Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour la fête de l'Annonciation

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Laetitia
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Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour la fête de l'Annonciation

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  Louis de Grenade a écrit :

PREMIER SERMON POUR LA FÊTE DE L'ANNONCIATION.
Explication de l'Évangile.



Quæ cum audisset, turbata est in sermone ejus, et cogitabat qualis esset ista salutatio.
(Marie ) ayant entendu l'ange, fut troublée de ses paroles, et elle pensait en elle-même quelle pouvait être cette salutation.

Luc. I, 29.

Quoiqu'il soit dit dans les saints Livres, que le Seigneur créa le monde en six jours, et qu'il se reposa le septième, après avoir achevé son ouvrage (c'est pour consacrer le souvenir de ce repos qu'il ordonna aux Juifs de sanctifier le jour du sabbat), elle reste néanmoins vraie, cette parole du Sauveur : « Mon Père ne cesse point d'agir jusqu'à présent, et moi aussi j'agis incessamment. » Pater meus usque modo operatur, et ego operor. Joan. v, 17. La création de l'univers a été terminée, en effet, en quelques jours, mais Dieu travaille constamment au salut des hommes ; jamais il n'interrompt cette œuvre, tant la sanctification de l'homme l'emporte sur la création du monde entier. Cette grande œuvre, le Père, le Fils et le Saint-Esprit y travaillent sans relâche, puisqu'ils ne cessent point d'attirer les hommes à eux par toutes sortes de moyens, et de les enrichir des dons célestes. On peut cependant rapporter à deux principaux les divers moyens qu'ils emploient : ou ils cherchent à gagner les hommes par les faveurs et les bienfaits, ou, s'ils ne peuvent se les attacher par là, ils essaient de les détourner du vice par la terreur et les menaces. C'est ainsi que les médecins, qui ne peuvent guérir leurs malades par un traitement doux et bénin, ont recours aux incisions et à l'emploi du feu. Quant à ce dernier moyen, il répugne à la nature de la bonté divine qui se manifeste à l'égard des hommes par les secours et les grâces qu'elle leur accorde. Nous en avons pour témoins ces paroles du prophète Isaïe qui, après avoir annoncé les malheurs réservés aux dix tribus, en punition de leurs péchés, ajoute : « Dieu fera une œuvre bien éloignée de lui, et il agira d'une manière qui est étrangère à sa bonté. » Ut faciat opus suum, alienum opus ejus; ut operetur opus suum, peregrinum est opus ejus ab eo. Isa. XXVIII, 21. Quoi de plus opposé et de plus étranger à cette bonté infinie, si généreusement prodigue d'elle-même, que de perdre et détruire ceux qu'elle a créés pour les conserver et les combler de biens, à moins que par leur obstination impie ils ne contrarient les desseins de la divine tendresse ? Et lorsque le Seigneur use de cette sévérité, ce n'est pas seulement pour punir les coupables,mais pour que l'exemple de leur châtiment intimide les autres et les contienne dans le devoir. Dieu aime bien mieux user du premier moyen, qui lui est surtout propre, en même temps qu'il est le plus salutaire aux hommes. Lorsqu'ils viennent à reconnaître tant de miséricorde, de bonté et de charité paternelle, ils se sentent touchés ; ils aiment de tout leur cœur un Dieu si tendre, et se consacrent tout entiers à son culte et à son service, car les bienfaits ont une telle puissance, qu'ils gagnent et attachent au bienfaiteur non-seulement les hommes au cœur généreux, mais jusqu'aux animaux féroces eux-mêmes.

C'est pourquoi le Seigneur avait établi dans la loi un grand nombre de sacrifices et de cérémonies destinés à renouveler continuellement le souvenir de ses bienfaits, dans la crainte que le temps ne vint à l'effacer. Ainsi il avait institué la Circoncision, pour que les descendants d'Abraham se souvinssent de l'alliance en vertu de laquelle il les avait choisis parmi toutes les autres nations pour en faire son peuple, de cette alliance où il se proclamait leur père, leur gardien et leur défenseur, et leur assignait pour héritage la terre dans laquelle ils étaient étrangers. « Vous circoncirez tous les enfants mâles, leur dit-il, en signe de l'alliance que je fais avec vous. » Gen. xvii, 12. Plus tard, quand il ordonna qu'on lui offrît tous les premiers-nés, et qu'on immolât l'agneau pascal, que se proposait-il, sinon de rappeler par ces lois à son peuple le jour où il l'avait délivré de la servitude d'Egypte ? « Ceci donc, leur dit-il, sera comme un signe en votre main, et comme une chose suspendue devant vos yeux pour exciter votre souvenir. » Erit igitur quasi signum in manu tua, et quasi appensum quid, ob recordationem, inter oculos luos. Exod. XIII, 16.

