La clémentine

Paulus
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La clémentine

Message par Paulus »

La clémentine, personne ne l'a croquée !
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Charité de la Vérité
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Re: La clémentine

Message par Charité de la Vérité »

En quoi une telle intervention peut-elle contribuer à l'élévation des esprits recherchée en notre tribune ? Plus encore, en ouvrant un nouveau fil tout exprès ? Ceci ne s'explique sans doute qu'en raison de l'heure où elle a été mise, avec toute la fatigue que cela peut impliquer.
Veuillez donc vous reporter au 4° de notre règlement interne :
http://www.phpbbserver.com/micael/viewt ... rum=micael
Paulus
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Re: La clémentine

Message par Paulus »

chère Charité,

mon message était trop bref pour être compréhensible... car il était fort tard lorsque je le postai !

Le sens peut être le suivant :

j'ai travaillé plusieurs heures durant sur la version de la Vulgate promulguée par le pape Clément (la "vulgate clémentine", alias "sixto-clémentine"), et cette version est inépuisable : on ne peut pas la croquer en une seule nuit !

Peut-on ouvrir un sujet sur la "nouvelle vulgate", qui, à mon sens, est un mensonge éhonté de la secte ? En résumé :
1) ce n'est nullement un texte jéronimien, donc pas une "vulgate"
2) c'est en fait la simple traduction latine de la version grecque de Nestlé (NA26), laquelle est la version des protestants !

C'est ahurissant, mais c'est la même chose que pour le missel : on change complètement la chose, et pour tromper le peuple on lui laisse le même nom. C'est un horrible mensonge.

A bientôt, un petit fruchtuck de clémentines et de vulgates ...

Paulus
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Charité de la Vérité
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Re: La clémentine

Message par Charité de la Vérité »

Suite à ce complément et à ces bonnes explications, c'est à moi de retirer ce qui précède avec empressement et satisfaction.
Nous lirons avec intérêt la suite de votre démonstration à ce sujet comme pour celle commencée sur les monstrueuses hérésies de V II .
Si vis pacem
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Re: La clémentine

Message par Si vis pacem »

Paulus a écrit :...

Peut-on ouvrir un sujet sur la "nouvelle vulgate", qui, à mon sens, est un mensonge éhonté de la secte ? En résumé :
1) ce n'est nullement un texte jéronimien, donc pas une "vulgate"
2) c'est en fait la simple traduction latine de la version grecque de Nestlé (NA26), laquelle est la version des protestants !

...

Paulus
Je suppose que vous parlez de la T.O.B. de 1972-75

Mais pourrais-je avoir votre avis sur les études menées par Saint-Jérôme et Beuron ?
Paulus
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Re: La clémentine

Message par Paulus »

J'ai dix minutes maxi pour tenir ma promesse. Alors voilà en résumé (de mémoire, je n'ai pas ma doc sous la main) :

1) la Vulgate est le texte latin de la sainte Bible, établi par saint Jérôme sur les manuscrits les plus anciens, les plus fiables. Remarquons que, ce faisant, saint Jérôme a détruit la tradition biblique latine, pour la remplacer par son texte "savant"... Jérôme fut le premier des révolutionnaires bibliques ! Son travail est excellent, et ce fut une bonne chose qu'une version unique fut admise dans toute la latinité. Mais en bien des endroits, son texte est moins bon que le vieux texte latin. De plus, son obsession de la "veritas hebraica" lui a fait abandonner bien des leçons issues de la Septante; or la Septante était non seulement la bible des Pères, mais celle des Apôtres et probablement de Notre-Seigneur...

2) Cette vulgate fut améliorée sur des points de détails, au fil du temps. Jusqu'à la publication par les papes Sixte et Clément, d'où le nom de "vulgate sixto-clémentine".

3) dès la Renaissance, les érudits protestants ont voulu retrouver un vrai texte, pur et authentique (ce sont leurs manies verbales, mais en fait on abouti à des textes corrompus et impurs!). Le parti-pris anti-vulgate n'a fait qu'augmenter au fil du temps. Pour le nouveau Testament, les éditeurs (protestants) Nestlé et Aland ont établi un texte "savant", c'est-à-dire un méli-mélo de différentes versions. Il ne s'agit pas d'un texte traditionnel (vulgate ou protestant), mais d'un "melting-text" : le verset 7 vient de tel manuscrit, le verset 8 de tel autre etc. (je caricature, mais vous comprendrez). En bas de page sont censées figurer les différentes variantes : en fait, c'est un travail bâclé et mal foutu. Je me suis amusé à comparer cet apparat critique avec le texte du codex de Bèze, pour l'évangile de saint Jean : bien des variantes n'y sont pas, et on attribue audit codex des leçons imaginaires !!!

4) ceci pour dire que nous avons deux traditions :
-la tradition vulgate : celle de l'Eglise latine.
-la tradition (fausse tradition) "savante" et protestante de Nestlé-Aland (26e édition : NA26).

5) après LE concile, il fut question de publier une nouvelle édition de la vulgate. Apparament, c'est ce qui fut fait, sous le titre "neo-vulgata" (promulguée par JPII). Or, ce texte n'est pas autre chose qu'une traduction latine de la NA26 !!! Cela n'a RIEN à voir avec la Vulgate. Ce n'est pas une vulgate améliorée. C'est un AUTRE texte. Et comme par hasard, c'est le texte protestant et intellectuel...

6) C'est donc une tromperie que de nommer ce texte "nouvelle vulgate". Cette tromperie se retrouve dans le missel : la "nouvelle messe" (protestante elle aussi) fut nommée "missale romanum" ! comme l'ancien ! Les naïfs n'y ont vu que du feu.

Conclusion : il faut dénoncer cette révolution biblique, qui est une partie de la grande révolution conciliaire.

Paulus.
Paulus
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Re: La clémentine

Message par Paulus »

Pour ceux qui considèrent que JPII, qui a promulgué la "néo-vulgate", n'était que le MANDARIN de la secte conciliaire, il y a la possibilité de nommer cette vulgate la "vulgate mandarine" pour la distinguer de la "vulgate clémentine"...
Paulus
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Re: La clémentine

Message par Paulus »

Encore une précision :

1) l'Eglise a abandonné sa tradition biblique. C'est cela qu'il faut dénoncer.

2) la bible NA, c'est un super bizness. Ca rapporte un fric fou à une poignée de pauvres types. C'est constamment réédité, avec quelques améliorations minimes à chaque fois. C'est un bizness qui roule tout seul, et cette sale bande de mercantis n'a que cela en vue. Ceci dit pour poser une question : COMBIEN le Saint-Siège a-t-il versé à Nestlé-Aland pour pouvoir reproduire leur texte et le traduire ? La révolution biblique a dû couter cher. Avis à ceux qui donnent au denier de Saint-Pierre...
Fulgurator
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Re: La clémentine

Message par Fulgurator »

