arrivons maintenant à l'explication de notre texte.
(à suivre)
Avatar de l’utilisateur
Laetitia
Messages : 2607
Inscription : ven. 20 oct. 2006 2:00

Re: Sermon de Saint Louis de Grenade pour le dimanche de la Passion

Message par Laetitia »

DÉVELOPPEMENT DU TEXTE.

Qui ex Deo est, verba Dei audit, etc....
Celui qui est de Dieu, écoute les paroles de Dieu, etc.


L’Église pour exciter les hommes au repentir de leurs fautes et à la réforme de leurs mœurs, emploie en ce saint temps beaucoup de moyens, et surtout la fréquente prédication de la céleste doctrine. Jamais ne retentit plus souvent dans les temples cette parole sainte qui appelle les fidèles à la pénitence, aux larmes, aux jeûnes, à la prière, aux œuvres de miséricorde, à la haine du péché. Malheureusement nous voyons chaque jour combien peu de résultat produisent tant de fatigues, c'est-à-dire combien est petit le nombre de ceux qui, à la voix du prédicateur, changent de conduite, et renoncent au joug du péché. C'est ce qu'avait en vue Isaïe, quand il disait : « Seigneur, qui a cru à notre parole ? » Isa. LIII, 1. Dans ce passage il prend le mot croire dans le sens d'obéir ; car l'Apôtre, dans l’Épître aux Romains, voulant prouver que tous n'obéissent pas à l’Évangile de Jésus-Christ, s'appuie sur ce témoignage du Prophète, ce qu'il ferait en vain, si le mot croire n'y était pris dans le sens d'obéir.

Puisque la parole de Dieu est souverainement efficace, et que parmi tous les moyens de salut il n'en est pas que l’Église emploie plus souvent, comment se fait-il que cette divine semence, tant de fois jetée dans nos cœurs, y donne si peu de fruit ? La faute n'en pouvant être à la parole de Dieu, qui est d'une puissance infinie, il est évident que c'est un effet de la mauvaise disposition des auditeurs. En effet, il y en a beaucoup que leurs maladies spirituelles et leurs passions empêchent de profiter des sermons qu'ils entendent. Ils sont tellement attachés à leurs vices, qu'aucune parole ne peut les y faire renoncer. Les uns retiennent le bien d'autrui, les autres nourrissent des désirs de vengeance, d'autres sont enchaînés par les liens d'un impudique amour. Si vous leur exposez le danger de leur état, si vous les menacez des châtiments qui les attendent, ils sont saisis de crainte et d'angoisse, ils tremblent, souvent même ils pleurent ; mais retenus par la violence de la passion, ils ne veulent pas rompre les liens dans lesquels le démon les tient captifs ; parce que si, d'un côté, la crainte de Dieu les ébranle, de l'autre la passion, l'amour impur les entraîne avec plus de force dans une direction opposée.
(à suivre)
Avatar de l’utilisateur
Laetitia
Messages : 2607
Inscription : ven. 20 oct. 2006 2:00

Re: Sermon de Saint Louis de Grenade pour le dimanche de la Passion

Message par Laetitia »

Il en est d'autres pires encore, dont le dieu de ce siècle ( c'est à-dire le démon ) a aveuglé les esprits, afin qu'ils ne soient point éclairés par la lumière de l’Évangile de la gloire de Jésus-Christ, qui est l'image de Dieu. » Il Cor. iv, 4. Ceux-là en sont venus à un tel point d'aveuglement et d'insensibilité que tout ce qu'on leur dit, les choses mêmes les plus claires, sont obscures et incompréhensibles pour eux. Le Prophète s'étonnait en ces termes de leur aveuglement : « Vous qui voyez tant de merveilles, votre cœur n'en est pas ébranlé ? Vous à qui la voix du Seigneur s'est fait entendre, vous ne l'écoutez pas ! » Qui vides multa, nonne custodies ? Qui apertas habes aures, nonne audies ? Isa. XLII, 20. Les malheureux en sont arrivés à ce point d'aveuglement, qu'ayant des yeux ils ne voient pas, et qu'ayant des oreilles ils ne comprennent pas. Car celui qui, entendant parler tous les jours de la gloire éternelle promise aux justes, des éternels supplices réservés aux méchants, de la mort inévitable pour tous, et de l'appareil formidable du jugement de Dieu, n'en est pas plus touché que s'il entendait un récit d'Homère, celui-là n'est-il pas sourd et aveugle ? De tels hommes n'entendent pas réellement la parole de Dieu, et c'est surtout à eux que s'applique cette parole du Sauveur : « Ce qui fait que vous n'écoutez pas, c'est que vous n'êtes pas de Dieu. »

