Voilà en substance le mystère, ou plutôt les mystères qui ont été accomplis en ce jour, et pour lesquels la sainte Église a établi cette fête avec tant de solennité. Elle lui a donné plusieurs noms pour signifier les diverses merveilles qui s'y sont passées ; faisons quelques réflexions afin de recueillir les fruits qui y sont attachés.
Les anciens ont appelé cette solennité la Fête de Siméon et d'Anne : de Siméon, parce que ce vénérable vieillard y parut avec tant de majesté, et qu'il est en cette occasion si hautement loué dans l’Évangile comme un homme craignant Dieu, qui attendait avec assurance la rédemption d'Israël, qui possédait dans son cœur le Trésor des trésors, savoir le Saint-Esprit, et qui reçut de lui, en ce moment, l'exécution de la promesse qu'il lui avait faite longtemps auparavant, de ne point sortir de cette vie mortelle sans avoir eu le bonheur de voir de ses propres yeux l'auteur de la vie immortelle et le Christ du Seigneur. Mais, non-seulement il vit et connut à son aise le visage de Celui que tous les anges admirent, mais même il L'embrassa et Le baisa mille et mille fois avec la tendresse et la douceur que l'on peut plutôt s'imaginer qu'exprimer; et, outre ces faveurs, il fit encore en cette rencontre l'office de prophète : car, lorsqu'il reçut entre ses bras l'adorable Jésus, que sa mère lui présenta, non-seulement il pénétra des yeux de l'esprit et reconnut la Personne divine qui était cachée sous les membres d'un enfant, mais encore il prévit tout ce qui devait lui arriver,et il le prédit à sa mère par ces paroles : « Celui-ci est établi pour la ruine et pour la résurrection de plusieurs en Israël. Il sera un signe de contradiction contre lequel chacun s'opposera, et votre âme même sera percée par le glaive, afin que les pensées de plusieurs cœurs soient découvertes ».
On dit aussi que c'est la Fête d'Anne, parce qu'une bonne veuve qui portait ce nom, et qui, après avoir vécu sept ans avec son mari, avait passé sa vie, jusqu'à l'âge de quatre-vingt-quatre ans, dans une sainte viduité, se rencontra aussi, par une providence merveilleuse, dans le Temple avec le vieillard Siméon, lorsque Joseph et Marie y présentèrent Jésus-Christ. Et,comme cette bonne vieille ne put contenir sa joie, elle se mit à dire des prodiges de ce même Enfant à tous ceux qu'elle connaissait avoir dans le cœur de la piété et de l'amour pour Dieu. C'est ce que l’Évangéliste veut dire par ces autres termes : « Elle attendait la Rédemption d'Israël ».
Les Grecs appellent cette fête Hypapantè, c'est-à-dire rencontre, pour exprimer que saint Siméon et sainte Anne se sont rencontrés heureusement en cette sainte journée ce que l’Église semble vouloir signifier en l'office divin, par ces paroles dont elle se sert à l'invitatoire des Matines : « Voici que le Seigneur dominateur vient en son saint Temple; réjouis-toi, Sion, et tressaille d'allégresse, en allant au-devant de ton Dieu ». En effet, je remarque qu'il s'est fait en ce jour, non pas une seule, mais plusieurs rencontres très-heureuses; d'abord, Joseph et Marie se sont rencontrés avec Siméon et Anne, dans le Temple, ayant l'enfant Jésus au milieu d'eux, et Le portant chacun à son tour. De plus, la grâce et la loi se sont trouvées concourir à ce divin mystère; la loi y ayant été observée dans toute sa rigueur, et la grâce s'y étant répandue abondamment. Pour une troisième rencontre on y a vu les larmes mêlées avec la joie, et les appréhensions avec des transports d'allégresse, par les différentes prédictions du saint vieillard à la très-sainte Vierge, qui les a conservées dans son cœur tout le reste de sa vie, et en a fait part à toute l’Église par la plume de saint Luc, fidèle écrivain de ces merveilles.
Enfin, quant à saint Siméon en particulier, il a aujourd'hui une union pleine de consolation avec l'Enfant Jésus ; car, si ce saint vieillard porte Jésus enfant, Jésus, néanmoins, gouverne le vieillard : le vieillard porte l'enfant entre ses bras, et l'enfant donne des forces au vieillard, afin de se soutenir. Le vieillard embrasse l'Enfant, et l'Enfant donne au vieillard des embrassements de tendresse et de dilection. Le vieillard verse des larmes de joie sur les joues de l'Enfant, et l'Enfant laisse errer sur ses lèvres un sourire amoureux qui dilate le cœur du vieillard. Le vieillard presse l'Enfant contre son sein, comme s'il Le voulait enfermer dans son cœur, afin d'avoir une nouvelle vie, et l'Enfant s'élance dans le cœur du vieillard pour lui donner une vie qui n'est point sujette à la mort. Heureuse donc la rencontre de Siméon et de Jésus, des larmes de Siméon avec les sourires de Jésus, des désirs de Siméon avec l'amour de Jésus, et enfin de l’âme de Siméon avec l'âme de Jésus !