Saint Jean Eudes a écrit :
CHAPITRE VII.(suite)
Enfin Dieu a fait choses si grandes à cette divine Vierge, qu'il n'a pu lui en faire de plus grandes. Car il peut bien faire un monde plus grand que celui qu'il a fait, un ciel plus étendu, un soleil plus éclatant; mais il ne peut pas faire, dit saint Bonaventure, une Mère plus grande et plus noble qu'une Mère de Dieu. Car s'il pouvait en faire une plus grande, il faudrait lui donner un Fils plus excellent. Or peut-on trouver un plus digne Fils que le Fils de Dieu, dont la bienheureuse Vierge est la Mère ? Que dirai-je davantage ? Je vois un grand Prélat plein de science et de piété, qui est Rutilius Benzonius, évêque de Lorette, qui ne craint point de dire que Dieu a élevé si haut cette Vierge incomparable, et lui a donné des privilèges si extraordinaires, que l'on peut dire qu'elle a donné, s'il faut ainsi parler, des choses plus grandes en quelque manière à sa divine Majesté, que celles qu'elle a reçues. Car toutes les choses qu'elle a reçues sont finies et limitées, et n'excèdent point les bornes d'une chose créée; mais la Reine du ciel, donnant naissance au Fils de Dieu, l'a tellement engendré homme, qu'elle l'a aussi engendré Dieu, Créateur et souverain Seigneur, Sauveur et Rédempteur du monde. Elle a reçu de Dieu d'être sa créature, de lui être agréable, d'être pleine de grâce, d'être bénite par-dessus toutes les femmes, etc.
Mais elle a donné à Dieu d'être notre Emmanuel, c'est-à-dire Dieu avec nous; d'être Dieu et homme; d'être le Rédempteur des hommes par le précieux sang qu'il a reçu d'elle; d'avoir toute-puissance au ciel et en la terre, en tant qu'homme; d'être le Juge universel de tout le monde, en tant qu'homme; d'être assis à la droite de son Père, en tant qu'homme; d'être le chef de toute l'Église, en tant qu'homme; d'être le chef des Anges, en tant qu'homme; de pardonner les péchés, en tant qu'homme. Si notre Sauveur a donné la puissance à ses Apôtres de faire de plus grands miracles que ceux qu'il a faits lui-même, selon le témoignage de l'Évangile (1) , il ne faut pas s'étonner s'il a donné le pouvoir à sa très sainte Mère de lui donner des choses plus grandes que celle qu'elle a reçues de lui. Car ce pouvoir est une des choses grandes dont elle parle quand elle dit que le Tout-Puissant lui fait choses grandes.
Entendons ce que le saint Cardinal de Bérulle, fondateur de la Congrégation de l'Oratoire en France, a écrit sur ce sujet dans son livre merveilleux des Grandeurs de Jésus, approuvé d'un grand nombre de Prélats et de Docteurs. C'est au Discours onzième, en l'article douzième, là où, après avoir dit que la bienheureuse Vierge donne vie à Jésus et reçoit vie de Jésus, voici comme il parle: « Disons donc qu'en ce flux et reflux admirable de vie et d'amour qui est entre Jésus et Marie, entre ces deux personnes si nobles et si conjointes, et les plus nobles et les plus conjointes après les Personnes divines et éternelles, et conjointes divinement en l'état de l'humble et secrète naissance de Jésus en la bienheureuse Vierge: cette même Vierge, comme Mère, donne vie à Jésus, et l'engendrant et concevant, elle lui donne une vie reçue et fondée en l'existence et subsistance incréée. Vie incomparablement plus haute et plus divine que n'est pas celle qu'elle reçoit de Jésus même. Car elle intervient à l'union de la Divinité avec l'humanité; elle donne vie humainement divine à Jésus; elle donne vie nouvelle à Dieu; elle fait que Dieu est homme et que l'homme est Dieu; elle engendre un vivant, divinement vivant et divinement subsistant, qui est Dieu; elle produit au monde la vie d'un Homme Dieu, et de sa substance elle conçoit, elle nourrit, elle enfante Dieu en soi-même et en l'univers; et ainsi son opération se termine à un Homme-Dieu, puisqu'elle est Mère de Dieu. Au lieu que Jésus vivant et opérant en Marie, lui donne une vie très haute et très sublime à la vérité, mais vie de grâce, qui est une qualité et non pas une substance, et vie d'une personne sainte et très sainte, mais d'une personne humaine et non divine et incréée comme est son Fils unique. Et cette présence et opération de Jésus en Marie, se termine en elle à former l'état de Mère de Dieu, qui est un état bien inférieur et subordonné à l'état de l'Homme-Dieu, que la bienheureuse Vierge, élevée par l'opération du Saint-Esprit, établit et forme par cette naissance. Et par conséquent Jésus donne à Marie une vie moindre en la grâce et en la gloire, que n'est pas cette vie grande et admirable que Marie a produite, lorsqu'elle a conçu, incarné et enfanté le Fils de Dieu au monde.»
