LE MOUVEMENT LITURGIQUE - Abbé Didier BONNETERRE

Avatar de l’utilisateur
InHocSignoVinces
Messages : 2999
Inscription : dim. 26 août 2018 11:43
Localisation : Tharsis, Hispania

Re: LE MOUVEMENT LITURGIQUE - Abbé Didier BONNETERRE

Message par InHocSignoVinces »

A cette époque, la HOLLANDE est un des pays les mieux organisés au point de vue liturgique. Chaque diocèse a sa
société liturgique, commission d'ecclésiastiques chargés officiellement par l'évêque de promouvoir le «Mouvement liturgique»
dans le diocèse. Ces sociétés bien organisées se réunissent en une Fédération nationale douée de statuts approuvés
par l'épiscopat dès 1915, dotée d'une revue, «Maandschrift voor Liturgie», qui a plus de 5.000 abonnés. De 1914
à 1919, cette fédération a distribué 209.070 imprimés de propagande liturgique. Là aussi, quel zèle !


En ALLEMAGNE, le centre du «Mouvement liturgique» est le monastère bénédictin de Maria-Laach. Là se font périodiquement des Semaines liturgiques organisées d'une façon pratique pour les différentes classes de la société. Les
moines multiplient les conférences à travers toute l'Allemagne. Une collection d'ouvrages : «Ecclesia orans» vient compléter
l'enseignement oral. Reck publie le «Missel médité» ; Dom Schott publie en 1921 un missel en langue vulgaire.
D'autres abbayes bénédictines, comme Saint-Joseph en Westphalie, Ettel en Bavière, Beuron dans le Hohenzollern sont
aussi des centres très actifs du «Mouvement liturgique». Déjà, à cette époque, nous rencontrons des noms que nous retrouverons
tout au long de cette étude, Dom Odon Casel, Dom Pius Parsch, augustin de Klosterneuburg, Romano Guardini,
séculier. Bien sûr, vers 1920, les écrits de ces auteurs demeurent modérés, mais cela ne durera pas longtemps,
comme nous le verrons dans notre prochain chapitre. C'est en Allemagne que le «Mouvement liturgique» va connaître
ses premières et peut-être ses plus graves déviations.



En ITALIE, l'expansion du «renouveau» date de 1913. Cette année, deux retraites liturgiques sont prêchées pour le
clergé dans le diocèse d'Aoste par Dom Beauduin et Dom Besse. Leurs instructions sont complétées par une lettre pastorale
de Mgr Tasco qui exhorte tous les fidèles à prendre une part active à la célébration de la liturgie. En 1921, le Cardinal
Lafontaine, Patriarche de Venise, organise dans sa ville les Stations quadragésimales à l'imitation des anciennes
stations à Rome. En septembre 1920, on organise dans l'abbaye bénédictine de Cava un Cours de Liturgie sacrée ; Sa
Sainteté Benoît XV envoie un télégramme pour encourager et bénir les prêtres qui fréquentent ce cours. En même temps
se tient à Turin le XIIè Congrès national de l'Association italienne de Musique sacrée. Le Cardinal Gasparri écrit aux congressistes
que l'Auguste Pontife «fait des voeux ardents pour que les fidèles participent plus largement et plus activement
à la liturgie».
Pour la première fois, Sa Sainteté Pie XI dialogue avec la foule à la messe de minuit à Saint-Pierre, au
Congrès eucharistique de Rome de 1922. La messe dialoguée était en effet le cheval de bataille du «Mouvement liturgique» d'alors.
Nous verrons bientôt ce qu'il faut en penser.
Le «Mouvement» italien a comme organes de propagande la
«Rivista liturgica» des bénédictins de Padoue et de Gênes, le «Bollettino liturgico» du Rme Dom Caronti de Parme,
«l'Ambrosius» de Milan. N'oublions pas les célèbres missels de Dom Caronti et de Dom Battisti. En 1919, le Cardinal
Schuster écrit son célèbre «Liber Sacramentorum», profonde étude de l'année liturgique 1. Le «renouveau de ferveur pour la liturgie» en Italie, béni par les papes et par d'éminents cardinaux, connaît donc un immense succès, et ce n'est que tardivement qu'il déviera de ses premières orientations.


1. Liber Sacramentorum, Ildephonse Cardinal Schuster. Vromant Bruxelles, 1925.


A SUIVRE...
Avatar de l’utilisateur
InHocSignoVinces
Messages : 2999
Inscription : dim. 26 août 2018 11:43
Localisation : Tharsis, Hispania

Re: LE MOUVEMENT LITURGIQUE - Abbé Didier BONNETERRE

Message par InHocSignoVinces »

En ESPAGNE, les foyers du «Renouveau» sont les deux abbayes de Montserrat et de Silos. Montserrat publie la
«Revista Montserratina», et organise en 1915 un immense Congrès au succès retentissant. Béni par Benoît XV, encouragé
par l'adhésion du Nonce apostolique et des Cardinaux Serafini O.S.B., Billot S.J., Gasquet O.S.B. et de nombreux
évêques, spécialement rehaussé par la présence de 2.000 congressistes dont 300 prêtres, ce Congrès émet comme
voeux : d'associer intimement les fidèles à la liturgie sacrée, de vulgariser les livres liturgiques, etc. Dom Prado, Dom
Gubianas publient des missels, pendant que le missel quotidien de Dom Lefebvre est traduit en espagnol. Le «Mouvement
liturgique» espagnol était donc plein de promesses,
mais, comme nous le verrons, il fut «sabré» par la révolution, et
lorsqu'il se relèvera ce sera pour subir les contrecoups des déviations allemandes et françaises.