Tel est, en effet, le principal usage que nous devons faire des bienfaits de Dieu. Ce n'est pas seulement pour nous délivrer des périls qui nous menacent, ou pour nous rendre plus puissants et plus riches, qu'ils nous sont accordés, mais pour que nous reconnaissions les soins paternels de la providence de Dieu, pour que nous l'aimions par-dessus toutes choses, et que nous obéissions fidèlement à ses préceptes et à ses lois. Il est des hommes tellement occupés d'eux-mêmes et si oublieux des dons et des libéralités qu'ils ont reçus de Dieu, qu'ils ne pensent qu'à en jouir. Ses bienfaits sont comme un filet dans lequel leur cupidité les retient, et ce qui devrait les remplir de reconnaissance, de gratitude et d'empressement à l'égard de leur bienfaiteur, devient pour eux une occasion de perdre son souvenir. Que penser d'un homme qu'un roi aurait enrichi et comblé de faveurs, afin de l'attacher plus étroitement à son service, si, oubliant ce qu'il doit à son prince, cet homme ne s'occupait qu'à jouir des richesses qu'il tient de lui, et passait toute sa vie dans l'oisiveté et la paresse, sans tenir compte des ordres du roi ? Voilà la conduite de ceux qui, comblés de richesses, d'honneurs et de puissance, s'enorgueillissent et s'enivrent en quelque sorte de ces dons de Dieu, au point d'éloigner de leur esprit tout souvenir de leur bienfaiteur. Se peut-il rien de plus indigne ? Or, quiconque agit ainsi, non-seulement se ferme l'accès à la bienfaisance et à la libéralité divines, mais, semblable au malheureux qui fait naufrage dans le port, il change ce qui devait servir à son salut en un sujet de condamnation plus terrible.
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C'est pour cela que Dieu exige de nous en tant de manières que nous gardions le souvenir de ses biens, afin que nous ne tombions point dans le crime détestable de l'ingratitude, et que nous ne nous fermions pas tout accès à ses bienfaits et à sa bonté; car, comme le dit saint Bernard, l'ingratitude est un vent qui dessèche tous les canaux de la grâce divine, et qui tarit la source même de la miséricorde.

Les choses étant ainsi, nous sommes donc, mes frères, doublement liés à l'égard de l'auteur de notre salut, puisque, d'une part, il nous comble de tant de bienfaits, et que, de l'autre, il exige si rigoureusement que nous gardions le souvenir de ses dons, et que nous lui payions le tribut de notre reconnaissance. Comme le propre de l'amour est de vouloir combler de ses faveurs l'objet aimé, et que l'ingratitude vient en entraver le cours, nous pouvons juger de l'amour de Dieu pour nous et de son désir de nous faire du bien par le soin avec lequel il écarte tout ce qui pourrait mettre obstacle à sa libéralité. A voir ce soin à nous ouvrir la voie de ses bienfaits, et à la débarrasser de tout ce qui pourrait s'opposer aux desseins de sa charité, il semblerait que lui-même jouit de nos biens et qu'il soit affligé de nos maux. C'est surtout à l'égard des vrais pénitents que le Seigneur éprouve tout particulièrement ces sentiments de tendresse et de bienveillance. On pourrait croire, dit saint Augustin, qu'il tarde plus à Dieu d'accorder au pécheur le pardon, qu'à celui-ci de le recevoir. Il met tant d'empressement à satisfaire à la compassion qui tourmente son cœur, qu'il semble ressentir pour le malheureux pécheur plus de compassion, que celui-ci n'en ressent pour lui même. L'ineffable bonté de Dieu, telle est donc la cause pour laquelle il a voulu instituer autrefois tant de cérémonies saintes et solennelles destinées à renouveler et à consacrer chaque année le souvenir de ses bienfaits. Après en avoir fait une obligation rigoureuse à son peuple, il ajoute : « Vous observerez ce culte tous les ans au jour qui vous a été ordonné. » Custodies hujus modi cultum statuto tempore a diebus in dies. Exod. Xii, 10. L'Eglise a suivi cet exemple en instituant cette série de fêtes qui doivent chaque année nous remettre sous les yeux les bienfaits les plus signalés de Dieu. Et comme parmi ces bienfaits, le plus excellent est, sans contredit, celui de notre rédemption et de notre salut, elle en a conservé le souvenir par un plus grand nombre de solennités. Toutes les fêtes qui se rapportent à notre Seigneur et à la très-sainte Vierge, n'ont-elles pas en effet pour objet de nous rappeler le grand bienfait de notre rédemption ? Cependant la solennité de ce jour se distingue entre toutes les autres, parce qu'elle a pour objet le mystère qui a commencé l’œuvre de notre salut. Suivons le récit de l'évangéliste saint Luc.
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I.

« L'ange Gabriel fut envoyé de Dieu dans une ville de Galilée nommée Nazareth. » Saint Bernard demande ici où est entré l'ange. Je pense, dit-il, que ce fut dans le secret de la pudique retraite de Marie, dans l'endroit où « après avoir fermé la porte sur elle, elle priait son Père dans le secret. » Matth. vi, 6. Les anges ont coutume de se tenir debout auprès de ceux qui prient ; ils se plaisent à les voir dans l'oraison lever des mains pures vers le ciel, et se réjouissent d'offrir à Dieu comme une victime d'agréable odeur l'holocauste de la sainte dévotion. « L'ange étant donc entré dans le lieu où était la sainte Vierge, lui dit : Je vous salue, ô pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes. » Il est certain que les anges qui ont apparu aux patriarches et aux prophètes, n'ont jamais honoré aucun d'eux d'une aussi magnifique salutation. Elle était réservée à celle qui devait enfanter le Roi des anges et des hommes. Le messager céleste ne proclame pas seulement que Marie est distinguée entre toutes les femmes par un privilège tout particulier, mais qu'elle est remplie de l'abondance de la grâce, comme il convenait à la mère d'un Dieu. « La mesure de la grâce, dit saint Thomas, se tire de la proximité où l'âme se trouve de la source même de la grâce. Or Jésus-Christ étant la source de la grâce et le soleil de justice (Dieu, en effet, ne donne pas son Esprit au Fils par mesure. Joan. III, 34 ), ne nous étonnons pas que la sainte Vierge ait puisé une plus grande abondance de grâces, puisqu'elle s'est approchée plus que personne de la source d'où la grâce découle. Qui, en effet, est plus près du fils que la mère, et sur qui, sinon sur elle, le fils répandra-t-il ses faveurs plus volontiers et d'une main plus libérale ? Comme le Fils de Dieu n'a aimé aucune créature plus que sa Mère (car la grâce perfectionne la nature, bien loin de la détruire ), il n'en a enrichi aucune de dons plus abondants et plus précieux. Aimer, c'est vouloir du bien. Or la bienveillance et la bienfaisance étant une même chose en Dieu, puisque sa puissance répond à sa volonté, et que « sa parole est pleine de puissance,» Eccle. VIII, 4, il a dû combler de plus grands bienfaits celle qu'il a le plus aimée. Saint Denis dit que parmi les chœurs bienheureux des esprits célestes, ceux-là sont les plus élevés en dignité, et les plus favorisés des dons divins, qui sont les plus près de Dieu. Or la sainte Vierge étant plus rapprochée que personne du Fils de Dieu, plus cette proximité est grande, plus riche aussi est le trésor de grâces qu'elle a reçu. C'est donc par là qu'il faut mesurer la plénitude de grâce que l'ange attribue à Marie.

