Lorsque, dans un auteur, on trouve un passage qui manque de clarté, la critique veut, la justice exige qu'on le compare avec les passages parallèles où l'auteur, traitant le même sujet, s'exprime d'une manière moins obscure. Appliquons ce principe au cas présent. Vous voulez connaître les véritables sentiments du pape Gélase sur le sacrement de l'Eucharistie, sur l'effet de la consécration et sur la nature du saint sacrifice de la messe ; écoutez ce qu'il dit quand il traite ces questions :
« Nous ne permettons au diacre de distribuer le sacré Corps que lorsque l'évêque ou le prêtre sont absents 1. »
« L'admission à la pleine communion, c'est-à- dire la permission d'assister à la réunion des fidèles et de recevoir le sacré Corps et le précieux Sang de Jésus-Christ, termine la pénitence canonique 2. »
Ces expressions de Corps sacré et de précieux Sang, sacri Corporis, sacri Cruoris, se trouvent encore dans un canon attribué au même Pape, et dont l'objet est de recommander aux fidèles, à cause des circonstances où l'on se trouvait, de faire la communion sous les deux espèces 3.
La superstition dont parle, dans ce canon, le pape Gélase est celle des Manichéens qui regardaient le vin comme un principe mauvais créé par le démon, et dont il n'était jamais permis de faire usage. Ce fut pour empêcher ces hérétiques de se glisser dans les assemblées chrétiennes, et en même temps pour prévenir les fidèles contre leurs erreurs, que Gélase se crut obligé, à l'exemple de Léon-le-Grand, de prescrire la communion sous les deux espèces. (Patrologiæ tom CXXVIII, col. 430.)
Le Canon de la messe tout entier peut être appelé aussi en témoignage des sentiments de Gélase sur l'Eucharistie ; car c'est lui qui a rédigé quelques-unes des formules qui le composent, et qui les a toutes transcrites, corrigées et approuvées 1.
Dans un inventaire de livres qui servaient à la célébration des saints Offices dans l'église abbatiale de Saint-Richer, on lit : Missels de Grégoire, anciens, trois. Missel de Grégoire, édition d'Albinus, un. Missel do Gélase, édition d'Albinus, un. Missels de Gélase, anciens, dix-neuf. (Spicileg. d'Acber, t. iv. Patrologiæ tom. CXXVIII, col. 129.)
Or voici comme cet antique document parle du pain et du vin, matières du saint sacrifice avant la consécration qu'en fait le prêtre :
« Nous vous supplions, Père très-miséricordieux, et nous vous conjurons par Notre-Seigneur Jésus-Christ votre Fils, d'agréer et de bénir ces dons, ces présents, ces sacrifices purs et sans tache que nous vous offrons. ( Quam oblationem, tu Deus,in omnibus, quæsumus, benedictam, adscriptam, ratam, rationabilem, acceptabilemque facere digneris, ut nobis Corpus et Sanguis fiat dilectissimi Filii lui Domini nostri Jesu Christi. )
« Nous vous prions, Seigneur, de recevoir favorablement l'hommage que nous vous rendons par cette oblation.
« O Dieu, qu'il vous plaise, nous vous en supplions, de rendre en toutes choses cette oblation bénie, approuvée, valable, raisonnable, agréable, en sorte qu'elle devienne pour nous le Corps et le Sang de Jésus-Christ votre très-cher Fils Notre-Seigneur »
Les paroles sacramentelles ont-elles été prononcées, le pain et le vin ne sont plus une oblation à préparer, à bénir, à sanctifier; c'est uniquement le Corps et le Sang de Jésus-Christ :
«Nous offrons à votre incomparable Majesté les dons que nous avons reçus, l'hostie pure, l'hostie sainte, l'hostie immaculée, le pain sacré de la vie éternelle, et le calice du salut perpétuel.—Qu'elle soit portée par les mains de votre saint Ange, en présence de votre divine Majesté ; afin que tous ceux qui, participant à cet autel, auront pris le Corps et le Sang très-saints de votre Fils, soient remplis de bénédictions et de grâces célestes. —-Que ce mélange et cette consécration du Corps et du Sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ soient faits pour la vie éternelle de nous qui les recevrons. — Délivrez-moi, par votre saint Corps et votre précieux Sang ici présents, de tous mes péchés et de tous les autres maux. — Seigneur Jésus, que la participation de votre Corps, que j'ose recevoir tout indigne que je suis, ne tourne point à mon jugement. — Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez dans mon cœur. —Que le Corps de Notre-Seigneur garde mon âme pour la vie éternelle.—Que votre Corps que j'ai reçu, ô Seigneur, et que votre Sang que j'ai bu, s'attachent à mes entrailles, etc. . »
Ainsi s'exhalait chaque jour la piété du pape saint Gélase. Après des textes si clairs, qu'importe le passage obscur qu'on nous objecte ? On convient généralement que les ouvrages de Gélase nous sont parvenus dans un fort mauvais état de conservation : « Ses lettres, dit dom Simon Mopinat, et surtout ses traités dogmatiques, attendent encore une main habile qui rétablisse les phrases corrompues, et sépare l'ivraie du bon grain ; le texte disparaît quelquefois sous le nombre des fautes, et les remarques contradictoires des critiques n'ont servi jusqu'ici qu'à augmenter l'embarras du lecteur . »
Peut-être la phrase dont nous cherchons à fixer le sens est-elle du nombre de celles qu'ont altérées la négligence et l'ignorance des copistes. Mais en serait-il autrement, elle ne compromet en aucune manière l'autorité du Pape. Elle est extraite d'un Traité sur les deux natures en Jésus-Christ : ce n'est donc pas une définition de foi qu'on a découverte, c'est un raisonnement plus ou moins juste contre Nestorius et Eutychès; ce n'est pas un souverain Pontife adressant sa bulle à toute l'Eglise qui l'a écrite, c'est un auteur particulier qui l'a insérée dans son ouvrage. Or nous avons déjà dit que jamais école catholique n'avait prétendu que le Pape, considéré comme docteur privé, fût infaillible.
À suivre...