Aux ETATS-UNIS, le «Mouvement liturgique» s'attache surtout à la formation des enfants. En juin 1920, c'est le Congrès
international de chant grégorien de New York : la messe y est chantée par un choeur de 4.000 enfants des 47 écoles
catholiques de la ville. A cette époque, 500.000 enfants apprennent le chant grégorien dans les écoles catholiques. De
nombreuses publications liturgiques nourrissent la piété des fidèles : «The Roman Missal» de Dom Cabrol ; «The Sunday
Missal»
du Rev. F.X. Lasance ; «The daily Missal» de Dom Lefebvre. «Liturgia» du même auteur est traduit sous le titre
«The Catholic Liturgy». En 1921, Dom Michel, O.S.B., publie «My Sacrifice and yours», le Rev. Hoffman, O.S.B., «Liturgical
Dictionary»,
les religieuses dominicaines de Marywood (Michigan) cinq brochures, «With Mother Church», destinées
à l'enseignement de la liturgie dans les classes, etc. Comme nous le verrons dans la suite de cette étude, le «Mouvement»
américain était très bien parti,
et il ne déviera que sous la poussée des «Mouvements» allemand et français, mais
il faudra attendre pour cela les années qui ont suivi la dernière guerre.



Ce rapide tour d'horizon du «Mouvement liturgique» à travers le monde dans les années qui ont précédé ou suivi la
guerre de 1914-1918 nous a permis de constater sa prodigieuse expansion. Né du génie de Dom Guéranger et de
l'énergie indomptable de saint Pie X, ce courant a porté à cette époque des fruits magnifiques de renouveau spirituel.

Cependant, il ne faut pas se leurrer, le caractère «Apostolat» de la liturgie que Dom Beauduin «tend» à trop accentuer va
devenir, dans la suite, de plus en plus envahissant. Et ce sera la grande tentation du «Mouvement» : faire de la liturgie un
moyen d'apostolat, avant tout ; faire plier la liturgie aux exigences de l'apostolat. Le noeud du drame est là.
Comme
nous le verrons, c'est faute d'avoir su résister à cette tentation que cette oeuvre magnifique s'est effondrée et qu'elle a entraîné
dans sa chute presque tout l'édifice de l'Eglise.



A SUIVRE...
Avatar de l’utilisateur
InHocSignoVinces
Messages : 2999
Inscription : dim. 26 août 2018 11:43
Localisation : Tharsis, Hispania

Re: LE MOUVEMENT LITURGIQUE - Abbé Didier BONNETERRE

Message par InHocSignoVinces »

CHAPITRE II - L'ENTRE-DEUX-GUERRES

LE «MOUVEMENT LITURGIQUE» DANS LES DIFFÉRENTS PAYS D'EUROPE.
DES DÉVIATIONS THÉOLOGIQUES APPARAISSENT EN MÊME TEMPS QUE LA TENDANCE RÉFORMISTE.



Nous avons exposé dans notre premier chapitre les origines du «Mouvement liturgique». Né du génie de Dom Guéranger,
de la volonté de saint Pie X, et du zèle de Dom Beauduin, ce «renouveau de ferveur pour la liturgie» a connu un
développement prodigieux, et produit les fruits magnifiques que nous avons reconnus. Nous avons également souligné
les germes précoces de déviations futures que Dom Beauduin avait placés dans les principes mêmes de son «Mouvement».
Mais, poursuivons notre étude... et arrêtons-nous quelque temps sur l'étrange personnalité de Dom Beauduin,
père du «Mouvement» belge,
avant de nous rendre en Allemagne pour retrouver Dom Casel.


Nous avions laissé le célèbre moine du Mont-César à la veille de la guerre de 1914-1918: il dirigeait, avec un zèle infatigable,
le «Mouvement liturgique» belge. La guerre et une série de rencontres inattendues vont l'entraîner, pour un
temps, loin de la liturgie,
dans les sphères troubles de l'oecuménisme. Homme de confiance du Cardinal Mercier, qui faisait en général preuve d'un meilleur discernement, Dom Lambert Beauduin joue un rôle capital dans la résistance belge à
l'envahisseur allemand. Non seulement il rédige lui-même, presque intégralement, la fameuse lettre pastorale du Cardinal
Mercier, appelant la Belgique à la résistance, mais encore il se charge de sa diffusion, mettant à contribution son frère
des fameuses sucreries de Tirlemont 1. Après une série d'aventures rocambolesques, Dom Lambert Beauduin est obligé
de se réfugier en Angleterre ; et là, fait capital, il se lie d'amitié avec nombre de personnalités de l'Anglicanisme.


Après l'armistice, Dom Beauduin peut rentrer au Mont-César, où il rencontre Mgr Szepticki 2, chef de l'Eglise uniate,
qui lui communique son amour passionné pour l'Orient ainsi que ses conceptions sur la vie monastique. Notre moine, qui
se trouvait déjà bien à l'étroit dans son monastère trop «beuronien», trop «guérangéen» 3, c'est-à-dire en fait trop conservateur,
ou trop catholique, notre moine, dis-je, ne va plus rêver qu'à une nouvelle fondation monastique qui restaurerait la
vie des moines venus à l'origine de l'Orient.



Dom Robert de Kerchove, qui estime profondément son moine un peu «remuant», va lui donner la possibilité de
«prendre du large». Et c'est ainsi que Dom Beauduin est envoyé comme professeur au collège Saint-Anselme de Rome 4.
L'Abbé-primat de Saint-Anselme, Dom Fidèle de Stotzingen, moine très conservateur, ne pourra pas maîtriser son
nouveau professeur qui enthousiasmera ses élèves pour la cause de l'Orient. Cette passion pour l'Eglise orientale ne fait
que croître chez Dom Beauduin avec les rencontres de Cyrille Korolevsky, et surtout du Révérend Père (bientôt Monseigneur)
Michel d'Herbigny, S.J. 5.


