Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour la fête de la Conception de Marie

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Laetitia
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Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour la fête de la Conception de Marie

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PREMIER SERMON POUR LA FÊTE DE LA CONCEPTION DE MARIE.

1°- État misérable de l'homme conçu dans le péché.
2°- Vertus admirables de la Très Sainte Vierge.


De qua natus est Jesus, qui vocatur Christus.
Marie de laquelle est né Jésus, qui est appelé le Christ.
Matth. 1. 16.

Entre tous les bienfaits dont la bonté divine a favorisé le genre humain, mes très-chers frères, celui de notre rédemption doit tenir le premier rang. On estime ordinairement un bienfait, ou à cause de l'importance du don, ou parce qu'il a coûté beaucoup à son auteur. Trois hommes, les plus vaillants de l'armée, apportent un peu d'eau de la citerne de Bethléem à David pressé par la soif. Après tout ce n'était que de l'eau ; peut-être même n'était-elle pas meilleure que les autres eaux, mais parce que ses soldats la lui avaient apportée au péril de leur vie, le saint roi la jugea digne d'être offerte à Dieu. Or, nous trouvons dans le bienfait de notre rédemption ce double caractère. On ne peut point imaginer de don plus magnifique en lui-même, ni d'un prix plus élevé. Qu'y a-t-il en effet de plus grand que la vie éternelle qui nous a été donnée par Jésus-Christ ? Il est trois choses tellement sublimes, que la puissance divine elle-même ne peut rien faire de plus grand : ce sont, l'humanité du Christ, la maternité de la sainte Vierge, et la gloire essentielle des bienheureux, laquelle consiste dans la claire vision du souverain bien. Or, peut-on imaginer rien de plus excellent que le prix auquel cette gloire nous a été acquise ? « Ce n'est point, dit saint Pierre, avec des richesses corruptibles, de l'or, de l'argent et des pierreries, mais par le sang précieux de l'Agneau immaculé que nous avons été rachetés, » I Petr. 1, 19. Quoi de plus grand, quoi de plus divin qu'un tel prix ? A ce double titre, le bienfait de notre rédemption ne surpasse-t-il pas tous les bien faits de Dieu ?

Aussi lorsque dans l'Ancien Testament le Seigneur fait annoncer aux hommes par Ezéchiel ce bienfait si grand de la rédemption, il leur dit : « Je vous donnerai des biens plus grands que tous ceux que vous avez reçus jusqu'à ce jour, » Ezech. XXXVI, 11. A la vérité les bienfaits qui accompagnèrent le peuple de Dieu à sa sortie d’Égypte, étaient d'éclatantes faveurs de la bonté divine, et le Seigneur lui-même parlant à Moïse, disait : « Je ferai des prodiges qui n'ont jamais été vus sur la terre, ni dans aucune nation, afin que ce peuple, au milieu duquel vous êtes, voie l'ouvrage prodigieux que fera le Seigneur, » Exod. xxxiv, 10 ; mais les merveilles que le Seigneur a opérées dans l’œuvre sublime de notre rédemption, sont bien autrement grandes et signalées. Car lui-même parlant encore de ce prodige, dit par la bouche d'Isaïe : « Les bienfaits précédents s'effaceront de la mémoire, et le cœur en perdra le souvenir, » Isai. lxv, 17. En effet, autant la vérité l'emporte sur l'ombre, l'âme sur le corps, l'éternité sur le temps, autant et bien plus ce bienfait surpasse tous ceux qui l'ont précédé. De quel amour donc ne devons-nous pas être animés envers Dieu pour une aussi grande faveur ? Par quelles louanges, par quelles actions de grâces ne devons-nous pas la reconnaître et la célébrer ? C'est à ce devoir de la reconnaissance que l’Ecclésiastique nous engage, lorsqu'il nous dit : « N'oubliez pas le bon office que vous a rendu celui qui s'est fait votre caution, car il a donné sa vie pour vous, » Eccli. Xxix, 20.

Mais où veux-je en venir ? Mon dessein, mes frères, est de vous rendre plus manifestes la grandeur et la gloire de ce jour. C'est aujourd'hui que l'œuvre sublime de notre rédemption a été commencée, car c'est en ce jour qu'a été conçue cette Vierge dans le sein de laquelle le Créateur et le Rédempteur du monde devait prendre une chair pour le salut du monde. C'est aujourd'hui qu'ont été jetés les premiers fondements de cette œuvre ; aujourd'hui qu'a été planté cet arbre dont le fruit de vie devait guérir les maladies que le fruit défendu avait causées au genre humain ; aujourd'hui que commence à germer dans le paradis de l’Église ce rejeton de la racine de Jessé, tige de cette fleur incomparable sur laquelle l'Esprit-Saint devait se reposer, et qui devait nous enrichir tous de la plénitude de ses grâces ; aujourd'hui que l'Esprit Saint a commencé à travailler ce tissu qui devait fournir au fils éternel de Dieu le vêtement de sa chair mortelle ; aujourd'hui enfin qu’ont été formés cette chair et ce sang, principe de la chair et du sang que le Fils de Dieu devait prendre et sacrifier pour notre salut. C'est donc avec raison que nous avons dit que le grand ouvrage de notre rédemption avait été commencé en ce jour. Mais pour parler dignement de cette belle solennité, nous avons besoin du secours du ciel. Implorons-le par l'intercession de la très-sainte Vierge. Ave, Maria.
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Laetitia
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La solennité de ce jour, qui a pour objet la Conception de la très-sainte Vierge, nous engage, mes frères, à dire d'abord quelques mots de notre propre conception. Cette notion nous sera d'un très-grand secours pour nous aider à nous connaître nous-mêmes et à connaître en même temps le remède à une maladie dont nul n'est exempt. Tous nous sommes atteints d'une grave maladie de langueur, parce que tous nous avons été conçus dans le péché originel ; c'est là ce que les théologiens appellent la faiblesse de la nature. Il est donc important d'expliquer en quoi consiste le péché originel, car tous les jours ce nom de péché originel revient dans les prédications, mais il n'est pas aisé d'expliquer ou d'entendre en quoi il consiste. Quelques-uns, en effet, ont l'esprit tellement grossier et matériel, qu'ils se le représentent comme une tache noire et hideuse inhérente à notre âme. Voyons donc ce que c'est que le péché originel, et pour rendre notre explication plus facile, prenons les choses dans leurs principes.

