L'acte du corps mystique du Christ, par Mgr. Fenton (1939)

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L'Église a défini très clairement la manière dont la passion du Christ et ses effets sont communiqués à la personne que Dieu a appelé à l'unité du Corps Mystique. Il est d'abord de foi que la justice du Christ ne nous est pas seulement imputée. C'est la position de Luther, condamnée avec raison par le concile de Trente (17). Il n'est pas vrai non plus que cette justice devient nôtre par une simple juxtaposition matérielle, qui ferait que le membre du Christ serait formellement justifié par le Christ lui-même (18).

(17) Trente, sess. 6, can. 11 ; Denz. 821
(18) Ibid., can. 10. Denz. 820.

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Le membre du Christ est sacramentellement un participant de la justice du Christ. "Mais, bien que lui soit “mort pour tous” (2Co 5, 15), tous cependant ne reçoivent pas le bienfait de sa mort, mais ceux-là seulement auxquels le mérite de sa Passion est communiqué" (19). Ceux à qui le mérite de sa Passion est communiqué sont ceux qui reçoivent les bénéfices de la passion et la mort du Christ, non comme individus séparés, mais comme des personnes dynamiquement unies et configurées à lui dans le sacrement du baptême, qui est le sacrement de la foi.

(19) Ibid., chapitre 3 ; Denz. 795.

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Saint Thomas nous fournit un enseignement clair et authentique sur le mode de notre union dynamique au Christ, sur la manière dont nous participons à son opération. Le cœur de la doctrine thomiste du Corps Mystique est contenu dans la question du caractère sacramentel. Le traité sur les sacrements, considéré dans son contexte immédiat, en général et en particulier, et dans son soubassement propre de la science théologique entière, nous fournit la clé d'une conception véritablement dynamique du Corps Mystique.

Le point crucial de l'analyste thomiste du caractère sacramentel et de la nature dynamique du Corps Mystique se trouve dans un article apparemment isolé et peu clair, affirmant que le caractère comporte une puissance spirituelle, et n'est pas proprement dans un genre ou une espèce, mais se ramène à la deuxième espèce de qualité (20).

(20) Summa Theologica, III, q. 63, art. 2.

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Ceux qui, sous prétexte d'intelligence philosophique, ont joué avec ces notions, ont tenté le déplacement apparemment inoffensif de substituer la première espèce de qualité (habitus et disposition), à la deuxième (puissance et impuissance), ceux-là ont fait beaucoup de mal au développement de la théologie catholique, et largement contribué à une appréciation moindre de la doctrine de notre union au Christ dans le Corps Mystique.

Tout l'enseignement de S. Thomas sur le caractère sacramentel dépend de la définition d'un sacrement généralement acceptée en théologie catholique traditionnelle. "Un sacrement est le signe d'une réalité sacrée, en tant qu'elle est sanctifiante pour les hommes" (21).

(21) Ibid., III, 60, art. 2.

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Ce sacrement signifie aussi et en même temps la cause de notre salut, la passion du Christ. Il est donc commémoratif d'un événement passé. Il signifie la forme de notre sanctification, la grâce habituelle et les vertus surnaturelles. Par là, elles montrent un effet produit en nous par la passion du Christ. Enfin, ce sacrement est également le signe de l'effet ultime de notre sanctification, la vie éternelle. Il annonce ainsi la gloire future. C'est ainsi que la passion du Christ elle-même, cause de notre salut, nous est communiquée dans les sacrements (22).

(22) Ibid., III, 60, art. 3.

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L'Église est le Corps Mystique du Christ. Nous devenons membres de l'Église quand nous recevons le sacrement du baptême. Le caractère durable qui nous fait membres de l'Église est celui du baptême. Le baptême lui-même est déjà une conformation à la passion du Christ, un signe effectif que nous faisons nôtre cette passion. " Nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, c’est en sa mort que nous avons été baptisés (...) Car nous avons été ensevelis avec lui par le baptême pour mourir, afin que, comme le Christ est ressuscité d’entre les morts par la gloire du Père, de même, nous aussi, nous marchions dans une vie nouvelle (...) Vous donc aussi, regardez-vous comme morts au péché, et comme vivants pour (à) Dieu en Jésus-Christ Notre Seigneur." (23)


(23) Rom. 6:3, 4 et 11.

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Nous ne pouvons apprécier l'économie sacramentelle que dans la mesure où nous réalisons que la passion et la mort du Christ n'ont pas seulement été un acte de rédemption, par lequel nous sommes libérés de nos péchés, mais aussi un acte suprême de religion, un sacrifice, auquel tous ceux qui veulent être sauvés dans le Christ doivent participer. Les sacrements de la nouvelle loi, qui dérivent leur pouvoir de la passion du Christ, sont aussi marqués de cette double orientation.