Plaidoyer de Dom de Monléon pour la Vulgate de Saint Jérôme
Commentaire sur le prophète Jonas, Nouvelles éditions latines, slnd, pp. 128-133 Citation:
Sans doute, il est de bon ton aujourd’hui d’afficher pour la Vulgate le plus profond mépris et d’invoquer à tout propos contre elle la vérité du texte hébreu. Heureusement, elle a les reins solides, couverte qu’elle est par le décret du Concile de Trente: « La Vulgate doit être tenue pour authentique, et personne ne saurait avoir l’audace ou la présomption de la rejeter sous n’importe quel prétexte. » [ive session, Denzinger n° 785] ; par la bulle de Clément VII, du 9 novembre 1592, interdisant d’y changer, ajouter ou retrancher la moindre particule ; par de multiples documents postérieurs, tous trop formels pour que nous puissions hésiter un instant sur son droit absolu de priorité.
En appeler de la Vulgate à la vérité hébraïque est une de ces vastes duperies dont la haute critique est coutumière. Car c’est justement cette « vérité hébraïque » que saint Jérôme a entendu rétablir en elle, au-dessus de toutes les traductions de la Bible plus ou moins altérées, qui circulaient de son temps. L’Église, il est vrai, a toujours admis que ce travail n’était pas à l’abri de tout reproche, et souhaité qu’il fût amendé, en utilisant les autres versions de l’Écriture et les leçons des Pères. Tel qu’il est cependant, on est en droit d’assurer, non seulement qu’il ne renferme aucune erreur touchant la foi ou les mœurs, mais encore qu’il est substantiellement la reproduction la plus fidèle du texte original inspiré.
Génie littéraire hors classe, saint Jérôme a employé toutes les ressources de son intelligence et de sa volonté à restituer la parole de Dieu dans sa teneur authentique. Bien qu’il eût déjà une solide connaissance de l’hébreu, quand il reçut de saint Damase la mission de revoir toute la Bible, il ne s’en remit pas à son propre jugement ; mais il se fit expliquer, mot par mot, le sens exact des textes sacrés par les Rabbins les plus réputés, et qui, d’ailleurs, nous apprend-il, faisaient payer fort cher leurs leçons. Il tenait à fournir aux apologistes de son temps une œuvre sûre, afin qu’on ne pût les arrêter à tout propos dans les discussions, en disant : « Ce passage n’est pas dans l’hébreu », comme les Juifs le faisaient constamment.
Il avait à sa disposition des documents de première valeur, qui ont disparu depuis ; en particulier, le rouleau de la Synagogue de Bethléem, qu’il avait copié de sa main ; et les célèbres Hexaples, où Origène avait reproduit, sur six colonnes parallèles, le texte hébreu et les cinq principales traductions grecques qui en existaient alors ; œuvre gigantesque de critique et d’érudition, dont la perte est considérée aujourd’hui encore, par les vrais savants, comme irréparable [Les Hexaples furent anéanties vers l’an 600, dans l’incendie de la bibliothèque de Césarée].
Ceux qui invoquent la « vérité hébraïque » raisonnent comme si nous possédions encore aujourd’hui les manuscrits originaux de Moïse et des Prophètes. Mais il n’est pas permis d’ignorer que la seule version de l’Écriture conservée par les Juifs est celle dite des Massorètes, qui ne remonte pas au-delà du vie siècle. Elle est par conséquent postérieure, et à celle des Septante, et à la Vulgate. Elle ne s’impose donc pas par son ancienneté ; elle ne s’impose pas non plus par la qualité de sa rédaction ; car les Rabbins qui l’exécutèrent étaient loin d’avoir des méthodes critiques comparables à celles de saint Jérôme, qui se montre déjà un maître en la matière. Eux cherchaient seulement à établir une leçon uniforme, pour fixer par écrit les fameux points-voyelles que l’on se transmettait jusque-là uniquement par tradition orale. Mais surtout – et c’est là ce qui enlève à leur travail, la valeur absolue qu’on voudrait lui donner – chaque fois qu’ils le pouvaient sans faire violence au texte, ils s’attachaient à effacer tout ce qui risquait de tourner à la glorification de Jésus-Christ.
Saint Justin, dans son dialogue avec Tryphon, en donne plusieurs exemples : ainsi, lorsque Jérémie, après avoir présenté le Messie sous la figure de l’agneau que l’on mène à l’abattoir, montre les Juifs acharnés à sa perte et disant : Mettons du bois dans son pain, il est évident qu’il y a là une allusion – et les Pères de l’Église l’ont compris ainsi – au Pain de vie descendu du ciel qui sera comme traversé par le bois de la croix sur laquelle on le clouera. Ces mots figurent et dans les Septante et dans la Vulgate mais les Massorètes les ont remplacés par ceux-ci : Détruisons l’arbre dans sa sève, qui éliminent le symbolisme prophétique. De même, ils ont tronqué le verset du Psaume xcve, qui porte : dites aux nations : le Seigneur a régné par le bois. Cette expression visait manifestement le Christ établissant son règne sur tout l’univers, du haut de sa croix. Mais ils l’ont vidée de son sens, en supprimant les mots : par le bois.
De même, Saint Jérôme nous les montre, au chapitre iie d’Isaïe, éliminant discrètement l’épithète de « Très Haut » (excelsus, bama), que le Prophète applique au Messie : « Comprenant, dit-il, que cette prédiction avait trait à Jésus-Christ, ils ont interprété un mot équivoque dans son sens le plus défavorable, pour paraître n’attacher aucun prix au Christ, bien loin de le louer… Ils ont profité de l’ambiguïté du mot, pour en détourner le sens au profit de leur impiété, ne voulant rien dire de glorieux sur le Christ, en qui ils ne croyaient pas » [In Isaiam, Pat. Lat. t. xxiv, col. 56].
Telle qu’elle est néanmoins, cette version constitue un document infiniment précieux, dont les Souverains Pontifes, bien avant l’encyclique Divino Afflante, ont souvent recommandé l’étude soigneuse. Mais, remarquons-le bien, toujours dans le dessein de justifier et de confirmer la doctrine catholique, de mieux dégager et expliquer le sens exact des Saintes Lettres, et non pour contredire ou invalider la Vulgate, qui reste, encore de nos jours, l’expression la plus adéquate de la Parole de Dieu.
En outre, il faut souligner que saint Jérôme est un maître de la langue latine. Considérée du seul point de vue littéraire, sa traduction est un chef-d’œuvre. Claudel la mettait au-dessus des poèmes d’Homère. Le Père Lagrange la tenait pour l’une des plus admirables performances de l’esprit humain [Revue Biblique, 1911, p. 607]. Des pages comme le mariage de Rébecca, les altercations de Moïse avec le Pharaon, la scène du Sinaï, l’histoire de Joseph et celle de David, la prière d’Esther – immortalisée par Racine – le psaume In exitu, l’épisode des trois Hébreux dans la fournaise, les doléances d’Isaïe et d’Ezéchiel sur la chute de Lucifer (d’où Bossuet a tiré son célèbre Comment êtes-vous tombé, bel astre du matin ? ) …– et combien d’autres, placent d’emblée leur auteur au rang des plus grands noms de la littérature universelle, qu’ils s’appellent Virgile, Dante, Shakespeare, Goethe, Corneille ou Bossuet.
De plus, grâce à sa haute intelligence, sa soif de vérité intégrale, sa capacité prodigieuse de travail, saint Jérôme avait réussi à s’assimiler parfaitement le génie de la langue hébraïque, « cette langue, pleine de pouvoir, qui dit toujours davantage qu’elle ne dit, qui atteint et dépasse les limites de l’expression ; qui aspire sans cesse à l’inexprimable » [A. Chouraqui, Les Psaumes, Préface, Paris 1956]. À cause de cette richesse et de cette profondeur, « la signification des mots hébreux, dit saint Robert Bellarmin, ne saurait être réduite à ce qu’énoncent les dictionnaires, et il faut avoir plus de confiance dans saint Jérôme que dans aucun dictionnaire. » [Comment. sur le Ps. cxxv, 4]
Tout en suivant de très près le manuscrit de Bethléem qui lui servait de base, le saint Docteur s’est appliqué à rendre exactement la pensée de l’écrivain sacré, plutôt qu’à faire une traduction littérale et servile. Mises à côté de son œuvre, celles des hébraïsants modernes font modestement figure de devoirs d’écoliers. On y trouve un mot à mot honnête mais laborieux, sans style et sans noblesse, et l’on y chercherait vainement le souffle de génie qui anime aussi bien la Vulgate que – disent les gens compétents – le texte des Hébreux.
Par dessus tout, ce qui confère à la version de saint Jérôme une valeur inimitable et irremplaçable, c’est que son auteur était un Maître de vie spirituelle initié aux plus hauts états de la contemplation. À ce titre, et grâce au charisme qu’il avait évidemment reçu de Dieu pour exécuter cette œuvre capitale, il a réussi à transposer en latin toute la substance théologique et mystique que contenait le Livre inspiré. C’est vraiment le Saint-Esprit qui nous parle à travers son texte : celui-ci se trouve être ainsi l’expression adéquate du Verbe de Dieu, la base sur laquelle repose immuablement la foi, la doctrine et la piété chrétiennes, l’instrument providentiel qui a permis à la Révélation, de se répandre à travers le monde entier.
Fulgurator
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Re: La clémentine

Message par Fulgurator »