Il faut d'abord savoir que l'homme a été créé de Dieu pour une fin très-haute, c'est-à -dire pour contempler à découvert la gloire de la majesté divine, et pour jouir de la béatitude de Dieu même. Cette béatitude est, à la vérité, tellement essentielle et propre à Dieu, que lui-même, malgré sa toute-puissance, ne pourrait faire une créature à laquelle cette béatitude pût convenir comme condition naturelle de son être. La béatitude n'appartient en propre à aucune créature ; elle n'appartient essentiellement qu'à Dieu seul. Mais ce que la nature ne comporte point par elle-même, la grâce le lui confère. Dieu, dont la bonté est infinie, a daigné élever la nature humaine, jusqu'à la rendre participante de sa divinité et de sa félicité. Mais comme cette fin est au-dessus des facultés de la nature humaine, Dieu, dont les œuvres sont parfaites, ayant créé l'homme pour une fin surnaturelle, lui a donné aussi des facultés et des moyens en rapport avec cette dignité, à l'aide desquels il pût atteindre cette fin. Car la raison et la nature des choses demandent que la fin et les moyens soient de la même espèce.

Trois dons surnaturels avaient donc été accordés à l'homme dans l'état primitif. Le premier fut la justice originelle. En vertu de ce don, l'homme que Dieu avait fait droit et juste, demeurait dans cette même rectitude de l'âme; et comme il avait été établi le maître de tous les êtres qui étaient au -dessous de lui, ces êtres inférieurs lui étaient soumis et obéissaient à ses ordres. La justice originelle était comme un diadème qui faisait de l'homme le roi de tous les êtres inférieurs à lui. Tous les animaux donc étaient soumis à son empire ; de plus la mort et les maladies qui forment son cortège, étaient sous sa puissance, l'équité ne voulant pas qu'il existât aucune peine où il n'y avait point de faute. Enfin, ce qui est surtout à remarquer, c'est que la sagesse divine avait uni de telle sorte les deux parties de l'âme, que la partie inférieure, siège de nos appétits et de nos cupidités, était pleinement soumise à la partie supérieure, absolument comme les membres du corps sont actuellement soumis à l'empire de la volonté. Ce qui se voit dans tout état bien constitué, où les grands sont chargés du commandement et les sujets tenus à l'obéissance, s'observait parfaitement dans l'homme en qui tout était si sagement réglé.

A ce don de la justice originelle, le Seigneur ajouta celui de la grâce. En même temps, dit saint Augustin, que le Seigneur créa la nature, il l'enrichit du don de la grâce qui devait rendre l'âme agréable aux yeux de Dieu, et l'élever au-dessus de la condition de sa nature, au point d'être adoptée de Dieu pour fille, et d'être instituée l'héritière de son royaume.

Enfin, avec la grâce, Dieu conféra à l'homme l'habitude de toutes les vertus qui en découlent, et principalement la charité, de sorte que l'âme de l'homme, embellie par la grâce, agissant par la charité, était à ces deux titres un objet très-agréable aux yeux de Dieu.

Ces trois dons surnaturels et si excellents que l'homme avait reçus de la bonté divine dans l'état originel, Dieu les lui avait accordés à cette condition que, s'il persévérait dans le devoir et la fidélité, l'intégrité de ces biens lui était assurée à lui, ainsi qu'à ses descendants ; mais s'il venait à s'écarter de ce qu'il devait à Dieu, il perdrait ces biens pour lui et pour sa postérité. Comme ces dons n'étaient pas dus à la nature humaine, mais qu'ils étaient une libéralité purement gratuite de la bonté de Dieu, de même que l'auteur de la nature pouvait la créer sans ces dons, de même aussi il put mettre à sa libéralité telle ou telle condition qu'il jugea à propos. Maintenant, pourquoi y mit-il cette condition ? Ce n'est pas le moment de nous occuper de cette question.
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Adam vivait donc dans cet état de félicité, lorsque, cédant aux suggestions du démon, il transgressa la défense que Dieu lui avait faite. Dès lors il perdit pour lui-même et pour nous tous ces dons si précieux, et transmit à ses descendants la mort avec son péché. Ne dites point que ce châtiment n'est conforme ni à la raison ni à l'équité. Examinez les lois de la nature et de la justice. N'est-il pas dans les lois de la nature qu'un fils partage la condition de son père ? Il sera noble, si son père est noble, roturier, si son père n'a point de naissance, libre, s'il vient de parents libres, esclave, si ses parents sont esclaves. Le père étant l'origine du fils, et le fils étant en quelque sorte une portion du père, il s'en suit conséquemment que la condition de l'un et de l'autre est la même. L'équité et la justice s'accordent avec les lois de la nature.

Les lois civiles, en effet, condamnent un homme coupable du crime de lèse-majesté à la confiscation de tous ses biens, de sorte que ses héritiers, en même temps qu'ils recueillent l'infamie de son crime, participent à sa peine, privés qu'ils sont d'un héritage qui cependant revient de droit à l'aîné de la famille. Le seul crime du père suffit pour que tous ses descendants naissent déshonorés et déshérités. Tel est le châtiment dont Dieu, souverain arbitre de l'univers, a puni le père commun de tout le genre humain, coupable de révolte, et avec lui toute sa postérité. Naître dépouillé de tous les dons magnifiques qu'Adam avait reçus, voilà ce que nous appelons le péché originel, parce que ce péché est la privation de la justice originelle qui aurait dû être inhérente à l'homme.