Mais comme la grâce est la racine de toutes les vertus, que la charité est en quelque sorte le tronc formé par cette racine, et que les autres vertus sont les rameaux de ce tronc, on peut juger par la racine, et du tronc de l'arbre et des autres rameaux, c'est à-dire, des autres vertus que cette racine produit. Or, parmi ces vertus, la charité doit être regardée comme la plus parfaite. C'est elle, en effet, qui est la beauté, la forme et la vie de toutes les autres vertus qui sans elle ne peuvent nous être d'aucun secours pour le salut. D'où il suit que la sainte Vierge a dû exceller dans cette vertu, d'une manière toute particulière. Aussi pendant toute la durée de sa vie, elle fut si parfaitement unie à Dieu et si recueillie dans le sanctuaire intime de son âme, qu'elle n'aima rien qu'en Dieu et pour Dieu, et qu'aucune image des objets créés ne vint diminuer dans son cœur l'ardeur de cet amour si pur. Elle vivait donc retirée dans le fond de son âme; elle habitait ce temple intérieur où réside l'image de Dieu, et s'y concentrant avec toutes ses forces et toutes ses facultés, elle у adorait Dieu son unique bien, en esprit et en vérité. Sa mémoire était constamment tournée vers cette pure lumière ; son intelligence était inondée des clartés les plus vives, qui lui découvraient les choses célestes et divines, et sa volonté était enflammée des ardeurs du saint et paisible amour qui la ravissait au-dessus de toutes les créatures. Élevée à cette hauteur, et planant au-dessus des images de toutes les choses créées, son âme recueillait dans le silence le murmure de la voix de Dieu, ses paroles et ses célestes inspirations. Elle se reposait en lui, et, dans les étreintes d'un amour ineffable, se plongeait et se perdait dans les profondeurs infinies de la divinité. Elle ne faisait plus qu'un seul et même esprit avec le Dieu auquel elle était unie de cette intime et étroite union qui surpasse tous les dons, toutes les grâces et toutes les lumières.
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Laetitia
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Après avoir fait mention de la charité de la sainte Vierge, nous devons tirer de l'évangile de ce jour quelques réflexions sur sa profonde humilité, vertu qui est la gardienne et la compagne inséparable de la charité. « Marie ayant entendu l'ange, fut troublée de ses paroles. » Les vierges, qui sont véritablement vierges, dit saint Bernard, s'effraient à l'aspect de tout homme qui se présente ; elles sont toujours craintives, toujours en défiance, et, afin de se tenir en garde contre les dangers réels, elles s'alarment même des choses dont elles n'ont rien à redouter, parce qu'elles savent qu'elles portent un trésor précieux dans des vaisseaux fragiles, et qu'il n'est rien de plus difficile que de vivre parmi les hommes, à la manière des Esprits célestes. C'est pourquoi dès qu'il se produit tout-à-coup quelque chose de nouveau, elles soupçonnent quelque piège caché où tout conspire contre leur vertu. Mais nous devons examiner un peu plus en détail la cause de cette crainte. Le saint Évangéliste, après avoir dit que « Marie fut troublée des paroles de l'ange, » ajoute aussitôt : « Et elle pensait en elle-même quelle pouvait être cette salutation. » Les bergers, à la vue de l'ange qui leur annonçait la naissance du Sauveur, furent saisis d'une grande crainte. Luc. II, 9. Zacharie, père de Jean-Baptiste, à l'apparition de l'ange qui se tenait debout à la droite de l'autel des parfums, fut
aussi tout troublé, et la frayeur s'empara de lui. Luc. I, 11. Lorsque l'ange Gabriel se montra dans une vision au prophète Daniel, celui-ci éprouva une telle crainte, qu'il tomba le visage contre terre, à demi-mort d'effroi. Dan. VIII, 17. Bien qu'à la vue de l'ange tout éclatant de lumière, la sainte Vierge ait ressenti une grande frayeur, il n'est fait mention que du trouble que lui causèrent et la salutation glorieuse de l'ange et les louanges qu'il lui adressa.

