Saint Thomas et l'Immaculée

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Laetitia
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Re: Saint Thomas et l'Immaculée

Message par Laetitia »

Le Cardinal Gousset a écrit :
Mais la difficulté disparaît si l'on compare entre elles les éditions anciennes et modernes de ses œuvres, et si l'on reconnaît, comme on est forcé de le reconnaître, que plusieurs de ses ouvrages, notamment ceux où il parle de la Conception de Marie, ont subi des suppressions ou d'évidentes altérations. Ce fait s'appuie sur le témoignage aussi détaillé qu'authentique de plusieurs savants Dominicains. Guillaume, évêque in partibus, dans son livre pour la Défense de saint Thomas, s'exprime ainsi : « Rien de plus odieux que ce qu'ont osé les hommes pervers et criminels, soit pour affaiblir l'autorité de saint Thomas, soit, comme j'aime mieux à le croire, pour étayer et soutenir du nom d'un si grand homme quelque opinion adoptée par eux, et qui se trouvait encore dans le domaine de la controverse. » Gilles le Romain, disciple dévoué du Docteur Angélique, et qui posséda toute sa confiance, composa, peu après la mort de ce saint, un livre intitulé : Critique du falsificateur des écrits de Thomas d'Aquin (4).

Pareillement, Richard Klapoel, Noël Hervé, Guillaume Messelech, Jean de Paris, tous de l'Ordre de Saint Dominique, ont rigoureusement écrit contre les corrupteurs du texte de saint Thomas. Enfin Jean Nicolaï, dans sa préface des œuvres du saint Docteur, imprimées à Paris, en 1663, atteste et déclare « qu'il a purgé le texte de la Somme de saint Thomas, non-seulement d'un grand nombre de fautes typographiques, mais principalement de fautes affectées et laissées à dessein, lesquelles renversaient le sens légitime, la sincérité historique et la vérité ; qu'il a dû remplir plusieurs interruptions et lacunes pour suppléer la suite du texte qui manquait, laissant ainsi le lecteur incertain au milieu d'un sens incomplet, ou l'induisant en erreur par un sens qui n'était pas le véritable. »

En preuve de cette assertion, nous avons le fait des anciennes éditions du Commentaire sur le chapitre III de l’Épître de saint Paul aux Galates. Dans ces anciennes éditions, saint Thomas parle ainsi : « Entre toutes les femmes je n'en ai point trouvé qui fût tout à fait exemple, au moins du péché d'origine, ou du péché véniel; j'en excepte toutefois la très-pure Vierge Marie, digne de toute louange, qui a été entièrement préservée de l'un et de l'autre. » Cette exception si claire et si nette du saint Docteur ne se lit plus dans les éditions postérieures, les seules cependant qui circulent aujourd'hui, et qui se trouvent entre les mains des hommes d'étude. C'est ainsi encore que, dans les éditions récentes de la Somme (part. 3, 9, 27, art. 2), on fait dire au Docteur Angélique que Marie « n'a été sanctifiée et purifiée du péché originel, ni avant l'animation, ni dans l'animation, mais après l'animation, » tandis que ces paroles ne se lisent point au lieu cité, ni dans le manuscrit de Séville, ni dans celui qui se conservait au couvent des Dominicains de Marseille, ni dans d'autres (5).

(4) Castigatorium in Corruptorem librorum Thomæ Aquinatis.
(5) Voyez Dissertazione polemica sull'Immaculato Concepimento di Maria, par le cardinal Lambruschini ; Esame critico sulla dottrina dell' Angelico Dottore circa il peccato originale relativamente alla B. V Maria, par le P. Spada Mariano, Dominicain ; PARERI, dell' Episcopato cattolico, etc., vol. V, pag. 581 ; Causa Immac. Concept. B. V. M., par le P. Plazza, de la Société de Jésus, act. VII, n° 135 et seq. ; Innocentia vindicata, etc., par le Cardinal SFONDRAT.
(à suivre)
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Laetitia
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Re: Saint Thomas et l'Immaculée

Message par Laetitia »