Je n'ignore pas cependant que cette définition exprime plutôt l'effet que la nature même du péché, et que, pour cette raison, quelques théologiens modernes donnent une autre idée du péché originel. Ils disent qu'il consiste dans un éloignement habituel de notre volonté pour Dieu, éloignement qui provient de cette privation de la justice originelle.Mais comme cette définition est trop subtile pour être accessible à l'intelligence du vulgaire, et qu'elle convient moins d'ailleurs à notre dessein, nous allons considérer quelle physionomie présente notre âme depuis cette chute lamentable du genre humain.
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I.

Et d'abord, pour ne point parler de la mort, des maladies, de toutes les misères corporelles auxquelles nous sommes devenus sujets, lorsqu'une fois la justice originelle fut perdue, disons que la partie inférieure de l’âme se révolta contre l'esprit de toute la force de ses appétits et de ses cupidités. Jusque-là, ces convoitises étaient réprimées par la justice originelle, comme par un frein puissant, mais le lien de la justice étant brisé, elles se livrèrent aussitôt à une révolte effrénée. On peut voir une image de cette situation dans l'arche du testament placée au milieu du Jourdain.

Tant qu'elle resta dans le lit du fleuve, les eaux qui venaient d'en haut, demeurèrent suspendues et immobiles, jusqu'à ce que toute l'armée des enfants d'Israël eut traversé le lit du fleuve laissé à sec ; mais aussitôt que l'arche eût été enlevée, les eaux, qui jusqu'à ce moment étaient rassemblées en une seule masse, commencèrent à couler et à descendre en suivant leur pente accoutumée.

Ainsi, tant que l'âme vivait dans la justice originelle, ses mouvements et ses appétits demeuraient comme suspendus et immobiles, ne s'écartant en rien des lois de la raison ; mais lorsque le péché lui eut fait perdre cette justice, aussitôt ses mouvements se précipitèrent tumultueusement vers les choses inférieures, avec tant de violence qu'à peine peut-on les refréner et leur imposer le joug de la raison ; instincts aveugles, passions impétueuses qui sont la source de presque tous les maux. Dans une communauté religieuse où la discipline monastique est en vigueur, aucun des frères ne relève de soi-même, aucun ne se croit le droit ou d'entreprendre quoi que ce soit, ou de mettre le pied hors du monastère, sans avoir pris l'agrément du supérieur; mais si la discipline vient à se relâcher, tous peuvent faire ce qui leur plaît, et vivre, non plus selon les règles prescrites par le supérieur, mais chacun à sa guise.

Voilà une juste comparaison de ce que le péché a produit en nous. Dans l'origine, nos appétits et nos convoitises étaient dans la dépendance la plus étroite de la raison, mais maintenant qu'ils se sont affranchis de la loi, ils s'emportent et se précipitent dans tous les désordres, à moins que la grâce ne vienne les réprimer.

Cela nous fait bien voir que, par le péché, la nature humaine a subi une étonnante et déplorable révolution. La raison devait, avec l'autorité d'un gouverneur, régir les mouvements et les passions de l'âme aveugles par leur nature, et maintenant elle est elle-même tellement dominée par ces passions et ces convoitises, qu'elle se sent bien plutôt portée à leur obéir qu'à les réprimer, c'est-à -dire à imaginer des moyens de pouvoir se livrer plus librement à leurs désirs, et les satisfaire davantage. De là il arrive que la raison elle-même, dégénérant de la noblesse de sa condition première, est devenue en quelque sorte toute charnelle. Elle qui auparavant unie à Dieu, et ne faisant avec lui qu'un seul esprit, était parfaitement soumise à ses lois, maintenant collée pour ainsi dire à la chair, dépense toute sa force à en assouvir les convoitises. Sort malheureux que je ne puis mieux décrire qu'en rappelant l'exemple d’Andromaque, l'illustre épouse d’Hector, fils du roi Priam. Cette princesse, après la mort d'Hector et la destruction de Troie, avait donné sa main à Pyrrhus, fils d’Achille, bien inférieur en naissance et en mérite à son premier mari. Enée, l'ayant rencontrée par hasard, se rappela, en la voyant, la noblesse ancienne de l'époux qu'elle avait perdu et lui dit : Heu ! quis te casus dejectam conjuge tanto Excipit ? aut quæ digna satis fortuna revisit ? Hectoris Andromache, Pyrrhin connubia servas ? Dejecit vultum, et demissa voce locuta est. « Hélas ! quelle situation vous a faite la mort d'un époux tel qu'Hector ? Quelle fortune avez-vous retrouvée qui fût digne de vous ? Voyons-nous dans Andromaque l'épouse d’Hector, ou celle de Pyrrhus ? A ces mots, elle baissa les yeux, et répondit en osant à peine élever la voix. »