Pour expliquer la cause de ce trouble, il faut savoir que l'humilité, ainsi que les autres vertus, a brillé en Marie d'un éclat tout particulier. Les hommes qui veulent bâtir une tour fort élevée, commencent par en jeter les fondements à une grande profondeur, afin que l'édifice ne s'écroule point sur une base trop faible pour le soutenir. Ainsi le Seigneur a-t-il fait à l'égard de la très-sainte Vierge. Ayant résolu de l'élever au-dessus de toutes les créatures par l'abondance des grâces et des prérogatives les plus excellentes, il a jeté en elle les fondements de l'humilité la plus profonde, afin qu'aucun sentiment de vanité ne pénétrât dans son cœur, à la vue des dons admirables qu'elle avait reçus du ciel. C'est parce que cette vertu a manqué au plus beau des anges, qu'il a été précipité du faîte des grandeurs dans le fond de l'abîme. « Son cœur, dit Ezechiel, s'est élevé dans son éclat, et il a perdu la sagesse dans sa beauté. » Ezech. XXVIII, 17. Aussi de peur que la grandeur de ses révélations n'inspirât à Paul quelque sentiment d'orgueil, Dieu a-t-il permis que cet apôtre ressentit l'aiguillon de la chair. II Cor. XII, 7. Cet aiguillon devait être l'auxiliaire de son humilité, en lui remettant chaque jour sous les yeux sa faiblesse et la maladie qui afflige la nature corrompue. Sans doute l'humilité de la très-pure et très-sainte Vierge n'avait pas besoin de ces aiguillons de la chair (sa dignité de mère de Dieu devant l'affranchir de tout mouvement de la concupiscence ), mais cependant il fallait que l'humilité vînt la soutenir et servir de base solide à ce sublime édifice de toutes les grâces et de toutes les vertus. Comment donc ne se serait-elle pas troublée en entendant l'ange la proclamer reine entre toutes les femmes, cette Vierge qui était si humble, qu'elle eût choisi le dernier rang entre toutes ? Pour une âme vraiment humble, et n'ayant que de bas sentiments d'elle-même, il n'est rien de plus étrange ni de plus incroyable que d'entendre faire son éloge et dire autre chose d'elle que ce qu'elle en pense et se répète à chaque instant.

Et non-seulement elle est surprise de ce qu'elle entend, mais elle y voit un danger qui l'épouvante. De même qu'un homme qui possède beaucoup d'or et d'argent, tremble de peur, lorsqu'il voit des voleurs rôder autour des coffres qui renferment ses trésors, ainsi l'homme humble s'alarme, lorsqu'il entend qu'on le loue, parce qu'il regarde les éloges comme des voleurs de l'humilité, riche et incomparable trésor. Saint Bernard vivait encore dans le siècle, lorsqu'un jour une femme impudique vint à lui pendant qu'il dormait, afin de lui ravir l'innocence. Le saint jeune homme se réveillant soudain se mit à crier à haute voix : Au voleur, au voleur. Les serviteurs se lèvent à ce cri, parcourent toute la maison, et ne trouvant point de voleur, disent que c'est à tort que ce cri d'alarme a été jeté. Non, dit le saint ; elle est bien un voleur la personne qui a voulu me dérober le trésor irréparable de la chasteté. On peut dire des louanges, qu'elles sont à l'égard de l'humilité ce qu'était cette femme impudique à l'égard de l'innocence de saint Bernard. Ce sont des voleurs rusés et flatteurs. Quoi de plus doux, en effet, quoi de plus agréable que d'entendre son propre éloge ? Si nous trouvons tant de plaisir à entendre louer à raison ou à tort les personnes qui nous sont chères, comment n'éprouverons-nous pas un plaisir bien plus grand, lorsqu'il s'agit de nous, puisque nous n'avons rien de plus cher que nous-mêmes. Or quiconque se complaît dans ce sentiment, se trompe et blesse l'humilité en se glorifiant en soi même au lieu de se glorifier en Dieu à qui appartiennent tous les biens. C'est contre ce larcin que s'élève le Prophète, lorsqu'il s'écrie : « Mon peuple, ceux qui te disent heureux, sont des séducteurs qui te trompent et égarent tes pas. » Isa. IX, 16. Oh ! combien est délicate, mes frères, la vertu d'humilité que le plus léger souffle de la vanité, qu'il vienne d'ailleurs ou de nous-même, peut détruire ! Le pharisien dont parle l’Évangile ne fit pas autre chose que de remercier Dieu de n'être point coupable de certains vices pour lesquels il avait le plus grand éloignement, et de passer en revue les différentes vertus qu'il pratiquait avec la plus grande fidélité, et cependant l'orgueil sut trouver une place dans cette action de grâce du pharisien. Rien de plus subtil en effet que le souffle de l'orgueil. Quelque soin que vous apportiez à lui fermer toutes les entrées, il suffit de la plus petite fente pour qu'il s'introduise, pénètre dans le cœur, et dépouille l'homme du précieux trésor de l'humilité. Il faut donc avoir cent yeux pour observer cet ennemi si funeste, et chasser comme une peste affreuse et comme une étincelle de l'enfer toute pensée qui nous inspirerait quelque sentiment de vaine gloire ou d'estime de nous-mêmes.
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Laetitia
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Puisqu'il en est ainsi, ne soyons donc pas surpris que la sainte Vierge, si humble, se trouble et s'alarme en entendant ses louanges. Qu'il serait à souhaiter que tous les rois et tous les grands qui traînent à leur suite de nombreux troupeaux d'adulateurs, apprissent au moins de la très-sainte Vierge, à être toujours tremblants et craintifs en entendant leurs louanges, quand bien même ces éloges sortiraient d'une bouche évangélique ; car s'il est une chose constante, c'est que la louange humaine est comme un vin fumeux qui enivre le cœur des princes, les enlève à eux-mêmes et les empêche de se connaître véritablement. Enfin, comme le dit Sénèque, le plus grave des philosophes stoïciens, pendant que tout abonde dans la maison des riches et des heureux, la vérité demeure fort éloignée de leurs oreilles. Voici ses paroles : « Je vais t'indiquer, dit-il à son ami Liberalis, quelque chose dont le besoin se fait sentir aux plus hautes fortunes, et qui manque à ceux qui ont tout. C'est un ami qui dise la vérité, qui arrache au concert unanime des flatteries un homme enivré de mensonges, et conduit à l'ignorance du vrai par l'habitude d'entendre toujours des paroles complaisantes au lieu de paroles honnêtes. Ne vois-tu pas dans quel précipice l'entraîne cette absence de toute franchise, cette amitié dégénérée en servile soumission ? Pas un ne cherche à persuader ou à dissuader d'après la conviction de son cœur, mais, dans ce combat d'adulations, le seul soin de tous les amis, leur seule émulation est de chercher à qui caressera le mieux les passions de celui qu'ils courtisent. »

