LÉGENDES DES CROISADES

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Monique
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LÉGENDES
DES
CROISADES


DEPUIS LES PREMIERS TEMPS JUSQU’À NOS JOURS

PAR
J. COLL1N DE PLANCY.

******************************

Approuvé par S. G. Mgr l'Évêque d'Arras, de Boulogne et de Saint-Omer.
PARIS
HENRI PLON, IMPRIMEUR-ÉDITEUR,
RUE GUARANCIERE. S.
Bibliothèque Saint Libère.




************************************


PRÉAMBULE. — JÉRUSALEM.

O Jérusalem ! l'amour de mon âme, l'âme
de mes pensées et de mes désirs, les désirs
de mon cœur, le cœur de mes affections et
les affections de ma vie, hélas! c'est vous
que je cherche.
Le P. BOUCHER, pèlerin des saints lieux.

Jérusalem, la plus célèbre sans contredit et la plus mystérieuse des cités qui ont brillé sur la terre, était pour les Hébreux ce que Rome est pour nous : le centre auguste de leur nationalité religieuse et le point vers lequel ils tournaient leurs cœurs pour prier. Tout enfant d'Israël devait avoir fait le voyage de la ville sainte, et tous ceux qui le pouvaient allaient chaque année y célébrer la Pâque. Là est donc le plus illustre et le plus antique des pèlerinages.

C'est dans cette enceinte qu'aux jours d'Abraham, le roi de Salem ou Solime, au pays des Jébuséens, Melchisédech annonçait le plus adorable de nos mystères , en offrant à Dieu, pour sacrifice, le pain et le vin. C'est là que Jéhova choisit plus tard son sanctuaire. Là tous les prophètes ont raconté cet avenir, écrit depuis dans les saints Évangiles. Mais le peuple de Dieu, souvent infidèle, plus souvent ingrat, mérita souvent aussi ces grands revers qui témoignent si clairement du gouvernement temporel de la Providence. Plus d'une fois la ville de Jérusalem saccagée expia ses trahisons. Elle était relevée et brillante quand le Rédempteur, qui voulait la sauver, pleura sur elle. Hélas! si nous avons été rachetés dans son sein par le sacrifice infini qui régénéra le monde et nous ouvrit les cieux, ce furent ses enfants qui commirent le déicide. Elle devait expier encore et plus longuement.

Cependant et malgré l'attente du châtiment qui était annoncé, les disciples du Christ savaient que les voies de Jérusalem avaient conservé l'empreinte des pas de l'Homme-Dieu, qu'il avait parlé dans son temple et dans ses synagogues, qu'il avait fait dans ses murs des miracles que les pervers pouvaient bien attribuer à Belzébuth, mais que personne ne pouvait nier. C'est là donc que se rendaient en foule les premiers pèlerins de la croix; c'est là que se réunissaient les apôtres; et c'est à Jérusalem que se tint le premier concile, l'an 51, dix-huit ans après la mort de Notre-Seigneur. Dix-huit ans plus tard, la ville coupable, investie par les Romains, subit effroyablement les angoisses qui lui avaient été prédites. Prise, saccagée, détruite de fond en comble, elle disparut de la terre. Il est peut-être à propos de remarquer ici qu'à vue de cette ruine immense, Titus, le prince païen, s'écria : « C'est Dieu qui a expulsé les Juifs; ce n'est pas moi qui ai vaincu; mes mains n'ont été que l'instrument de la vengeance divine. »