Ce faisant, Dom Beauduin allait au-devant des désirs connus du nouveau pape qui succédait, en février 1922, à Benoît
XV. En effet, Pie XI, dès les premiers temps de son pontificat, montrerait qu'il s'intéressait passionnément à l'Orient :
à cette énorme masse de la Russie qui paraissait encore, en ces années suivant la révolution d'octobre, hésiter dans un
équilibre instable entre les voies où elle s'engagerait.


Talonné par Mgr d'Herbigny, le bouillant Pie XI allait brusquer les choses : le 21 mars 1924, il envoyait à l'Abbé-primat
le bref apostolique «Equidem verba», dans lequel le Souverain Pontife reprenait les grandes idées de Dom Beauduin, sur
le rôle capital que jouerait une fondation bénédictine d'un type nouveau sur le rapprochement avec l'Orient.


L'Abbé-primat de Saint-Anselme ne comprenait plus : comment le pape pouvait-il soutenir un moine qu'il jugeait «d'un
tempérament fort sanguin, d'une imagination extrêmement vive, qui devenait feu et flamme pour ses projets, presque
méprisant pour l'Eglise occidentale, homme fortement porté à l'activité extérieure ?»
6 Dom Fidèle ne comprenait pas que derrière Pie XI il y avait Mgr d'Herbigny et le Cardinal Mercier, qui, à cette époque, était pris d'un vertige d'«unionisme».
1924 était, en effet, l'année des conférences de Malines...
7


A SUIVRE...


1. Dom L. Beauduin, Le Cardinal Mercier et ses suffragants en 1914, dans la Revue Générale Belge, Ier juillet 1953, p. 416-417.
2. Mgr Szepticki, métropolite de Lvov en Galicie, chef de l'Eglise uniate, i.e. : de cette portion de l'Eglise orthodoxe ukrainienne que l'accord
de Brest-Litovsk, lors d'un des remaniements de la Pologne au XVIIIè siècle, avait fait rentrer dans la communion de l'Eglise romaine.
3. Cf. Dom Lambert Beauduin (1823-1960), un homme d’Eglise, par Louis Bouyer de l'Oratoire, Castermann, 1964.
4. Collège fondé par Léon XIII en 1887, Centre d'études théologiques pour les bénédictins du monde entier.
5. Mgr Michel d'Herbigny (1880-1957). Fervent orientaliste. Pie XI en fait son homme de confiance pour les questions orientales. Nommé
en octobre 1922 président de l'Institut pontifical oriental. Avril 1930 : président de la commission pontificale «Pro Russia». Consacré
évêque en 1926 par Mgr Pacelli à Berlin, il tente vainement de rétablir la hiérarchie en U.R.S.S. Décembre 1931 : démission de
l'Institut oriental. 31 mai 1934 : démission de la commission «Pro Russia», officiellement pour raison de santé. Se retire en Belgique où
il vivra jusqu'à sa mort en simple religieux, astreint à une rigoureuse retraite.
6. Lettre à Dom de Kerchove du 20 janvier 1925.
7. Dom. Lambert Beauduin, par L. Bouyer, p. 126.
Les Conférences de Malines : Il s'agissait de conversations amicales entre quelques anglicans et quelques catholiques, destinées à
préciser les positions respectives. Le premier moteur en était Lord Halifax, président de l'English Church Union, de la plus «haute
Eglise», et désireux alors d'un rapprochement avec Rome. Encouragé par Pie XI, le Cardinal Mercier représentait le parti catholique.
On ne peut se dissimuler les divers handicaps qui grevaient dès le départ les conférences de Malines : mauvaise humeur de la hiérarchie
catholique en Angleterre, guère plus de sympathie dans la hiérarchie anglicane. Derrière cette double prévention, il avait l'équivoque
d'Halifax lui-même : anglican très attaché à son Eglise, mais pratiquement catholique de foi et de pratique, il risquait d'illusionner
les catholiques sur l'état véritable de l'Eglise anglicane. L'introduction du rapport de Dom Beauduin devait tout brouiller.
Avatar de l’utilisateur
InHocSignoVinces
Messages : 2999
Inscription : dim. 26 août 2018 11:43
Localisation : Tharsis, Hispania

Re: LE MOUVEMENT LITURGIQUE - Abbé Didier BONNETERRE

Message par InHocSignoVinces »

Dom Beauduin, théologien du Cardinal Mercier, prépara pour ces Conférences un rapport sur «l'Eglise Anglicane
unie mais non absorbée».
Il y dévoilait au grand jour ses conceptions plus que douteuses sur l'oecuménisme.
Mais laissons parler le Révérend Père Louis Bouyer, ici bien inspiré :

«Non seulement ce rapport contenait des erreurs graves, mais il était en lui-même une erreur plus grave encore.
Alors qu'on devait s'efforcer de préciser de part et d'autre où l'on en était exactement, il se plaçait dans l'hypothèse
d'une unité dans la foi déjà atteinte. Sur cette base, il dressait un plan qui ne pouvait être que chimérique. L'image
d'un patriarcat anglican uni, où la liturgie et le droit canon anglicans, les usages traditionnels de l'anglicanisme seraient
sauvegardés, était copiée sur la situation faite en principe aux Eglises orientales unies à Rome. Mais il méconnaissait
le fait que rien, ni dans le passé de l'Eglise anglicane, ni dans son présent, ne permettait d'assimiler sa situation
à la leur. Mais il y avait pis. Ne pouvant négliger l'existence d'une Eglise catholique en Angleterre, déjà présente
côte à côte avec l'Eglise anglicane, c'est de cette Eglise qu'on envisageait tranquillement l'absorption, dans l'hypothèse
de l'Eglise anglicane «unie mais non absorbée». Toutes les conséquences en étaient tirées, jusques et y compris
la suppression des sièges épiscopaux créés au XIXè siècle, avec la démission de leurs titulaires»
1.


