par Si vis pacem » mer. 14 avr. 2021 23:29
Abenader a écrit : ↑mer. 07 avr. 2021 22:30
5. Station vient-il de
stare, i. e. se tenir debout ? Si oui,
quid ?
Mgr Barbier de Montault - Les croix stationnales de la basilique de Latran à Rome (in Revue de l'art chrétien, 1889, pp. 15-41 a écrit :
Le mot station, dans la langue liturgique, a jusqu'à neuf acceptions différentes, comme on peut s'en convaincre par l'érudit Glossaire de Du Cange. Je n'en retiens que quatre, qui vont directement à mon sujet.
Il signifie d'abord le jeûne, particulièrement celui des vigiles solennelles et du carême. C'est dans ce sens qu'en parlent Isidore de Séville dans ses Institutions : « Jejunium et statio dicitur » et le Pasteur d'Hermas : « Respondi quoniam, Domine, stationem habeo. Quid est, inquit, statio ? Et dixi : Jejunium. » La définition de Du Cange est donc rigoureusement exacte : « Statio dicitur jejunium a scriptoribus ecclesiasticis. »
En temps de jeûne, les fidèles s'assemblaient pour prier plus que d'habitude. Cette réunion pieuse se nommait station. Du Cange ajoute donc, comme second sens : « Statio veteribus dictus cætus sive conventus fidelium in ecclesia. »
Groupés, les fidèles allaient aussi en procession ou, pour employer le terme consacré par l'usage, aux litanies, qui sont des supplications publiques. De là le troisième sens, qui se constate dans la vie d'un évêque de Liège : « Stationes instituit seu processiones, quæ ab universo communiter clero civitatis ad majorem ecclesiam fiunt. »
Enfin, le dernier sens est celui d'église où s'arrête la procession. Du Cange est encore très précis sur ce point : « Stationes præterea dicuntur ecclesiæ, oratoria seu quævis loca, ubi processiones ecclesiasticæ moram faciunt, in quibus orationes fiunt aut decantantur antiphonæ vel denique sacrum missa ministerium peragitur, ex quo processiones ipsas stationes passim dictas observare est. »
Christine Mohrmann - Statio (in Vigiliae Christianae, 1953, pp. 221–245) a écrit :
Dans le latin des chrétiens, statio revêt deux sens techniques qui — à première vue — semblent assez divers : d'une part le mot désigne, dès les temps les plus anciens, le jeûne de la station ; d'autre part il est employé, probablement depuis le début du cinquième siècle, dans la langue de la liturgie de Rome, pour désigner les réunions eucharistiques solennelles célébrées par le pape avec le clergé et le peuple dans une des églises de Rome.
Du point de vue historique et philologique, statio pose des problèmes pour lesquels on n'a pas encore trouvé de solution définitive. Comment expliquer l’origine des sens spéciaux adoptés par le mot dans les cercles chrétiens ? Quelles sont les relations entre les deux sens techniques dont je viens de parler ? En général, on peut dire que deux explications se font concurrence : l’une veut trouver, avec Tertullien, l’origine de statio jeûne stational dans la langue militaire où statio signifiait poste, garde (Svennung, Casel, Sainio, Bonsirven). L’autre prend comme point de départ un sens assemblée, assemblée liturgique, synaxe (Kirsch, Teeuwen). L’usage de la langue liturgique de Rome serait issu, d’une manière ou d’une autre, du sens ancien de statio jeûne stational. (1)
Ces explications présentent des nuances diverses suivant les auteurs. Tout en remontant au sens ancien de garde, poste, Sainio pense par exemple à une antithèse de statio, garde de la journée et vigiliæ garde de la nuit ; le P. Bonsirven pense à une relation avec les stations juives. M. Teeuwen veut partir de statio au sens de synaxe avec lequel se serait combiné, secondairement, un sens de jeûne, et il voit dans l’usage liturgique de Rome une continuation du sens primaire. Mgr Kirsch met en relation statio jeûne stational et les stations de Rome, mais on ne voit pas très bien comment il la comprend.
A côté de ces deux explications principales, que les différents auteurs exposent différemment, d’autres ont été exposées, mais qui n’ont guère trouvé d’adhésion. Parmi celles-ci on pourrait signaler l’hypothèse de M. Schümmer qui pense à un sens local de statio, lieu de la prière, ou la suggestion de M. Thörnell, ingénieuse mais peu probable, que statio aurait été au début l’arrêt des occupations journalières. Dans les publications les plus récentes, comme celle de Dom Dekkers sur la liturgie chez Tertullien, dans le commentaire de M. Diercks du De oratione de Tertullien et dans celui de M. Waszink sur le De anima, on se résigne à un non liquet.