Mais revenons au point d'où nous sommes partis. L'ange ayant compris le trouble de la sainte Vierge, dissipa toutes ses craintes en lui disant : « Ne craignez rien, Marie, car vous avez trouvé grâce devant Dieu. » C'est avec raison qu'il dit : « Vous avez trouvé. » Trouver c'est, en s'occupant d'autre chose, rencontrer un objet qui s'offre à nous de lui-même, et sans que nous le cherchions, comme il arriva à cet homme de l’Évangile qui trouva dans son champ un trésor qu'il ne cherchait pas. Ainsi en fut-il de la dignité de mère de Dieu pour Marie. Cette dignité est si grande, qu'elle a bien pu à la vérité être trouvée, mais non donnée comme une récompense proportionnée aux mérites. Il n'est point en effet de sainteté si parfaite, ni de mérites si grands, en vertu desquels une créature eût pu mériter ex condigno (pour parler le langage des théologiens) une si haute gloire. Mais ce qui surpasse le mérite, la grâce divine le donne ; elle est plus puissante pour nous enrichir, que notre justice ne l'est pour mériter ; car de même que la miséricorde de Dieu l'emporte infiniment sur tous les péchés, ainsi sa libéralité l'emporte sur tous les mérites de l'homme, qui sont du reste si petits. Ce n'est point d'eux d'ailleurs qu'elle dépend, mais de la bonté ineffable et infinie de Dieu. C'est donc avec raison que l'ange dit à Marie : « Vous avez trouvé grâce devant Dieu, » puisque, comme nous venons de l'expliquer, c'est à la seule libéralité divine que la sainte Vierge est redevable d'une dignité si haute, qu'elle surpasse tous les mérites.

