Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le IIIème dimanche de Carême

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Laetitia
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Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le IIIème dimanche de Carême

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 Louis de Grenade a écrit :

DEUXIÈME SERMON POUR LE TROISIÈME DIMANCHE DE CARÊME,
où, 1 ° on donne les raisons pour lesquelles Dieu permet que les hommes soient obsédés par les esprits impurs ; 2° où l'on traite trois points qui sont exposés brièvement dans l'exorde de ce discours.


Et erat ejiciens dæmonium, et illud erat mutum. Et cum ejecisset dæmonium, locutus est mutus, et admiratæ sunt turba.
Jésus chassait un démon qui était muet; le démon étant sorti, le muet parla, et la foule était ravie d'admiration.

Luc. XI, 14.


CHERS FRÈRES,

Division. — Je me suis proposé de traiter trois points qu'il est très-important de connaître.-D'abord, quels sont les maux dont souffre l'âme, de laquelle le démon a pris possession. — Ensuite, par quels moyens on peut se délivrer de ces maux et recouvrer la santé de l'âme. — Enfin quels sont les principaux signes, les indices auxquels on reconnaît que cette santé est recouvrée. — Ces trois points sont bien appropriés à ce saint temps ; je vais donc les développer dans le présent discours, après avoir toutefois exposé en peu de mots l'histoire évangélique, qui y porte la lumière.

« Jésus chassait un démon qui était muet ; le démon étant sorti, le muet parla, et la foule était ravie d'admiration. Mais quelques-uns d'entre eux dirent : Il ne chasse les démons que par Beelzebub, prince des démons, etc., etc. » Luc. XI, 14-28. ( ...) Ave Maria.

L’Évangile de dimanche dernier nous a présenté une Chananéenne, tourmentée par le démon ; l’Évangéliste saint Luc nous offre aujourd'hui un homme obsédé par le même démon. Avant d'aborder notre sujet, il ne sera pas déplacé de rechercher pourquoi le Seigneur, sans la volonté duquel les démons ne peuvent rien sur les hommes, permet si souvent que les hommes soient non-seulement obsédés, mais cruellement tourmentés par ces esprits infernaux. Cette question a de l'analogie avec celle que, dans Cicéron, touche en peu de mots Épicure, cherchant à bannir la Providence.
« Si Dieu, dit-il, a tout fait en vue de notre bien-être, pourquoi a-t-il procréé les vipères. » De la même manière nous pouvons aussi rechercher pourquoi Dieu, créateur des hommes qu'il aime, souffre que ceux qu'il entoure d'une sollicitude si paternelle, soient obsédés et torturés par ces vipères infernales. Les saints Pères en apportent bien des causes.

D'abord, aujourd'hui que les miracles paraissent avoir cessé, la foi chrétienne reçoit une éclatante confirmation de ce fait, que souvent nous voyons une femme illettrée, obsédée du démon, parler grec et latin avec facilité, et divulguer des choses cachées et inconnues à elle-même et aux autres. Nous voyons par là qu'il y a une puissance supérieure à la puissance humaine, et que ce que la foi catholique avance des démons est vrai. Ensuite, quand nous voyons ces démons, par la vertu du nom du Christ, quitter en gémissant et en criant les corps qu'ils obsédaient, nous reconnaissons clairement aussi ce que la même foi enseigne de la force, de la puissance, de la divinité de ce nom mille fois saint; puisqu'à la seule invocation de ce nom toute la puissance des démons cède bon gré mal gré, et déserte la place qu'elle avait occupée. Cet argument est si efficace, que saint Cyprien contre Démétrien, et Lactance contre les gentils, l'emploient avec force et succès, pour affermir notre foi. De nos jours même, des exemples sont venus confirmer cet argument. Car un homme asservi aux intérêts matériels et aux plaisirs du siècle, ayant rencontré par hasard une jeune fille, obsédée du démon, qui lui révéla des entreprises secrètes qu'il avait formées, fut tellement étourdi de ce qu'une inconnue, une étrangère lui découvrait des choses qu'il ne croyait connues que de Dieu et de lui seul, qu'éclairé d'une lumière en quelque sorte miraculeuse, il changea de conduite, se convertit,distribua ses biens aux pauvres, et passa saintement le reste de sa vie.