Malgré les publications nombreuses, parues ces dernières années sur le problème des origines de l’usage chrétien de statio, on doit conclure que la question reste ouverte ...
(1) - Je cite ici les publications les plus importantes qui traitent des origines de statio : C. Callewaert, De wekelijksche vastengaden in de vroegste tijden der Kerk, Tijdschrift voor Liturgie 5, 1924, p. 1ss. & p. 267 ss. ; G. P. Kirsch, Origine e carattere delle stazioni liturgiche di Roma, Atti Della Pontificia Accademia Romana Di Archeologia, Ser. III, Rendiconti. - Vol. III, 1924/5, p. 123 ss. ; St. W. J Teeuwen, Sprachlicher Bedeutungswandel bei Tertullian, Paderborn, 1926, p. 101 ss. ; G. Thörnell, Gnomon 3, 1927, p. 48 ss. ; J. Svennung, Statio = Fasten, Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 31, 1932, p.294 ss. ; J. Schümmer, Die altchristliche Fastenpraxis, Liturgiewissenschaftliche Quellen und Forschungen 27, Münster i. W., 1933, p. 140 ss. ; J. Bonsirven, Notre statio liturgique est-elle empruntée au culte juif ?, Recherches de Science religieuse 15, 1925, p 258 ss. ; e. Köstermann, Statio principis, Philologus 87, 1932, p. 358 ss. & 430 ss. ; Odo Casel, Jahrbuch für Liturgiewissenschaft 13, 1935, p. 305 s. ; W. Havers, Über Sinnesstreckung, Glotta 25, 1936, p. 103 ss. ; Matti A. Sainio, Semasiologische Untersuchungen über die Entstehung der altchristlichen Latinität, Helsinki, 1940, p. 86 ss. ; G.F. Diercks, Tertullianus De Oratione, Bussum, 1947, p. 176 s. & 191 ss. ; E. Dekkers, Tertullianus en de Geschiedenis der liturgie, Brussel-Antwerpen, 1947, p. 130 ss. ; J. H. Waszink, Tertullianus De anima, Amsterdam, 1947, p. 513 s.
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5. Station vient-il de [i]stare[/i], i. e. se tenir debout ? Si oui, [i]quid[/i] ?
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[quote=Mgr Barbier de Montault - Les croix stationnales de la basilique de Latran à Rome (in Revue de l'art chrétien, 1889, pp. 15-41]
Le mot [i]station[/i], dans la langue liturgique, a jusqu'à neuf acceptions différentes, comme on peut s'en convaincre par l'érudit [i]Glossaire[/i] de Du Cange. Je n'en retiens que quatre, qui vont directement à mon sujet.
Il signifie d'abord le [i]jeûne[/i], particulièrement celui des vigiles solennelles et du carême. C'est dans ce sens qu'en parlent Isidore de Séville dans ses [i]Institutions[/i] : « Jejunium et statio dicitur » et le [i]Pasteur[/i] d'Hermas : « Respondi quoniam, Domine, stationem habeo. Quid est, inquit, statio ? Et dixi : Jejunium. » La définition de Du Cange est donc rigoureusement exacte : « Statio dicitur jejunium a scriptoribus ecclesiasticis. »
En temps de jeûne, les fidèles s'assemblaient pour prier plus que d'habitude. Cette réunion pieuse se nommait [i]station[/i]. Du Cange ajoute donc, comme second sens : « Statio veteribus dictus cætus sive conventus fidelium in ecclesia. »
Groupés, les fidèles allaient aussi en procession ou, pour employer le terme consacré par l'usage, aux [i]litanies[/i], qui sont des supplications publiques. De là le troisième sens, qui se constate dans la vie d'un évêque de Liège : « Stationes instituit seu processiones, quæ ab universo communiter clero civitatis ad majorem ecclesiam fiunt. »
Enfin, le dernier sens est celui d'[i]église[/i] où s'arrête la procession. Du Cange est encore très précis sur ce point : « Stationes præterea dicuntur ecclesiæ, oratoria seu quævis loca, ubi processiones ecclesiasticæ moram faciunt, in quibus orationes fiunt aut decantantur antiphonæ vel denique sacrum missa ministerium peragitur, ex quo processiones ipsas stationes passim dictas observare est. »
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[quote=Christine Mohrmann - Statio (in Vigiliae Christianae, 1953, pp. 221–245)]
Dans le latin des chrétiens, [i]statio[/i] revêt deux sens techniques qui — à première vue — semblent assez divers : d'une part le mot désigne, dès les temps les plus anciens, le jeûne de la station ; d'autre part il est employé, probablement depuis le début du cinquième siècle, dans la langue de la liturgie de Rome, pour désigner les réunions eucharistiques solennelles célébrées par le pape avec le clergé et le peuple dans une des églises de Rome.