Après cela, qui est-ce qui n'admirera les choses grandes et merveilleuses que Dieu a faite à la glorieuse Vierge ? Et qui est-ce qui ne reconnaîtra que c'est le Saint-Esprit qui lui a fait prononcer ces paroles : Fecit mihi magna qui potens est ?
Oh ! qu'elles comprennent de prodiges et de miracles ! Oh ! que c'est chose grande d'être Vierge et Mère tout ensemble, et d'être Vierge et Mère d'un Dieu ! Oh ! Que c'est chose grande d'être associée avec le Père éternel dans sa divine paternité, pour être Mère sans père, en la plénitude des temps, du même Fils dont il est Père sans mère dans l'éternité ! Oh ! que c'est chose grande d'être revêtue de la vertu du Très-Haut, et d'être participante de son adorable fécondité pour produire un Dieu qui est consubstantiel, coégal et coéternel à Dieu son Père ! Oh ! que c'est chose grande de donner une naissance temporelle dans son sein virginal, à celui qui est né avant tous les siècles dans le sein du Père des miséricordes! Oh! que c'est chose grande à une créature mortelle de donner la vie à celui duquel elle l'a reçue ! Oh ! que c'est chose grande d'être la Fille et la Mère de son Père, de son Créateur et son Dieu ! Oh ! que c'est chose grande d'être la digne Épouse du Saint-Esprit et d'être associée avec lui dans la production de son adorable chef-d'oeuvre, qui est l'Homme-Dieu ! Oh ! que c'est chose grande de renfermer en soi celui que les Cieux des cieux ne peuvent contenir ! Oh ! que c'est chose grande de porter en ses entrailles et entre ses bras celui qui porte toutes choses par sa divine parole ! Oh ! que c'est chose grande d'avoir un pouvoir et une autorité de Mère sur celui qui est le souverain Monarque de l'univers ! Oh ! que c'est chose grande d'être la nourrice, la gardienne et la gouvernante de celui qui conserve et qui gouverne tout le monde par son immense Providence ! Oh ! que c'est chose grande d'être la Mère d'autant d'enfants qu'il y a eu et qu'il y aura jamais de chrétiens en la terre et au ciel ! Oh ! que c'est chose grande d'être la Reine des Anges, des Archanges, des Principautés, des Puissances, des Vertus, des Dominations, des Trônes, des Chérubins, des Séraphins et de tous les saints Patriarches, Prophètes, Apôtres, Martyrs, Confesseurs, Vierges et Bienheureux qui sont dans le paradis ! Oh ! Que c'est chose grande à une fille d'Adam, d'être si remplie de sainteté, depuis le premier moment de sa vie jusqu'au dernier, que jamais aucun péché, ni originel ni actuel, n'a eu de part en elle !