Une autre cause de cette permission divine, c'est que,par là, nous pouvons, tant bien que mal, conjecturer les tourments de l'enfer, dont les damnés sont torturés par les démons, en cela les ministres de Dieu ; ce qui nous engage à régler notre vie de manière à ne pas tomber aux mains de ces impitoyables bourreaux. C'est pour la même raison que Dieu envoie en cette vie tant de maladies graves, tant de douleurs et de tortures du corps, afin que ces souffrances nous donnent au moins quelque idée des châtiments éternels ; et que, comme on dit, nous jugions du lion par ses griffes. En effet le mauvais riche pensait que ce serait un puissant stimulant à la vertu, si les hommes connaissaient les effroyables supplices de l'enfer ; voilà pourquoi il demandait que Lazare fût envoyé à ses frères, afin que ce dernier, comme témoin oculaire, fit connaître l'épouvantable vérité. Mais l'intensité des douleurs et des peines de cette vie devrait nous suffire. Car s'il n'est pas de médicament si amer, si pénible, auquel les hommes ne soient prêts à se soumettre volontiers, pour se délivrer des douleurs aiguës de la podagre, de la colique, de la pleurésie, etc., pourquoi ne se soumettraient-ils pas aux travaux bien moins pénibles de la vertu et de la pénitence, pour se soustraire aux tortures de l'enfer, que la foi catholique affirme être bien autrement douloureuses ?

Il n'est donc pas nécessaire de descendre vivants dans l'enfer, pour que la vue de tels supplices nous détourne du péché ;puisque pour cela il suffit, ou d'avoir vu dans les autres, ou d'avoir souffert en nous-mêmes les tortures de cette vie.Car, je puis l'affirmer, quand même, dans cet horrible séjour de l'expiation, il n'y aurait qu'une de ces douleurs, fût-elle légère ; cependant, comme elle serait éternelle, cette pensée devrait suffire pour nous faire embrasser même le genre de vie le plus rude, pour n'avoir pas à subir des maux indicibles et qui ne finissent point. Aussi une femme illustre et vertueuse, souffrant cruellement des douleurs de l'enfantement, qui lui faisaient venir à la pensée les tortures de l'enfer, ne pouvait s'étonner assez de l'aveuglement des pervers, et elle s'écriait : « Si telles sont les tortures de l'enfer, si on a pu les comparer à celles de ce grand travail de la nature, comment se fait-il que les hommes commettent si facilement des crimes qui les exposent à une telle expiation ? » C'est donc un grand bienfait de Dieu qu'il y ait dans cette vie de poignantes douleurs corporelles, et qu'on y soit tourmenté par les démons ; ces douleurs et ces tourments nous donnent au moins quelque idée des intolérables supplices à venir.
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Laetitia
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Les marchands ont coutume d'étaler les plus belles des marchandises qu'ils ont à vendre, afin d'amorcer d'autant mieux les acheteurs ; Dieu, au contraire, nous exhibe comme une ombre et une image des supplices futurs, afin qu'effrayés par leur intensité, nous n'épargnions ni soin, ni sacrifice, pour ne pas tomber dans un pareil abîme. Quant à moi, cette seule pensée me suffit pour me représenter le supplice de l'enfer. Si, en effet, je ne puis un seul moment tenir ma main rapprochée du feu sans une douleur intolérable, comment pourrai-je tenir tout mon corps et mon âme au milieu des tourbillons de flammes m'enveloppant de toutes parts, non pour une heure, mais pour toujours ? Des historiens sérieux ont écrit un fait qu'ils ont jugé digne de la postérité. Ils racontent qu'un enfant, qui tenait à la main un flambeau devant Alexandre le Grand occupé à écrire, se laissa brûler les doigts, lorsque la torche tirait à sa fin, pour que la lumière ne manquât pas au roi qui écrivait, ou bien de peur que, par un mouvement brusque du corps et du visage, il ne commit quelque inconvenance blessante pour la majesté de ce grand prince. Or, si des hommes marquants ont regardé comme un grand acte de courage de tenir du bout des doigts, pour un instant, un flambeau qui s'éteignait, examinez, ô homme, si toutefois il est une intelligence humaine capable de s'en former une juste idée, examinez ce que ce sera de soutenir, de tout le corps et de toute l'âme, les feux de l'enfer pendant l'éternité. Être certain de ces vérités, et néanmoins commettre des crimes méritant ce supplice, c'est à placer au nombre des merveilles du monde.