Mais le Calvaire restait aux pèlerins; ils continuèrent à venir de toutes parts rechercher dans les décombres la Voie douloureuse, le Cénacle, où l'Esprit-Saint s'était donné aux premiers convives de l'Eucharistie, la colline de l'Ascension et tous les vestiges du passage de l'Homme-Dieu. Les persécutions, ouvertes par Néron, s'étendirent bientôt. Mais une plus grande douleur était réservée aux chrétiens. L'empereur Adrien, les confondant avec les Juifs, profana les saints lieux, en élevant une statue de Jupiter à la place de la résurrection, une statue de Vénus au Calvaire, une statue d'Antinoüs à la grotte de Bethléem, et ces infamies ne disparurent entièrement que sous le règne de Constantin.
Dernière modification par Monique le dim. 07 août 2016 22:31, modifié 1 fois.
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Monique
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Ce prince, devenu chrétien, fit purifier les lieux saints, bâtit l'église du Saint-Sépulcre, établit des sanctuaires à Bethléem, à Nazareth, à Hébron; et quand sainte Hélène, son auguste mère, eut retrouvé la sainte Croix, ce fut là un concours plus immense que jamais. Il devait se succéder sans relâche, malgré les obstacles que l'homme ennemi allait susciter encore. Tout le monde sait que Julien l'Apostat, en même temps qu'il essayait de rétablir le paganisme, voulut, trois cents ans après la destruction de Jérusalem,démentir la prédiction de Jésus-Christ en relevant cette cité. On sait aussi comment il n'y parvint pas. Une foule de témoins authentiques, parmi lesquels Ammien Marcellin, païen célèbre, ont constaté que les Juifs , qui applaudissaient au projet de l'apostat, n'avaient pas plutôt creusé des fondations, que des flammes, s'échappant du sol, dévoraient les travailleurs et leurs matériaux. Plusieurs fois et en divers lieux, ce prodige se renouvela, et le perfide empereur dut renoncer à sa lutte.

Ces miracles frappèrent tellement les peuples, que le nombre des pèlerins s'accrut encore désormais avec plus de zèle. Toute âme ardente voulait visiter le Calvaire, le jardin des Oliviers, l'église du Saint-Sépulcre. Or, dans ce coin du monde, le chrétien voyait Dieu partout présent. Dès le quatrième siècle, on nomme, parmi les pèlerins illustres, saint Eusèbe, évêque de Crémone, qui mourut à Bethléem ; saint Porphyre, qui mourut évêque de Gaza, en Palestine; saint Jérôme, sainte Paule, sainte Eustochie, qui vécurent auprès de la Crèche; et rapidement le nombre des chrétiens qui s'imposaient le voyage de Jérusalem devint si grand, qu'on fit un itinéraire à leur usage, et que pour eux des vaisseaux partaient de toutes parts. Il en fut ainsi pendant le cinquième et le sixième siècle; des habitations s'étaient élevées autour des saints lieux, et beaucoup de chrétiens, venus là de toutes les contrées du monde, voulaient, comme saint Jérôme, mourir dans la terre du salut.

Mais, en 614, Jérusalem, qui respirait un peu, fut assiégée par les Perses. L'abominable Khosroès II, leur roi, détruisit tout par le fer et le feu, vendit aux Juifs les chrétiens ses prisonniers, et leur enleva la sainte Croix. Ennemi furieux du Christ et vain de ses triomphes, il avait juré de faire la guerre aux Romains et de ne leur accorder la paix qu'à condition qu'ils renonceraient à Jésus-Christ pour adorer le soleil, qui était son dieu. Quelque temps après, il était vaincu par l'empereur Héraclius, et de défaite en défaite il trouvait honteusement la fin de son règne et de sa vie. Héraclius, à son tour, n'accorda la paix à Siroès, successeur du monstre, qu'après qu'on lui eut remis la sainte Croix. Il la ramena à Jérusalem et, traversant pieds nus la Voie douloureuse, il la reporta sur ses épaules à la place vénérée où l'avaient plantée les Juifs le jour du grand sacrifice. La commémoration de ce triomphe est une des fêtes de l'Église (1). Hélas ! cette nouvelle paix donnée à Jérusalem ne devait pas être longue. En 6321, la Palestine fut conquise par Omar, l'un des premiers successeurs de Mahomet. Il fit aussitôt bâtir une mosquée à la place où s'était élevé le temple de Salomon. Mais il ne tourmenta pas les chrétiens. Ce ne fut qu'après sa mort, en 644, que les ignominies et les spoliations vinrent les éprouver, et que les pèlerins furent obligés de payer un tribut pour avoir le droit de se prosterner au Calvaire.
(1) L'Exaltation de la sainte Croix, 14 septembre.

A suivre... PREMIÈRES LUTTES CONTRE LES SARASINS.
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PREMIÈRES LUTTES CONTRE LES SARASINS.

En marchant pour combattre vos ennemis,
que leurs chars et leur cavalerie et leur mul-
titude ne vous épouvantent pas, puisque Dieu
est avec vous. Deutéronome, xx.


