Sermon du Vénérable Louis de Grenade sur les bonnes œuvres

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Laetitia
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Sermon du Vénérable Louis de Grenade sur les bonnes œuvres

Message par Laetitia »


SERMON pour le vendredi après les Cendres.
Où l'on explique trois choses : 1 ° Comment les bonnes œuvres sont corrompues par la poursuite de l'avarice, de l'ambition, de la vaine gloire ; 2 ° Quelle est la récompense de ces bonnes œuvres ; 3 ° Par quels moyens nous pouvons nous garantir des ennemis de ces mêmes œuvres.

Arrivons à la dernière partie de l’Évangile, laquelle nous indique le moyen et la manière de bien faire. Comme, en ce temps, l’Église nous appelle non-seulement à l'extirpation de nos vices, mais encore à la pratique des bonnes œuvres et surtout de l'aumône, vertus éminemment propres à l'expiation du péché, ainsi que l'atteste Daniel, Dan. iv, 24, le divin Maître nous apprend ici comment nous devons nous livrer à toutes les œuvres de la bienfaisance : « Ayez soin de ne pas faire vos bonnes œuvres devant les hommes pour en être regardés ; autrement vous n'en recevrez pas la récompense de votre Père. Lors donc que vous donnez l'aumône, ne faites pas sonner la trompette devant donnez vous, etc. » Dans ce peu de mots, le Seigneur comprend la partie la plus remarquable de la philosophie chrétienne, celle qui est le plus nécessaire au salut. Je vais entrer à ce sujet dans quelques développements.
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Laetitia
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Re: Sermon de Saint Louis de Grande sur les bonnes œuvres

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I.

Il faut commencer par établir, que la première préoccupation du vieil ennemi est de détourner les fidèles de l'exercice de toutes les vertus et des bonnes œuvres. Comme le pourceau ne s'éprend point de l'odeur des fleurs qui émaillent la prairie, et se délecte dans un fétide bourbier, de même le diable est blessé du suave parfum exhalé par les vertus, et ne trouve sa pâture et sa joie que dans la fange infecte du vice. Toutefois, quand il ne peut parvenir à nous détourner de faire le bien, il cherche ensuite à dénaturer nos bonnes œuvres, soit par une mauvaise intention, soit par l'orgueil, par la vaine gloire, ou par tout autre moyen.

C'est ce que Jean Climaque montre en ces termes : « Dans tout ce que nous opérons selon Dieu, les démons nous creusent trois fosses. D'abord, ils tâchent d'empêcher de faire le bien. Puis, s'ils n'y peuvent parvenir, ils s'appliquent à ce qu'il ne se fasse pas selon Dieu. Enfin, s'ils échouent encore, se tenant en observation auprès de notre âme, à nous qui n'aurions considéré que Dieu, ils nous accablent de louanges et nous proclament des bienheureux. » Tels sont les moyens, et autres semblables, par lesquels le démon s'attache à vicier nos bonnes œuvres.

Pour qu'une chose soit vraiment bonne, elle doit être si accomplie, si parfaite, qu'elle ne mérite plus le nom de bonne, s'il lui manque quelque circonstance. Aussi l'Ecclésiastique nous recommande-t-il de faire justement ce qui est juste. « C'est, dit fort bien Sénèque, non dans l'acte, mais dans l'intention, qu'est le mérite. Quelqu'un est assis au chevet d'un ami malade : nous l'approuvons. Mais s'il le fait en convoitise de l'héritage, c'est un vautour, qui attend le cadavre. La même chose peut être honteuse, ou honorable. Il importe donc de savoir pourquoi, ou comment une chose est faite. » Cette pensée d'un païen est appuyée, par saint Grégoire, de l'exemple du Pharisien et du roi Ezéchias : de ces deux hommes exposant leurs bonnes œuvres devant Dieu, l'un fut condamné, l'autre fut approuvé et exaucé, parce que leur esprit était différent. Sénèque a donc raison de dire : « C'est non dans le fait,mais dans l'intention, que réside le mérite. Le rusé serpent, qui sait cela, s'attache, en faisant omettre une circonstance essentielle, à dénaturer toute bonne œuvre, et à éluder ainsi les efforts des imprudents.
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Laetitia
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Re: Sermon de Saint Louis de Grande sur les bonnes œuvres