Saint Chrysostome donne une troisième cause de ces obsessions dans son livre De la Providence, adressé à un moine tourmenté par l'esprit malin. Ce pieux religieux, par un jugement secret de Dieu, était fréquemment assailli par un démon, sous l'image d'un pourceau, et en était misérablement tourmenté. Saint Chrysostome le console admirablement dans cet ouvrage, dont voici la substance : Le Seigneur permet cette épreuve pour exercer votre patience et mettre le comble à votre vertu ; en sorte que l'auteur de nos maux, le démon, ne fait que vous fournir matière à des mérites et à des couronnes. Souvent, sous le poids de l'infortune, on cherche Dieu, qu'on n'eût jamais pensé à chercher, si on était resté sain et sans blessure. Nous sommes si enclins au mal que nous nous y jetons aveuglément et tête baissée ; au contraire, nous sommes tellement de glace pour le bien, que c'est à peine si on peut nous y entraîner par toutes sortes d'artifices. C'est donc un grand bienfait de Dieu, qu'il nous rappelle à lui par le malheur, ce puissant stimulant au bien. Recevoir des tribulations, vaut donc mieux que d'en être délivré. Ceci ne regarde que la santé du corps, cela procure le salut de l'âme, laquelle ouvrant ainsi ses yeux, qui étaient fermés, rappelle dans son sein le Seigneur qu'elle avait oublié, en implore l'assistance, et apprend à mettre son espérance en lui seul, et à mépriser tous les appuis du monde, qui ne lui avaient été d'aucun secours.

Nous trouvons dans le présent Évangile une quatrième cause, plus en rapport avec notre sujet. C'est qu'en voyant ce que fait le démon dans les corps des possédés, nous comprenons ce qu'il opère dans une âme qu'il possède par suite du péché mortel. Car ce qu'il fait dans le corps de ce démoniaque, il l'effectue aussi, mais spirituellement, dans l'âme que le péché lui a ouverte. Cet homme, comme nous l'apprenons des autres évangélistes, il l'avait rendu non-seulement muet, mais encore sourd et aveugle, c'est-à-dire, il l'avait privé à peu près de tous ses sens ; c'est ce qu'il effectue spirituellement dans ceux qu'il maîtrise en vertu du péché. Car il les rend et aveugles et sourds et muets pour tout ce qui est spirituel et divin, enfin il les dépouille de tout sens spirituel. De même que l’Esprit-Saint animant les hommes spirituels et divins les rend aveugles, sourds et muets pour toutes les choses de ce monde, afin qu'ils se livrent tout entiers à la contemplation des choses célestes, sans aucun embarras des soucis terrestres ; de même cet esprit mauvais rend aveugles, sourds et muets à l'égard des choses divines, ceux dont il obsède les âmes, il les fait étrangers à tout sentiment spirituel, afin que sans aucun remords ils s'abandonnent aux plus honteuses passions, aux vices les plus ignobles.

Il est, dit-on, d'insignes brigands qui par des sortilèges, exercent une telle fascination sur l'esprit de certains riches que, ceux-ci présents, ils en pillent les trésors, sans les émouvoir. On a vu des femmes adultères faire tellement perdre la tête à leurs maris qu'ils supportaient ces adultères avec indifférence, quoique d'ailleurs ils gardassent un vif ressentiment contre leurs rivaux. C'est à peu près ce que fait l'antique serpent avec la plupart des hommes : il les aveugle si bien que les grands intérêts, qui nous excitent puissamment à la pratique de la piété et de la justice, ne les touchent nullement, quoiqu'ils y aient foi entière. Pour vous le faire mieux comprendre, je vais montrer en peu de mots la grandeur et la noblesse de la justice, de la piété chrétienne ; afin que, quand vous verrez négliger et mépriser ce qu'il y a de plus grand, de plus beau, de plus nécessaire, vous jugiez de l'insensibilité des méchants qui, en présence de choses si sublimes, restent stupides et froids.
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Dernière modification par Laetitia le mar. 14 mars 2023 10:52, modifié 2 fois.
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I.