On lit partout quels furent, dès ces premiers temps de l'islamisme, les succès effrayants des sectateurs de Mahomet. A la fin du septième siècle, ils avaient pied sur la moitié du monde connu, et ils convoitaient les contrées que Ja Méditerranée borne à tous les Orients. La trahison d'un comte Julien, outragé par Roderick, le dernier roi des Goths en Espagne, leur ouvrit ce beau pays; et Roderick, vaincu en l'an 714,le leur livra.

Ils devinrent en peu d'années maîtres de toute la péninsule Ibérique, à l'exception des Asturies, où Pelage se maintint avec quelques Espagnols, qui le proclamèrent leur roi en l'an 718. Il commença aussitôt dans ses montagnes, pour lui et ses successeurs, la première lutte de la Croix contre le Croissant; elle devait durer sept siècles et demi.

Maîtres de tout le pays, hors la ville d'Oviedo et les montagnes des Asturies, soit ambition, soit ardeur de prosélytisme, soit nature nomade, les Sarasins voulurent aller plus loin et prendre les Gaules.

En l'an 721, Zama, un de leurs capitaines, entra dans le Midi, prit Narbonne et vint assiéger Toulouse. Eudes, duc d'Aquitaine, le repoussa et le battit. Abdérame, qui régnait en Espagne sous la suzeraineté du kalife de Damas, comprit qu'il fallait envahir avec plus de forces le pays des Francs, déjà célèbres. Il se mit à la tête d'une nombreuse armée et entra dans la Gascogne. Ses bandes, renversant tout sur leur passage, se dirigeaient vers Tours, où ils se promettaient le pillage des riches trésors amassés dans la basilique de Saint-Martin; ils avaient pillé déjà l'église de Saint-Hilaire à Poitiers. On porte à quatre cent mille hommes les troupes qui marchaient sous Abdérame. Mais Charles-Martel, qui déjà combattait pour la foi chez les Frisons barbares, avait été averti par Eudes, et il arrivait à grandes journées à la tête de ses plus vaillants compagnons.

Les musulmans savaient que les Francs, ces fils aînés de l'Église, combattaient vaillamment pour elle. Avant même la conversion de Clovis, ils avaient anéanti les bandes furieuses d'Attila. Depuis, le grand Clovis n'avait cessé de combattre l'arianisme, et ses successeur avaient porté la foi partout où ils avaient marché. Les deux armées se rencontrèrent dans les plaines de Poitiers. Après que les Francs, qui ne cédaient jamais, et les Sarasins, qui se croyaient invincibles, se furent observés pendant sept jours, Charles-Martel donna le signal de la bataille. Elle fut acharnée et furieuse des deux parts.

Mais les Francs eurent complètement le dessus; Charles-Martel tua de sa main Abdérame, et mit ses bandes en pleine déroute, après un long carnage. Les historiens disent que le chef des Francs n'avait perdu que quinze mille hommes, et que le champ de bataille resta jonché des corps de plus de trois cent mille Sarasins.

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Les vainqueurs, dont les ancêtres avaient toujours triomphé, et qui alors combattaient pour la Croix chez les Bataves, poussaient leur cri de guerre : Vive le Christ qui aime les Francs! C'est le début de la loi salique. Charles-Martel s'en retourna, dit Frédégaire, chargé de gloire et de butin. La France était délivrée. A la vérité, les musulmans reparurent quelquefois sur notre sol, principalement dans le Languedoc et la Provence, mais timidement, quoique avec une persévérance inouïe. Ils furent toujours battus ou par Charles-Martel, ou par son frère Hildebrand, ou par Peppin, son fils, et enfin par Gharlemagne.

Après cette excursion, retournons à Jérusalem. Le tribut qu'on exigeait des pèlerins à leur entrée dans la ville sainte, léger d'abord, devint bientôt pesant, et ceux des fidèles qui gardaient les saints lieux tombaient rapidement sous une odieuse tyrannie, quand Charlemagne, trop occupé, comme l'avaient été Charles-Martel et Peppin, de ses guerres contre les Frisons et les Saxons, qu'ils voulaient amener à la foi, guerres qui étaient aussi de vraies croisades, bien que ce nom ne fût pas né encore, quand Charlemagne députa au kalife Haroun-al-Raschid, le chef suprême de l'islamisme à Bagdad , une ambassade chargée de réclamer les franchises des chrétiens. Haroun , non pas admirateur du héros de l'Occident, comme disent les historiens, car il n'admirait que lui-même, mais redoutant les armes du grand chef des Francs, dont le renom était venu jusqu'à lui (on le voit dans une lettre de Sylvestre II) (1), Haroun lui envoya, avec pompe, entre de rares présents, les clefs du saint Sépulcre et de la ville de Jérusalem, en lui promettant solennellement de couvrir de sa protection formelle les pèlerins de la Palestine.