Nous pouvons, nous aussi, mes frères, faire les mêmes questions à la raison humaine. Avant la chute, elle était l'épouse de Dieu, ne faisait qu'un avec lui et obéissait à ses seules lois ; maintenant qu'elle a abandonné ce noble époux, et qu'elle s'est alliée à la chair au point de ne plus faire qu'un avec elle, elle s'est assujettie à l'empire des sens et leur obéit, non comme un homme libre à l'autorité du prince, mais comme un vil esclave qui met en œuvre toutes ses forces et toute son industrie pour satisfaire les caprices d'un tyran. D'où viennent, en effet, toutes ces inventions dans l'art du plaisir, toute cette science funeste de la volupté, tout ce luxe des festins, des parfums et des vêtements, qui servent à flatter, à parer, à caresser une chair sensuelle ? Tout cela n'est-il pas le produit de la sagacité de l'intelligence humaine qui, asservie à la chair, s'est faite l'esclave de ses convoitises ? C'est ainsi qu'Achitophel, le sage conseiller de David, garda toujours pendant la paix la fidélité qu'il devait à son roi ; mais lorsqu'il se fut rangé dans le parti d'Absalon, il forma contre David les desseins les plus funestes. La raison, elle aussi, obéissait fidèlement à Dieu avant le péché; mais depuis elle s'est asservie à la chair par les liens d'une étroite union, elle ne craint plus de faire à Dieu et à ses lois une guerre furieuse et impie.
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Cette rébellion est donc la conséquence de la perte de la justice originelle. Aussitôt qu'il eût perdu la grâce qui le rendait agréable aux yeux de Dieu, l'homme fut privé de sa beauté première ; aussitôt que la charité, en vertu de laquelle il aimait Dieu par-dessus tout, se fut éteinte dans son âme, il se sentit épris pour lui-même d'un si grand amour que, se détournant de Dieu son créateur, il commença à s'aimer uniquement d'un amour qui n'a point de bornes. Dans l'origine, il regardait Dieu comme sa fin dernière, et lui rapportait tout ce qu'il était, tout ce qu'il possédait, mais aujourd'hui c'est soi-même qu'il aime par-dessus tout, c'est soi-même qu'il regarde comme sa fin dernière. Son intérêt, son bon plaisir, voilà l'unique but auquel il rapporte tout jusqu'à Dieu lui-même. Qui pourra dire combien grande, combien profonde est cette mortelle blessure ? Vouloir usurper la dignité de Dieu même, s'arroger en quelque sorte les prérogatives de la divinité, quel désordre ! Cependant chaque fois que l'homme, attachant son cœur à quelque objet créé, méprise Dieu et ses lois, c'est soi-même qu'il prend pour sa dernière fin et qu'il préfère à Dieu. Or, c'est là le grand mal que signale l'Apôtre, lorsque, parlant des hommes qui se livrent à leurs passions, il dit d'eux qu'ils sont plus amateurs de la volupté que de Dieu. Quoi de plus abominable cependant que de voir un homme préférer les honteux plaisirs de la chair à Dieu son créateur, et s'aimer soi-même plus que Dieu ? J'ose à peine vous exposer les conséquences d'un tel désordre.

L'homme, avant de se livrer à ce mouvement déréglé du cœur, qui le porte à se préférer à Dieu et à lui préférer en même temps ses plaisirs, doit nécessairement former ce jugement dans ce qu'on appelle l'intellect pratique : Je suis certainement plus digne d'amour que Dieu. O pensée abominable ! monstruosité qui fait horreur ! Mais jamais, dites-vous, une telle pensée ne m'est venue à l'esprit. Comprenez donc maintenant quel poison est caché dans cet amour pervers de vous-même. Oui, chaque fois que tout entier à vos passions et à vos intérêts, vous méprisez Dieu et ses lois, vous portez ce jugement que je viens d'exprimer. Dans toute faute grave se trouve ce honteux désordre. L'amour déréglé de soi, voilà la source de tous les autres crimes, et lorsqu'un homme commet un péché, c'est aux séductions de l'intérêt,de la volupté et de la vanité qu'il sacrifie Dieu, se mettant peu en peine de transgresser ses lois, pourvu qu'il atteigne le but de ses convoitise.

Voilà la cause, et il n'en faut point chercher d'autres, de tant de parjures, de procès, de rapines, de haines, d'envies, de guerres, de pièges tendus à l'innocence, de tous les crimes en un mot dont les hommes se rendent coupables.
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II.

Tirons maintenant quelques conclusions de ce que nous avons dit jusqu'ici. Il résulte d'abord clairement de tout ce que nous venons d'exposer, que le péché mortel est un désordre d'une monstrueuse malice, puisque Dieu s'est résolu à lui infliger une peine aussi grave. D'autres considérations peuvent encore nous aider à comprendre quel grand mal il renferme. N'est-ce pas pour l'expier, en effet, que le Fils de Dieu a donné son sang et sa vie ? N'est-ce pas pour le châtier que Dieu a creusé l'enfer et allumé le feu éternel de ses vengeances ? Si ces deux pensées ne vous suffisent point, mon frère, pour comprendre l'énormité du péché, jetez les yeux du moins sur le tableau que nous avons tracé de ses châtiments. Il est un mal qui a infecté toute la masse du genre humain, qui a causé le naufrage d'un grand nombre d'âmes, et qui, se perpétuant de siècle en siècle, ne s'est point attaqué à un seul individu, mais à toute la famille d'Adam qu'il a infectée de son venin, souillée et vouée à la mort. Quel homme, si aveugle qu'il pût être, ne reconnaîtrait au moins à ces traits la malice du péché mortel ? S'il en est ainsi, je ne puis assez m'étonner que des chrétiens, qui croient toutes ces choses si fermement, ne craignent point de commettre avec tant de facilité toute espèce de péchés graves. Que les païens et les infidèles s'en rendent coupables, je n'en suis point surpris ; ils ne croient pas ces vérités et regardent les maux que nous souffrons, non comme le châtiment d'une faute, mais comme une condition de notre nature ; mais que nous, instruits par la sagesse divine, tout pénétrés de la vertu des sacrements, prêts au besoin à confesser ces mystères au péril de notre vie, nous commettions tant d'iniquités, et cela, si aisément, pour des bagatelles, sans la moindre douleur, voilà de quoi confondre et déconcerter la raison. Que d'autres réservent leur admiration pour les sujets qu'ils en croiront les plus dignes. Pour moi, il est deux choses dont je ne puis assez m'étonner. L'une est la noirceur et la malice du péché ; l'autre, c'est que des hommes qui croient fermement ces vérités, le commettent si souvent et si aisément. Telle est l'importante et principale réflexion qu'il faut tirer de toute cette doctrine. Il faut de plus en conclure que le principal devoir du chrétien est de se munir d'armes spirituelles contre cet ennemi du genre humain qu'on appelle le péché.