Pour ne plus ignorer ce qu’est la Vulgate
Article d’Antoine Barrois dans Itinéraires n° 227 pp. 1-35
Le concile de Trente a traité des Livres saints en deux décrets. Ces textes constituent (aujourd’hui encore) la pierre angulaire de l’enseignement de l’Église sur la Vulgate. Je me propose d’en tirer quelques lumières sur les points suivants :
1. Ce qu’est la Vulgate : elle est la version latine, antique et commune.
2. Ce qu’on doit entendre par son « authenticité » : la Vulgate est la version officielle de l’Église et doit être considérée comme ayant valeur d’original.
3. La Vulgate, rempart de l’Écriture contre les assauts et les abus, le concile de Trente a dressé la Vulgate comme un rempart ; notamment en ce qui concerne le canon des Livres saints.
Un quatrième point traite de l’édition sixto-clémentine de la Vulgate : comment les papes ont compris leur rôle d’éditeurs : mettant en œuvre les prescriptions du concile de Trente, ils se sont efforcés de restituer, dans son intégrité, le texte de la version antique et commune.
*
En une matière aussi difficile, sur laquelle de grands esprits ont bronché, je n’entends pas, on s’en doute, renouveler l’état de la question. Ma seule ambition est de rappeler succinctement ce que l’Église enseigne sur la version de l’Écriture qu’elle s’est appropriée. Dieu aide et Notre-Dame.
La version latine antique et commune
L’enseignement doctrinal et disciplinaire du concile de Trente sur l’Écriture tient en deux décrets De libris sacris et traditionibus et De editione et usu sacrorum librorum.
Dans le premier, il est question des livres tels que l’on a coutume de les lire dans l’Église et tels qu’ils figurent « in veteri vulgata latina editione ». Le second désigne la version latine que l’on doit tenir pour authentique par les mots « vetus et vulgata editio ».
Le plus souvent, les traducteurs français des décrets mettent édition pour editio et vulgate pour vulgata ; et traduisent « la vieille version de la Vulgate » ou bien « l’édition latine ancienne et vulgate ». Je n’entrerai pas dans le détail des objections que l’on peut faire à ces transcriptions, ni à ces traductions. Mais on est plus fidèle à la fois au sens exact et au genre solennel du décret en traduisant : « la version latine, antique et commune ». Certes, quelle que soit la traduction, il n’y a aucun doute sur le texte que l’on entend désigner. Mais il est vrai aussi que ces quelques mots fixent avec précision les traits essentiels de ce que nous appelons la Vulgate. À traduire négligemment (ou faussement) on finit par oublier que quand on dit « la Vulgate », on dit en résumé la version latine antique et commune. Or il importe grandement de ne pas l’oublier ; et de savoir ce que cela implique.
i
Disons d’abord que le concile a choisi une version latine parce qu’il tranchait pour l’Église latine ; il n’a pas prétendu éliminer les Septante, non plus que les autres versions, très vénérables aussi, des catholiques orientaux.
Ceci dit, le latin est la langue de l’Église romaine, maîtresse et mère de toutes les Églises. Et, c’est un fait, Rome ayant reçu l’Évangile en grec, l’a annoncé par toute la terre en latin. Si l’on objecte que né en Chine, le Sauveur aurait parlé chinois et que les évangiles auraient été écrits en chinois, nous répondons avec Dom Guéranger que Dieu n’ayant point procédé ainsi, ce n’est pas sans raison : « Il a d’abord préparé toutes les choses en faveur des peuples qu’il voulait appeler les premiers, en les fondant tous dans l’Empire romain, précurseur de l’empire du Christ. » Ajoutons en passant qu’à l’obstacle de la langue chinoise (et laquelle ? car elle n’est pas unifiée) se serait ajoutée la difficulté considérable de son écriture.
Donc la langue de l’Église romaine fut, par un décret de la Providence, la langue latine. Ce que le pape Jean XXIII rappelait dans la constitution Veterum sapientia s’applique particulièrement au choix opéré par le concile de Trente d’une version latine comme version de référence. Ce qui est dit des vérités de l’Église catholique peut se dire semblablement de la sainte Écriture confiée à sa garde : « La langue de l’Église doit être, non seulement universelle, mais immuable. Si, en effet, les vérités de l’Église catholique étaient confiées à certaines ou à plusieurs langues modernes changeantes, dont aucune ne fait davantage autorité que les autres, il résulterait certainement d’une telle variété que le sens de ces vérités ne serait ni suffisamment clair, ni suffisamment précis pour tout le monde et, de plus, aucune langue ne pourrait servir de règle commune et stable pour juger du sens des autres. »
Sans latin, pas de Bible commune et stable dont l’interprétation puisse être assez claire et précise pour servir de règle. De plus sans latin, on va le voir, pas de Bible accessible à tous directement dans l’espace et dans le temps : « Le latin, qu’on peut à bon droit qualifier de langue catholique (Pie XI) parce que consacrée par l’usage ininterrompu qu’en a fait la chaire apostolique mère et éducatrice de toutes les Églises, doit être considéré comme un trésor inestimable (Pie XII) ; il est comme une porte qui permet à tous d’accéder directement aux vérités chrétiennes transmises depuis les temps anciens et aux documents de l’enseignement de l’Église (Léon XIII) ; il est, enfin, un lien précieux qui relie excellemment l’Église d’aujourd’hui à celle d’hier et de demain. »
Quatre papes, pas moins, attestent ici que le latin est la langue de l’Église ; et ils expliquent pourquoi. Ce qu’ils enseignent suffit à établir solidement les raisons du choix fait par le concile de Trente d’une version latine de l’Écriture. À vues humaines, on pouvait imaginer que ce choix allait entraîner l’établissement d’une version nouvelle, savamment traduite d’après les originaux, dont les éminentes qualités humanistiques feraient taire les réformateurs et satisferaient les savants. Or, il n’en fut rien. Nous verrons en examinant la portée des décrets conciliaires pourquoi la version antique et commune prévalut.
ii
Saint Cyprien, mort un siècle avant la naissance du Père de la Vulgate, avait à sa disposition une traduction latine de la Bible que l’on s’accorde à penser complète : il cite sans cesse et dans les mêmes termes des textes tirés de presque toute l’Écriture. Tertullien avant lui discutait même des différentes interprétations latines admises à Carthage.
Aux dires de saint Augustin, longtemps auparavant, c’est-à-dire longtemps avant le début du iiie, siècle, il existait déjà des traductions en latin : « Aux origines de la foi, le premier venu, s’il lui tombait entre les mains un texte grec et qu’il croyait avoir quelque connaissance de l’une et l’autre langue, se permettait de le traduire. » Cette phrase est fameuse parmi les historiens des Saintes Écritures et elle a fait l’objet d’exégèses multiples. Ce qui est sûr, c’est qu’il y eut de nombreuses tentatives de traductions dont les résultats n’étaient pas toujours satisfaisants. D’autre part, saint Augustin qui s’inquiétait vivement de la question des textes bibliques et de leur transmission correcte, recommandait une version dite Itala ou Italique, dont on croit qu’elle était en usage à Milan où il l’aurait connue à l’école de saint Ambroise. Mais était-ce une traduction parmi d’autres ou une leçon jugée par lui meilleure d’une unique traduction, c’est ce qu’on ne sait pas. Les spécialistes diffèrent d’avis sur ce point comme sur la date et le lieu de rédaction de la ou des premières traductions.
Lorsque saint Jérôme se mit au travail à la demande de saint Damase, il ne pouvait donc pas traduire comme si rien n’avait existé avant lui. Le problème était au contraire d’émonder l’arbre touffu des textes latins. C’est une idée assez répandue que l’on s’est mis à traduire l’Écriture en latin parce que les fidèles ne savaient plus le grec. Séduisante peut-être, cette vue historique n’en est pas moins fausse. Pour la très simple raison que, dès l’origine, un grand nombre de fidèles ne le savait point. Ni en Europe occidentale ni en Afrique le peuple ne parlait grec ; seuls les gens cultivés le pratiquaient. Cet état de choses contribua sans doute à faire que les premières traductions latines ne furent pas toujours fameuses ; car les lettrés, précisément, ne s’en occupaient guère.
Ce qui est devenu la version latine de l’Écriture est ainsi né au fur et à mesure des besoins. Et certainement le texte du Nouveau Testament sur lequel saint Jérôme travaillait, avait gardé quelque chose de son origine. On a déterminé par de savants travaux que, pour sa révision des Évangiles, saint Jérôme était parti d’un texte fort proche de l’Italique recommandée par saint Augustin. Ce texte fut corrigé d’après des manuscrits grecs dont nous ne possédons plus qu’une partie, l’autre s’étant perdue.