Depuis lors, au moins pendant quelques années, sous le règne des kalifes de Bagdad et des soudans du Caire, les enfants du Christ purent entrer dans les saints lieux. Ils avaient repris là, toutes les fois qu'ils avaient quelques jours de paix, un pieux exercice que plusieurs croient nouveau et qui remonte aux premiers jours de l'Église: le Chemin de la Croix. A l'exemple de la sainte Vierge et des premiers disciples, les fidèles pratiquaient là cette dévotion, qui s'y est toujours maintenue (2).
(1) Gerberti Epist. 107. On voit là que Sylvestre II a été le premier
prédicateur de la croisade, un siècle avant Pierre l'Ermite.

(2) Dans les relations du dix-septième siècle on trouve des détails qui mentionnent au Via Crucis bien plus de stations que nous n'en faisons. Il est vrai que nous ne sommes pas sur les lieux. Ainsi dans Jérusalem il y a stations : au Cénacle, à la maison de la sainte Vierge, à la maison de Caïphe, à la maison d'Anne le Pontife, au lieu où Notre-Seigneur salua les trois Maries, au prétoire de Pilate, à l'arcade de l'Ecce Homo , au lieu où Pilate abandonna Notre-Seigneur aux Juifs, à la colonne de la Flagellation, à la colonne d'Opprobre, où Notre-Seigneur fut couronné d'épines, couvert d'un lambeau de pourpre et frappé d'un roseau, au lieu où il fut gardé par les soldats, au lieu où il fut chargé de sa Croix, à la chapelle du Spasme, qui est le lieu où la sainte Vierge vit son divin Fils tomber pour la première fois, au lieu où il parla aux filles de Jérusalem, au lieu où il fut aidé par Simon le Cyrénéen, au lieu où il tomba pour la seconde fois, au lieu où la sainte femme essuya son visage sur un voile qui en garda l'empreinte, aux lieux où les vêtements de Notre-Seigneur furent joués et partagés, où il fut cloué sur la Croix, au lieu où il fut élevé en Croix, au lieu où était le soldat qui lui perça le cœur d'un coup de lance, à la pierre sur laquelle il fut déposé mort, au saint Sépulcre, au lieu où après sa résurrection il apparut à sa sainte Mère, puis à Marie-Madeleine. Le chemin de la Voie douloureuse a sept cent trente pas. —

Il y a encore, pour les pèlerins de la terre sainte, à Jérusalem seulement, des stations : à la montagne de l'Ascension, au lieu où Notre-Seigneur fit sa prière après la Cène, au lieu où s'endormirent les trois disciples qui l'accompagnaient, au village de Gethsémani où il avait laissé les huit autres, au lieu où il fut pris, au torrent de Cédron où il laissa quatre empreintes de ses pieds, à la grotte où saint Pierre pleura son péché, à l'église de Saint-Marc, bâtie à la place où les fidèles priaient pour saint Pierre dans les liens, au lieu où saint Etienne fut lapidé, au sépulcre vide de la sainte Vierge, au lieu voisin où elle apparut à saint Thomas, enfin à la chapelle où sainte Hélène se retirait pour prier, pendant son séjour à Jérusalem. —

Une autre dévotion, que nous croyons nouvelle aussi, quoiqu'elle ait été pratiquée par sainte Gertrude, par saint Bernard, par saint Bonaventure et par une multitude d'autres saints, c'est le culte du Cœur sacré de Jésus. Les fidèles qui adoraient la tête couronnée d'épines, les pieds et les mains percéesde clous, adoraient aussi le cœur adorable, spécialement à la station du coup de lance.

A suivre... PÈLERINAGES AUX SAINTS LIEUX.
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PÈLERINAGES AUX SAINTS LIEUX.