Telle est la majesté de la vertu et de la piété que, quand toutes les intelligences angéliques parleraient par une bouche humaine, jamais elles ne pourraient en célébrer dignement l'éclat, l'utilité, la nécessité et tous les autres avantages. En effet, dans les choses humaines, quoi de supérieur à la vertu, à la piété chrétienne ? S'agit-il de droiture ? où en trouver davantage ? — De fruit ? Quoi de plus utile ? — D'agrément ? quoi de plus suave ? — D'honneur et de gloire ? quoi de plus magnifique ? Tout ce qui a été fait, dit, institué par Dieu, des hauteurs du ciel jusqu'au fond des enfers, ne conseille, ne célèbre, ne recommande que la justice et la piété. De quelque côté que vous portiez les yeux, partout vous en trouverez la preuve. Si vous levez les yeux de votre intelligence vers le ciel, c'est-à-dire vers le Maître même de cieux, vous le verrez toujours en action afin de nous porter par tous les moyens à la pratique de la justice,de la piété. Combien de fois, dans les prophètes, ne trouverez-vous pas ces paroles du Seigneur : « Je vous ai envoyé de jour et de nuit mes serviteurs,mes prophètes,et vous ne les avez pas écoutés ? » Jerem. xxix, 19. Par cette manière de parler, il veut montrer sa vive sollicitude pour notre salut ; il se conduit comme les hommes qui ont à cœur un ouvrage, qui y concentrent toutes leurs pensées, qui se lèvent avant le jour, et appliquent à cet ouvrage toute leur énergie. Non-seulement le Maître des cieux lui-même, mais, dit saint Augustin, toute la cour céleste, dont le salut est assuré, se préoccupe de notre salut; elle ne cesse d'intercéder pour nous auprès du Seigneur.

Si vous détournez un peu vos yeux de là, si vous considérez le ciel et tout ce qui est contenu dans son immense enveloppe et sous ce splendide pavillon, vous verrez que tout a été créé et destiné à cette fin, que l'homme averti et instruit par tant de bienfaits eût non-seulement les moyens de vivre,mais aussi ceux de connaître, d'aimer l'auteur de si grands biens, et d'en prendre les lois et les prescriptions pour règle de sa vie. Mais tout cela appartient au bienfait de la création. Rappellerai-je ici le mystère de l'incarnation de Notre-Seigneur ? Ce même Seigneur ordonne à Isaïe de gravir une haute montagne, et de là d'annoncer à haute voix aux mortels qu'il a résolu de descendre sur notre globe, afin d'instruire les hommes à la piété, à la justice, non plus par les prophètes, comme il avait fait autrefois, mais par lui-même, par sa doctrine, ses mérites, et ses exemples. « Il porte avec lui sa récompense, et son œuvre est devant lui. » Isa. XL, 9 et seq. Or son œuvre est notre justice et notre salut qu'il a opéré sur la terre et au milieu de nous ; il déclare que cette œuvre est devant lui et qu'il n'en détourne jamais les yeux, afin que vous compreniez combien cette préoccupation lui tient à cœur. Car c'est sa nourriture, son breuvage, son principal souci, sa volupté.