Saint Jérôme fut donc l’artisan d’une conservation et non d’une révolution ; conservation de tout ce qui pouvait l’être du latin ancien et conservation de certaines leçons grecques que nous ne connaissons pas autrement. D’autre part, pour les autres livres du Nouveau Testament, on tend aujourd’hui à minimiser le rôle de Jérôme qui se serait contenté de retoucher le style. Dans ce cas le texte des Épîtres et de l’Apocalypse, tel qu’il figure dans la Vulgate, remonte vraisemblablement au-delà du iiie siècle. Il en va de même des livres de l’Ancien Testament que saint Jérôme n’a pas retraduits et qui sont passés dans la Vulgate tels qu’ils avaient été traduits antérieurement ; notamment le livre de la Sagesse et l’Ecclésiastique.
Il n’est peut-être pas inutile de rappeler ici que le plus ancien manuscrit des œuvres d’Eschyle dont nous disposons date des alentours de l’an 1000. Et que les manuscrits du texte hébreu massorétique, d’après lequel sont établies la plupart des traductions modernes, dites faites sur les originaux, datent du ixe et du xe siècles. Le caractère plus ou moins antique d’une version n’est pas en soi une preuve de son intérêt ni de sa qualité, c’est vrai. Mais il n’est pas indifférent que la version caractérisée comme antique par le concile de Trente plonge certaine de ses racines jusqu’au iie siècle. S’il s’agissait de documents cabalistiques ou hétérodoxes, il ne manquerait pas d’experts pour souligner le nombre et l’antiquité des témoins scientifiquement irréfutables de cet enracinement. Mais il s’agit de la version commune dans l’Église catholique. Et il est écrit qu’un temps viendra où les hommes ne pourront plus supporter la saine doctrine ; et que, fermant l’oreille à la vérité, ils l’ouvriront à des fables. (II Tim. iv, 3-4.)
iii
La traduction de saint Jérôme ne s’est pas imposée d’un seul coup. Elle fut progressivement adoptée parce que l’expérience montrait que l’ermite de Bethléem avait été un jardinier sans rival de la Sainte Écriture. Saint Augustin se servait en même temps de la version révisée des Évangiles et d’anciens textes africains, qu’utilisaient déjà saint Cyprien et Tertullien. Augustin ne se rallia pas sans réticence à la nouvelle traduction de l’Ancien Testament. Mais, à la fin de sa vie, il applaudissait sans réserve aux travaux du grand docteur. Du vivant même de saint Jérôme, un évêque espagnol avait dépêché une équipe de copistes à Bethléem avec mission d’établir, sous les yeux de l’auteur, une bonne copie de sa traduction.
Cadets de saint Jérôme d’une génération environ, saint Vincent de Lérins et saint Prosper d’Aquitaine se référaient à son œuvre ; et leur contemporain le saint évêque Patrick, patron de l’Irlande, la citait aussi. Donc l’œuvre de Jérôme se répandait assez rapidement d’un bout à l’autre de l’empire. Mais il est vrai que d’autres versions latines étaient également citées et recopiées et qu’elles le furent encore longtemps.
Au vie siècle, Cassiodore, « le dernier homme d’État romain », qui se fit moine vers la fin de sa vie, s’appliquait à établir une bonne transcription de la traduction du Docteur très grand, collationnée avec d’anciens manuscrits. À Rome, le même siècle finissant, saint Grégoire le Grand expliquait dans ses commentaires la nouvelle version, tout en recourant parfois à l’ancienne. – Honorons à cette occasion ces deux immenses figures, Cassiodore et Grégoire, qui partagent avec Boèce, Isidore de Séville et quelques autres, la gloire d’avoir sauvé, en Occident, l’héritage intellectuel et moral du monde civilisé, après le naufrage de l’empire ; héritage qui permit, trois siècles plus tard, l’éclosion de la renaissance carolingienne.
Il n’entre pas dans mon propos d’exposer comment ce que nous appelons la Vulgate devint le bien propre de l’Église. J’entends seulement montrer que la version de l’Écriture dite Vulgate est bien ce que son nom indique et que le concile déclarait : la version commune ; et ce depuis de très longs siècles. Du temps de Mahomet, la version de saint Jérôme était universellement reçue dans l’Église, nous le savons par saint Isidore de Séville.
Qu’elle fut, un siècle plus tard, la version commune aux yeux d’un docteur aussi éminent que Bède le Vénérable, qui la copia de sa main, ne fait aucun doute, car il en parle comme de « notre version » en l’opposant à « l’ancienne ». Et nous possédons un grand nombre de manuscrits de la Vulgate, antérieurs à Charlemagne, qui proviennent de toute l’Europe, d’Espagne en Irlande et d’Amiens à Milan.
C’est d’après les meilleurs d’entre eux qu’Alcuin restituait, aussi fidèlement que possible, l’œuvre de saint Jérôme. C’est en suivant ce texte que fut établie la célèbre Glossa ordinaria, prodigieuse compilation de commentaires bibliques, qui devint le manuel d’Écriture Sainte de la fin du moyen âge.
J’ai promis d’être bref. Mais comment taire les noms de Raban Maur et de Lanfranc, d’Anselme de Laon et de Walafrid Strabon ; ceux de saint Pierre Damien, de saint Bernard ou de saint Bonaventure ; et du Docteur commun dont l’œuvre tout entière s’appuie sur la version commune des Écritures. C’est elle encore que cite à chaque page le Catéchisme du concile de Trente, qui est devenu, par la volonté des papes successifs, le manuel classique de la religion. Et le plus grand sans doute des docteurs modernes, Bossuet, n’a point cessé de la citer et de la commenter.
*
Version commune aux doctes, base d’une somme d’enseignements que plusieurs vies d’hommes ne suffiraient pas à seulement répertorier, la Vulgate est aussi la version commune à tous les fidèles. Car elle est la première source des lectures et des chants liturgiques de l’Église. Par elle, le plus savant théologien est à la même école que le plus misérable paroissien : celle de la Parole éternelle dans sa version traditionnelle.
L’usage liturgique contribua certainement à rendre la Vulgate populaire, en ce sens que, par les offices, tout le monde apprenait à la connaître. La très grande difficulté de modifier le psautier en témoigne : c’est qu’on ne peut guère toucher à ce qui est dans la mémoire de tous, surtout quand il s’agit d’un ensemble aussi considérable que les cent cinquante psaumes.
Ainsi, le « psautier gallican », fruit d’une révision faite par saint Jérôme d’après le grec, et qui ne s’écartait pas trop des versions anciennes, fut adopté à peu près partout. Tandis que, seule de toutes ses traductions effectuées directement depuis l’hébreu, sa traduction des psaumes n’entra pas dans l’usage liturgique car elle différait considérablement du texte reçu. Elle se trouva exclue de l’édition sixto-clémentine de la Vulgate pour la même raison ; et toujours pour cette raison le « psautier gallican » succéda au « psautier romain », lui-même résultat d’une toute première révision par saint Jérôme.
Il y avait là, jusqu’à ces derniers temps, une limitation inscrite dans les faits et confirmée par de nombreux actes de gouvernement. Et l’échec de la tentative de renouvellement radical entreprise par Pie XII, ne faisait que la renforcer. Que cette barrière de l’usage liturgique ait brusquement cédé manifestait une désaffection profonde ; qui, chez nous, s’est transformée en désertion massive.
Il est encore un sens où la Vulgate est populaire. Georges Laffly l’a fait remarquer récemment : « Nous péchons par ingratitude et aussi sans doute par sottise quand nous perdons de vue que les expressions latines tirées de la Vulgate sont nombreuses à être devenues dictons ; à faire partie du fonds commun de nos pensées et de nos sentiments, du vanitas vanitatum au in terra pax hominibus bonae voluntatis. » [Georges Laffly : « Sous l’invocation de saint Jérôme », dans les Écrits de Paris, février 1978]
Pour être d’aujourd’hui, l’observation ne s’applique pas seulement à notre temps ; elle était plus véridique encore aux siècles chrétiens ; il suffit de lire, par exemple, la chronique de Joinville pour s’en convaincre. Mais ce qui subsiste de ce fonds commun atteste la dette, même si nous déplorons que les fameuses pages roses du Petit Larousse y soient pour beaucoup. Reste que dans des pays où l’on ignore jusqu’au nom de notre célèbre dictionnaire, la Vulgate a fait son chemin.
Car les missionnaires ont lu, médité et commenté, chanté et traduit, à la cour de l’empereur de Chine comme au fond de la savane mexicaine, chez les Papous comme chez les Bantous, la version latine des deux Testaments. Et la Parole de Dieu, franchissant les océans, fut proclamée pour la première fois tout autour de la terre dans sa version antique et commune, sous les voiles éclatantes des vaisseaux de Magellan.
En quel sens elle est authentique
L’autorité éminente de la Vulgate n’a pas été inventée, elle a été constatée et déclarée par le concile de Trente. Ce constat et cette déclaration conciliaires ont restauré une autorité ébranlée par les humanistes et les novateurs.