Prosperum iter faciat nobis Deus salutarium
nostrorum. Itinerarium.


De toutes parts donc, chez les chrétiens, ceux qui avaient de grandes faveurs à obtenir ou de grandes chutes à expier, s'en allaient en pèlerinage aux saints lieux, avec les pieux fidèles qui s'y ren-daient poussés par le seul amour du Rédempteur. Parmi les pèlerins illustres de ces premiers temps, nous citerons saint Silvin, évêque régionnaire dont le nom est compté dans la liste des évèques de Toulouse et dans celle des évêques de Thérouenne ; il assista au baptême de Charles-Martel; saint Arculphe, prélat dans les Gaules, qui a écrit à son retour une description des saints lieux (1); saint Wilibald, évêque d'Aichstadt en Franconie et l'un des apôtres de l'Allemagne. Une sainte religieuse de sa famille a raconté son voyage.

Plusieurs partaient pour expier des crimes. En 868, un seigneur de la Bretagne française, nommé Frotmond, meurtrier de son oncle et du plus jeune de ses frères, ne fut absous qu'après avoir fait trois fois le pèlerinage de Jérusalem.

Les rigueurs contre les chrétiens avaient reparu sous les faibles successeurs de Charlemagne; au dixième siècle, elles étaient devenues plus violentes que jamais; ce qui n'arrêtait pas encore le zèle des pèlerins pour le saint voyage. Ils partaient avec le bourdon et la panetière; le suzerain de qui ils dépendaient leur donnait une charte; leurs parents et le clergé de leurs paroisses les conduisaient en procession, priant et bénissant, jusqu'aux limites de leur territoire; et ils allaient, reçus dans les châteaux et les monastères, honorés comme serviteurs de Jésus-Christ, respectés comme des êtres consacrés à Dieu, protégés par les chevaliers, exempts de tous droits de péage. Ils traversaient sans danger les armées et les champs de bataille. Mais en arrivant dans la Palestine, ils ne pouvaient que très-rarement atteindre le but de leurs vœux ardents.
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En 986, le savant Gerbert, qui devint pape dix-sept ans plus tard sous le nom de Sylvestre II, fit par dévotion le voyage de la terre sainte, et dans une lettre précieuse, à son retour, il exposa à l'Europe chrétienne les effrayantes misères des chrétiens en Palestine, et la nécessité déjà comprise par Charlemagne d'une croisade contre les barbares. En 1048, saint Poppon, abbé de Stavelot, mourut en paix, ayant pu échapper aux périls du grand pèlerinage et revenir chez les siens. En 1054, Lietbert, le saint évêque de Cambrai, était parti avec trois mille pèlerins de son vaste diocèse; presque tous périrent, et lui-même s'en revint navré de n'avoir pu mouiller de ses larmes le tombeau de Jésus-Christ.

On lit dans sa vie que, rentré à Cambrai, il parcourait pieds nus, toutes les nuits, les églises et les cimetières, priant pour ses compagnons morts dans le saint voyage. Dix ans après (en l'an 1064), sept mille chrétiens, Français et Allemands, s'en allèrent ensemble à Jérusalem. Guillaume, évêque d'Utrecht; Sigefroid, évêque de Mayence; Gunther, évêque de Bamberg; Otton, évêque de Ratisbonne, et beaucoup d'autres seigneurs, des deux nations, faisaient partie de cette troupe. Voigt a cité un curieux épisode de ce grand pèlerinage (1) :
Ces pèlerins, dit-il, eurent l'imprudence de laisser voir en route leurs richesses. Partout, dans les campagnes et dans les villes qu'ils traversaient, on accourait pour admirer leur faste. Parvenus dans les terres des Sarasins, ils n'étaient qu'à une journée de Ramla, lorsque, la veille de Pâques, à trois heures de l'après-midi, ils se virent entourés tout à coup de bandes arabes qui, au bruit de leur arrivée, s'étaient armées pour les piller. La lutte s'engagea sur-le-champ, et au premier choc beaucoup de chrétiens tombèrent meurtris et dépouillés de tout ce qu'ils possédaient. L'évêque d'Utrecht, blessé au bras et à demi-mort, tomba et fut aussitôt dépouillé.