La parole de Dieu leur est donc annoncée en vain ; et plût à Dieu que l'entendre sans la mettre en pratique leur fût seulement inutile, et n'attirât pas sur eux un surcroît de malheur ! La vérité connue et négligée, loin d'aider l'auditeur, empire sa condition. Aussi notre Seigneur disait aux Juifs qui se glorifiaient de posséder la loi de Dieu, et d'avoir eu Moïse pour législateur : « Moïse, en qui vous espérez, est votre accusateur. » Joann. V, 45. Car, au jour du jugement, qu'y aura-t-il de plus accablant pour les impies, que la loi même et le législateur ? C'est pourquoi Moïse, ayant terminé le livre de la loi divine, le donna à garder aux Lévites dans l'arche d'alliance, « afin, dit-il, qu'il y serve de témoignage contre vous. » Deut. XXXI, 26. Que dites-vous, Prophète ? Comment ordonnez-vous de garder en témoignage contre moi cet immense bienfait de la loi divine, que les saintes Lettres célèbrent partout, et qui nous ouvre le chemin de l'immortalité ? Parce que si c'est un magnifique bienfait pour les âmes justes, c'est un piège terrible pour les indifférents ? Quoi d'étonnant, que la loi divine ait ce double caractère, puisque Isaïe les attribue l'un et l'autre à notre Seigneur, en prophétisant qu'il devait être « une pierre fondamentale, » Isa. XXVIII, 16, et « une pierre de scandale ? » Isa. VIII, 14. Comprenez donc, vous qui ne vivez pas chrétiennement, à quoi vous serviront au jugement la loi et la foi même dont vous vous glorifiez.

Vous voyez, mes frères, que la doctrine céleste, qui contient le salut de l'homme, est un remède pour les uns, et devient pour les autres, par leur faute, une pierre d'achoppement. Saint Augustin l'atteste clairement en ces termes : « Depuis la création du genre humain, jusqu'à la fin des temps, les uns entendent la prédication pour leur bonheur, et les autres pour leur condamnation. Chacun en retire, selon sa disposition, la vie ou la mort. » C'est ce que le même saint Augustin explique par une comparaison fort ingénieuse : « Le Seigneur, dit-il, fait pleuvoir à la fois sur les moissons et sur les ronces ; mais la même pluie prépare les moissons pour le grenier, et les ronces pour le feu. De même la parole de Dieu tombe sur tous. Que chacun voie quelle est sa racine, et ce qu'il fait de cette pluie bienfaisante. S'il lui fait produire des ronces, en est-elle responsable, et ne faut-il pas l'imputer à la racine ? »

Il s'ensuit évidemment de là, mes frères, que la prédication n'est pas moins dangereuse que nécessaire, et qu'il n'en faut pas moins craindre le danger, qu'en accueillir avec joie le bienfait. L'abondance de la doctrine est un grand bien, et l'abus qu'on en fait est un grand danger. De même que le sacrement de l’Eucharistie est un magnifique présent de Dieu,mais que, si on le reçoit indignement, il attire des châtiments terribles sur le profanateur : ainsi en est-il du pain de la parole de Dieu, qui nourrit l'âme quand on le reçoit pieusement, et se change en condamnation quand on n'en profite pas. Et que nul ne s'étonne de nous voir comparer la parole de Dieu au sacrement de l'Eucharistie ; car saint Augustin s'est servi de cette même comparaison pour en tirer les deux conséquences que nous venons d'exposer : « Lequel, dit-il, vous paraît le plus saint, ou de la parole de Dieu, ou du corps de Jésus-Christ ? Si vous voulez répondre selon la vérité, vous direz que la parole de Dieu n'est pas inférieure au corps de Jésus-Christ, et que par conséquent ce n'est pas un moindre péché d'entendre négligemment la parole de Dieu, que de laisser tomber à ferre par négligence le corps de Jésus-Christ. »
(à suivre)
Avatar de l’utilisateur
Laetitia
Messages : 2607
Inscription : ven. 20 oct. 2006 2:00

Re: Sermon de Saint Louis de Grenade pour le dimanche de la Passion

Message par Laetitia »

Comment donc, mes frères, pourrons-nous éviter cet immense danger, et recevoir la parole de Dieu pour notre salut, non pour notre perte ? Je vais vous le dire en peu de mots. D'abord, que chacun se persuade qu'entendre ou annoncer utilement la parole de Dieu, est au-dessus des forces de l'homme. Saint Grégoire l'atteste en ces termes : « Si nous savons apprécier les choses invisibles, nous comprendrons que c'est un plus grand miracle de convertir un pécheur par la prédication et la prière que de ressusciter un mort. » Cette assertion, quelqu'incroyable qu'elle paraisse au premier abord, est parfaitement vraie ; et vous le comprendrez facilement si vous considérez qu'il ne faut pas moins de puissance pour la résurrection des âmes que pour celle des corps, l'une et l'autre étant des œuvres qui n'appartiennent qu'à Dieu.