Cette autorité, la Vulgate la possède aujourd’hui comme hier, parce qu’elle est toujours ce qu’elle était : la version latine, antique et commune.
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De ce qu’elle est une version latine, de ce qu’elle est donc rédigée dans la langue de l’Église, la Vulgate tire une universalité incontestable. Les autres versions en usage dans l’Église depuis l’antiquité, si elles ont jamais joui de cette universalité, ce qui fut le cas de celle des Septante, l’ont perdue depuis longtemps.
Version antique et commune, la Vulgate est un héritage inestimable qui appartient de droit à toute l’Église militante dans chaque instant de sa course. Elle possède l’autorité qui s’attache dans l’Église à ce qui est transmis de façon ininterrompue et qui est traditionnellement reçu par tous. Elle bénéficie de cet instinct de conservation, proprement maternel, de l’Église, à un degré exceptionnel que souligne le décret réglant l’usage des Livres saints : la Vulgate est approuvée dans l’Église par le long usage de tant de siècles. D’un autre côté, Léon XIII l’affirme dans l’encyclique Providentissimus, c’est elle que recommande la pratique quotidienne de l’Église.
Que la Vulgate soit approuvée et recommandée par l’usage quotidien et séculaire de l’Église, personne ne le discute, car il est impossible de discuter un fait aussi certain. Mais les savants modernes, qui sont des plus malins, s’ils n’ont pas réussi à embrouiller la question, savent très bien taire le fait. Ce qui est une façon efficace de lui ôter toute importance ; et qui revient à nier l’autorité singulière qui s’attache à la Vulgate en raison de son rôle incomparable dans la diffusion de la Parole divine.
Il faut donc rappeler avec fermeté – c’est le refrain de cet essai – que nous tenons la Vulgate de nos pères dans la foi qui, d’héritiers en héritiers, nous l’ont transmise, pour ainsi dire, de la main à la main. À travers les siècles, des légions de moines et de prêtres l’ont lue et chantée tous les jours. Année après année, elle a instruit un peuple innombrable de fidèles. Des pontifes et des docteurs, des saints et des maîtres illustres ont travaillé à la garder intacte et à la répandre largement.
Et pourtant, à voir la froideur dont témoignent de nos jours nombre d’exacts analystes du décret conciliaire déclarant que l’on doit tenir la Vulgate pour authentique, on pourrait croire qu’elle est tombée de la lune au milieu du xvie siècle. Encore que, tombée de la lune, elle aurait droit, de leur part, aux égards réservés aux curiosités. Au lieu qu’ils examinent la question comme si l’appellation Vulgate ne recouvrait aucune réalité qui mérite une considération particulière ; et plus, comme si le décret qu’ils étudient ne comportait aucune indication sur le caractère propre de cette version ; rien qui retienne leur attention ; rien qui excite leur piété. Bref, ils dissertent comme si la Vulgate datait du concile de Trente et qu’elle tenait toute son autorité du fameux décret Insuper qui nous occupe.
Il leur est alors impossible d’examiner sous son vrai jour le sens et la portée de la déclaration d’authenticité. Car il ressort du décret lui-même qu’il n’en va pas ainsi. Le concile statue et déclare que « parmi toutes les versions latines des livres saints en circulation, c’est la version antique et commune, approuvée par le long usage de l’Église elle-même pendant tant de siècles, que l’on doit tenir pour authentique dans les leçons, discussions, prédications et expositions publiques, et que personne ne doit avoir l’audace de la rejeter sous aucun prétexte ».
Notons, avant d’aller plus loin, que le mot authentique peut s’entendre ici, en deux sens. Juridiquement, on dit d’un acte qu’il est authentique, c’est-à-dire qu’il est revêtu des formes légales. Les canonistes définissent comme authentique tout document que l’autorité de l’Église reconnaît officiellement et qu’elle rend obligatoire. Mais le mot a une autre acception, aujourd’hui courante. Quand nous disons : c’est du Louis XIII authentique, ou encore : l’authenticité de ce Rembrandt n’est pas discutée, nous entendons affirmer que l’objet ou l’œuvre en question est bien du temps ou de l’auteur auquel on l’attribue. La signification et la portée du décret ne sont pas les mêmes, on le conçoit, selon que l’on privilégie, ou que l’on retient exclusivement, l’un ou l’autre sens.
Pour donner un aperçu aussi exact que possible de ce point si discuté, je continuerai d’examiner comment les choses se présentent dans les faits et selon le contenu des décrets tridentins.
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La version déclarée authentique est, nous l’avons vu, véritablement antique, commune et approuvée par le long usage de l’Église. Il résulte de cette approbation que la Vulgate est substantiellement conforme aux originaux. Il est en effet impossible que la version des Saintes Écritures reçue par l’Église soit porteuse d’erreurs en matière de foi et de mœurs. Sa valeur, en tant que traduction, n’est pas discutable quant aux points essentiels. Cela, le décret conciliaire, en déclarant la Vulgate authentique, le regarde nécessairement comme acquis. S’il ne précise rien sur ce point, on doit donc s’en tenir à ce que permet d’affirmer l’usage constant de l’Église.
Sans doute ce critère ne permet pas de savoir jusqu’où s’étend la conformité de la Vulgate avec les originaux. Question qui a fait l’objet de controverses fort serrées dont je ne dirai rien car elles n’ont pas trait à la question qu’entendait résoudre le concile de Trente. Et d’ailleurs, posée en ces termes, il n’est pas sûr qu’elle comporte de réponse.
Le P. Lagrange l’a fait remarquer, la conformité constatée avec les originaux, dont personne ne peut dire ce qu’ils sont en tous points, ne garantirait pas la conformité avec le texte inspiré qui, peut-être, ne figure plus dans l’original.
Si elle peut permettre des progrès considérables dans l’établissement des textes, la critique est impuissante à garantir la valeur autre que scientifique, des résultats auxquels elle aboutit. Il y faut le jugement de l’Église.
Ajoutons qu’en supposant établi un texte original impeccable et garanti par l’Église, il faudrait encore l’interpréter correctement. Ce qui est une autre affaire, l’expérience le montre. Saint Thomas a magnifiquement commenté l’Écriture d’après des textes latins que les historiens de la Vulgate s’accordent à dire peu sûrs. Tandis que Renan, pour ne parler que de lui, qui usait des ressources de la critique et recourait aux originaux, a sûrement déraillé.
Les questions de critique textuelle ont pris dans les temps modernes une importance considérable. Elles n’en sont pas moins subordonnées à une autre question, celle-là primordiale. Où les enfants de l’Église peuvent-ils lire l’Écriture pour être assurés de posséder la vraie Parole de Dieu en ce qui concerne leur salut ? Question que seule l’autorité de l’Église peut résoudre et que le concile de Trente entendait trancher en désignant la Vulgate.
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Il ressort d’autre part de la nature de cette approbation et du décret tridentin que la garantie donnée au texte de la Vulgate, quant aux dogmes et à la morale, s’étend à toutes ses parties.
Si, par hypothèse, la tradition a modifié le texte primitif, en précisant le sens d’une prophétie ou en explicitant le sens d’un passage difficile, il est impossible que cette modification altère le texte dans un sens contraire à celui de la Parole divine. Dans ce cas, la Vulgate se trouve donner, au lieu du seul texte inspiré, l’interprétation également inspirée de l’Église.
Mais cette considération, aussi juste qu’elle soit, ne doit pas servir de prétexte pour diminuer l’autorité proprement scripturaire de la Vulgate. D’autant que, précisément, cette autorité de la Vulgate est renforcée par un autre texte tridentin : le très imposant décret De libris sacris et traditionibus de caractère nettement dogmatique. Contre les erreurs des soi-disant réformateurs, il déclare solennellement quel est le vrai fondement de la confession de la foi.
On le trouve, dit le concile, dans les Livres saints et les traditions non écrites. En ce qui concerne l’Écriture, afin qu’aucun doute ne subsiste, les Pères, après avoir donné la liste des livres bibliques que l’on doit recevoir, précise qu’il faut les recevoir « dans leur intégrité, avec toutes leurs parties, tels qu’on a coutume de les lire dans l’Église catholique et tels qu’ils figurent dans la version latine, antique et commune ».