Mais comme les chrétiens, se défendant à coups de pierres, repoussaient les ennemis, ses serviteurs l'enlevèrent et l'emportèrent. On gagna peu à peu un village qui n'était qu'à quelques pas de la route et que quelques-uns prenaient pour Capharnaûm. Là les pèlerins se réfugièrent dans une cour, close d'une enceinte très-basse et presque en ruines. Elle entourait une maison dont l'appartement supérieur était heureusement disposé pour la défense. L'archevêque de Mayence, l'évêque de Bamberg et leurs ecclésiastiques s'y logèrent; les autres prélats restèrent en bas. Les laïques se placèrent à l'enceinte, afin de soutenir l'attaque de l'ennemi.

Quoique assaillis de tous côtés par des nuées de traits, ils firent une sortie, se précipitèrent sur les Arabes, en désarmèrent un grand nombre et les combattirent corps à corps. La nuit vint; les brigands, voyant qu'ils avaient affaire à des hommes intrépides, investirent la maison afin de réduire par la famine et l'épuisement ceux qu'ils ne pouvaient entamer. Ils étaient, dit-on, au nombre de douze mille hommes.
(1) J. Voigt, Histoire du pape Grégoire VII et de son siècle, ch. III ET VIII.


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Le lendemain, jour de Pâques, assaillis dès l'aube du jour, les pèlerins combattirent jusqu'à trois heures de l'après-midi, sans avoir pu prendre ni repos ni nourriture. Le jour suivant, pressés par la faim et la fatigue, ils suivirent le conseil d'un prêtre, qui leur dit que Dieu n'avait jamais abandonné ceux qui se dévouaient à lui. Ils envoyèrent aux Arabes un interprète chargé de demander à capituler. Le chef de ces bandes vint avec l'interprète, accompagné de dix-sept des siens, les plus distingués de sa troupe. Il laissa son fils à la porte avec des gardes, afin d'empêcher tout autre d'entrer.

Il monta, suivi de quelques-uns de ses compagnons, dans la chambre où étaient l'évêque de Mayence et l'évêque de Bamberg. Ce dernier demanda le libre passage, offrant de livrer pour cela tout ce qu'il avait. Mais l'Arabe, exaspéré d'une résistance qui l'avait arrêté trois jours, répliqua que c'était à lui de prescrire des conditions et non aux chrétiens, et qu'il voulait manger leur chair et boire leur sang. Tout en prononçant ces menaces, il déroulait la bande d'étoffe qui formait son turban; il la jeta autour du cou du prélat pour l'étrangler.

Celui-ci, tout calme et de sang-froid qu'il était, allongea un si solide coup de poing dans le visage de l'Arabe qu'il l'abattit à ses pieds. Les autres pèlerins, témoins de cette scène, s'emparèrent de ses compagnons et leur lièrent les mains derrière le dos. A leurs cris effroyables, les chrétiens, qui étaient toujours à l'enceinte, s'encouragèrent et attaquèrent les postes arabes qui les bloquaient, tuèrent les uns et mirent en déroute les autres. Alors ceux de l'étage supérieur descendirent, menant devant eux les chefs liés, les exposant aux lieux où les traits tombaient plus nombreux, tenant sur leurs têtes le glaive suspendu et menaçant de tuer leurs captifs, si le combat ne cessait sur-le-champ.

Aux supplications de ces prisonniers, le fils du chef ennemi ordonna à sa troupe furieuse de mettre bas les armes. Presque en ce moment arriva un messager envoyé par ceux des pèlerins qui étaient parvenus à gagner Ramla, après avoir été complètement dépouillés. Il annonçait que le gouverneur de Ramla, moyennant une somme convenue, venait au secours des chrétiens avec de grandes troupes. A cette nouvelle, les Arabes prirent la fuite.

Le secours arriva en effet : les chrétiens livrèrent au gouverneur leurs captifs et la somme stipulée; et ils entrèrent sans autre malheur à Ramla. Une escorte leur fut donnée ensuite pour les mettre désormais à l'abri des attaques; ils arrivèrent à Jérusalem. Mais le nombre des pèlerins était réduit déjà de plus de moitié ; et ceux qui vivaient encore, dépouillés de tout, ne purent entrer dans Jérusalem, le but de tous leurs soupirs, que s'ils avaient à la main une pièce d'or, qu'il fallait payer à la porte; ceux qui ne purent se la procurer ne surent qu'errer misérablement autour des remparts de la ville sainte, où reposait le tombeau de leur Sauveur.