Quand vous saurez apprécier à sa juste valeur la parole divine, ce que vous aurez à faire, c'est de venir l'entendre avec respect, avec zèle, et avec attention. Saint Jean Chrysostome vous le dit en ces termes : « Les lettres royales se lisent dans le sénat, au milieu d'une attention et d'un silence universels. Comment donc n'écouterions-nous pas avec attention les lettres du Roi des rois, d'autant plus qu'elles viennent d'un pays lointain, non des Indes, ou des antipodes, mais du royaume des cieux ? Si une grande foule réunie dans une vaste plaine voyait tout-à-coup le ciel s'ouvrir, et une lettre en tomber sur la terre, combien tous ne seraient-ils pas avides de savoir ce qu'elle contiendrait, et quelle nouvelle de l'autre monde elle apporterait en celui-ci ! Or, que sont les évangiles, sinon des lettres envoyées du ciel, et apportées sur la terre par le Fils même de Dieu pour instruire les hommes ? C'est ce qui fait dire à saint Jean-Baptiste : « Le Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l'a lui-même fait connaître. » Joann. I, 18. En effet, « celui qui tire son origine de la terre, parle de la terre ; celui qui est venu du ciel est au-dessus de tout, et il rend témoignage de ce qu'il a vu et entendu. » Joann. III, 31.

Celui qui écoute la parole de Dieu dans de telles dispositions, ressent déjà l'influence miséricordieuse du divin Esprit qui dit par le Prophète : « Sur qui jetterai-je les yeux (ou, suivant une autre version, sur qui me reposerai-je ), sinon sur le pauvre qui a le cœur brisé, et qui écoute mes paroles avec tremblement. » Isa. LXVI, 2. Ainsi ce n'est pas assez d'écouter avec attention, il faut encore recevoir la parole de Dieu avec une pieuse crainte, comme firent les disciples dans la transfiguration de Jésus-Christ, lorsqu'entendant une voix qui venait d'en haut, ils furent saisis de frayeur, et tombèrent la face contre terre. Qui ne tremblerait pas à la parole du Seigneur, quand « les colonnes des cieux frémissent au moindre signe de sa main ? » Job. XXVI, 11. Aussi le Prophète appelle surtout à entendre la parole de Dieu, ceux qui sont remplis de cette crainte religieuse : « Écoutez, dit-il, la parole du Seigneur, vous qui la recevez avec tremblement. » Isa. LXVI, 5. Ainsi l'écouta le roi Josias, qui entendant lire les menaces terribles que contiennent les livres saints contre les violateurs de la loi divine, fut tellement saisi de crainte et de componction qu'il déchira ses vêtements, demanda au Seigneur ce qu'il avait à faire, et non content de cela, eut soin de prendre cette loi divine pour règle de sa vie et de son gouvernement.

Imitons-le,mes frères ; écoutons la parole de Dieu avec crainte et tremblement, et conformons-y nos actions. De même que les femmes se servent du miroir pour faire disparaître les taches de leur visage et pour se parer ; de même, plaçant devant les yeux de notre âme le miroir de la loi divine, nettoyons avec empressement toutes les taches qu'elle nous montrera en nous, revêtons-nous de tous les ornements et de tous les moyens de plaire à Dieu qui y sont recommandés, et espérons fermement que si nous nous montrons soumis en pratiquant ce qu'elle ordonne, elle se montrera fidèle en donnant ce qu'elle promet. Car il y a une profonde vérité dans cette parole de l'Ecclésiastique : « L'homme sensé croit à la loi de Dieu, et la loi lui est fidèle. » Eccli. XXXIII, 3. Il y croit, en obéissant ponctuellement ; elle lui est fidèle, en donnant aux ouvriers diligents tout ce qu'elle promet, c'est-à-dire, ici-bas les biens de la grâce, et dans le siècle futur les magnifiques biens de la gloire.
Répondre

Revenir à « Temporal&Sanctoral de l'année liturgique »

Qui est en ligne ?

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 0 invité