L'ange explique immédiatement ce que renferme cette précieuse grâce : « Voici, dit-il, que vous concevrez dans votre sein, et que vous enfanterez un fils à qui vous donnerez le nom de Jésus. Il sera grand, et sera appelé le fils du Très-Haut ; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père, et il régnera éternellement sur la maison de Jacob. » Ce passage exige que nous expliquions en quoi consiste ce règne de Jésus-Christ.
La maison de Jacob et d'Israël, c'est l’Église de Jésus-Christ, laquelle se compose des vrais Israélites, c'est-à-dire de ceux qui suivent la foi d'Israël. Si, en effet, un homme est israélite parce qu'il descend d'Israël par la chair et le sang, comment refuserait-on ce nom à celui qui a l'esprit et les sentiments d'Israël ? L'Apôtre parle des premiers lorsqu'il dit : « Considérez les Israélites selon la chair, » I Cor. x, 18, et le Sauveur désigne les seconds, lorsqu'il dit en voyant Nathanaël : « Voici un vrai Israélite, sans déguisement et sans artifice. » Joan. 1, 47. Ce dernier est enfant d'Israël par la foi et l'esprit, comme les autres le sont par la chair et le sang. De même que le nom d'enfants de saint Dominique et de saint François convient aux personnes, quelles qu'elles soient, qui se sont pénétrées de l'esprit et qui imitent les vertus de ces saints, plutôt qu'à celles qui se contentent, après avoir fait profession dans leur Ordre, de porter leur habit, ainsi on doit regarder comme enfants d'Israël ou d'Abraham ceux qui reproduisent la foi et la piété de ces patriarches, plutôt que ceux qui tirent d'eux leur origine selon la chair. Il en est de même du règne de Jésus-Christ dont l'ange fait mention ; c'est un règne éternel et spirituel. Le caractère propre de ce règne est d'enrichir les hommes de biens spirituels et tout divins, de les arracher aux maux véritables, et de les conduire par les lois les plus saintes jusqu'au terme si désiré de la félicité éternelle ; précieux avantages que notre Seigneur Jésus-Christ nous a procurés de la manière la plus abondante. Il nous a délivrés des maux véritables, c'est-à-dire, du péché, de l'enfer et de l'inimitié de Dieu, et pour opérer cette délivrance, il a voulu recevoir sur lui seul tous les traits de la fureur divine lancés contre nous, car c'est lui qui nous dit par la bouche de son Prophète : « Toutes vos vagues et tous vos flots ont passé sur moi. » Omnes gurgites tui et fluctus tui super me transierunt. Jon. II, 4. Il règle et gouverne notre vie par les lois les plus justes, et, ce qui est plus admirable, ce n'est pas seulement par les lois écrites (car la lettre tue et l'esprit donne la vie), II Cor. 111, 6,mais par son Esprit, qu'il nous dirige vers le ciel, et nous montre le chemin de l'éternelle vie, ne se contentant pas de nous instruire des choses nécessaires au salut, mais pressant et excitant notre volonté à les accomplir. Telle est, en effet, la double action propre à l’Esprit de Jésus-Christ. Celui qui apprend à la brebis à éviter parmi les plantes celles qui lui seraient nuisibles, et à choisir celles qui lui sont salutaires, à regarder le loup comme un ennemi et à aimer le chien, qui cependant ressemble au loup, Celui-là sait par une providence particulière, répandre dans l'âme des justes une inspiration secrète qui produit en eux la haine des vices et l'amour des vertus, en même temps qu'il leur apprend à craindre le démon, à aimer Dieu, à mépriser les choses terrestres et à n'aspirer qu'au ciel. Comment, en effet, peut-il se faire que les justes soient prêts à souffrir mille morts plutôt que de commettre un péché mortel, sinon parce que cet Esprit céleste leur découvrant toute la laideur du péché, leur en inspire une haine si grande, que si vous mettiez sous leurs yeux, d'un côté, les feux de l'enfer, et, de l'autre, une faute mortelle, ils aimeraient mieux se précipiter dans les flammes éternelles que de tomber dans cette faute.
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Voilà donc par quels moyens notre Seigneur Jésus-Christ, du haut du ciel, gouverne et conduit éternellement son Église. Il a cessé d'être présent d'une manière corporelle et visible pour ses enfants, mais son Esprit n'a jamais cessé de les diriger. C'est la consolation qu'il nous a donnée, lorsqu'en quittant ce monde, il disait : « Voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles, » et dans un autre endroit : « Je ne vous laisserai pas orphelins; je viendrai à vous, » Non relinquam vos orphanos ; veniam ad vos. Joan. XIV, 18, c'est-à-dire, je ne vous abandonnerai jamais, mais toujours je vous visiterai, toujours je vous protégerai, toujours je prendrai soin de vos affaires. D'où il suit que chacun de nous peut dire avec le Prophète : « Je suis pauvre et dans l'indigence, mais le Seigneur prend soin de moi. » Ego autem mendicus sum, et pauper : Dominus sollicitus est mei. Ps. XXXIX, 18. Ayant la providence de Dieu pour protection et pour défense, qu'y a-t-il qui puisse me nuire ou me manquer, à moins que je ne m'abandonne moi-même? Tel est ce règne dont nous demandons l'avènement, chaque jour, dans l'oraison dominicale. Quand nous récitons cette prière, en effet, nous demandons à Dieu que ni la chair et le sang, ni la tyrannie de la cupidité, ni les affections terrestres, ni notre propre volonté, ni enfin le monde lui-même, c'est-à-dire les lois et les jugements du monde ne nous asservissent à leur empire, mais que l'Esprit de Dieu règne en nous et tienne le gouvernail de notre vie, afin qu'affranchis de la domination de ces maîtres iniques et cruels, nous n'obéissions qu'à ses lois. « L'avarice se présente, dit saint Bernard, et veut établir en moi son séjour ; la vanité désire dominer dans mon cœur ; l'orgueil y réclame la première place ; la luxure dit : c'est moi qui régnerai; l'ambition, la médisance, l'envie et la colère se disputent en moi-même à qui m'aura pour esclave. Venez donc, Seigneur Jésus, et dissipez mes ennemis dans votre puissance, parce que c'est vous qui êtes mon Roi et mon Dieu. » Tel est donc le règne de Jésus-Christ, ce règne qui doit durer éternellement, ainsi que l'ont proclamé l'ange Gabriel saluant Marie, Daniel et les autres prophètes, parce qu'il y aura toujours dans l’Église des âmes fidèles qui, méprisant toutes les choses du monde, ne reconnaîtront d'autres guides que l'Esprit de Dieu et ses saintes lois.

En entendant les magnifiques promesses qui lui sont faites de la part de Dieu, la sainte Vierge a surtout remarqué ce qu'elles semblaient au premier aspect renfermer de contraire à son vœu de virginité : « Comment, dit-elle, cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d'homme ? » Toute autre vierge, en présence de cet oracle et de ce message divins, ne demanderait rien, n'hésiterait pas, et ne montrerait aucune inquiétude au sujet de sa virginité, lorsque c'est Dieu même qui parle. Elle éprouverait bien plus de joie d'un si grand bonheur, que la perte de sa virginité ne lui causerait de peine. Il n'en est pas ainsi de Marie. Les inquiétudes de cette vierge en qui l'amour de la pureté égale la prudence, sont plus grandes que sa joie, et elle demande : « Comment cela se fera-t-il? etc. » En parlant ainsi, elle ne cherche pas à se soustraire à l'autorité de la volonté divine, mais elle déclare qu'elle est si fermement résolue à garder son vœu, que toutes ces magnifiques promesses ne sauraient l'en détourner, à moins que Dieu n'en décide autrement. Quelle condamnation de notre inconstance et de notre instabilité, à nous qui, plus légers que le brin de paille, nous laissons agiter de çà et de là par le moindre vent, à nous qui, pour les motifs les plus futiles, manquons aux résolutions que chaque jour nous formons devant Dieu ! Aussi qu'arrive-t-il ? c'est que chaque jour nous commençons, chaque jour nous nous proposons d'être fidèles, sans parvenir jamais à la science de la vérité. Seule, en effet, la persévérance, soutenue par un ardent désir d'avancer, conduit l'homme au faîte de la perfection, et seule aussi elle est couronnée.
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Laetitia
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Saint Bernard expliquant cette réponse de la sainte Vierge, dit qu'elle ne douta point du fait lui-même, mais qu'elle s'informa seulement de la manière dont il devait s'accomplir. « Elle ne demande point si la chose aura lieu, mais comment elle se fera. Puisque mon Seigneur sait, dit-elle, que sa servante a fait vœu de chasteté, par quelle disposition de circonstances et comment permettra-t-il que cet événement arrive ? Si pour enfanter un tel Fils, je dois rompre mon vœu, autant je me réjouis à la pensée d'être la mère de ce Fils, autant je m'afflige à la pensée de manquer à ma résolution. » Je vous avoue, mes frères, que cette explication de saint Bernard m'a souvent jeté dans une grande admiration et m'a mis, pour ainsi dire, sous les yeux l'inestimable pureté de la très-sainte Vierge. Dieu, dans sa richesse infinie, avait-il à offrir à Marie quelque chose de plus grand que la dignité qu'il lui conférait ? Peut-il exister, peut-on même imaginer dans une femme un plus sublime honneur que la maternité divine ? Une jeune fille donc, mariée à un humble artisan, entend un ange lui dire qu'elle est choisie pour être la Mère du Dieu tout-puissant, la Reine des anges et des hommes, la souveraine du ciel et de la terre, en un mot, pour occuper dans ce vaste univers la première place après le Fils unique de Dieu.