Message par Laetitia »

Entre ses diverses ruses, la principale consiste à imprimer à l'intention d'une bonne œuvre la souillure de l'avarice ou de l'ambition. C'est par ce moyen que le grand dragon entraîna sur la terre, non pas toutes les étoiles, mais le tiers. Apoc. XII, 4. Qui sont ceux qu'on appelle étoiles, et qui sont ainsi précipités sur lą terre ? Écoutez saint Grégoire : « Précipiter sur la terre les étoiles, c'est couvrir d'iniquité, au moyen de l'amour des choses terrestres, ceux qui paraissent s'attacher aux œuvres de la vie céleste.» Quelques-uns paraissent admirables extérieurement, mais leurs œuvres partent d'un cœur impur. L'Ecclésiastique les flétrit ainsi : « Malheur au cœur double, au pécheur qui marche sur la terre par deux voies. » Væ duplici corde....., et peccatori terram ingredienti duabus viis. Eccli. 11, 14. Qui marche ainsi sur la terre ? Écoutez le même saint Grégoire : « Ont un cœur double, et marchent sur la terre par deux voies, ceux qui font une bonne œuvre à mauvaise fin ; parce que la bonne œuvre est de Dieu, et que ce qu'ils cherchent par la pensée est du monde. » Le divin Maître nous avertit donc aujourd'hui de ce péril en disant : « Prenez garde de ne pas faire vos bonnes œuvres devant les hommes, pour en être regardés. » C'est-à-dire, gardez-vous avec soin de souiller par l'avarice, par le désir de la popularité, les bonnes œuvres qui doivent être rapportées à Dieu. C'était le crime des pharisiens qui, au témoignage du Sauveur, faisaient toutes leurs œuvres, pour être vus des hommes, c'est-à-dire, pour capter, par l'ostentation de leurs vertus, auprès d'une multitude ignorante, richesses, gloire, renom de sainteté. Combien n'en voit-on pas encore aujourd'hui, dans les emplois ecclésiastiques ou civils, qui, par esprit d'ambition, s'abstiennent de tout méfait, et poursuivent toutes sortes de vertus, afin de gagner la faveur des princes, afin de se maintenir dans leurs charges, ou de s'élever à de plus hautes ? Ces manœuvres sont si communes, que personne ne pense à les flétrir, et que ceux mêmes qui s'y livrent n'y voient pas la moindre indignité.

De telles œuvres sont ainsi qualifiées par saint Augustin :« Les vertus apparentes, par lesquelles l'âme commande au corps et aux vices, si on les emploie à acquérir une chose quelconque, sans les rapporter à Dieu, sont des vices, plutôt que des vertus. » Il condamne par là les bonnes œuvres qui, détournées de leur fin, sont employées à acquérir un lucre vil, ou une vaine faveur. Car puisqu'aucune œuvre ne mérite le nom de bonne œuvre, si elle n'est parfaite sous tous les rapports et dans toutes les circonstances dont la principale est celle qui regarde la fin, le but; si la fin n'est pas honorable, l'œuvre ne le sera pas non plus. Cicéron, quoique dépourvu des lumières de la foi, est du même avis : « Si le mobile de nos prétendues vertus est l'intérêt, et non la vertu même, nous sommes des habiles, et non des bons. » Un sage a dit : « Doit être tenu pour mauvais, celui qui n'est bon que dans son intérêt. » - Mais, dis-tu, dans ce que je fais, ne m'est-il pas permis d'avoir égard à la rémunération, quand je considère la rétribution éternelle, ou bien quelque avantage temporel ? - Il ne t'est pas défendu de penser à la rémunération, à une condition toutefois, c'est que tu ne l'envisageras pas seule, mais que tu la rapporteras à la gloire de Dieu. D'où cette parole de saint Augustin : « Il vous aime peu, Seigneur, celui qui aime avec vous quelque chose, sans l'aimer à cause de vous. »
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Re: Sermon de Saint Louis de Grenade sur les bonnes œuvres

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II.