Parmi les armes et les préservatifs dont on peut user à cet égard, il en est quatre qui sont surtout nécessaires et que je vais vous indiquer. Le premier moyen est d'éviter avec prudence et circonspection toutes les occasions du péché, pour ne point fournir d'aiguillon à cette inclination au mal qui fait le fond de notre nature corrompue. Que pourrait-on, en effet, espérer d'un malade, appuyé sur un bâton, pouvant à peine se tenir sur les pieds, si quelqu'un s'avisait de le pousser et s'efforçait de le jeter par terre ? Notre âme est ce malade. Trop souvent, hélas ! sa faiblesse naturelle l'entraîne dans le péché. Que deviendra-t-elle, si à cette infirmité spirituelle viennent se joindre les attraits présents et sensibles du plaisir et l'occasion de s'y livrer ? La présence des objets qui nous plaisent est par elle-même un entraînement au mal; elle allume dans l'âme un feu qui la dévore, et la déplorable chute de David ne montre que trop à quels périls l'occasion expose. Le second moyen est d'aller promptement au-devant de l'ennemi, afin de repousser ses premières tentatives, lorsqu'il commence à frapper à la porte de notre cœur. Pour comprendre la nécessité de cette promptitude à la résistance, il est important de bien connaître la nature du cœur humain, dans les conditions actuelles où il se trouve depuis la chute. Je vais en donner un exemple qui me paraît d'une grande justesse. La poudre ne brûle que très-difficilement, si on la mouille avec un peu d'eau ;mais si elle est exempte de toute humidité, il suffira d'une étincelle pour l'enflammer. Il en est ainsi de notre cœur. A l'égard des choses divines, il ressemble à cette poudre que l'humidité a pénétrée, et ne s'enflamme que fort lentement; mais à l'égard des choses terrestres et charnelles, c'est comme une poudre bien sèche ; une seule pensée impure sera l'étincelle qui allumera l'incendie et embrasera tout à la fois l'âme et le corps. Salomon nous signale ce danger lorsqu'il dit : « Gardez votre cœur avec le plus grand soin, car la vie en procède, » Prov. iv, 23. C'est, grâce à ce soin et à cette vigilance que tous les saints ont conservé leur cœur dans la pureté. Le livre des Cantiques parle d'eux d'une manière mystique dans cette peinture : « Le lit de Salomon est gardé par soixante braves des plus vaillants d'Israël, tous armés de leur épée, et très-habiles à la guerre. » Il ne se contente pas de dire qu'ils sont armés du glaive, mais il ajoute : « Chacun d'eux tient son épée à son côté à cause des craintes et des surprises de la nuit, » Cant. 11, 7. Rien ne peut mieux représenter l'attitude vigilante de ces braves soldats autour du lit de Salomon, que de nous les montrer debout, la main sur la garde de leur épée suspendue à leur flanc. Demeurer dans cette posture, c'est être prêt à tirer le glaive hors du fourreau, et à repousser toute attaque de l'ennemi. Salomon nous fait assez voir par cet exemple, avec quelle promptitude nous devons écarter les mauvaises pensées, aussitôt qu'elles se présentent.

Les remèdes les plus puissants contre le péché sont assurément les sacrements de Pénitence et d'Eucharistie, institués dans ce but par Jésus-Christ auteur de notre salut. La confession, au dire du cardinal Cajetan, est une médecine très-efficace pour conserver l'homme dans la crainte de Dieu ; mais cet effet est produit plus efficacement encore par l'Eucharistie dont le propre est de fournir un aliment divin qui entretienne cette vie spirituelle dont la pénitence a été le principe. A ces deux remèdes il faut joindre la fidélité à la prière, qui est un secours universel contre tous les maux, mais qui est particulièrement puissante contre le péché, selon cette parole du Prophète-Royal : « Mes yeux sont toujours élevés vers le Seigneur, parce que c'est lui qui retirera mes pieds du piège qui m'a été tendu, » oculi mei semper ad Dominum quoniam ipse evellet de laqueo pedes meos, Ps. Xxiv, 15 . Et l'Apôtre nous offrant différentes armes contre le péché, fait particulièrement mention de celle-ci, lorsqu'il dit : « Invoquez Dieu en esprit dans tous les temps, par toutes sortes de supplications et de prières, vous appliquant à cet exercice avec une vigilance et une persévérance continuelles. » Ephes. Vi, 18 .
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III.