Si de ces belles régions nous descendons aux enfers, nous y trouverons d'autres aiguillons, d'autres stimulants à la vertu. Car toutes les occupations, tous les efforts des démons convergent à un point, qui est l'unique but de leurs travaux infatigables, c'est de nous éloigner de Dieu, de nous enlever le bénéfice de la sollicitude et de la providence divine, de nous détourner de la vertu et de la piété, et ainsi de nous faire entrer en participation de leurs peines et de leurs supplices. Ils le font avec tant d'ardeur qu'on dirait qu'ils y trouvent un allégement à leurs supplices. Au surplus,ces paroles du Sauveur à Pierre l'indiquent : « Simon, Satan vous a tous demandés, pour vous cribler comme on crible le froment, » Luc. XXII, 31, c'est-à-dire, pour vous disperser, vous secouer, vous perdre. — Ainsi, pendant que tu dors, lui avec ses satellites il veille jour et nuit, acharné à te détruire. Ce doit être pour nous un avertissement de veiller aussi avec sollicitude, afin d'opposer aux efforts de l'ennemi les mêmes travaux et la même ardeur.
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Si donc tout ce qui est au-dessus du ciel, dans le ciel, dans ce monde inférieur, et aux enfers, nous appelle à la vertu et à la piété, et si toutes ces considérations restent sans effet chez un grand nombre de fidèles, si elles ne leur inspirent ni crainte, ni désir, n'est-il pas clair que de tels fidèles sont sourds et aveugles à tout ce qui est spirituel et divin, et qu'ils sont étrangers à tout sentiment surnaturel ? Car si la perte du plus misérable objet nous bouleverse, trouble notre repos, souvent même nous empêche de dormir, comment se fait-il qu'un si grand intérêt, qui éveille, sur nous une sollicitude universelle depuis le ciel jusqu'aux enfers, ne nous émeut pas, ne nous inquiète pas, ne nous met pas à la torture ? Comment la rougeur ne nous monte-t-elle pas au front, quand nous faisons attention que la cause la plus futile suffit pour nous détourner de la vertu ? Si je vous demandais pourquoi, en ce saint temps, beaucoup ne veulent pas encore mettre fin à leurs anciens désordres, et saisir l'occasion d'une salutaire pénitence, ceux qui seraient sincères, avoueraient que des futilités seules leur font retarder l'accomplissement d'un devoir si pieux et si nécessaire ; ce qui n'aurait certainement pas lieu, si le démon ne vous avait rendus aveugles et sourds pour toutes les choses divines, s'il ne vous avait frappés d'insensibilité et d'endurcissement.

Mille fois misérable l'âme qui, voyant tout, ne se voit pas elle même; qui, sentant toutes les choses extérieures, ne se sent pas elle-même; qui, prenant soin de tout, se néglige elle-même; qui, s'occupant de tout, ne s'occupe point d'elle-même; qui, veillant sur tout, ne veille point sur elle ; qui trouve du temps pour tout, excepté pour pratiquer la vertu, qui aurait dû passer avant tout le reste ! Voyez-vous, frères, ce que je vous disais en commençant, comment le démon prive de tout sentiment spirituel ceux dont il obsède les âmes par le péché ?

Je vais vous en donner une autre preuve. Il est constant que de tous les maux qui peuvent ou exister, ou être imaginés par la pensée, il n'en est pas de plus horrible, de plus funeste, que le péché mortel. Car l'enfer lui-même, en tant que supplice du péché, ne saurait être comparé à la difformité du péché. Et cependant quiconque est obsédé spirituellement par le démon, loin de sentir ce mal, souvent y trouve sa joie et ses délices. Or peut-on trouver une plus grande preuve d'insensibilité, que de voir commettre un tel forfait avec plaisir ? Car si les corps, doués de sentiment, ne peuvent ressentir sans une vive douleur, même une piqûre d'épingle, ont-ils un sens spirituel ceux qui ne sentent pas du tout des blessures mortelles ? Tels sont les résultats de l'action du démon dans les âmes de ceux qui se sont livrés à lui. Car il ne peut rien en nous, à moins que nous ne nous asservissions à lui en donnant notre assentiment au péché. Quand il n'y aurait rien autre chose pour nous faire haïr le péché plus que la mort, cela devrait suffire. Car quoi de plus détestable que ce qui rend l'homme tellement sourd, aveugle, et dénué de tout sens spirituel, que, placé au milieu de la mort, il ne s'émeut point, ne sent rien, ne voit rien, n'entend rien ?
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Re: Sermon de Saint Louis de Grenade pour le IIIème dimanche de Carême

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II.


Mais il est temps de parler du remède à un si grand mal. Or, ce remède, c'est Dieu. Car comment chasser de son foyer le démon, c'est-à-dire le fort armé, délivrer les captifs et distribuer les dépouilles, à moins d'être plus fort que lui ? Mais qui est plus fort que lui, sinon le Fils de Dieu, lequel est apparu au monde, pour détruire les œuvres du démon ? Car, bien que l'homme soit maître de lui-même, et qu'il soit armé du libre arbitre, pour cet acte néanmoins il est impuissant, s'il n'est aidé du secours divin. Non, l'homme, par lui-même, n'est pas en état de se tirer du péché. Comme un oiseau, pris au piège, se serre d'autant plus fortement dans le filet, qu'il fait plus d'efforts pour s'envoler ; ainsi quiconque, confiant en soi-même et en son énergie, s'imagine pouvoir, par sa seule action, sortir des pièges du diable, ne fait que s'y embarrasser davantage. Un homme peut porter sur lui-même une main criminelle, il peut se pendre, par exemple ; cependant une fois mort, il ne peut se secourir, ni repousser un mal qu'il a encouru spontanément ; ainsi l'homme peut se jeter de lui-même dans le péché, il peut donner la mort à son âme; mais se tirer du péché, sortir de cette mort pour se rendre à la vie, il ne le peut par lui-même. Cette considération devrait être assez puissante pour nous éloigner du péché mortel, pour nous empêcher de tomber dans un gouffre, d'où nous ne pourrions nous relever sans une grâce particulière de Celui dont nous aurions provoqué la colère.