Tout cela ne fut connu que plus tard, vers 1926. Entre-temps, Dom Beauduin devait fonder son monastère, réalisant
ainsi les volontés de «Equidem verba». Pie XI s'impatientait, la Sacrée Congrégation pour l'Eglise Orientale donnait le feu
vert.

Dom Beauduin n'attend plus et, en 1925, il fonde le «Monastère de l'Union» à Amay-sur-Meuse, en Belgique. Durant
cette même année, il rédige les statuts de la fondation :

«Ses moines veulent, en pleine fidélité à l'Eglise romaine, se faire une âme orientale : redécouvrir toutes les richesses
propres à l'Orient chrétien et s'en imprégner à fond. Ils veulent se faire une âme aussi catholique que possible,
abandonnant tout préjugé particulariste, racial ou national, et notamment bien décidés à tout mettre en oeuvre,
autant qu'il dépend d'eux, selon ce que les mêmes pontifes ont dit et répété, pour que catholicisme ne puisse plus être
confondu avec latinisme.


«Moyens employés : initiation à la prière liturgique orientale ; étude approfondie de l'Orient ; attention donnée au
rapprochement en cours entre orthodoxes et anglicans ; large hospitalité accordée à tous ceux, catholiques ou non,
que le problème préoccupe ; fondations prévues en Orient, pour faire sur place la preuve de la possibilité de réaliser
un catholicisme pleinement catholique en même temps que pleinement oriental. Dom Beauduin va jusqu'à envisager
la possibilité de nouveaux développements dans l'Eglise, même doctrinaux, qui permettraient aux non-catholiques de
mieux saisir, et par conséquent d'accepter plus facilement, la présentation officielle de sa doctrine, présentation sans
doute exacte en soi, mais qui peut rester encore incomplète, insuffisante»
2.


Notre lecteur croit peut-être que nous nous égarons de notre sujet, avec ces considérations sur l'oecuménisme de
Dom Beauduin. Au contraire, nous y sommes en plein. Notre moine va bientôt, sans l'avouer, faire passer ses concep-
tions oecuméniques dans le «Mouvement liturgique» ; il va travailler, et ses successeurs encore plus que lui, à adapter
notre liturgie aux nécessités de l'apostolat, mieux encore aux urgences de «l'union des Eglises». Notre lecteur aura
aussi remarqué combien ce langage ressemble à celui de Jean XXIII et de Vatican II.
Ce n'est pas le fruit du hasard ;
en 1924, Dom Beauduin venait de lier une amitié fidèle avec Mgr Roncalli, qui était tombé dans la diplomatie après avoir perdu, sur un soupçon de modernisme, sa chaire d'enseignement à l'Athénée du Latran. Le futur Jean XXIII devait être
un des premiers et des plus fidèles sympathisants d'Amay. Elu pape, ne déclara-t-il pas un jour en propres termes : «La
méthode de Dom Lambert Beauduin est la bonne»
3 ?


«La méthode de Dom Lambert Beauduin est la bonne», ce n'est pas ce que pensait le Cardinal Merry del Val, le secrétaire
d'Etat de saint Pie X, alors préfet du Saint-Office. Le «Monastère de l'Union» d'Amay avait fondé une revue au
titre significatif : «Irenikon»... le nom de l'éditeur ne l'était pas moins : «Duculot». Cette revue par trop oecuménique ne
manqua pas de scandaliser. Le grand Cardinal Mercier, protecteur sans doute inconscient de Dom Beauduin, était mort
en 1926. De graves difficultés internes secouaient Amay 4.


A SUIVRE...


1. Dom. Lambert Beauduin, par L. Bouyer, p. 126-127.
2. Ibid., p. 133 à 135.
3. Ibid., p. 135-136.
4. Des moines catholiques passaient à l'orthodoxie.
Avatar de l’utilisateur
InHocSignoVinces
Messages : 2999
Inscription : dim. 26 août 2018 11:43
Localisation : Tharsis, Hispania

Re: LE MOUVEMENT LITURGIQUE - Abbé Didier BONNETERRE

Message par InHocSignoVinces »

Pie XI commençait à se rendre compte qu'il avait trop relâché la bride que saint Pie X tenait si fortement en main... D'où le coup de tonnerre, aux premiers jours de 1928, de l'encyclique «Mortalium animos», véritable charte de l'oecuménisme catholique véritable. Personne ne s'y trompa, c'était bien «l'esprit d'Amay» qui était visé. Une visite canonique, aux résultats assez favorables, suivit au début de 1928.

Dom Beauduin sentit qu'il était visé personnellement, bien plus que son oeuvre : il démissionna de sa charge de
prieur. Il se retira tout d'abord à Tancrémont, après un voyage à travers l'Orient. Il fut ensuite convoqué à Rome, courant
1929, pour y comparaître devant son ami d'hier, Mgr d'Herbigny, encore en grâce aux yeux du pape : on fit comprendre à
Dom Beauduin qu'il ferait bien de cesser de résider habituellement en Belgique : ce fut le séjour à Strasbourg. Au printemps
de 1932, nouveau procès à Rome : il fut enjoint à Dom Beauduin de ne plus avoir aucun rapport avec Amay, et de
se retirer pour deux ans dans un monastère éloigné : ce fut l'exil à Encalcat.


Sorti de sa retraite, Dom Beauduin fut nommé aumônier des oblates olivétaines, alors à Cormeilles-en-Parisis. Là, il
contribua fortement au pourrissement de la congrégation olivétaine 1 et des futurs moines du Bec Hellouin, si versés dans
l'oecuménisme avec les anglicans.
Peu avant la guerre, Dom Beauduin, déjà âgé, se retirait dans le Berry, à Chalivoy.