Nul ne peut donc rejeter le texte de la Vulgate dans la mesure exacte où il est celui que l’Église lit habituellement pour enseigner à ses enfants les vérités nécessaires au salut. Mais, puisque c’est l’usage de l’Église qui est la règle, on ne peut pas constituer tel manuscrit ou telle édition de la Vulgate en unique critère de la canonicité d’un fragment de l’Écriture. À supposer, cependant, que l’on prouve avec certitude l’insertion d’une glose dans telle édition, il n’en restera pas moins que la présence ou l’absence du fragment contesté dans les manuscrits les plus sûrs de la Vulgate sera, d’un point de vue critique, la manifestation la plus claire de l’usage de l’Église.
L’autorité proprement scripturaire de la Vulgate a encore été consacrée par le premier concile du Vatican. La constitution dogmatique sur la foi catholique a repris, quasiment mot à mot, l’enseignement du concile de Trente. Avec ce changement notable toutefois que la Vulgate se trouve être le seul critère pratique énoncé pour la détermination du contenu des Livres saints : « Les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament doivent être reçus comme sacrés et canoniques dans leur intégrité, avec toutes leurs parties, tels qu’ils sont énumérés dans le décret de ce concile [de Trente] et tels qu’ils figurent dans la version latine, antique et commune. »
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Après cela il paraît difficile de suivre les modernes qui réduisent la Vulgate à n’être rien d’autre que le « texte biblique officiel » des catholiques romains, imposé par un décret du concile de Trente. L’histoire de l’Église le montre, les décrets tridentins le disent expressément, la Vulgate est plus qu’un « texte officiel » qui, comme tel, pourrait être remanié selon les acquisitions de l’exégèse, les découvertes de l’archéologie ou quelque dessein secret. Et surtout elle est autre chose.
Du fait que la Vulgate est la version antique et commune que recommande la pratique constante de l’Église, il résulte que son authenticité n’est pas seulement d’ordre juridique. Elle est aussi d’ordre critique. D’autre part, Trente définit que la Vulgate fait autorité dans les leçons publiques, les discussions, les prédications, les explications et qu’elle a valeur d’authentique. Autrement dit, le concile déclare bien que la Vulgate est la version officielle mais en même temps il déclare qu’elle vaut l’original. Nous verrons plus loin que les papes qui ont travaillé à l’établissement de l’édition typique de la Vulgate ont constamment conduit les travaux en lui reconnaissant, dans les faits, cette valeur d’original.
Avant de clore ce chapitre, j’ajouterai un mot sur le décret Insuper. La question de son caractère a fait l’objet de thèses nombreuses : est-il de caractère dogmatique ou juridique ? Les réponses ont beaucoup varié, les écoles se sont affrontées et la question demeure pendante. C’est pourquoi je n’ai pas abordé le difficile problème de ce qu’on appelle l’authenticité de la Vulgate par ce chemin. Je crois utile de le redire encore : la Vulgate ne tire pas la substance de son exceptionnelle autorité des décrets tridentins, qui en ont seulement restauré et défini certains traits, mais de l’usage séculaire et quotidien de l’Église.
Récapitulons. Le concile de Trente entendait mettre fin à l’effrayant désordre créé tant par les humanistes que par les novateurs. Pour résoudre les questions si complexes que soulevaient ces hommes bien ou mal intentionnés, le concile décida de donner un principe régulateur clair et simple, en déclarant quelle version servirait à l’éducation des enfants de Dieu.
Décréter solennellement que la Vulgate devait être tenue pour authentique revenait à affirmer que l’Église ne s’était point trompée en se l’appropriant et que ceux qui, pendant tant de siècles, s’en étaient nourris, s’étaient rassasiés à une source pure. En garantissant que la Vulgate était authentiquement la Parole de Dieu, le concile faisait œuvre de restauration.
Après neuf siècles de possession paisible et cent ans de discordes et de désordres, l’Église rendait à ses enfants la version latine, antique et commune.
Le rempart de l’Écriture
Le Concile de Trente a dressé l’autorité restaurée de la version antique et commune contre les assauts des novateurs et les abus de certains catholiques. Notamment en ce qui concerne le canon des Livres saints et l’autorité propre à chacun de ces livres.
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Lorsque se levèrent les sombres génies, initiateurs de la Réforme, l’Écriture faisait l’objet de controverses extrêmement vives à l’intérieur de l’Église. Nombre de prédicateurs et de commentateurs se lançaient dans des interprétations abusives d’où naissaient des querelles sans fin. Le texte lui-même des Livres sacrés était discuté et la Vulgate quasiment abandonnée.
Déjà, un siècle avant le concile de Trente, le pape Nicolas y avait donné un exemple saisissant de la croyance générale que la Vulgate était « complètement dépassée ».
Il avait fait entreprendre une traduction résolument neuve, destinée dans son esprit à remplacer l’antique et commune. C’était, typique, une manifestation de l’esprit nouveau, humaniste, que le pontife encourageait fort. L’échec fut complet et c’est à peine si on trouve trace du travail alors accompli.
Il y eut jusqu’au concile bien d’autres entreprises du même genre. Et les plus hauts personnages de l’Église, tel le célèbre cardinal Cajetan, se mettant à l’école de Nicolas V, faisaient publier eux aussi des traductions établies d’après les originaux. Des savants de tous états travaillaient ardemment sur les textes grecs et hébreux. Théologiens et grammairiens rivalisaient dans la composition de commentaires inédits. Et la corporation toute récente des imprimeurs ne contribuait pas peu à augmenter le désordre en publiant à la hâte des ouvrages plus ou moins bien établis.
En bref, c’était la guerre des bibles, dont la première victime était la Bible. Aussi, le seul résultat certain de ces travaux, malgré quelques réussites de haute volée, fut de multiplier à un point inouï jusque-là les outrages à la Parole écrite et de déconsidérer la version traditionnelle de l’Église.
Avec Luther et Calvin, pour ne nommer qu’eux, cette guerre des bibles prit un tour nettement révolutionnaire. Ces sinistres géants prétendirent édifier leur doctrine sur la seule Écriture et mépriser les traditions apostoliques. Au nom de ce radicalisme biblique ils nièrent les droits exclusifs de l’Église sur les Livres saints.
C’est une idée aujourd’hui bien établie, même chez les catholiques, que les protestants sont les hommes de l’Écriture ; qu’ils sont en quelque sorte les gardiens du Livre dans une chrétienté déchirée. J’en suis fâché pour ceux de nos amis qui sont protestants mais ce n’est pas vrai.
C’est même le contraire qui est vrai. Et ce, depuis le début de cette révolution fâcheusement dite Réforme.
Au nom de leur doctrine, les fondateurs des différentes confessions protestantes discutèrent de l’autorité des textes reçus dans l’Église. Nombre d’humanistes catholiques étaient tentés, sinon de les suivre, du moins d’accorder quelques satisfactions aux novateurs. Des discussions de tous ces savants, qui auraient pu comme les tobards se parer du titre de « savants chrétiens », naquit la mise en doute de l’autorité de nombreux textes. Luther alla jusqu’au rejet pur et simple de plusieurs Livres sacrés.
Ainsi la révolution protestante commençait son entreprise de dévastation au nom de la défense de l’intégrité de l’Écriture. Ainsi ces prétendus hommes du Livre commencèrent par le dépecer.
Ces novateurs furent les premiers lecteurs sauvages systématiques. Ils ont fondé le biblicisme moderne qui, au nom de l’étude du texte, pulvérise la Parole de Dieu.
Catholiques nous devons en être certains : sans l’Église et sans la Vulgate, il n’y aurait plus aujourd’hui ni textes assurés, ni interprétations stables, ni canon défini.
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Le concile de Trente a énuméré dans le décret De libris sacris et traditionibus, dont nous avons déjà parlé, la liste des Livres saints que l’on doit tenir pour sacrés et canoniques.
Il n’est peut-être pas inutile de rappeler cette liste. Voici donc, tel que le décret le donne, le catalogue des Livres saints :
« De l’Ancien Testament, cinq de Moïse, à savoir, la Genèse, l’Exode, le Lévitique, les Nombres, le Deutéronome ; Josué, les Juges, Ruth, quatre des Rois, deux des Paralipomènes, le premier d’Esdras et le second qui est dit de Néhémie ; Tobie, Judith, Esther, Job, les cent cinquante psaumes du Psautier Davidique, les Paraboles, l’Ecclésiaste, le Cantique des Cantiques, la Sagesse, l’Ecclésiastique, Isaïe, Jérémie avec Baruch, Ézéchiel, Daniel ; les douze prophètes mineurs, à savoir, Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas, Michée, Nahum, Habacuc, Sophonie, Aggée, Zacharie, Malachie ; deux des Maccabées, le premier et le second.