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Re: LÉGENDES DES CROISADES

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En 1075, le grand pape Grégoire VII pressait déjà très-vivement les princes chrétiens à la guerre sainte prévue par Charlemagne, implorée par Sylvestre II. Il imposait, cette même année, le pèlerinage de Jérusalem à l'abominable Censius, qui avait odieusement attenté à sa liberté et à sa vie. Cinquante mille chrétiens se levèrent; mais manquant de chefs, car les princes chrétiens étaient sourds, ces apprêts échouèrent.

En 1085, Robert le Frison, ayant associé au gouvernement de ses États de Flandre son fils aîné, Robert II, partit pour le saint voyage, à peu près en même temps que Bérenger II, comte de Barcelone, Frédéric, comte de Verdun, et Conrad, comte de Luxembourg, à qui le saint pèlerinage était prescrit en expiation , comme il l'avait été à Robert de Normandie , à Foulques d'Anjou, à Frotmond et à d'autres personnages coupables de meurtres ou de félonies.

A la suite de longues vicissitudes, Robert le Frison et ses compagnons purent, à force d'argent, adorer leur Dieu sur le Calvaire. Us ne revinrent qu'en 1091, et Robert ne s'occupa plus que de son salut (1). Mais un de ceux qui l'avaient suivi, un homme que nous retrouverons bientôt, resta dans la ville; il ne devait en sortir que pour soulever l'Europe chrétienne contre le Croissant. C'était Pierre l'Ermite.
(1) Mais il enverra bientôt son fils à la croisade. Il avait vu en Palestine des royaumes à conquérir. Comme il n'était que le second fils du comte de Flandre, Baudouin de Lille, ne pouvant espérer une part des fiefs de sa maison, disait à son père :
« Donnez-moi des hommes et des vaisseaux, j'irai bien vite conquérir un royaume chez les Sarasins d'Espagne. » A son retour, il jugea qu'une conquête était plus facile encore dans la Palestine.



A suivre... III. — GODEFROID DE BOUILLON.
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III. — GODEFROID DE BOUILLON.

Maxima debetur puero reverentia.
JUVÉSAL.


Avant d'entrer dans les récits de la guerre sainte, il est utile que nous connaissions Godefroid de Bouillon, qui en fait le plus éclatant personnage. Eustache II, comte de Boulogne, qui sortait du sang de Charlemagne par Charles le Chauve, avait épousé en 1057 la pieuse et sainte Ida. Elle descendait de la même tige par un autre fils de Louis le Débonnaire. Elle était fille de Godefroid le Grand, duc de Lotharingie ; elle était nièce du pape Etienne IX, et alliée à tout ce qu'il y avait de noble et d'illustre à cette époque.

Eustache II partageant la piété de la bonne Ida, que l'Église a mise au rang des saintes, sa maison devint le modèle des cours. La bienfaisance et l'aumône étaient son luxe. Les actions généreuses, les exercices religieux, l'accomplissement de tous les devoirs étaient ses plaisirs. Les sujets du comte Eustache le bénissaient; Dieu le bénit aussi. Il lui donna pour enfants quatre de ces nobles cœurs qui sont la joie et l'honnête orgueil d'un bon père : trois fils et une fille. Ses trois fils ont été célèbres, et tous trois ont combattu avec gloire sous la bannière de la Croix. L'aîné, appelé Eustache, comme son père, devait hériter de ses domaines; Godefroid, le second, portera un autre sceptre ; Baudouin, le troisième, lui succédera. Praxède, leur sœur, devait épouser l'empereur Henri IV, et ce sera pour sa piété une dure épreuve.

Ida avait allaité elle-même ses trois fils et sa fille. Un chroniqueur raconte qu'un jour qu'elle tenait ses trois fils blottis sous son manteau, leur père lui demanda ce qu'elle cachait ainsi. Elle répondit en souriant : Trois grands princes, dont l'un sera un noble comte, le second duc et roi, le troisième comte et roi. C'était une prophétie. Une autre tradition nous dit que la pieuse Ida, enceinte de Godefroid, crut voir en songe le fils qu'elle portait assis dans le soleil et resplendissant de gloire (1). D'autres grands présages annoncèrent un héros en cet enfant.

