III.
Vous avez vu, mes frères, la maladie et le péril; il vous reste maintenant à connaître le remède. Car l'exposition du péril inspire la crainte ; mais celle des remèdes rend à un cœur découragé espoir et confiance. D'abord, dans tous nos actes, ayons soin d'avoir les yeux sur le souverain bien, auquel tout doit être rapporté. C'est un précepte de la philosophie humaine aussi bien que de la philosophie chrétienne : « Il faut, dit Sénèque, nous proposer pour fin le souverain bien, il faut y tendre, y rapporter tous nos actes, toutes nos paroles, comme les navigateurs dirigent leur course sur quelque astre. » Mais quel est ce souverain bien ? Ce n'est pas Sénèque qui nous l'apprendra, lui qui le bornait au seul honnête et à la vertu ; c'est saint Augustin, qui dit : « Puisque Dieu t'a donné des grâces, c'est-à-dire t'a donné gratuitement, aime-le gratuitement; n'aime pas Dieu par intérêt. Que lui-même soit ta récompense. » « Trop cupide, dit saint Jérôme, celui à qui ne suffit pas une telle récompense. » Saint Augustin veut donc que nous répondions au Seigneur en imitant sa ligne de conduite. Comme il nous a donné gratuitement, servons-le aussi gratuitement, c'est-à-dire, sans avoir en vue aucun avantage matériel.
Quand donc nous nous proposons une bonne œuvre, que notre premier soin soit de la rapporter à la gloire de Dieu, sans détourner sur la terre l'intention de l'esprit. Car il faut bien nous persuader que, dans les actions humaines, la fin à laquelle nous tendons a tant d'importance que ces actions s'identifient avec elle. C'est ce que le Seigneur nous montre clairement par ces paroles : « Ton œil est la lampe de ton corps. Si cet œil est simple et pur, tout ton corps sera éclairé; s'il est gâté, ton corps sera dans les ténèbres. » Luc. XI, 34. Ce qui signifie que tout le corps d'une bonne œuvre est ou lumineux, ou obscur, suivant l'intention qui en est l'œil. En d'autres termes : Si tu fais l'aumône par gloriole, ce n'est plus aumône, c'est gloriole ; mais si tu la fais pour la gloire de Dieu, et par obéissance, c'est la vraie aumône et la vraie libéralité. Les bonnes œuvres tirent de leur fin, non-seulement leur nature et leur nom, elles en tirent leur mérite, et plus sera pure l'intention, plus elle sera agréable à Dieu et méritoire. Dieu, pour qui il n'est pas de secrets, considère moins la main que l'intention, moins la valeur matérielle que la disposition de l'âme ; il examine, non combien tu offres, mais avec quelle piété, quelle dévotion, dans quel esprit. Car Dieu ne regarde pas à nos affaires et à nos biens; il ne regarde qu'à la pureté du cœur. Il n'a pas besoin de vains présents, il n'aime que la piété et l'affection. Les païens, tout privés qu'ils étaient des lumières de la foi, l'ont bien compris. « Ne regarde pas, disait un sage, la quantité, mais la pureté de ce que tu offres à Dieu. » C'est tout le contraire que font ceux qui, sans s'occuper de la pureté de l'intention, ne voient que le grand nombre de leurs œuvres, faites peut-être par nécessité de position sociale, plutôt que par volonté. On peut leur appliquer ces paroles du prophète : « Vous avez espéré de grands biens, et vous en avez trouvé beaucoup moins. » Agg. 1,9.
O combien d'hommes seront déçus à ce dernier jour où le juge suprême qui scrute les reins et les cœurs, qui pèse les intentions, discerne l'esprit et les pensées, pour qui nulle créature n'est invisible, examinera les œuvres humaines dans la balance de son équité ! Car je crains qu'il n'y en ait beaucoup à qui il sera dit ce que la voix du ciel fit entendre au roi de Babylone : « Tu as été pesé dans la balance, et tu as été trouvé trop léger. »
Appensus es in statera, et inventus es minus habens. Daniel. v, 27. De peur que pareil sort ne nous arrive, ayons donc grand soin, dans tous nos actes, de veiller à la pureté de l'intention. Pour y parvenir, que l'homme se chasse hors de lui-même, qu'il se dépouille, qu'il s'efface, autant que possible, en sorte que, dans ses actions, il ne cherche rien pour lui, ni la faveur populaire, ni quelque avantage temporel; qu'il n'ait pour but de servir ni ses passions, ni ses affections terrestres, ou celles des siens, mais que, s'oubliant lui-même, il ne voie que la volonté, la gloire, la puissance de Dieu. Une fois qu'il se sera chassé hors de lui-même, il trouvera Dieu. « Il n'y a lieu à la piété, dit saint Jérôme, que là où on ne connaît pas la chair. » Car, la cupidité et la charité étant deux contraires, où la cupidité de la chair a été bannie de l'âme, là règne surtout la charité, qui cherche, non son intérêt,mais la gloire de Dieu. Ce qui fait dire à l'Apôtre : « Nous parlons pour plaire, non aux hommes,mais à Dieu, qui juge de nous sur ce qu'il voit dans nos cœurs. Car nous n'avons, ni employé des paroles de flatterie, comme vous le savez ; ni désiré de nous enrichir sous quelque prétexte que ce fût ; Dieu nous en est témoin. Nous n'avons pas non plus recherché la gloire qui vient des hommes, soit de votre part, soit de celle des autres. » I Thessal. 11, 4. Voilà l'esprit que Dieu nous demande, celui qu'il approuve dans l’Épouse, quand il dit qu'elle a les yeux des colombes, Cant. 1, 14, et non ceux du renard ; c'est-à-dire, qu'elle est simple et vraie, non rusée et fourbe.