La théologie de Saint Thomas exprime adéquatement cette double fonction des sacrements, délivrer les hommes du péché, et les perfectionner dans l'adoration de Dieu suivant les rites de la religion chrétienne. "La grâce sacramentelle paraît ordonnée surtout à deux fins : supprimer les défauts des péchés passés (car si leur acte est écoulé, leur culpabilité demeure) ; et en outre perfectionner l'âme en ce qui regarde le culte de Dieu selon l'observance de la vie chrétienne. Il est évident, d'après ce que nous avons dit antérieurement, que c'est surtout la passion du Christ qui nous a délivrés de nos péchés par manière d'efficience, de mérite, mais aussi de satisfaction. De même encore est-ce par sa passion que le Christ a inauguré le régime cultuel de la religion chrétienne en « s'offrant lui-même en offrande et en victime à Dieu », dit l'épître aux Éphésiens (5, 2)." (24)

(24) Summa Theologica, III, q. 62, art. 5.

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Le sacrement du baptême, qui fait de nous des membres du Christ, produit ce double effet. Il détruit l'état de péché et donne la grâce sacramentelle de régénération ou nouvelle naissance. Cette grâce sacramentelle n'est autre que la grâce habituelle, apportant avec soi une exigence de ces grâces actuelles qui sont requises pour mener correctement la vie commencée par le baptême. La grâce habituelle est ce qui fait de nous des membres vivants du Christ. Mais la grâce habituelle ne se réduit pas à la grâce de régénération que nous recevons au baptême.

La grâce habituelle est essentiellement le principe intrinsèque ultime de la vie. Cette vie est une participation à la vie intime de Dieu qui est formelle et physique bien qu'encore analogique. La grâce habituelle rend la personne qui la possède conaturellement apte à connaître Dieu tel qu'Il est en Lui-même, soit par l'intellection obscure de la foi, soit dans la clarté finale de la vision béatifique, qui permet alors de l'aimer tel qu'Il est connu. La vie de la grâce, que ce soit dans la condition préparatoire de ce monde, ou dans la perfection consommée de l'autre, constitue un culte authentique à Dieu. C'est une activité qui rend à Dieu le tribut de service et de reconnaissance dont Il est digne par son excellence suprême.

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Mais cette activité de la vie de la grâce est modifiée chez les membres de l'Église du Christ, par le fait que cette grâce qu'ils reçoivent dans le baptême est la grâce du Christ. La grâce que nous possédons comme membres vivants du Corps Mystique comporte quelques différences par rapport à la grâce des anges ou celle d'Adam, que nous aurions possédée si Adam était resté fidèle à Dieu. Non seulement cette grâce vient à nous par le sacrifice du Christ, mais la vie dont elle est le principe intrinsèque ultime est résumée et exprimée dans le sacrifice du Christ lui-même.

Cela est, en dernière analyse, la véritable raison qui nous permet de dire que la mort du Christ a donné plus à l'homme qu'il n'en avait perdu par le péché d'Adam. Toute vraie religion humaine est résumée et exprimée en un sacrifice. La vie dont la source intrinsèque est la grâce habituelle constitue une religion. C'est la gloire spéciale et unique de la grâce de l'Église, du Corps Mystique, que sa vie est résumée et exprimée dans le sacrifice parfait et visible de Jésus-Christ.

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Le baptême nous implique dans la vie du Corps Mystique. Mais il n'est pas la manifestation ou expression ultime de cette vie. Comme cette vie est un service de Dieu, ou encore religion, Dieu dans sa miséricorde a institué le sacrement du baptême de telle sorte qu'il confère à la personne que le reçoit un caractère spécial, qualifiant et obligeant cette personne à son service, en la conformant au sacerdoce du Christ lui-même. La même signe qui est configuratif de notre participation au sacerdoce du Christ est aussi celui qui est distinctif de notre appartenance au Christ, contrairement à tous ceux qui ne sont pas unis à lui sacramentellement.

Sous cet angle, nous voyons alors l'enseignement de S. Thomas sur le caractère sacramentel comme une clé donnant accès à la théologie dynamique du Corps Mystique. Le Doctor Communis et toute l'école thomiste après lui tiennent que l'analyse doit réduire ce caractère sacramentel à la seconde espèce de qualité. C'est une certaine puissance ou pouvoir spirituel qui habilite et oblige les hommes à adorer Dieu suivant le rituel de la religion chrétienne.