Il était né en 1060, selon les uns à Boulogne-sur-Mer, domaine d'Eustache II, selon d'autres à Baizy, château situé à quatre lieues de Bruxelles. On dit encore qu'en entrant dans la vie il avait au bras droit une marque qui représentait une épée surmontée d'une croix. On le nomma Godefroid, du nom de ses deux oncles : Godefroid de Boulogne, évêque de Paris, frère de son père, et Godefroid V, duc de Lotharingie, frère de sa mère. On rapporte enfin que, frappée de plusieurs songes qui lui avaient annoncé la grandeur future de cet enfant, la bonne comtesse priait Dieu à toute heure sur cette jeune âme remise à ses soins.
(1) Guillaume de Waha-Melreux, de la Compagnie de Jésus, Labores Herculis christiani Godefredi Bidlionii, lib. II.


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Re: LÉGENDES DES CROISADES

Message par Monique »

Tant que dura la première enfance de Godefroid, sa mère ne s'occupa que de lui inspirer profondément les sentiments religieux, qui sont, dans tous les états de la société, la base sur laquelle reposent les seules vertus solides. Lorsqu'il eut atteint l'âge de douze ans, son père, pour son éducation sérieuse, choisit, parmi tous les personnages qui l'entouraient, non le plus élevé par sa naissance, ni le plus brillant par ses heureux exploits, mais celui qui, par ses vertus et son courage, pouvait le mieux guider l'adolescence du jeune prince et lui donner l'éducation mâle, pieuse, chevaleresque et digne du haut rang qu'il était appelé à occuper. Aux qualités que nous venons de dire, cet homme unissait encore une instruction rare en ce siècle. C'était Pierre, qui devait plus tard remplir l'univers de son nom en se faisant le héraut de la croisade.

Ce maître, à la fois bienveillant et grave, sut si bien gagner le cœur de son élève, que Godefroid se plaisait plus à recevoir ses instructions qu'à prendre part aux frivoles plaisirs des jeunes gens de son âge. L'éducation que l'on donnait en ce temps-là ressemblait sous quelques rapports à celle que subissaient, dans l'ère ancienne, les jeunes Spartiates. La force physique étant alors dans un chef une nécessité, les exercices du corps passaient généralement avant les travaux de l'esprit; et on était moins étonné de voir un chevalier ne sachant ni lire ni écrire, que maladroit à se battre et mal formé aux fatigues. Cependant Pierre savait faire marcher de front l'intelligence exercée avec la souplesse du corps.

Godefroid ne faisait qu'entrer dans sa quatorzième année lorsqu'une guerre se déclara entre son oncle Godefroid V, duc de Lotharingie, et Robert le Frison, qui envahissait la Hollande. Le père et l'oncle du jeune homme le comblèrent de joie en permettant qu'il fit, dans cette expédition, ses premières armes. Ils rassurèrent la tendresse de sa mère en lui promettant les mêmes soins et la même surveillance que s'il était encore sous ses yeux. De plus, Pierre, son maître chéri, l'accompagnait.

Dès que Godefroid fut arrivé au camp, il fut armé chevalier. Cette imposante cérémonie (1), qui était plus religieuse encore que militaire, en lui imprimant l'obligation de nouveaux devoirs, ne fit qu'augmenter sa généreuse bonté envers ses inférieurs et sa simplicité dans tous les actes de sa vie.

Sa mère craignait que les mœurs qui ont toujours régné dans les camps ne séduisissent le jeune prince. Mais son àme forte et pieuse était armée contre tout désordre. Loin de s'amollir devant les mauvais exemples, il n'y vit que le besoin de rendre plus inébranlables encore les principes dans lesquels sa digne mère l'avait élevé. Rapportant les succès qu'il obtenait à Celui qui tient tout dans sa main, on le voyait chaque jour, prosterné devant Dieu, le remercier des bienfaits et des grâces qu'il répandait sur lui; et son exemple, à un âge si tendre, ramena dans la voie plus d'un chevalier qui s'égarait.
(1) Voyez dans les Légendes des vertus théologales et cardinales, la cérémonie qui fait un chevalier
( légende intitulée : Le lit de justice de Guillaume le Bon ).

A suivre...
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