Mais laissons le Révérend Père Louis Bouyer nous décrire candidement les activités plus qu'étranges de notre
«moine maudit» :

«Il tomberait à Bourges sur un vieil archevêque, exégète honorable, qui n'en était pas encore revenu d'avoir traversé
lui-même avec si peu de dommages l'époque moderniste. Non seulement l'accueil serait fraternel, mais Dom
Beauduin deviendrait une fois de plus le «Missus Dominicus» qui se chargerait de ces missions particulièrement délicates
dont l'autorité ne sait ni trop comment les exécuter elle-même ni à qui les confier. Ce qui serait promis à plus
d'avenir, c'est que l'archevêque le lancerait dans un ministère de retraites et de récollections sacerdotales, auquel il
prendrait un goût de plus en plus vif. Le succès qu'il y aurait devait déboucher dans un des plus importants mouvements
de l'après-guerre : le mouvement liturgique et pastoral, qui allait, dès 1942, s'épanouir autour du Centre de pastorale
liturgique de Neuilly et de sa revue, "La Maison-Dieu"»
2.

Mais laissons là Dom Lambert Beauduin, nous le retrouverons dans notre prochain chapitre, travaillant avec les dominicains
modernistes des Editions du Cerf à inoculer le venin de son oecuménisme chez les fidèles par le moyen de la
«Pastorale liturgique».
Parti de la liturgie, l'ancien prieur d'Amay, maintenant de Chevetogne, y retournera, mais non plus pour servir la cause de la Liturgie, comme il l'avait fait en 1909, mais pour la faire servir à la destruction de l'Eglise.
«Mouvement oecuménique» et «Mouvement liturgique» ne forment qu'un dans l'esprit de Dom Beauduin.



De son côté, le «Mouvement liturgique belge» que Dom Beauduin avait pratiquement abandonné depuis 1920 allait
bien. Il continuait, fidèle à l'impulsion première donnée par saint Pie X. Les éditions de Missels et de travaux liturgiques
de grande valeur se succèdent dans ces années 1920-1935. En 1920,
Dom Gaspar Lefebvre publie «Liturgia, ses principes fondamentaux» 3 : cet ouvrage peut être considéré comme la charte du «Mouvement liturgique» authentiquement
catholique.
Le prieur de l'Abbaye de Saint-André y expose clairement le but de l'«Apostolat liturgique».


«But = Restaurer dans le Christ la société chrétienne en la faisant :

1° Glorifier Dieu par l'exercice, digne et conscient, du culte officiel qui lui est dû ;

2° Se sanctifier elle-même par la participation active à la liturgie qui est, au dire de Pie X, la source première et indispensable
du véritable esprit chrétien»
4.

Nous ne pouvons que souscrire à un tel programme. Quel dommage que le «Mouvement liturgique» allemand n'ait
pas su garder une aussi bonne orientation !



A SUIVRE...


1. Itinéraires, n° 216, septembre-octobre 1977, p. 35-36.
2. Dom Lambert Beauduin, par L. Bouyer, p. 168. Le nom de cet évêque dont le Père Bouyer cache pudiquement l'identité est Mgr Martin-
Jérôme Izart, archevêque de Bourges de 1916 à 1943.
3. Liturgia, par Dom Gaspar Lefebvre, Abbaye Saint-André, 1920.
4. Ibid., p. 206, dans la IVè édition de 1929.
Avatar de l’utilisateur
InHocSignoVinces
Messages : 2999
Inscription : dim. 26 août 2018 11:43
Localisation : Tharsis, Hispania

Re: LE MOUVEMENT LITURGIQUE - Abbé Didier BONNETERRE

Message par InHocSignoVinces »

Allemagne, Pâques 1918: c'est la création et le lancement dans le grand public cultivé de la collection «Ecclesia
orans»,
par l'Abbé de Maria-Laach, le Révérend Père Dom Ildefons Herwegen. Ramener le peuple allemand, brisé par la guerre, à la piété liturgique, telle était l'ambition de l'Abbé. Plus modestement que Dom Beauduin, il ne parlait pas de
«Mouvement liturgique», mais d'«Effort liturgique» ; il ne visait pas à atteindre les masses, comme le «Mouvement»
belge, mais à constituer une élite, recrutée dans les nombreux visiteurs des monastères. Quelle était l'orientation de cet
«effort» de Maria-Laach ?


Dom Herwegen ne s'en cache pas : il veut dégager la liturgie de toutes les scories dont l'a obscurcie le Moyen Age. Le
Moyen Age a encombré la liturgie de ses interprétations fantaisistes, et de développements étrangers à sa nature : insistance
trop unilatérale sur la présence réelle de la sainte Eucharistie, qui a frayé la route à l'abandon de la liturgie par le
protestantisme, et à la défaveur et à la négligence dont finalement elle devait être l'objet dans une si grande partie du catholicisme
post-tridentin 1.



Une autre grande idée de l'Abbé est que ce funeste Moyen Age s'est détourné d'un mode objectif de piété vers un
mode subjectif.
C'est le thème fondamental de son livre «Kirche und Seele» (L'Eglise et l'âme), dans lequel il présente
l'opposition entre la piété de l'Eglise et la piété de l'âme comme parallèle à l'opposition entre l'objectivité traditionnelle et
le subjectivisme moderne.


Il y a là le double «péché mortel» du «Mouvement liturgique» allemand : un archéologisme effréné qui se traduit
par le mépris, non seulement de la liturgie tridentine, mais aussi de la liturgie médiévale, ainsi qu'une tendance à
former une piété «collectiviste».
Et nous sommes seulement dans les années 1920-1925 !