Je viens de vous montrer dans quel abîme de misères l'homme est tombé par le péché. La justice divine aurait pu le laisser dans cet état ; car, selon la réflexion du Sage, « Quel est celui qui vous dira : Seigneur, pourquoi avez-vous fait cela ? ou qui s'élèvera contre votre jugement ? ou qui paraîtra devant vous, pour prendre la défense des hommes injustes ? Il n'y a ni roi, ni prince qui puisse s'élever contre vous en faveur de ceux que vous aurez fait périr, » Sap. XII, 12. La bonté divine cependant n'a pas voulu user de son droit, comme elle pouvait le faire sans injustice, mais, par un dessein plein d'une tendresse ineffable, elle a pourvu à notre salut, en ramenant dans le monde la vie et la justice par la même voie qui y avait introduit le péché et la mort. Vérité consolante que l'Apôtre développe en ces termes, dans son épître aux Romains : « Comme par le péché d'un seul, tous les hommes sont tombés dans la condamnation de la mort, ainsi par la justice d'un seul, tous les hommes reçoivent la grâce vivifiante de la justification. Car de même que plusieurs sont devenus pécheurs par la désobéissance d'un seul, ainsi plusieurs seront rendus justes par l'obéissance d'un seul, » Rom. v, 18. Tel a été le dessein de la sagesse divine. Un homme avait perdu le monde, un nouvel homme devait réparer cette chute, et si une faute étrangère avait attiré sur nous une foule de maux, une justice étrangère aussi nous devait apporter un plus grand nombre de biens. Et parce que la faute d'Adam consistait en ce que lui, qui n'était qu'un homme, avait poussé l'orgueil jusqu'à vouloir se rendre semblable à Dieu, les lois de la justice divine demandaient pour satisfaction qu'un Dieu s'abaissât jusqu'à prendre la nature humaine. Il ne fallait rien moins qu’un semblable abaissement, pour servir de contrepoids à un tel orgueil. Le Fils unique de Dieu est donc descendu du ciel, il a revêtu une chair mortelle, afin que ce monde perdu par le crime d'un seul homme, fût sauvé par les mérites d'un seul Rédempteur, Dieu et homme tout à la fois. Mais pour se faire véritablement homme, le Fils de Dieu devait avoir une Mère de laquelle il prît la nature humaine. Quelle sera donc la femme qui méritera de le concevoir et de l'enfanter ? Cette femme sera une vierge, plus pure que les anges, plus brillante que les astres, qui recevra dans ses chastes entrailles et dans son sein virginal le Fils de Dieu descendant dans ces régions de la mortalité. Prédestinée de toute éternité à ce ministère sublime, c'est aujourd'hui que cette vierge mère de Dieu a été conçue ; aujourd'hui, comme nous le disions au début de ce discours, que le grand ouvrage de notre rédemption a été commencé. Vous pouvez juger par là de la solennité de ce jour.

Les deux jours les plus mémorables, lorsqu'il s'agit de la construction d'un temple magnifique ou de quelque entreprise importante, sont le jour où l'on commence l’œuvre, et le jour où elle est achevée. Or, c'est en ce jour qu'a été commencé l'ouvrage le plus excellent, celui de notre rédemption. Écoutons Pierre Damien sur ce sujet : « Un sentiment particulier de joie doit pénétrer tous les cœurs dans cette fête de la bienheureuse vierge Marie mère de Dieu, en laquelle a commencé l'œuvre du salut du genre humain. Livrons-nous donc à l'allégresse, mes très-chers frères, en ce jour où en célébrant la conception de la vierge bienheureuse, nous célébrons le commencement de toutes les fêtes du Nouveau Testament. Dieu, en effet, a d'abord créé cette vierge ; ensuite le fils de Dieu a dû prendre d'elle une chair mortelle à laquelle il voulait s'unir pour racheter le monde. Les autres fêtes des saints qui ont lavé et purifié leurs robes dans le sang de l'agneau, ne sont que la conséquence de ce mystère de la rédemption. Puisqu'il en est ainsi, avec quel empressement et quelle dévotion ne devons- nous pas célébrer cette solennité ? Quelle nouvelle pourrait être plus agréable au monde et plus heureuse pour lui, que de lui annoncer qu'en ce jour a été conçue la Vierge très-pure qui devait fournir au Fils de Dieu la chair mortelle qu'il voulait prendre pour le salut du monde ?
(à suivre)
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Laetitia
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Re: Sermon de Saint Louis de Grenade pour la fête de la Conception de Marie

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Mais puisque c'est en ce jour que le ciel a commencé à édifier une demeure pour recevoir le fils de Dieu à sa naissance, voyons quelles en ont dû être la beauté et la parure. Selon l'interprétation de Pierre Damien, Salomon en a fait la peinture dans ce passage : « La sagesse s'est construit une maison, elle a taillé sept colonnes, » Prov. ix, 1. Ces colonnes sont les sept dons du Saint-Esprit qui soutiennent cet édifice spirituel. Dans tous les temps, en effet, la divine sagesse a accordé aux hommes des grâces et des dons en rapport avec les diverses missions aux quelles elle les destinait. Ainsi, elle a éclairé l'esprit des prophètes, en leur donnant une admirable connaissance des secrets de Dieu ; elle a allumé dans le cœur des apôtres le feu de la plus pure charité ; elle a revêtu d'une force et d'une constance inébranlables les martyrs, ces héroïques témoins de la religion. Puis donc que la dignité de mère de Dieu ne le cède qu'à la dignité même de Fils de Dieu, il en résulte que Marie surpasse les autres saints en grâces et en vertus, autant que sa dignité l'élève au-dessus d'eux. Bien plus, l’Esprit- Saint a réuni en elle à un degré incomparable tous les dons et toutes les vertus qu'il a si libéralement départis entre tous les saints. C'est ce que confirme saint Bernard commentant ce passage de l'Ecclésiastique : « Ma place est au milieu des saints dans la plénitude de leurs richesses. » Oui, dit ce saint docteur, telle est bien la place de Marie, à qui n'ont manqué ni la foi des patriarches, ni l'espérance des prophètes, ni le zèle des apôtres, ni la constance des martyrs, ni la tempérance des confesseurs, ni la chasteté des vierges, ni même la pureté des anges. Et quelle est la raison d'une perfection si élevée ? C'est que, répond saint Jérôme, l'annonce apportée à Marie par l'ange Gabriel, renferme une merveille que la nature n'a jamais produite, une merveille qui déconcerte les lois de l'expérience et de la raison, un prodige que l'esprit humain ne peut comprendre, qui étonne le ciel et la terre, et remplit d'admiration toutes les créatures, jusqu'aux anges eux-mêmes. Une dignité aussi haute que celle de Marie, ne devait-elle pas en effet être ornée de tous les mérites et de toutes les vertus ?