Ne semblait-il pas juste que la vue d'une dignité si haute fit oublier entièrement à Marie tout ce que sa virginité pouvait avoir à craindre ? Eût-elle dû la perdre, cette perte n'était-elle pas bien compensée par une prérogative si sublime, et d'ailleurs n'était-ce pas du consentement et par l'ordre même de Dieu qu'elle eût cessé d'être vierge ? Voilà quels auraient été sans doute notre opinion et nos jugements ; mais la Vierge immaculée avait d'autres sentiments, d'autres dispositions et d'autres pensées. Elle était pénétrée d'un si grand amour de la virginité, elle trouvait à cette vertu tant d'attraits et de douceurs, elle en était si vivement et si ardemment éprise, que si, comme je l'ai dit, elle eût dû la perdre, la dignité de Mère de Dieu, la plus grande après celle de l'humanité sainte de Jésus-Christ, n'aurait pu qu'imparfaitement la consoler de cette perte. J'aime à penser que cette pureté et cette fermeté de résolution furent tellement agréables aux yeux de la Majesté divine, que si la dignité de Mère de Dieu eût pu être obtenue par les mérites qui viennent des vertus, elle l'eût été par le mérite de dispositions aussi saintes.

N'est-ce pas ici le lieu de nous élever contre les impudiques, qui ne rougissent pas d'échanger contre les grossières voluptés de la brute le trésor inestimable de la chasteté, et de nous écrier : Ô trafiquants insensés ! ô détestable commerce ! ô hommes aveugles et en proie au délire ! si vous pesiez la chasteté au poids du sanctuaire, c'est à-dire, selon le jugement de Dieu et non selon le jugement des hommes, vous l'estimeriez autant que le fit la très-prudente vierge Marie qui, éclairée de la lumière céleste, apprécia si bien la dignité, la candeur, la beauté, la suave odeur et l'angélique pureté de cette vertu, qu'elle ne voulait l'échanger contre aucun des biens de la terre ou du ciel. Et toi, misérable insensé, tu la vends pour le plus vil prix. Ce n'est pas assez dire ; tu te vends toi-même, tu vends ton âme et tu t'engages dans les liens d'une servitude et d'une captivité honteuses qui ne seront peut-être jamais rompus. Ne lisons-nous pas en effet dans les saints Livres : « Le prix de la courtisane est à peine d'un pain seul, mais la femme rend captive l'âme de l'homme, laquelle n'a point de prix, » Pretium enim scorti vix est unius panis; mulier autem viri pretiosam animam capit. Prov. VI, 26, et dans l’Ecclésiaste : « J'ai reconnu que la femme est plus amère que la mort, qu'elle est le filet des chasseurs, que son cœur est un rets, et que ses mains sont des chaînes ? » Et inveni amariorem morte mulierem, quæ laqueus venatorum est, et sagena cor ejus, vincula sunt manus illius. Eccle. VII, 27. D'où l'on peut conclure combien l'âme juste diffère de celle qui est dépourvue de l'Esprit de Dieu. Autrefois la fille de Jephté, condamnée à mourir sans avoir été mariée, pria son père de la laisser aller sur les montagnes pendant deux mois, afin de pleurer sa virginité avec ses compagnes. Elle déplorait son malheureux sort, non parce qu'elle avait perdu sa virginité, mais parce qu'elle ne pouvait plus espérer de la perdre. La cause de ses regrets montre assez quelle joie elle s'était promise dans les plaisirs charnels du mariage. Telles sont les dispositions et les affections de ceux que guident un esprit et des sentiments tout humains. Quant à ceux qui sont poussés par l'Esprit de Dieu, ou ils gardent une virginité perpétuelle, à l'exemple de Marie, ou s'ils ont eu le malheur de la perdre, ils ne cessent de la regretter.

