DEUXIÈME PARTIE.
Parmi les maux graves et nombreux et du corps et de l'âme qui affligent le monde, si quelqu'un me demandait quel est le plus grand, je répondrais sans hésiter en citant ce que Job dit des méchants : « Ils boivent l'iniquité comme l'eau, »
bibit quasi aquam iniquitatem, Job. XV, c'est-à-dire, ils commettent le crime avec la même jouissance, avec le même plaisir qu'un homme, dévoré par la soif, en trouve à boire une eau fraîche et limpide. C'est là ce que Salomon range parmi les six choses principales que Dieu hait, savoir : « Des pieds rapides pour courir au mal, »
pedes veloces ad currendum in malum, Prov. VI, c'est-à-dire des pieds que ni la crainte de Dieu, ni ses promesses, ni ses menaces, ni le souvenir de ses bienfaits n'empêchent de se précipiter dans toutes sortes de crimes, sans éprouver le moindre sentiment de douleur, la moindre atteinte du remords. « Ils courent tous, dit Jérémie, où leur passion les emporte, comme un cheval qui court à toute bride au combat, «
omnes conversi sunt ad cursum suum, quasi equus impetu vadens ad prælium. Jerem. VIII, 6. Tel est, de tous les maux dont le monde est rempli, celui qui m'inspire plus de crainte et d'étonnement.
En effet, mes frères, le péché mortel est un mal si grand et si exécrable que si toutes les créatures que Dieu a faites, soit dans le ciel, soit sur la terre, prenaient une voix, elles seraient impuissantes à exprimer dignement toute la laideur du péché et la haine que Dieu lui porte. Comme le péché livre un combat contre l'infinie majesté de Dieu et qu'il dépouille le pécheur du souverain bien, c'est-à-dire de la jouissance et de la possession de Dieu même, il renferme une gravité et une malice infinie. Or, tout ce qui revêt une grandeur infinie, par là même qu'aucun terme, aucune borne ne peut le contenir, ne saurait être expliqué par la parole. Et lorsque je parle de péché mortel, sachez que j'entends par là non des forfaits rares et presque inouïs, mais des fautes communes et quotidiennes, où les hommes insensés et aveugles tombent à chaque instant, tels que le vol, la haine, le parjure, la détraction, l'impudicité, l'usure, les faux témoignages, les jugements téméraires, les scandales, qui entraînent les hommes dans le mal, et autres péchés semblables. Chacune de ces fautes a une gravité, une difformité telle, que si quelqu'un avait reçu de Dieu la faculté de la contempler, ne fût-ce qu'en partie, il serait frappé de stupeur en voyant la facilité avec laquelle les chrétiens font le mal. Pour le prouver, je vous rapporterai ce qui arriva au roi Josias, âgé de dix-huit ans. Au commencement de son règne, le grand-prêtre Helcias avait retrouvé le livre de la loi de Dieu, qui, à cause du malheur des temps, gisait oublié parmi divers objets appartenant au temple, et où étaient contenus les magnifiques promesses faites par le Seigneur aux observateurs de la loi, ainsi que les épouvantables menaces adressées aux méchants. Le grand-prêtre envoya ce livre au roi pour le lire. Lorsque Josias fut arrivé au passage où Dieu fulmine contre les impies la menace des plus terribles châtiments, tels que la famine, le tranchant du glaive, la peste et autres fléaux, l'âme du pieux roi fut saisie d'une si vive terreur qu'il déchira ses vêtements, et, après avoir pris les conseils d'une prophétesse qui était alors à Jérusalem, bannit de son royaume tous les criminels publics, renversa les autels et les temples d'idoles, les brûla, les réduisit en poudre et les souilla en y mêlant la cendre des ossements de morts. Telle fut la crainte, telle fut la vive impression qu'excita dans son âme la gravité et l'indignité mieux comprise du péché mortel.
Plaise à Dieu, mes frères, que je mette aujourd'hui devant vos yeux un tableau si éloquent de la malice du péché, qu'il fasse naître dans vos cœurs, avec le secours de la grâce divine, la même horreur du mal, la même impression de piété ! Car j'ai entrepris de traiter dans ce discours de la malice et de la gravité du péché mortel, non toutefois en général, mais autant qu'il est figuré par la lèpre, comme je l'ai dit plus haut, et que tous les caractères de cette maladie lui conviennent.