On peut faire le même raisonnement, si l'on considère la grandeur et la sainteté de l'humanité de Jésus-Christ. La foi catholique nous enseigne que l'humanité sainte du Sauveur réunit en elle toutes les grâces et tous les dons célestes en une telle abondance, que tout ce qui se trouvait renfermé dans les trésors divins y a été répandu, selon ce témoignage de Jean-Baptiste : « Ce n'est point par mesure que Dieu donne son Esprit à son Fils, » Joan. 11, 34. La raison en est que cette souveraine majesté ayant voulu, par amour pour nous, s'abaisser au point de daigner prendre la nature humaine, et se faire véritablement homme, cette nature devait offrir de telles conditions de sainteté, qu'elle fût digne de servir de tabernacle au Verbe divin, de sorte que la majesté divine ne reçût aucune atteinte de cette alliance que le fils de Dieu contractait avec la nature humaine dans l'unité de sa personne. Comme cette alliance pouvait être pour Dieu un honneur ou un opprobre, il a dû enrichir cette humanité qu'il devait prendre, de la grâce et de la sainteté les plus parfaites, afin que rien ne s'y trouvât qui pût en aucune manière obscurcir ou déshonorer cette infinie majesté. Ceci établi, nous pouvons par un argument semblable conclure à la dignité de la très-sainte Vierge.

Salomon exprime une vérité constante lorsqu'il dit : « Les enfants des enfants sont la couronne des vieillards, et les pères sont la gloire des enfants, » Prov. xyii, 6 ; et l'Ecclesiastique dit avec non moins de vérité : « la gloire de l'homme est dans l'honneur de son père, et un père sans honneur fait la honte de son fils, » Eccles. III, 13. Cela est tellement vrai, à cause des liens étroits de cette parenté, que les fils recueillent souvent ou la louange ou le blâme, selon la condition de leurs parents. Ainsi Gabelus faisait l'éloge du jeune Tobie en disant : « Que les bénédictions du Dieu d'Israël soient sur vous, parce que vous êtes le fils d'un homme excellent, juste, craignant Dieu et faisant des aumônes, » Tob . IX, 9. Si donc, à cause de l'honneur du Verbe divin, nous exaltons ainsi son humanité sainte, et nous la proclamons revêtue de la grâce et de la sainteté la plus excellente, il s'ensuit que, l'honneur du fils et de la Vierge sa mère étant commun à l'un et à l'autre, nous devons proclamer la dignité et la sainteté parfaites de la mère du Verbe incarné, afin d'honorer également par là son divin fils. De plus il est constant, d'après ce que nous avons dit tout à l'heure, que l'honneur ou le déshonneur des fils vient en grande partie de la dignité ou de l'indignité de leurs parents. C'est pour cette raison que le roi Saül, exaspéré contre son fils Jonathas, et voulant lui infliger une sanglante injure, l'appela fils de femme prostituée, I Reg. xx, 30. Mais si c'est une honte insigne pour un fils de naître d'une mère digne de reproches, ce n'est pas un médiocre honneur pour lui, de pouvoir se glorifier d'avoir la mère la plus estimable. Supposez, en effet, qu'il soit au pouvoir des fils de se choisir ou de se donner à eux-mêmes une mère, il n'est pas douteux qu'ils ne choisissent, parmi toutes les femmes, la plus honorable et la plus accomplie. Le fils de Dieu avait ce pouvoir ; il lui suffisait d'un seul acte de sa volonté pour se choisir et se créer une mère telle qu'il la désirait. Qui peut douter qu'il n'ait choisi pour sa mère, la plus excellente et la plus sainte de toutes les créatures ? Car est-il un seul homme qui ne s'empressât de se procurer un bien si précieux, à une condition si facile que l'est un seul mouvement de la volonté ? Quant à cette haute dignité de Marie, l'ange Gabriel et la bienheureuse Elisabeth inspirés par le Saint-Esprit, la confirment en la proclamant bénie entre tous les femmes, c'est-à-dire au-dessus de toutes les femmes. De là il suit encore que le fils de Dieu, qui se glorifie de Dieu son père, devait se choisir une mère dont il pût également et à bon droit se glorifier, afin que la noblesse et la gloire ne lui manquassent ni de l'une ni de l'autre part. Vous pouvez maintenant, mes frères, concevoir quelque idée de la haute et rare sainteté de Marie, sainteté si grande que si quelqu'un la pouvait estimer dans toute son excellence, il serait certainement ravi en cette extase d'admiration où tomba l'illustre saint Denis, disciple du bienheureux apôtre Paul, lorsqu'il eut le bonheur de voir la sainte Vierge, pendant qu'elle vivait encore sur la terre. Le fait est ainsi rapporté par Denis le Chartreux dans l'explication du troisième chapitre des noms divins, ouvrage de saint Denis l’Aréopagite : « On lit, que le bienheureux Denis étant venu de la Grèce en Judée, demanda à l'apôtre saint Jean la faveur de voir cette Vierge incomparable de laquelle avait daigné naître celui qui est le principe de tout ce qui existe. Marie s'étant présentée à ses regards, Denis la vit environnée d'une clarté si lumineuse et d'une gloire si éclatante, que frappé et comme épuisé d'admiration, il défaillit et tomba par terre. Revenu enfin à lui-même, il dit : Si je n'avais su par la raison et la foi, que ce n'était point la divinité, je n'aurais point cru que la divinité fut autre que ce que je contemplais.