Le nom de Dom Herwegen est depuis longtemps oublié, mais pas celui de Dom Odon Casel, moine du même monastère
de Maria-Laach, avec sa théorie concernant le «Kultmysterium» (le mystère du culte chrétien). Laissons le Révérend
Père Bouyer nous expliquer de quoi il s'agit :


«Disons d'un mot le contenu du "mystère". C'est la réactualisation dans, par et pour l'Eglise, de l'acte de Notre-
Seigneur qui a accompli notre salut, c'est-à-dire Sa Passion et Sa mort dans la plénitude de leur effet ultime : la Résurrection,
la communication de la grâce salvatrice à l'humanité et la consommation finale de toutes choses. Dans
cette perspective, la propriété centrale de la liturgie, et donc ce qu'il faut saisir avant tout pour la comprendre, c'est le
mode unique par lequel l'acte rédempteur du Christ est renouvelé et distribué de façon permanente par l'Eglise. Bien
comprendre ce mode, qui est entièrement différent de celui d'une représentation théâtrale ou imaginative, ou de toute
répétition physiquement réaliste, c'est la clef de l'intelligence de toute la liturgie dont la perte commença pendant le
Moyen Age. Et c'est cette clef que la période baroque a si profondément perdue qu'elle n'a plus gardé sous son regard
que l'écorce vide de la liturgie, une écorce d'autant plus décorée et surchargée extérieurement que la réalité intérieure
tendait à être oubliée»
2.


Résumons ce long texte, en disant avec Wolfgang Waldstein : «Dom Casel nous a fait sortir des impasses des théories
post-tridentines du sacrifice»
3. En clair, Dom Casel nous a libérés de la XIIè session du Concile de Trente sur le Sacrifice de la Messe. Ce précurseur reconnu de l'«Institutio generalis» du Nouvel Ordo Missæ pèche aussi gravement par archéologisme : rejetant l'époque baroque comme l'époque médiévale, il voue un amour passionné à l'âge patristique où seulement alors la liturgie avait le sens du «mystère». Traduit dans l'art, cet archéologisme «casélien» produisit ce faux byzantisme dépourvu d'âme et d'inspiration : providentiellement, ces chefs-d'oeuvre ont été détruits par le bombardement américain du Mont-Cassin !


Les réalisations «artistiques» de Maria-Laach ne sont plus, mais ses terribles déviations doctrinales ont pourri
l'«effort» liturgique allemand.



A SUIVRE...


1 La vie de la liturgie, par Louis Bouyer de l'Oratoire, Collection Lex Orandi, Cerf, 1956, p. 29-30.44
2 Ibid., p. 33.
3 Hirtensorge und Liturgiereform, par Waldstein, Schan. Liechtenstein, 1977 (Dom Casel: 1886-1948).
Avatar de l’utilisateur
InHocSignoVinces
Messages : 2999
Inscription : dim. 26 août 2018 11:43
Localisation : Tharsis, Hispania

Re: LE MOUVEMENT LITURGIQUE - Abbé Didier BONNETERRE

Message par InHocSignoVinces »

Un autre nom célèbre de cet «entre-deux-guerres» allemand : celui de Romano Guardini. Cet Italien transplanté à
Mayence dès son enfance fut un des plus brillants universitaires de son temps ; ordonné prêtre en 1911, il enseigne à
l'Université de Berlin, dans la chaire de philosophie catholique, à partir de 1922. Ce prêtre séculier jouera un grand rôle
dans «l'effort» allemand, non à titre de rubriciste ou d'historien de la liturgie, mais à titre de poète. Considéré par les critiques
littéraires comme le «maître de l'intuition psychologique», Guardini va travailler à «amener une intelligence et une
sensibilité modernes - il en connaît si bien tous les frémissements, les élans comme les défaillances ! - à la compréhension
et à l'amour de la liturgie»
1. Le style de l'auteur est prodigieusement beau, et le succès de son ouvrage «L'esprit de
la liturgie»
2 est retentissant : 26.000 exemplaires vendus de 1918 à 1922. Tout cela semble bien, mais, n'hésitons pas à
le dire, la démarche de Guardini «sent le modernisme». Ce goût pour l'expérience religieuse rappelle l'abbé Brémond.
Cette façon de procéder toute intuitive flaire l'immanentisme : «Nous ne possédons pas, nous cherchons..., écrit-il souvent ; nous ne pouvons rien donner ici d'achevé, d'absolument assuré et possédé ; mais des essais, quelquefois de simples tâtonnements et pressentiments» 3.


Robert d'Harcourt écrivait avec justesse : «Il (Guardini) collabore plus qu'il n'enseigne. Jamais rien de péremptoire, de
tranchant, de professoral dans le ton. Jamais rien non plus d'arrêté, de fixé.., crainte des systématisations, des stabilisations,
des durcissements. Partout s'atteste le souci de laisser à la pensée les souplesses, les hésitations essentielles de
sa démarche, l'horreur du massif... »
4. Tel était Romano Guardini, chantre et prophète d'une «mentalité liturgique». Nous jugerons bientôt, dans les faits, l'arbre à ses fruits.


A SUIVRE...


1. Préface de Robert d'Harcourt à L'esprit de la liturgie, de R. Guardini, Collection Le roseau d'or, Pion, 1929.
2. Vom Geist der Liturgie, Ier volume de Ecclesia Crans, Herder, 1918.
3. Préface à Auf dem Weg et à Liturgische Bildung.
4. Loc. cit. d'Harcourt, p. 32.
Avatar de l’utilisateur
InHocSignoVinces
Messages : 2999
Inscription : dim. 26 août 2018 11:43
Localisation : Tharsis, Hispania

Re: LE MOUVEMENT LITURGIQUE - Abbé Didier BONNETERRE

Message par InHocSignoVinces »

Mais avant de voir les réalisations concrètes de l'«effort» liturgique allemand, tournons-nous vers un autre de ses «ténors» :
Dom Pius Parsch. Ce chanoine augustin de Klosterneuburg (Autriche) va nous apparaître, dès le début, avec une orientation nettement réformiste ; de plus, il lancera dans les pays de langue allemande un vaste «mouvement biblique»
qui va profondément influencer le «Mouvement liturgique».