Vous avez entendu par combien de manœuvres le serpent s'efforce de dénaturer ce que nous faisons de bien. Voyons maintenant la récompense de telles œuvres : « Je vous le dis, ils ont reçu leur récompense. » Aucune récompense ne peut donc être attendue de Dieu dans l'autre vie par ceux qui ont demandé aux hommes leur rémunération. Pour mettre le comble aux châtiments, cette privation de la couronne céleste, éternelle, suffirait. « Celui, dit saint Grégoire, qui, pour prix de sa vertu, demande les faveurs humaines, échange à bien vil prix une chose précieuse. » S'il est absurde de boucher les fentes d'un vieux mur avec des pierreries, avec les diamants dont sont ornées les couronnes des princes, combien plus absurde d'échanger contre un peu de fumée, la récompense céleste due aux œuvres de piété ?

Il y aurait pourtant quelque consolation, si cette indignité ne conduisait qu'à la privation de la récompense, sans que l'âme se souillât d'une transgression. Mais, suivant les principes de saint Thomas, il y a ici délit, parce qu'il y a désordre. Car c'est combattre contre l'ordre de la nature, que de tourner vers des usages temporels les vertus qui ont Dieu pour fin. Quoi de plus indigne que de te servir des vertus pour devenir pire, quand elles devaient te rendre meilleur ? que de mériter des supplices par la voie qui devait te mener à la récompense ? que de te souiller par ce qui devait te purifier ? que de faire sortir le péché de la source d'où serait sortie l'expiation ? Quel espoir de salut reste au malade, quand les médicaments empirent son état, quand ce qui, pour un autre, eût été un remède efficace, se change pour lui en poison ?

Ce n'est pas tout. Car ceux qui, même dans les choses divines, ont en vue la gloire humaine, s'exposent à tomber dans de plus grands maux. Quelle autre cause de l'incrédulité des Juifs, sinon la gloriole ? Le Seigneur dit en effet aux incrédules : « Comment pouvez-vous croire, vous qui recherchez la gloire que vous vous donnez les uns aux autres, et qui ne recherchez point la gloire qui vient de Dieu seul ? » Quomodo vos potestis credere, qui gloriam ab invicem accipitis ; et gloriam quæ à solo Deo est, non quæritis ? Joan. v, 44. Car les pharisiens regardaient comme au-dessous d'eux de suivre les leçons du fils d'un artisan, à ce qu'ils croyaient, et de s'adjoindre à ses disciples, qui étaient de basse condition. C'est pour cette raison que Nicodème, craignant sans doute d'encourir la défaveur, vint de nuit et secrètement trouver Jésus-Christ. Jean dit encore : « Beaucoup de Juifs crurent en lui, mais, à cause des pharisiens, ils n'osaient le reconnaître publiquement, de peur d'être chassés de la synagogue. Car ils aimaient plus la gloire qui vient des hommes, que la gloire qui vient de Dieu. » Joan. XII, 42. Vous voyez dans quel précipice jette le respect humain ; puisqu'il en vient au point de faire préférer la gloire humaine à la gloire divine.
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Re: Sermon de Saint Louis de Grenade sur les bonnes œuvres

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III.

Vous avez vu, mes frères, la maladie et le péril; il vous reste maintenant à connaître le remède. Car l'exposition du péril inspire la crainte ; mais celle des remèdes rend à un cœur découragé espoir et confiance. D'abord, dans tous nos actes, ayons soin d'avoir les yeux sur le souverain bien, auquel tout doit être rapporté. C'est un précepte de la philosophie humaine aussi bien que de la philosophie chrétienne : « Il faut, dit Sénèque, nous proposer pour fin le souverain bien, il faut y tendre, y rapporter tous nos actes, toutes nos paroles, comme les navigateurs dirigent leur course sur quelque astre. » Mais quel est ce souverain bien ? Ce n'est pas Sénèque qui nous l'apprendra, lui qui le bornait au seul honnête et à la vertu ; c'est saint Augustin, qui dit : « Puisque Dieu t'a donné des grâces, c'est-à-dire t'a donné gratuitement, aime-le gratuitement; n'aime pas Dieu par intérêt. Que lui-même soit ta récompense. » « Trop cupide, dit saint Jérôme, celui à qui ne suffit pas une telle récompense. » Saint Augustin veut donc que nous répondions au Seigneur en imitant sa ligne de conduite. Comme il nous a donné gratuitement, servons-le aussi gratuitement, c'est-à-dire, sans avoir en vue aucun avantage matériel.