— Mais, dites-vous, les secours divins, au moyen desquels on peut se relever du péché, sont assurés et présents. — Sans doute, ils sont assurés ; cependant il n'est pas certain que vous en userez pour votre salut; c'est au contraire très-incertain. Combien n'en a-t-on pas vus, pour qui ces secours étaient prêts, et qui néanmoins n'ont pas voulu en user ! Aussi ont-ils été condamnés à la mort éternelle. Car si, suivant Salomon, le nombre des insensés est infini, est-ce que le nombre de ceux qui périssent n'est pas également infini ? Et cependant ce secours n'a fait défaut à aucun. Comment donc vous reposez-vous de votre salut sur ce que vous voyez n'avoir pas servi à une infinité de gens ? Quoi de plus périlleux, de plus insensé ? — Mais, dites-vous, il y a aussi des secours divins efficaces, infaillibles, comme ceux par lesquels le Seigneur a appelé à lui le publicain Matthieu, la femme pécheresse et bien d'autres. — C'est vrai ; mais Dieu ne vous a pas promis cela, et il n'est pas tenu de vous le donner. Pour vous, bien loin de pouvoir vous leurrer de telles espérances, vous mettez chaque jour de nouveaux obstacles à la grâce, à la miséricorde divine, en accumulant crimes sur crimes.

Si vous demandez encore, pourquoi ces secours communs, qui ne manquent à personne pour le salut, produisent si peu d'effet sur le grand nombre, nous répondons : — Ce n'est pas la faute de la grâce divine, c'est la faute des hommes et de leur obstination. Comme les influences des astres produisent dans ce monde inférieur des effets différents suivant la diversité de la matière, tantôt amollissant, tantôt durcissant, tantôt engendrant, tantôt corrompant; de même les secours divins, offerts à tous, affectent diversement les hommes suivant la diversité des habitudes et des dispositions. Dieu, dans sa tendresse paternelle, envoyait autrefois de saints prophètes aux hommes pour les rappeler à la pénitence par la terreur, les promesses, les menaces et les raisons. Cependant les hommes accoutumés au vice, loin de profiter de ces bienfaits, de ces médicaments spirituels, en devinrent encore pires ; puisque de ces prophètes ils battaient les uns, et lapidaient les autres.
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Pour que je ne m'écarte pas trop de mon sujet, combien furent divers les effets qui accompagnèrent le miracle raconté dans notre évangile ! Les uns proclamaient le Seigneur, fils de David ; non contents de ce miracle, les autres demandaient un prodige du ciel; d'autres prétendaient d'une bouche sacrilège qu'il chassait les démons au nom de Beelzebub, prince des démons. Voyez de quelle divergence d'appréciations fut suivie cette œuvre divine. Il est constant que les miracles du Seigneur sont les arguments les plus efficaces pour établir la foi en sa doctrine. Cependant beaucoup, qui étaient témoins de ces miracles, en tirèrent si peu de profit, qu'ils saisirent cette occasion de persécuter et de mettre à mort le divin Maître. Ils disaient : « Quel parti prendre ? car cet homme fait des miracles, etc. » Joan. XI, 47 et seq. Frères, prions Dieu avec ferveur, qu'il ne nous laisse point tomber dans cet aveuglement de cœur ; autrement il y aurait danger que les remèdes mêmes et les médicaments destinés à conserver notre vie ne tournent pour nous en poisons.