Ubertin raconte le même fait, dans son livre de la vie du Sauveur, ajoutant que saint Denis vit une légion innombrable d'anges autour de la très-glorieuse Vierge Marie. Vous pouvez inférer de là, mes frères, quelle doit être la joie des âmes bienheureuses, en contemplant la très-sainte Vierge dans la gloire céleste qui l'environne, puisque ce fut un si grand bonheur de la voir, alors qu'elle vivait encore dans sa chair mortelle.
(à suite)
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Laetitia
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Re: Sermon de Saint Louis de Grenade pour la fête de la Conception de Marie

Message par Laetitia »

Telle a donc été la demeure préparée au Fils unique de Dieu par le Saint-Esprit à qui l'on attribue l'œuvre de l'Incarnation du Seigneur. L'habitation doit convenir à l'habitant, selon l'axiome des philosophes. Il ne faut donc pas s'étonner qu'une telle demeure ait été préparée à un tel hôte, à celui qui se nourrit parmi les lis et qui ne se repose que dans un lit orné des fleurs de toutes les vertus .Mais en quoi cette grandeur de Marie nous intéresse -t-elle ? En ce qu'elle est pour nous une immense source de biens. Car si la sainte Vierge est telle que nous l'avons représentée, nous avons en elle, après Jésus-Christ, une avocate toute -puissante auprès de Dieu. « Sans doute, dit saint Bernard, le Christ, eût pu nous suffire (puisque maintenant encore toute notre force vient de Dieu ), mais il n'était pas bon pour nous que l'homme fût seul; il convenait que l'un et l'autre sexe concourussent à l'œuvre de notre réparation, puisqu'ils avaient contribué tous deux à notre ruine. Oui, le fidèle et puissant médiateur entre Dieu et les hommes, c'est l'Homme-Dieu, Jésus-Christ ; mais sa majesté divine inspire aux hommes une secrète terreur. Nous avons donc besoin d'une médiatrice auprès de ce médiateur. Il n'en est point de plus favorable pour nous que Marie. »

Que nous reste t-il à faire, mes frères, sinon de mettre tout en œuvre pour nous concilier les bonnes grâces de cette céleste médiatrice, afin qu'au milieu des tempêtes de cette misérable vie, et surtout à l'heure de notre mort, nous recevions d'elle un prompt secours ? Si vous me demandez quel est le moyen le plus assuré d'obtenir sa protection, je vous répondrai que la voie la plus courte est de nous efforcer d'imiter ses vertus. Rien, en effet, n'est plus propre à inspirer l'amour que la ressemblance, car l'amour c'est l'union des cœurs. Or les semblables s'unissent aisément, comme si un lien de parenté les rapprochait. Voulons-nous donc que l’amour nous unisse à la bienheureuse Vierge Marie, et être aimés d'elle à notre tour ? Efforçons-nous, encore une fois, d'imiter ses vertus. Il en est quatre qui ont brillé en elle d'un éclat tout particulier, et que, pour cette raison, je dois spécialement vous proposer ; ces vertus sont : la virginité, la charité, la miséricorde et l'humilité qui est le fondement de toutes les autres.

La virginité de Marie offre ce caractère particulier, qu'elle s'est rencontrée en elle dans toute sa pureté avec les joies de la maternité. La charité de Marie présente aussi un caractère non moins spécial ; c'est qu'elle a aimé Dieu, non-seulement de cet amour qui lui est dû comme au souverain maître de l'univers, mais d'un amour gratuit et naturel, en tant qu'elle aimait en lui son véritable fils. Maintenant s'il est vrai que la miséricorde est un sentiment produit par la charité, de quelle miséricorde une charité si grande ne sera-t-elle pas le principe ? Si la source déborde à cause de l'affluence de ses eaux, avec quelle abondance le ruisseau qui en découle ne les répandra-t-il pas au loin ? C'est ce qui fait dire à saint Bernard : « Qui pourrait, ô Vierge bénie, mesurer la longueur, la largeur, la hauteur et la profondeur de votre miséricorde ? Sa longueur ? Mais elle est venue en aide à tous ceux qui l'ont invoquée jusqu'à ce jour. Sa largeur ? Mais elle remplit l'univers, et l'on peut dire d'elle aussi, que la terre en est remplie. Sa hauteur? Mais c'est par elle que le ciel, notre patrie d'en haut, nous a été rendu. Sa profondeur ? Mais c'est elle qui a obtenu la délivrance des malheureux qui étaient assis dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort. Nous ne pouvons toutefois imiter la charité de Marie, qu'autant que nous nous rapprocherons de son humilité. Le feu se conserve sous la cendre. Or, la cendre sous laquelle le feu de la charité s'alimente et se conserve sans s'éteindre, c'est l'humilité.

En imitant ainsi la sainteté de Marie, nous triompherons des ennemis de notre salut. Il en est quatre qui causent dans le monde le plus de ravages, et qui sont plus particulièrement acharnés à notre perte : ce sont l'impureté, la haine, l'avarice et l'orgueil. Vaincre ces ennemis, c'est se préparer une victoire aisée sur les autres vices. Le point important et difficile est donc de réprimer les révoltes de la chair, de faire taire ses ressentiments, de ne rien convoiter de ce qui appartient à autrui, d'employer libéralement ses biens à des œuvres de miséricorde et de se soumettre aux autres, sans montrer un visage chagrin et dédaigneux. Quiconque accomplit ce qui coûte davantage, viendra aisément à bout de ce qui demande moins d'efforts.

Telles sont donc les vertus dont la pratique doit nous concilier la protection et les faveurs de Marie, assurer notre salut, et nous préparer une entrée certaine dans le glorieux séjour de la félicité éternelle. Ainsi soit- il
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