Quelle fut la réponse de l'ange à la question que lui adressait la sainte Vierge ? « L'Esprit-Saint, lui dit-il, surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre ; c'est pourquoi le fruit saint qui naîtra de vous sera appelé le fils de Dieu.» Puis il confirma la vérité de ce prodige par l'exemple d’Élisabeth « qui était appelée stérile, » et tout aussitôt la sainte Vierge donna son consentement avec l'humilité la plus profonde au mystère que l'ange venait de lui annoncer. « Voici, dit-elle, la servante du Seigneur ; qu'il me soit fait selon votre parole. » Ces seuls mots prononcés par Marie ont commencé heureusement, en ce jour, l'œuvre du salut et de la rédemption des hommes désirée depuis tant de siècles.
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Laetitia
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Re: Sermon de Saint Louis de Grenade pour la fête de l'Annonciation

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Que me reste-t-il à faire, mes frères, sinon de rattacher la fin de ce discours à son commencement, et de vous ramener en terminant au souvenir des bienfaits de Dieu ? Donc, chrétiens, rendons d'immortelles actions de grâces pour un si grand bienfait non-seulement à la sainte Vierge, mais encore, mais surtout à notre Sauveur, et chantons avec Zacharie ce cantique si plein de suavité : « Béni soit le Seigneur Dieu d'Israël, parce qu'il a visité et racheté son peuple. » Benedictus Dominus Deus Israel, quia visitavit et fecit redemptionem plebis suæ. Luc. I, 68. Si ce saint prêtre montra une reconnaissance si grande pour un bienfait commun à tous les hommes, que n'a point dû faire en ce jour la bienheureuse Vierge qu'embrasait bien plus ardemment le désir du salut du monde, et qui voyait réunis dans ce même mystère d'amour sa plus grande gloire et le salut de tout le genre humain ? Quelles louanges elle chanta en l'honneur de Dieu ! Quelles actions de grâces elle lui rendit pour un mystère si ineffable ! De quels sentiments de dévotion et de charité elle se sentit embrasée pour Dieu ! Quel étonnement profond tint son âme en extase dans l'admiration d'une si grande bonté ! Qui pourrait exprimer ou seulement imaginer ses sentiments, la jubilation de son cœur, l'ardeur de sa charité, lorsqu’un peu plus tard elle chanta ce cantique : « Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit est ravi de joie en Dieu mon Sauveur ? » Dites-nous, je vous prie, ô bienheureuse Vierge, combien vous exaltiez le Seigneur qui avait opéré en vous de si grandes merveilles, et de quelle joie vous tressailliez en Dieu que vous aimiez d'un indicible amour, non seulement comme votre Dieu, mais comme votre fils, et le plus cher de tous les fils. Vous n'ignoriez pas votre dignité, car l'ange vous l'avait révélée, et vous-même vous annonciez qu'elle ne serait pas inconnue au monde, en prophétisant que toutes les nations vous proclameraient bienheureuse. Qui pourrait ne pas reconnaître avec admiration la vérité de cet oracle dans lequel l'épouse d'un obscur artisan, demeurant dans un coin de la Judée, s'attribue ce qui jusqu'à ce jour n'a été accordé ni aux rois ni aux reines du monde, ni à aucune créature quelle qu'elle soit ?

Oui, jusqu'à ce jour, tous proclament Marie bienheureuse, et les fidèles, et les hérétiques, et jusqu'aux mahométans et aux Turcs eux-mêmes ; partout on exalte Marie, on chante ses louanges et l'on porte jusqu'aux cieux sa sainteté et sa gloire.

Toutes les générations que les langues, les mœurs, les lois, la religion, la foi, des haines capitales divisent entre elles, s'unissent et s'accordent cependant sur ce seul point, tant est grand l'honneur que Jésus-Christ a voulu qu'on rendît à sa Mère ! Remercions donc notre Rédempteur, d'abord de ce qu'il nous a donné la vie, puis de ce qu'il nous a rendu cette vie que nous avions perdue par le péché, et enfin de ce qu'il a sacrifié la sienne pour nous rendre la nôtre. J'ai donc été donné et rendu à moi même, dit saint Bernard ; je me dois donc à Dieu tout entier, et deux fois. Mais que puis-je payer en retour de cette vie précieuse de mon Sauveur par laquelle j'ai été rendu à la vie ? Que suis-je, moi, auprès de mon Seigneur ? Quel crime donc d'enchaîner dans l'esclavage du monde et de la chair, qui sont de tous les maîtres les plus honteux, et de vouloir soustraire à l'autorité de Dieu une vie que je lui dois à tant de titres ? Est-il un larcin plus détestable ? « Jésus-Christ est mort, dit l'Apôtre, pour avoir un empire souverain sur les morts et sur les vivants, » In hoc enim Christus mortuus est, ut et mortuorum et vivorum dominetur, Rom. xiv, 9, « afin que ceux qui vivent, ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour Celui qui est mort pour eux. » Utet qui vivunt, jam non sibi vivant, sed ei qui pro ipsis mortuus est. II Cor. v, 15. Le même Apôtre nous montre combien il est dangereux de ne pas vouloir accomplir ce devoir auquel tant de raisons nous obligent, lorsqu'il dit : « Celui qui a violé la loi de Moïse est condamné à mort sans miséricorde, sur la déposition de deux ou trois témoins. Combien donc croyez-vous que celui-là sera jugé digne d'un plus grand supplice, qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, qui aura tenu pour une chose vile et profane le sang de l'alliance par lequel il avait été sanctifié, et qui aura fait outrage à l’Esprit de la grâce ? » Hebr. x, 29. C'est pour nous faire éviter un si grand malheur, mes frères, qu'on nous rappelle tous les jours les bienfaits de Dieu, afin qu'embrasés d'amour pour notre divin Rédempteur, nous l'ayons constamment devant les yeux, nous gravions son image dans le fond de notre cœur, nous pensions à lui nuit et jour, nous obéissions à ses préceptes, nous le suivions enfin comme le véritable auteur de notre salut et le guide le plus sûr de notre vie, et nous méritions en marchant fidèlement sur ses traces de régner éternellement avec lui dans la gloire du ciel. Ainsi soit-il.
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