« Du Nouveau Testament, les quatre Évangiles, selon Matthieu, Marc, Luc et Jean ; les Actes des Apôtres écrits, par l’évangéliste Luc ; les quatorze épîtres de l’apôtre Paul, aux Romains, aux Corinthiens deux, aux Galates, aux Éphésiens, aux Philippiens, aux Colossiens, aux Thessaloniciens deux, à Timothée deux, à Tite, à Philémon, aux Hébreux ; les deux épîtres de l’apôtre Pierre, les trois de l’apôtre Jean, une de l’apôtre Jacques, une de l’apôtre Jude et l’Apocalypse de l’apôtre Jean. »
Cette énumération, reprise du concile de Florence, constitue ce qu’on appelle le canon des livres saints ou canon des Écritures. C’est-à-dire la collection des livres dont l’Église garantit l’inspiration et qu’elle reçoit comme règle et fondement de la foi. En promulguant à nouveau ce canon, les Pères du concile suivaient une tradition solidement établie.
En guise de points de repère, je rappelle ici deux données certaines et faciles à retenir. D’une part, dès le temps du pape saint Damase, le canon du Nouveau Testament était fixé.
Et d’autre part, depuis que la Vulgate telle que nous la connaissons est devenue la version commune, c’est-à-dire depuis saint Isidore de Séville, le canon des deux Testaments est, au témoignage des manuscrits les plus sûrs, inébranlable.
Mais comme les novateurs, s’emparant d’anciens doutes, discutaient l’autorité de nombreux livres, le concile de Trente, authentifiant le canon traditionnellement reçu et attesté par la version antique et commune, précisait en outre que tous les livres cités avaient la même autorité. Avant ce décret, l’Église n’avait pas défini explicitement la parfaite égalité de tous les textes sacrés qu’elle recevait. Certes sa pratique constante – elle les lisait tous – imposait qu’on les reçoive tous. Mais on pouvait se demander s’il n’y avait pas lieu de distinguer leur degré d’autorité, selon qu’ils avaient été reçus par tous plus ou moins tardivement ; ou encore selon qu’ils avaient ou non fait l’objet de discussions entre les Pères.
Ces derniers critères ont servi à établir une distinction, demeurée courante, entre les textes dits protocanoniques et les textes dits deutérocanoniques. Les premiers sont les textes qui ont été constamment reçus par tous dans l’Église, les autres ceux qui ont été reçus plus tardivement ou qui, soit en Orient soit en Occident, ont vu discuter leur autorité.
Mais le décret conciliaire ne tient aucun compte de cette distinction, bien qu’elle soit historiquement fondée, même lorsqu’elle a l’autorité de saint Jérôme pour elle. Plus, il affirme explicitement que l’on doit à tous les textes énumérés, dans leur intégrité et avec toutes leurs parties, un égal respect et une même vénération.
Sur la question de l’extension ou, si l’on veut, de l’intégrité de la canonicité ainsi définie, je ne m’étendrai pas. Elle est connexe à celle de l’extension de l’authenticité de la Vulgate et les remarques que nous avons faites au précédent chapitre s’appliquent ici, mutatis mutandis.
La règle selon laquelle on doit recevoir pour sacrés et canoniques les Livres saints est la conduite de l’Église, qui les lit, et leur présence dans la Vulgate.
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L’enseignement du concile de Trente sur le canon des Écritures a été confirmé par le premier concile du Vatican et par Léon XIII, notamment dans la charte des études scripturaires qu’est l’encyclique Providentissimus Deus. Ni Benoît XV dans Spiritus Paraclitus, ni Pie XII dans Divino afflante Spiritu, ni le second concile du Vatican ne sont revenus sur le sujet.
Il est vrai que d’autres questions, plus radicales que celles des novateurs du xvie siècle, sont aujourd’hui posées. Elles portent, carrément ou insidieusement, sur l’inspiration divine et l’historicité de l’ensemble des récits sacrés. Le souci désordonné des « exigences de la science » a conduit à traiter la Bible comme si elle n’était rien d’autre qu’un recueil de contes et légendes des juifs et des chrétiens. On analyse sans amour, on dissèque sans respect, on désarticule sans même l’ombre d’une émotion le Livre de Dieu ; le livre écrit avec le sang de l’Agneau.
Il est vrai aussi que ces assauts se doublent de trahison. En France, au sein même de l’Église, ceux qui ont pour mission de garder le dépôt intact et de faire connaître l’authentique Révélation falsifient ou laissent falsifier l’Écriture.
Cette trahison, non point accidentelle, mais méthodiquement organisée, la « bataille du verset six » en a révélé les aspects exégétiques et bureaucratiques . D’un autre côté la détestable Tob symbolise de façon permanente le reniement pratique de la tradition scripturaire catholique . Mais l’imposture du « fonds obligatoire » qui impose, dans les nouveaux catéchismes, des versions falsifiées du Nouveau Testament, en demeure à ce jour la manifestation la plus éclatante. Et la plus affreuse parce qu’il s’agit de ce qu’on enseigne aux enfants.
Alors que la Parole de Dieu est bafouée comme jamais elle ne l’a été, la Vulgate est à nouveau abandonnée par (presque) tous.
Mais, Dieu aidant, point par nous. Car nous savons et nous professons que la version antique et commune demeure, aujourd’hui comme hier, le rempart de l’Écriture.
L’édition sixto-clémentine
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Le décret du concile de Trente qui portait sur l’édition et l’utilisation des Livres sacrés prescrivait de donner une édition aussi correcte que possible de la Vulgate. Mais il n’indiquait pas qui serait le maître d’œuvre de cette édition, pas plus qu’il ne précisait comment on devrait établir son texte.
On n’eut pas à chercher longtemps un éditeur : de toute évidence le rôle revenait au siège apostolique. D’autre part la teneur du décret permettait d’inférer quelle devait être la norme du travail à entreprendre. Puisque le concile avait restauré l’autorité de la version antique et commune, le but à poursuivre était d’en restituer le texte aussi fidèlement que possible ; et cela fait, d’en réaliser une édition extrêmement soignée.
Cependant quarante-cinq années passèrent et dix papes se succédèrent avant que l’Église soit en possession de cette édition typique. Il est vrai qu’au début les choses n’avancèrent pas vite. La nécessité de se procurer des manuscrits de grande valeur en aussi grand nombre que possible contribuait à donner aux révisions un rythme extrêmement lent.
C’est ainsi que les collations réalisées par une commission pontificale sous Pie IV furent entièrement reprises, saint Pie V régnant, pour tenir compte de nouveaux et importants manuscrits qui venaient d’arriver à Rome. Il est vrai aussi que le pontificat de saint Pie V vit mener à bien d’autres travaux considérables.
Lors de sa dernière session, en 1563, le concile avait ordonné la publication d’un catéchisme, d’un bréviaire et d’un missel. Saint Pie V, éditeur d’une prodigieuse efficacité – ce qui n’est pas son plus mince titre de gloire, je m’en assure tous les jours que Dieu fait – fit achever la rédaction, réviser, corriger, imprimer et publier ces trois ouvrages en cinq années : le catéchisme parut en 1566, suivi du bréviaire en 1568 et du missel en 1570.
Il est non moins vrai que ces délais naissaient de l’extrême difficulté de la tâche. Les heurts d’écoles et les querelles d’experts, qu’on ne pouvait ni empêcher, ni négliger, la compliquaient encore. Vint alors Sixte-Quint. Ce pontife vigoureux prit le mors aux dents, si je puis dire, et se fit une affaire personnelle de mener à bien la publication. Après avoir harcelé les réviseurs pendant deux années, il reprit lui-même tout leur travail.
Achevée d’imprimer en 1590, la Bible sixtine fut mise en vente immédiatement. Et immédiatement attaquée par l’ensemble des cardinaux ; si durement que le pontife envisageait sa révision lorsqu’il mourut. La vente fut alors suspendue ; les exemplaires restants mis au pilon ; les exemplaires mis en circulation, recherchés, rachetés et détruits.
Dès son élection, Grégoire XIV faisait procéder à une nouvelle révision générale. Enfin, en 1592, Clément VIII publiait une édition revue et corrigée, qui donnait le texte dit depuis sixto-clémentin. L’édition typique de la Vulgate était née.
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Entre l’édition sixtine et l’édition sixto-clémentine les différences sont nombreuses ; on en a recensé près de cinq mille. La chose serait troublante si les deux révisions avaient été conduites exactement de la même manière ; et si l’intervention de Sixte-Quint n’avait brouillé les cartes.