Quand donc nous nous proposons une bonne œuvre, que notre premier soin soit de la rapporter à la gloire de Dieu, sans détourner sur la terre l'intention de l'esprit. Car il faut bien nous persuader que, dans les actions humaines, la fin à laquelle nous tendons a tant d'importance que ces actions s'identifient avec elle. C'est ce que le Seigneur nous montre clairement par ces paroles : « Ton œil est la lampe de ton corps. Si cet œil est simple et pur, tout ton corps sera éclairé; s'il est gâté, ton corps sera dans les ténèbres. » Luc. XI, 34. Ce qui signifie que tout le corps d'une bonne œuvre est ou lumineux, ou obscur, suivant l'intention qui en est l'œil. En d'autres termes : Si tu fais l'aumône par gloriole, ce n'est plus aumône, c'est gloriole ; mais si tu la fais pour la gloire de Dieu, et par obéissance, c'est la vraie aumône et la vraie libéralité. Les bonnes œuvres tirent de leur fin, non-seulement leur nature et leur nom, elles en tirent leur mérite, et plus sera pure l'intention, plus elle sera agréable à Dieu et méritoire. Dieu, pour qui il n'est pas de secrets, considère moins la main que l'intention, moins la valeur matérielle que la disposition de l'âme ; il examine, non combien tu offres, mais avec quelle piété, quelle dévotion, dans quel esprit. Car Dieu ne regarde pas à nos affaires et à nos biens; il ne regarde qu'à la pureté du cœur. Il n'a pas besoin de vains présents, il n'aime que la piété et l'affection. Les païens, tout privés qu'ils étaient des lumières de la foi, l'ont bien compris. « Ne regarde pas, disait un sage, la quantité, mais la pureté de ce que tu offres à Dieu. » C'est tout le contraire que font ceux qui, sans s'occuper de la pureté de l'intention, ne voient que le grand nombre de leurs œuvres, faites peut-être par nécessité de position sociale, plutôt que par volonté. On peut leur appliquer ces paroles du prophète : « Vous avez espéré de grands biens, et vous en avez trouvé beaucoup moins. » Agg. 1,9.

O combien d'hommes seront déçus à ce dernier jour où le juge suprême qui scrute les reins et les cœurs, qui pèse les intentions, discerne l'esprit et les pensées, pour qui nulle créature n'est invisible, examinera les œuvres humaines dans la balance de son équité ! Car je crains qu'il n'y en ait beaucoup à qui il sera dit ce que la voix du ciel fit entendre au roi de Babylone : « Tu as été pesé dans la balance, et tu as été trouvé trop léger. » Appensus es in statera, et inventus es minus habens. Daniel. v, 27. De peur que pareil sort ne nous arrive, ayons donc grand soin, dans tous nos actes, de veiller à la pureté de l'intention. Pour y parvenir, que l'homme se chasse hors de lui-même, qu'il se dépouille, qu'il s'efface, autant que possible, en sorte que, dans ses actions, il ne cherche rien pour lui, ni la faveur populaire, ni quelque avantage temporel; qu'il n'ait pour but de servir ni ses passions, ni ses affections terrestres, ou celles des siens, mais que, s'oubliant lui-même, il ne voie que la volonté, la gloire, la puissance de Dieu. Une fois qu'il se sera chassé hors de lui-même, il trouvera Dieu. « Il n'y a lieu à la piété, dit saint Jérôme, que là où on ne connaît pas la chair. » Car, la cupidité et la charité étant deux contraires, où la cupidité de la chair a été bannie de l'âme, là règne surtout la charité, qui cherche, non son intérêt,mais la gloire de Dieu. Ce qui fait dire à l'Apôtre : « Nous parlons pour plaire, non aux hommes,mais à Dieu, qui juge de nous sur ce qu'il voit dans nos cœurs. Car nous n'avons, ni employé des paroles de flatterie, comme vous le savez ; ni désiré de nous enrichir sous quelque prétexte que ce fût ; Dieu nous en est témoin. Nous n'avons pas non plus recherché la gloire qui vient des hommes, soit de votre part, soit de celle des autres. » I Thessal. 11, 4. Voilà l'esprit que Dieu nous demande, celui qu'il approuve dans l’Épouse, quand il dit qu'elle a les yeux des colombes, Cant. 1, 14, et non ceux du renard ; c'est-à-dire, qu'elle est simple et vraie, non rusée et fourbe.
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Re: Sermon de Saint Louis de Grenade sur les bonnes œuvres