De cette philosophie nous pouvons tirer un enseignement formidable : c'est que pour les cœurs dépravés et familiarisés par une longue habitude avec le péché, souvent les bienfaits divins sur lesquels ils comptent, loin de leur être utiles, deviennent l'occasion d'une chute plus grave. C'est ce qui arriva au peuple juif, et ce que le Seigneur déclare dans le présent évangile : le plus grand de tous les bienfaits de Dieu servit si peu à ce peuple qu'il attira sur lui la ruine et la dernière désolation. Car quel bienfait, quel médicament spirituel plus puissant que le mystère de l'Incarnation du Seigneur ? Cependant les Juifs abusèrent pour leur perte de cet ineffable mystère, comme des autres miracles et des autres bienfaits du Christ, qui devaient assurer leur vie et leur salut. Y a-t-il rien de plus déplorable ? Le supplice réservé à ce forfait, le Seigneur l'expose en ces termes : « L'état de cet homme devient pire que le premier. » C'est-à-dire, n'ayant pas reçu le Fils de Dieu, envoyé pour les sauver, ils sont dans une condition pire que lorsqu'autrefois captifs en Egypte, ils adoraient les idoles du pays. Plaise à Dieu, mes frères, s'il nous est permis de parler de nous, que le ministère de la prédication, dont Dieu se sert pour sauver les âmes, ne tourne pas à perte pour beaucoup de chrétiens. Car je crains qu'ils ne soient sans excuse au tribunal de Dieu. Le Seigneur a dit en effet : « Si je n'étais pas venu, et que je ne leur eusse point parlé, ils ne seraient pas coupables ; mais maintenant ils sont inexcusables dans leur péché. » Joan. xv, 22. Ainsi, quand nos prédications restent sans effet, que faisons-nous autre chose que justifier Dieu, et rendre inexcusables les pécheurs ? Le Seigneur lui-même a déclaré que la prédication ne sert qu'à cela aux méchants, lorsqu'il a recommandé aux ministres de l’Évangile de secouer sur eux la poussière de leurs pieds, Matth. X, 14 ; afin que, par cette espèce de témoignage, il fût bien établi que c'étaient eux qui repoussaient la doctrine du salut, et qu'ils périssaient par leur malice obstinée, non par la faute du Seigneur.
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Re: Sermon de Saint Louis de Grenade pour le IIIème dimanche de Carême

Message par Laetitia »

Ce que nous avons dit jusqu'ici, mes frères, tend à vous faire comprendre que, sans un secours spécial de Dieu, il n'y a pas moyen de chasser de l'âme le démon, et d'entrer dans une vie nouvelle. Maintenant nous ajoutons qu'il est besoin du même secours pour conserver la santé de l'âme, et persévérer dans la justice. Se conduire d'une manière digne de Dieu est chose si ardue et si sublime, que sans Dieu nul n'y pourrait parvenir. Lors de la construction du tabernacle, le Seigneur remplit de l'Esprit-Saint et de science Bézéleel et Ooliab, il répandit la sagesse dans le cœur de tous les artisans habiles, pour qu'ils fissent tout ce qui devait servir au tabernacle. Exod. xxxi, 6. Que signifie cela ? Car si tous ces artisans étaient habiles, qu'avaient-ils besoin d'être de nouveau instruits par Dieu ? Ne suffisait-il pas de leur mettre sous les yeux le plan de l'œuvre ? Cela aurait pu suffire, en effet, si le tabernacle avait été destiné à l'usage des hommes ; mais ce qui était destiné à Dieu demandait autre chose. Dieu avait montré la forme : il devait aussi enseigner l'art avec lequel l’œuvre devait être exécutée. Pour servir les princes de la terre, et passer pour juste aux yeux des hommes, la philosophie humaine, et la nature, toute faible qu'elle est, peuvent suffire. Mais pour servir Dieu dignement, pour pratiquer la vraie justice et la piété, pour faire de vous-même le temple vivant de Dieu et son tabernacle, il vous faut le secours divin et la divine protection. Car sans Dieu il est impossible de plaire à Dieu ; sans lui, en effet, nulle vertu ne saurait être utile pour le salut.