Du point de vue historique et philologique, [i]statio[/i] pose des problèmes pour lesquels on n'a pas encore trouvé de solution définitive. Comment expliquer l’origine des sens spéciaux adoptés par le mot dans les cercles chrétiens ? Quelles sont les relations entre les deux sens techniques dont je viens de parler ? En général, on peut dire que deux explications se font concurrence : l’une veut trouver, avec Tertullien, l’origine de [i]statio[/i] jeûne stational dans la langue militaire où [i]statio[/i] signifiait poste, garde (Svennung, Casel, Sainio, Bonsirven). L’autre prend comme point de départ un sens assemblée, assemblée liturgique, synaxe (Kirsch, Teeuwen). L’usage de la langue liturgique de Rome serait issu, d’une manière ou d’une autre, du sens ancien de [i]statio[/i] jeûne stational. [b](1)[/b]
Ces explications présentent des nuances diverses suivant les auteurs. Tout en remontant au sens ancien de garde, poste, Sainio pense par exemple à une antithèse de [i]statio[/i], garde de la journée et [i]vigiliæ[/i] garde de la nuit ; le P. Bonsirven pense à une relation avec les stations juives. M. Teeuwen veut partir de [i]statio[/i] au sens de synaxe avec lequel se serait combiné, secondairement, un sens de jeûne, et il voit dans l’usage liturgique de Rome une continuation du sens primaire. Mgr Kirsch met en relation [i]statio[/i] jeûne stational et les stations de Rome, mais on ne voit pas très bien comment il la comprend.
A côté de ces deux explications principales, que les différents auteurs exposent différemment, d’autres ont été exposées, mais qui n’ont guère trouvé d’adhésion. Parmi celles-ci on pourrait signaler l’hypothèse de M. Schümmer qui pense à un sens local de [i]statio[/i], lieu de la prière, ou la suggestion de M. Thörnell, ingénieuse mais peu probable, que [i]statio[/i] aurait été au début l’arrêt des occupations journalières. Dans les publications les plus récentes, comme celle de Dom Dekkers sur la liturgie chez Tertullien, dans le commentaire de M. Diercks du [i]De oratione[/i] de Tertullien et dans celui de M. Waszink sur le [i]De anima[/i], on se résigne à un [i]non liquet[/i].
Malgré les publications nombreuses, parues ces dernières années sur le problème des origines de l’usage chrétien de [i]statio[/i], on doit conclure que la question reste ouverte ...
[size=85][b](1) - [/b]Je cite ici les publications les plus importantes qui traitent des origines de [i]statio[/i] : C. Callewaert, [i]De wekelijksche vastengaden in de vroegste tijden der Kerk[/i], Tijdschrift voor Liturgie 5, 1924, p. 1ss. & p. 267 ss. ; G. P. Kirsch, [i]Origine e carattere delle stazioni liturgiche di Roma[/i], Atti Della Pontificia Accademia Romana Di Archeologia, Ser. III, Rendiconti. - Vol. III, 1924/5, p. 123 ss. ; St. W. J Teeuwen, [i]Sprachlicher Bedeutungswandel bei Tertullian[/i], Paderborn, 1926, p. 101 ss. ; G. Thörnell, Gnomon 3, 1927, p. 48 ss. ; J. Svennung, [i]Statio = Fasten[/i], Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 31, 1932, p.294 ss. ; J. Schümmer, [i]Die altchristliche Fastenpraxis[/i], Liturgiewissenschaftliche Quellen und Forschungen 27, Münster i. W., 1933, p. 140 ss. ; J. Bonsirven, [i]Notre statio liturgique est-elle empruntée au culte juif ?[/i], Recherches de Science religieuse 15, 1925, p 258 ss. ; e. Köstermann, [i]Statio principis[/i], Philologus 87, 1932, p. 358 ss. & 430 ss. ; Odo Casel, Jahrbuch für Liturgiewissenschaft 13, 1935, p. 305 s. ; W. Havers, [i]Über Sinnesstreckung[/i], Glotta 25, 1936, p. 103 ss. ; Matti A. Sainio, [i]Semasiologische Untersuchungen über die Entstehung der altchristlichen Latinität[/i], Helsinki, 1940, p. 86 ss. ; G.F. Diercks, [i]Tertullianus De Oratione[/i], Bussum, 1947, p. 176 s. & 191 ss. ; E. Dekkers, [i]Tertullianus en de Geschiedenis der liturgie[/i], Brussel-Antwerpen, 1947, p. 130 ss. ; J. H. Waszink, [i]Tertullianus De anima[/i], Amsterdam, 1947, p. 513 s.[/size]
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