Message par Laetitia »

Non contents de ces précautions, suivons aussi le conseil salutaire que nous donne l’Évangile de ce jour : « Ayez soin de ne pas faire vos bonnes œuvres devant les hommes, etc., » et, « quand vous faites l'aumône, que votre main gauche ne sache point ce que fait votre main droite. » Aucune expression ne pouvait mieux recommander le secret d'une bonne œuvre. « Juge, dit saint Pierre Chrysologue, combien il veut qu'un autre l'ignore, lui qui veut que toi-même qui la fais, tu l'ignores par quelque partie de toi-même ! » Ce secret qu'un sage capitaine voulait garder relativement aux opérations militaires, lorsqu'il disait qu'il brûlerait sa tunique, si elle connaissait ses desseins, le Seigneur a voulu qu'il fût observé dans ces circonstances, à moins que la fermeté d'une âme éprouvée, ou que des raisons particulières, dans l'intérêt du salut des autres, ne commandent d'agir autrement. Il veut même que ce conseil soit suivi non-seulement par rapport à l'aumône, mais aussi par rapport à la prière, au jeûne, à l'exercice des autres vertus, des autres devoirs extérieurs : « Quand vous jeûnez, dit-il, ne soyez pas tristes comme les hypocrites, etc. Quand vous serez pour prier, enfermez-vous dans votre chambre, et priez en secret votre Père, etc. » Vous voyez quel péril font courir aux actions pieuses les yeux des hommes. Aussi, faut-il s'en garder dans ces occasions, comme des yeux du basilic ; ceux-ci peuvent nuire au corps; ceux-là, à l'âme.

La sainteté de ce conseil était appréciée des philosophes païens, et je crois que vous ne serez pas fâchés d'entendre Sénèque s'exprimer à ce sujet : « Les philosophes enseignent qu'il est des bienfaits qu'il faut conférer au grand jour, et d'autres qu'il faut accorder en secret : les premiers sont ceux qu'il est glorieux de recevoir ; comme les distinctions militaires, les honneurs et tout ce qui donne la considération. Au contraire, ce qui n'élève, ce qui n'honore pas, mais qui vient au secours de la faiblesse, de la pauvreté, de la bassesse, doit être donné en secret ; en sorte qu'il ne soit connu que de celui qui reçoit. Quelquefois même il faut tromper l'obligé. Qu'il reçoive, mais sans connaître le donateur. Arcésilas, dit-on, voulant secourir secrètement un ami pauvre, qui dissimulait sa pauvreté, et malade en outre, n'avouait pas qu'il manquait du nécessaire, mit à l'insu de son ami un sac d'argent sous le chevet de son lit, afin que cet homme, d'une susceptibilité outrée, trouvât plutôt qu'il ne reçût, ce dont il manquait. — Quoi donc? Il ne connaîtra pas son bienfaiteur ? Il ne saura pas avoir reçu, mais moi je saurai avoir donné. C'est trop peu. — Peu, si tu penses à faire l'usure ; mais si tu veux donner, tu donneras de la manière la plus avantageuse à l'obligé. Tu seras heureux de n'être vu que de toi. Autrement tu aimes, non à faire le bien, mais à paraître avoir fait le bien. — Je veux qu'il sache. — Tu cherches un débiteur. — Je veux absolument qu'il sache. — Mais s'il lui est plus avantageux, plus honorable, plus agréable, d'ignorer, pour quoi ne pas le lui permettre ? — Je veux qu'il sache. — Ainsi tu vas le tirer de son heureuse ignorance. » De Benef., lib. II. Vous voyez que les païens, qui recherchaient l'illustration, la considération, par des vertus d'apparat, aimaient à faire le bien en secret.
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Re: Sermon de Saint Louis de Grenade sur les bonnes œuvres