Non point qu’il y ait eu plusieurs conceptions générales de l’œuvre à accomplir, nous l’avons vu. Il s’agissait toujours de restituer dans son intégrité et sa pureté la version latine, antique et commune. Et tout le monde en était d’accord, cette version était due pour l’essentiel à saint Jérôme, qu’il ait traduit ou seulement révisé ; le complément, les livres qu’il n’avait ni traduits, ni révisés, avait été conservé dans une version antérieure à saint Jérôme, l’Italique de saint Augustin. Il n’était pas question de corriger ce texte d’après l’hébreu ou le grec lorsqu’il était bien établi ; et encore moins d’en améliorer le style. Le principe de l’indépendance de la version latine, dont le texte est garanti par l’Église, est très fermement exprimé par Sixte-Quint dans la constitution Aeternus ille et par saint Robert Bellarmin dans la Préface à l’édition sixto-clémentine.
Mais, ces principes admis, une très grande difficulté demeure. Saint Jérôme, déjà, l’avait soulevée. Dans sa lettre à saint Damase, publiée en préface à sa révision des Évangiles, il souligne qu’il n’a modifié la traduction qu’autant que c’était indispensable, pour ne pas troubler inutilement les fidèles. Une question analogue se posait à propos de la Vulgate. Lorsqu’ils différaient, fallait-il donner la préférence aux textes primitifs de saint Jérôme et de l’Italique, ou au texte commun transmis par l’Église ?
Le programme fixé par Sixte-Quint était de reproduire d’aussi près que possible l’original de la traduction, quand celle-ci était de saint Jérôme surtout. Mais le pontife ne se tint pas personnellement à cette norme. Et, en révisant selon ses lumières propres le travail préparatoire, il réintroduisit un grand nombre de leçons douteuses, de ce point de vue au moins.
La révision sixtine rejetée, on commença par reprendre les choses au point où elles en étaient avant l’intervention du pape. Mais à la difficulté propre à l’ouvrage s’ajoutaient désormais les difficultés dues aux circonstances. La très grave imprudence de Sixte-Quint survenait à un moment où l’Église était accusée de falsifications scripturaires. La situation parut si délicate que l’on examina la question de savoir si l’on publierait le résultat de la révision entreprise. D’un autre côté les désaccords méthodologiques, envenimés d’une rivalité entre dominicains et jésuites, menaçaient la commission pontificale d’éclatement.
Une congrégation réduite fut instituée, sur la suggestion de saint Robert Bellarmin, semble-t-il. Le dessein fondamental demeurait inchangé. Le parti adopté fut de s’en tenir au texte latin lorsqu’il était certain et, en cas d’incertitude, de se reporter aux textes grecs ou hébreux ainsi qu’aux commentaires des Pères. La règle de « non-correction » des erreurs éventuelles de traduction demeurait fermement établie. Et plus, on ne retenait même pas toutes les corrections qui paraissaient devoir être faites d’un point de vue strictement critique. Le texte auquel on s’arrêta ne fut donc pas, stricto sensu, le texte primitif.
Non sans doute que l’obstacle ait été jugé insurmontable de s’assurer quel il était. Mais, d’une part, la prudence et l’exemple des anciens recommandaient de ne pas troubler inutilement l’usage lorsqu’il était solidement attesté.
Et d’autre part, retrouver, dans sa pureté critique, la traduction telle qu’elle jaillissait des lèvres du traducteur, ce n’était pas nécessairement restituer la version traditionnellement approuvée par l’Église. Et il pouvait se faire que, là où elles différaient, l’usage eût raison contre le traducteur. Ce texte était donc le fruit d’un travail de discernement extrêmement délicat. Il possédait à un très haut degré des qualités fort difficiles à concilier.
iii
J’ai déjà souligné la hardiesse du programme fixé par le concile, mais il ne me paraît pas inutile d’y insister.
En pleine révolution protestante, alors que l’esprit sceptique de la Renaissance triomphait, que s’affirmaient le scientisme et le mercantilisme modernes, l’Église avait affirmé dogmatiquement qu’elle seule détenait les Paroles de Vie. Et non contente de produire solennellement cette affirmation, elle choisissait, en témoignage de ses dires, de restaurer ses trésors les plus certains et les plus attaqués.
Il en fut ainsi pour la messe, car le missel romain de saint Pie V est une restitution de la messe traditionnelle, latine et grégorienne. Il en fut ainsi pour la doctrine, car le Catéchisme du concile de Trente l’enseigne conformément à la pratique millénaire de l’Église. Et il en fut ainsi pour l’Écriture, car la Vulgate sixto-clémentine est une restitution de la version latine, antique et commune.
Mais la conduite de ce dessein, si prodigieusement étranger au monde moderne, supposait une rare prudence. Et l’expérience a malheureusement été faite par Sixte-Quint qu’un simple défaut de rigueur dans l’application de justes règles suffisait à conduire au désastre. Une très attentive minutie et une très solide constance sont nécessaires pour bien conduire les recherches sur les manuscrits et confronter leurs témoignages cas par cas, tout en tenant compte de l’autorité propre qui est reconnue à chacun d’eux. Ces travaux critiques menés à bien avec tout le soin possible, il reste à peser leurs conclusions et à déterminer dans quelle mesure on doit y faire droit. Il y faut une grande largeur de vue qui, donnant à la science toute sa place, ne craigne point de laisser libre cours à l’instinct conservateur de l’Église, tel qu’il s’exprime, par exemple, dans l’usage liturgique.
iv
C’est dire assez que la valeur de l’édition sixto-clémentine ne doit pas se mesurer exclusivement à l’aune des savants, aussi savants qu’ils soient. Le scientisme, qui infecte l’esprit moderne, conduit le plus souvent à raisonner comme si la détermination du véritable sens de l’Écriture était soumise à la détermination scientifique de la lettre de son texte. En l’espèce à une déclaration de conformité de la Vulgate avec les originaux, par des savants, – catholiques, juifs ou baptistes, peu importe ici. Mais l’Église de Dieu n’est pas soumise aux archéologues, paléographes et autres philologues. Car l’Épouse du Christ est l’unique gardienne et dispensatrice de la Parole de Dieu. Le texte de l’Écriture qu’elle fait sien ne peut pas être considéré sous le seul rapport de la chasse aux mots.
Ce qui compte d’abord, ce qui compte par-dessus tout, c’est que le sens du texte soit absolument assuré pour tout ce qui touche au salut des hommes. Or seule l’Église peut nous donner une telle assurance ; car seul le jugement de l’Église peut certainement garantir la conformité substantielle d’une version, originale ou traduite, avec le texte inspiré par Dieu à l’écrivain sacré.
Comme nous savons que l’édition sixto-clémentine, régulièrement promulguée et paisiblement reçue, restitue fidèlement la version antique et commune ; et que, d’un autre côté, nous voyons qu’elle a fait autorité pendant trois cent cinquante ans, nous avons l’absolue garantie qu’elle ne nous trompe pas.
Je n’entends pas dire par là que l’œuvre de Sixte-Quint et Clément VIII soit irréformable. On sait que saint Pie X avait fait entreprendre des travaux préparatoires à une nouvelle édition de la Vulgate. Dans ses grandes lignes, ce programme ne s’écartait point de celui que fixèrent les pontifes du xvie siècle. Entendue en ce sens, une révision de la Vulgate s’inscrit dans la très longue tradition qui, d’Alcuin au P. Tolet, a permis de conserver aussi pure que possible la version commune. Il s’agit en somme de publier une nouvelle édition, rapprochée autant que les forces humaines le permettent, de la version antique.
*
Tout autre était l’objectif fixé à la commission postconciliaire de révision de la Vulgate. Je n’en dirai, pour le moment, qu’un mot.
Il ne s’agissait plus d’établir une nouvelle édition, corrigée, de la Vulgate, mais de préparer la première édition d’une « néo-Vulgate ». Le programme prévoyait en effet une relecture complète de la traduction de saint Jérôme et sa correction d’après les originaux. Ce programme fait fi d’un usage quatorze fois séculaire ; il s’écarte radicalement de la ligne tracée par les décrets tridentins et de la fin constamment poursuivie par les papes qui se sont appliqués à la conservation, à l’amélioration et à la diffusion de la version traditionnelle. La version antique et commune n’est plus considérée comme la norme pratique de la transmission de l’Écriture dans l’Église. Et donc, quoi qu’il en soit du résultat de cette révision, il est clair qu’on ne peut pas lui donner, sans grave équivoque, le nom de Vulgate.
On ne fabrique pas en quelques années, même avec beaucoup de science, une version antique et commune. Au reste, la situation, en France tout au moins, rend cette révision dérisoire. Car la Vulgate, tout le monde s’en moque et la version de l’Écriture qui se répand partout, c’est la détestable Tob.
Alors ? Alors, dans l’attente confiante du jugement ultérieur de l’Église, étudions pieusement et paisiblement l’édition séculaire de la Vulgate que nous ont léguée nos pères dans la foi.
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