Mais écoutons Dom Parsch lui-même nous raconter innocemment ses «expériences» liturgiques :

«Vers cette époque, écrit-il, j'entendis parler d'une Missa Recitata que l'on célébrait dans les milieux d'étudiants. Je
résolus de célébrer avec mon cercle la première messe de communauté. Ce fut à l'Ascension de 1922. La veille
j'avais réuni les membres du cercle à Sainte-Gertrude, la chapelle qui devait devenir le berceau du mouvement liturgique
populaire et j'expliquais les cérémonies et le sens de la messe chantée (nous l'appelions alors messe liturgique).
A ce moment-là s'accomplit la séparation des esprits : maints catholiques à l'état d'esprit subjectif se séparèrent
de notre cercle. Cette messe chantée était encore très primitive : le Kyrie, le Sanctus et l'Agnus Dei étaient chantés
en allemand ; le professeur Goller nous avait composé quelques mélodies chorales assez simples. Les répons, le
Gloria, le Credo étaient récités par tous les assistants en choeur. Les leçons et les prières étaient dites par le président.
Nous faisions une offrande et même le baiser de paix était indiqué par une poignée de main. Ce fut sans doute
la première célébration de la messe dans l'esprit de la liturgie populaire en pays de langue allemande».


Un tel texte se passe de commentaire... Dom Parsch continue :

«Jusque-là mon activité s'était limitée au petit cercle de la communauté biblique et liturgique de Klosterneuburg.
Mais le couvent se trouve aux portes de Vienne et je m'efforçais de transplanter mes idées dans la capitale. Là le terrain
était déjà préparé pour la bible et la liturgie... A Vienne commençait déjà un renouveau catholique. Et mes idées
liturgiques y trouvaient de l'écho. A présent commencèrent pour moi des idées de véritable travail missionnaire liturgique »
1.


Par la revue «Bibel und Liturgie», Dom Parsch lançait chez les fidèles les idées les plus dangereuses sur les rapports
entre la parole de Dieu et la liturgie.


«Cet élargissement du but du mouvement liturgique, écrit le Révérend Père L. Bouyer, est un fait de la plus grande
signification pour l'histoire de son développement, car l'importance de ce renouveau biblique à l'intérieur du mouvement
liturgique dépasse de beaucoup la sphère des méthodes pratiques et implique des présupposés théologiques de
la plus grande importance. Il y a une étroite interrelation entre Révélation et liturgie, ou plus exactement entre la parole
divine et le culte communautaire de l'Eglise. Comprendre cette interrelation et saisir sa pleine signification est
donc un facteur décisif si nous voulons atteindre à une intelligence véritable et renouvelée de la nature de l'Eglise elle-même.
Une telle intelligence est certainement le but suprême de tout le mouvement liturgique»
2.

L'analyse du Révérend Père L. Bouyer, lui-même très engagé dans le «Mouvement» français d'après la guerre de
1939-1945, est très pénétrante.
La parole de Dieu, considérée comme la révélation immédiate de Dieu au milieu de l'assemblée,
va totalement bouleverser la conception de la Messe. La Messe des fidèles va laisser le pas à la Messe des catéchumènes.
Dieu sera présent bien plus par Sa parole que par Son Eucharistie. Les fidèles «assistant à la Messe» vont
se transformer en une Assemblée du «Peuple de Dieu», la réunion des croyants au milieu desquels souffle l'Esprit...
Nous ne sommes pas loin du pentecôtisme contemporain. Telle est la nouvelle conception de la liturgie, telle est la
nouvelle conception de l'Eglise qu'insinue dans les esprits le «Mouvement biblico-liturgique» de Dom Parsch. Et nous
sommes dans les années 1925-1930 !



1 Le renouveau liturgique, par Dom Pius Parsch (1884-1954), Castermann, 1950, p. 12.
2 La vie de la liturgie, par L. Bouyer, p. 89.



A SUIVRE...
Avatar de l’utilisateur
InHocSignoVinces
Messages : 2999
Inscription : dim. 26 août 2018 11:43
Localisation : Tharsis, Hispania

Re: LE MOUVEMENT LITURGIQUE - Abbé Didier BONNETERRE

Message par InHocSignoVinces »

Toutes ces théories hétérodoxes, voire franchement hérétiques, ne sont pas restées longtemps dans le monde des idées pures, mais elles ont été l'âme d'une véritable révolution liturgique dans la jeune Allemagne nazie. Ce fut d'abord un déferlement de messes dialoguées de façon plus ou moins fantaisiste, puis la «grand'messe allemande», sorte de Missa cantata où le célébrant chante sa partie en latin, mais où, au lieu du propre et de l'ordinaire en latin, le choeur et la foule chantent des chants allemands. Les mouvements de jeunesse prirent fait et cause pour le «Mouvement liturgique», ce qui entraîna la multiplication des «expériences» : autel face au peuple, emploi de la langue vulgaire, etc.


Le contexte politique précipita les événements :

«Depuis 1936, écrit Johann Wagner, l'Eglise d'Allemagne fut privée progressivement, par les autorités de l'Etat et
du Parti, de son champ d'action vers l'extérieur. Les activités de l'Eglise, qui s'exercent normalement sur les confins
du domaine proprement spirituel, sur le plan social, celui des sports, etc., furent limitées à un seul domaine : celui du
culte, la célébration du culte. Tous se précipitèrent sur cette tâche avec ardeur, bonne volonté, et parfois même un
peu d'aveuglement. Les abus et les exagérations n'ont pas manqué»
1. Abus liturgiques tellement effrayants qu'ils faisaient dire à Dom Baumstark de Maria-Laach : «Je ne voudrais pas vivre le jour où le mouvement liturgique atteindra son but» 2.


A cette époque, le reste de l'Europe ne subissait pas encore l'influence du «Mouvement liturgique» allemand, et le
«renouveau de ferveur pour la liturgie» s'y propageait sans heurt. Mais en Allemagne, les choses allaient si loin qu'une
violente et salutaire réaction éclata, signe avant-coureur, comme nous le verrons, de l'encyclique «Mediator Dei ».