Message par Laetitia »

Ici saint Augustin soulève une question controversée. Dans cet Évangile, le Seigneur semble émettre une doctrine différente de celle qu'il avait enseignée un peu auparavant. Car il dit : « Ayez soin de ne pas faire vos bonnes œuvres devant les hommes, » tandis qu'on voit plus haut : « Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes œuvres, et qu'ils glorifient votre Père qui est au ciel. » Ici, il défend si bien de laisser voir nos bonnes œuvres, que la main gauche ne doit pas savoir ce que fait la main droite : là, il ordonne de montrer nos bonnes œuvres, afin que les hommes les voient, et qu'ils glorifient le Père qui est au ciel. Au premier abord, ces deux prescriptions semblent se contredire, puisqu'il défend d'un côté ce qu'il ordonne de l'autre. Mais en y regardant de près, la question est tranchée par les paroles mêmes du Seigneur. Car, d'un côté, il défend de faire les bonnes œuvres en présence des hommes pour en être vus, ce qui serait vaine gloire manifeste ; tandis que, de l'autre, il veut qu'on les fasse ouvertement pour la glorification du Père céleste. En effet, de même que le fidèle, qui vit mal, ternit en quelque sorte la gloire de Dieu, de même, celui qui vit saintement, la rend plus brillante et plus aimable. Aussi saint Paul veut-il que les fidèles règlent leur vie de manière à faire révérer à tout le monde la doctrine du Sauveur. Tit. 11, 10. Et Isaïe dit des fidèles du nouveau Testament : « Ils seront appelés les forts de la justice, la plantation du Seigneur pour le glorifier, » LX, 3, afin sans doute que, comme les hommes, à la vue du soleil, de la lune et d'autres astres, de la splendeur et de la beauté d'une végétation luxuriante, sont entraînés aux louanges du Créateur, ainsi, en voyant la pureté de vie, les mœurs sans tache des fidèles, ils soient excités à proclamer la gloire de Dieu, par le secours et par le bienfait duquel s'acquiert la pureté.

Telle devrait être la vie des chrétiens. Fasse le Seigneur qu'il en soit ainsi ! Mais nous en voyons beaucoup par le crime desquels le nom et la doctrine du Seigneur sont blasphémés. Quiconque toutefois cherche par ses œuvres la gloire de Dieu, bien qu'il les pratique en présence des hommes, ne le fait pas pour être vu des hommes; il veut par là glorifier Dieu, porter les hommes à imiter ce qui est bon et à louer le Seigneur. Mais avant d'arriver là, chacun doit consulter ses forces : ce qui convient aux forts, ne convient pas aux faibles. Les parfaits peuvent, pour le salut des autres, publier leurs bonnes œuvres sans craindre l'écueil de la vaine gloire. Ainsi le royal Prophète s'écrie : « Venez et écoutez, vous tous qui craignez Dieu ; je vous raconterai les grâces qu'il a faites à mon âme. » Psal. Lxv, 16. Mais cela serait dangereux pour des esprits faibles ; en voulant servir la gloire de Dieu, ils pourraient à leur insu chercher la leur.

Telles sont, mes frères, les principales instructions à observer dans les bonnes œuvres, si nous voulons qu'elles soient pures et saintes, et qu'on ne nous applique point ces paroles du prophète : « Il a amassé de l'argent, et l'a mis dans un sac percé. » Agg. 1, 6. C'est ce qui arrive à ceux dont les bonnes œuvres ne sont pas dirigées avec prudence ; d'où suit qu'ils en perdent le fruit. Nous devons donc veiller avec soin et sur ce que nous faisons, et sur l'intention avec laquelle nous le faisons, afin que, présentant sans cesse au Seigneur une pure offrande de justice, nous méritions d'entrer dans cette cité, qui est tout or vrai, tout cristal, où n'entre rien de souillé et d'impur. Veuille vous accorder cette grâce Notre-Seigneur Jésus-Christ qui avec le Père et le Saint Esprit vit et règne dans les siècles des siècles. Amen.
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