Oh ! que c'est chose grande d'être transportée et élevée en corps et en âme au plus haut du ciel, et d'être assise à la droite du Rois des rois ! Oh! que c'est chose grande d'être la Souveraine, l’Intendante et la Gouvernante de tous les états du souverain Monarque du ciel et de la terre ! Oh ! que c'est chose grande d'avoir une puissance absolue et souveraine sur le ciel, sur la terre, sur l'enfer, sur les Anges, sur les hommes et sur toutes les pures créatures ! Oh ! que ces deux paroles Gratia plena, sorties du Coeur adorable de la très sainte Trinité, et prononcées de la bouche d'un Dieu parlant par la bouche d'un Séraphin, contiennent encore des choses grandes et glorieuses pour vous, très sacrée Mère du Sauveur ! Oh ! que c'est chose grande d'être pleine de grâce, et de la grâce des grâces, qui est la grâce de Mère de Dieu, qui comprend et qui passe toutes les grâces, et même qui en est la source, puisqu'elle vous est donnée pour vous rendre digne d'être la Mère de celui qui est l'Auteur de toute grâce !
Ô pleine de grâce, qui êtes remplie de toutes les grâces, de tous les dons et de tous les fruits du Saint-Esprit ! Ô pleine de grâce, qui possédez parfaitement toutes les grâces des vertus chrétiennes et des béatitudes évangéliques ! Ô pleine de grâce, dont toutes les facultés, et spirituelles et corporelles, sont comblées de grâces et de sainteté ! Ô pleine de grâce, dans laquelle toutes les grâces des saints Patriarches, des saints Prophètes, des saints Apôtres, des saints Martyrs, des saints Prêtres, des saints Confesseurs, des saintes Vierges et de tous les autres Saints se trouvent en leur dernière perfection ! Ô pleine de grâce, qui êtes aussi pleine de gloire, de félicité, de puissance, de majesté et de toutes les grandeurs qui doivent accompagner la très haute dignité de Mère de Dieu !
Voilà bien des choses grandes et merveilleuses que Dieu a faites à la Reine du ciel; mais voici le miracle des miracles : C'est qu'étant aussi grande, aussi sainte et aussi admirable que vous êtes, ô Vierge Mère, vous vous êtes toujours regardée, traitée et abaissée, comme si vous eussiez été la plus petite et la dernière de toutes les créatures : Magnum, quia Virgo, dit un saint Père (2) ; magnum, quia Mater; majus, quia utrumque; maximum, quia Deiparens; sed majus, quia, cum tanta sit, putat se nihil esse : « C'est chose grande à la Reine des Anges, d'être Vierge; c'est chose grande d'être Mère; c'est chose plus grande d'être Mère et Vierge tout ensemble; c'est chose très grande d'être Vierge et Mère de Dieu; mais ce qui passe tout cela, c'est qu'étant si grande comme elle est, elle se regarde comme si elle n'était rien. »
Et de plus, c'est qu'elle emploie tous ces grands pouvoirs, tous ces grands privilèges, toutes ces grandes miséricordes, pour assister les petits, les misérables et même les plus perdus, s'ils ont recours à elle avec humilité et confiance. Toute puissance, dit le saint Cardinal Pierre Damien, vous est donnée au ciel et en la terre, et rien n'est impossible à celle qui a le pouvoir de rétablir les plus désespérés dans l'espérance de leur salut (3). Oui, dit saint Bonaventure, parce que le Seigneur tout-puissant est très puissamment avec vous; à raison de quoi vous êtes très puissante avec lui, très puissante par lui, très puissante chez lui : Dominus potentissimus potentissime tecum est; ideo et tu potentissima es secum, potentissima es per ipsum, potentissima apud ipsum (4).
Ô Vierge très puissante et très bénigne, c'est de tout mon coeur que je rends grâces infinies au Tout-Puissant de vous avoir faite si grande, si puissante et si admirable.
Et c'est de tout mon coeur aussi que je me donne, que je me livre et que je m'abandonne entièrement et irrévocablement à la grande puissance que Dieu vous a donnée, vous suppliant très humblement de l'employer sur moi, pour y détruire totalement tout ce qui y déplaît à Lui et à vous, et pour y établir parfaitement le règne de sa gloire et de son amour.
(1) « Qui credit in me, opera quae ego facio, et ipse faciet, et majora horum faciet. » Joan. XIV, 12.
(2) Venerab. Beda.
(3) Serm. I, de Nativ. B. Virg.
(4) In Spec. Virg. Cap.8.