Concluons ce chapitre : L'entre-deux-guerres a vu le développement des plus graves déviations théologiques du
«Mouvement liturgique». Dom Beauduin l'entraîne sur les chemins d'un faux oecuménisme, Maria-Laach le perd dans
l'archéologisme, Dom Parsch lie sa cause à celle d'un biblisme judaïsant. A la veille de la deuxième guerre mondiale,
les forces modernistes tiennent en main le «Mouvement». Rome qui, avec saint Pie X, avait si bien brisé l'élan du modernisme
théologique, n'a-t-elle pas trop relâché sa surveillance dans ces années 1930-1935, et particulièrement dans le
domaine trop peu considéré alors de la liturgie ?



1. Le mouvement liturgique en Allemagne, par J. Wagner, dans La Maison-Dieu, n° 25, Cerf, 1951.
2. Cité par Jungmann, dans Tradition liturgique et problèmes actuels de pastorale, Ed. Xavier Mappus, 1962.



A SUIVRE...
Avatar de l’utilisateur
InHocSignoVinces
Messages : 2999
Inscription : dim. 26 août 2018 11:43
Localisation : Tharsis, Hispania

Re: LE MOUVEMENT LITURGIQUE - Abbé Didier BONNETERRE

Message par InHocSignoVinces »

CHAPITRE III - LA GUERRE 1939-1945

LA GUERRE - LE BRASSAGE ET LES CONTACTS QU'ELLE ENTRAÎNE
LE CONFLIT EN ALLEMAGNE ENTRE LE «MOUVEMENT LITURGIQUE» ET LES CONSERVATEURS (MGR GROBER)



LE VATICAN EST SAISI DE L'AFFAIRE

L'entre-deux-guerres a vu se développer de graves déviations théologiques au sein du «Mouvement liturgique». Dom
Beauduin l'a entraîné sur les chemins d'un faux oecuménisme, Dom Casel l'a perdu dans l'archéologisme et Dom Parsch
a lié sa cause à un «Mouvement biblique» dévoyé. Nous allons retrouver ces personnages travaillant plus que jamais,
à l'ombre de la guerre, à leur oeuvre de «renouveau de l'Eglise», en fait à sa destruction.



EN FRANCE, LES MAUVAISES FREQUENTATIONS DE DOM BEAUDUIN

Les avanies de l'exil avaient conduit Dom Lambert Beauduin jusqu'à Bourges. C'est là, sous la protection de Mgr Fillion,
qu'il se livrait à un ministère de «retraites», mais de retraites toutes particulières, ancêtres des recyclages que nous
connaissons bien. Mais laissons le R.P. L. Bouyer nous décrire l'atmosphère de ces «récollections» :

«Je devais bientôt le revoir, écrit-il de Dom Lambert Beauduin. Cette fois, il commença par m'appeler «Pasteur»,
tout comme dans un roman d'André Gide, pour me dire «Louis» au bout de cinq minutes et me tutoyer à la bonne liégeoise.
Cette seconde rencontre était tout à fait une idée à lui. Il m'avait invité à venir le rejoindre dans un de ces endroits
impossibles qu'il avait un flair unique pour dénicher. Il s'agissait d'une espèce de maison de redressement pour
ecclésiastiques tombés dans la boisson ou la luxure. Il y connaissait (il avait des amis partout) un des bons pères samaritains
de ce curieux établissement. Sûr que personne n'irait l'y repérer, il y donnait de petites retraites - à sa façon
- à des prêtres irréprochables, sinon qu'ils étaient, comme il disait lui-même, «dans nos idées», des idées qui n'étaient
pas alors aussi bien vues dans la sainte Eglise que depuis qu'elles se sont solidement assises sur la Chaire de
Pierre»
1.

Le R.P. Bouyer conclut ainsi son paragraphe :

«Je tombai à l'improviste dans une de ces petites orgies intimes d'oecuménisme liturgique».


Ainsi donc, pendant la guerre, Dom Beauduin avait déjà un bon nombre de disciples «dans ses idées». «Ses retraites
un peu canailles»,
comme il les appelait lui-même, touchaient tout un auditoire de prêtres se réunissant tantôt chez Mgr
Fillion, tantôt chez Mgr Harscouet, l'évêque de Chartres qui, d'ordinaire, choisissait mieux ses amis. Qui étaient ces
prêtres ? Un grand nombre venait de Paris, autour de Mgr Chevrot 2, d'autres venaient des milieux scouts du R.P. Doncoeur,
d'autres enfin, et peut-être les plus dangereux, portaient l'habit blanc des dominicains.



Il y avait donc déjà à Paris tout un clergé d'avant-garde, très affairé dans l'action catholique, qui prisait fort les considérations
d'oecuménisme liturgique de Dom Beauduin. Ce clergé groupé autour de Mgr G. Chevrot, l'influent curé de saint
François-Xavier, s'occupait aussi beaucoup de la résistance, et fit alors connaissance de nombreux militants du parti
communiste devenus soudainement patriotes. L'influence que jouèrent les maquis sur toute une jeunesse cléricale fut
considérable et, dans bien des cas, elle fut loin d'être bénéfique. Toute cette évolution socialisante se fit sous les épiscopats
des Cardinaux Verdier et Suhard, dont les qualités dominantes ne furent certainement ni la vigilance ni la lucidité.



A SUIVRE...


1 Dom Lambert Beauduin, homme d'Eglise, par L. Bouyer. Casterman 1964. N.B. : L'auteur parle ici de Jean XXIII.
2 Mgr Chevrot, curé de saint François-Xavier, à Paris. Prédicateur très célèbre à l'époque (Notre-Dame). Il mérite assurément la note
«libéral»
Répondre

Revenir à « Doctrine et débats sur les principes »

Qui est en ligne ?

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 0 invité