  Le Cardinal Gousset a écrit :
Si donc, comme le dit l'éminent cardinal Lambruschini, il existe, dans les écrits du saint Docteur, des passages non suspects, qui soient favorables à notre doctrine, et si d'ailleurs il demeure prouvé que d'autres passages opposés à cette même doctrine diffèrent du texte primitif et authentique de l'auteur, et sont par conséquent mutilés, altérés ou corrompus, les règles de la saine critique exigent que l'on s'en tienne aux premiers plutôt qu'aux seconds, et que l'on n'aille point chercher dans ces derniers la véritable pensée de saint Thomas d'Aquin. Il est d'autant plus nécessaire d'un agir ainsi, que le saint a lui-même établi les principes pour prouver que Marie a été dans son heureuse conception exempte du péché originel. En effet, il enseigne qu'on ne peut célébrer la fête que de ce qui est saint. Or l'Église célèbre la fête de l'Immaculée Conception de Marie : donc cette conception a été sainte. Il a également enseigné et écrit qu'on ne saurait douter que la Sainte Vierge ne soit née sans le péché originel, parce que l'Église célèbre sa naissance (6). Or l'Église célèbre et solennise, comme fêle de précepte, la Conception de Marie ; donc, selon saint Thomas, il est indubitable que Marie a été conçue sans le péché originel (7).

Enfin, si, malgré l'évidence des faits, on veut que saint Thomas n'ait pas admis l'Immaculée Conception de la Vierge Marie, on peut, sans affaiblir son autorité, lui appliquer ce qu'il dit lui-même des plus grands Docteurs de l’Église : « La coutume de l'Eglise a une très-grande autorité, et on doit la suivre en tout, parce que la doctrine des Docteurs catholiques tire son autorité de l'Eglise : c'est pourquoi on doit s'en tenir à l'autorité de l'Église plutôt qu'à celle ou d'Augustin, ou de Jérôme, ou de tout autre Docteur (8).

(6) Ecclesia celebrat nativitatem B. Mariæ Virginis, non autem celebratur festum in Ecclesia nisi pro aliquo Sancto ; ergo Beata Virgo in ipsa sua nativitate fuit sancta. III, quæst. 28, art. 1 .
(7) Dissertazione polemica, etc.
(8) Maximam habet auctoritatem Ecclesiæ consuetudo, que semper est in omnibus æmulanda ; quia et ipsa doctrina Catholicorum Doctorum ab Ecclesia auctoritatem habet. Unde magis standum est auctoritati Ecclesiæ quam auctoritati vel Augustini, vel Hieronymi, vel cujuscumque Doctoris. II, quæst. 10, art. 12.
(à suivre)
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Laetitia
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Re: Saint Thomas et l'Immaculée

Message par Laetitia »

  Le Cardinal Gousset a écrit :
C'était bien aussi l'Esprit de saint Bernard. Après s'être plaint de ce que l'Eglise de Lyon avait introduit la fête de la Conception de la Vierge Marie sans consulter le Siège Apostolique, et s'être exprimé d'une manière peu favorable à l'Immaculée Conception, il termine sa Lettre en déclarant qu'il s'en rapporte sur ce point, comme en autre chose du même genre, à l'examen et à l'autorité de l'Église Romaine (9). Évidemment, si, du temps de Bernard et de Thomas d'Aquin, la fête de la Conception de Marie avait été aussi généralement établie dans l'Église d'Occident que dans l'Église d'Orient, et que la Sainte Église Romaine eût fait connaître alors, comme elle a fait depuis, l'esprit de cette pieuse institution, ces saints Docteurs n'eussent pas hésité un instant à défendre de toute la force de leur génie l'insigne prérogative de la glorieuse Mère de Dieu, qu'ils ont eux-mêmes honorée comme la plus pure et la plus sainte de toutes les créatures.

Ces réflexions s'appliquent aux anciens Théologiens et autres auteurs ecclésiastiques, toujours en petit nombre, qui, avant les Constitutions de Sixte IV et le Concile de Trente, ont cru pouvoir, quoique sans raison suffisante, se prévaloir du nom de saint Bernard ou de saint Thomas, en s'écartant de la pieuse croyance généralement reçue dans l'Église. Ils ne se seraient point permis, généralement, d'avancer des propositions contraires à l'Immaculée Conception, si l'Église, toujours guidée par cet esprit de sagesse qui arrive à ses fins en disposant toutes choses avec douceur, n'avait jugé à propos de différer sa décision, se contentant de préparer les esprits par une manifestation progressive à une proclamation solennelle de cette vérité catholique.

(9) Qui autem dixi, absque præjudicio sane dicta sint sanius sapientis. Romanæ præserlim Ecclesiæ auctoritoti atque examini totum hoc, sicut et cætera quæ ejus modi sunt, universa reservo : ipsius, si quid aliter sapio, paratus judicio emendare. Epist CLXXIV.
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