Ce n'est pas assez que l'assistance divine vous tende les bras, si vous-même aussi vous ne coopérez virilement et vaillamment de concert avec Dieu ; car notre application et notre travail doivent se joindre à la divine vocation et à la grâce. C'est ce que nous montre la parabole d'un trésor trouvé dans un champ. L'homme qui l'avait trouvé, le cache, et, dans sa joie, va vendre tout ce qu'il possède, pour acheter ce champ. Or que cet homme, s'occupant d'autre chose, trouve un trésor qu'il ne cherchait pas, c'est un exemple de la vocation et de la miséricorde gratuites, celles que l'Apôtre appelle « des élus du sort.» Ephes. I, 11. Il les appelle ainsi, pour montrer que la vocation gratuite de Dieu est indépendante des mérites des hommes. D'un autre côté, la vente de toutes les possessions, l'acquisition du champ, c'est l'image de l'activité et du travail de l'homme qui dès qu'il a reçu gratuitement le trésor divin lui sacrifie tout le reste, parce qu'il comprend qu'en ce trésor il a trouvé au delà de ses désirs. Mais ce n'est pas ce que font la plupart des chrétiens qui, mettant leur seule espérance dans la divine miséricorde et dans la passion du Christ, se promettent le salut sans effort ni; travail. On voit clairement par là que dans cette affaire ils ont pour mobile, moins l'amour de Dieu que l'amour d'eux-mêmes ; voilà pourquoi ils se ménagent, et en même temps désirent le salut et la vie éternelle ; en ceci comme en cela, c'est l'amour-propre qui agit.

Le vrai amour de Dieu marche par une autre voie. En effet, il affronte gaîment la fatigue en vue de Dieu, et se préoccupe peu de la rémunération du travail, pourvu qu'il plaise à Celui qu'il aime par-dessus tout. Certes c'est une grande honte à nous, qui bravons tant de dangers pour les biens terrestres, de ne pas vouloir, au prix d'un léger sacrifice, gagner l'héritage céleste. Saint Chrysostome s'élève en ces termes contre cette démence des hommes : « Si un marchand, vendant des pierres précieuses et des pierres fausses, vous offrait des pierres précieuses au même prix que les fausses, ne vous ferait-il pas un beau cadeau ? Est-ce que vous refuseriez par hasard de donner pour les pierres précieuses, ce que vous offririez volontiers pour les fausses (1) ? Pour quoi donc hésitez-vous à faire pour l'éternelle et véritable vie, ce que vous êtes prêt à faire pour cette vie fausse ? » Car qu'exige de vous le Seigneur ? Que vous mettiez à rechercher la vie et les biens du ciel la même ardeur avec laquelle vous poursuivez ces biens fragiles et cette vie fugitive. Quand par la bouche du Prophète il vous donne ce conseil : « Retournez à celui dont les enfants d'Israël se sont éloignés par une profonde malice, » Isai. XXXI, 6, que vous demande-t-il autre chose, sinon que vous aimiez, que vous embrassiez la véritable vie avec autant d'amour que vous en aviez pour cette vie fausse ? Si l'amour de la vie du ciel vous touche peu, pourquoi n'êtes-vous pas effrayé de la crainte de l'enfer, c'est-à-dire de l'éternelle mort ? Comment qualifier une telle démence : pouvoir conjurer maintenant un si grand malheur au prix d'un léger sacrifice, et ne pas le vouloir ?

Saint Chrysostome, expliquant ces paroles de l'Apôtre : « Afin que rentrant en eux-mêmes ils sortent des pièges du diable qui les tient captifs, » II Tim. II, 26, s'exprime ainsi pour flétrir cette négligence : « Si quelqu'un était dans une position telle, qu'il n'eût à espérer, ni aucun pardon de ses péchés, ni aucun moyen de salut, et qu'il eût en présence l'enfer, sans aucun espoir de la miséricorde divine, que ne ferait-il pas ? que ne donnerait-il pas volontiers à celui qui lui fournirait les moyens de conjurer un si grand péril ? Si donc ce malheur est si effrayant que, pour nous y soustraire, nous ne reculerions devant aucun travail, aucun sacrifice ;maintenant que Dieu, se contentant de quelques efforts, nous offre gratuitement le salut, y attacherons-nous pour cela moins de prix, et le chercherons-nous avec moins d'ardeur ? » — Voilà, frères, ce qu'il nous faut faire pour chasser de l'âme l'esprit mauvais, et lui substituer l'Esprit du Christ. C'est l’œuvre de la puissance divine, à laquelle cependant il faut joindre notre concours ; parce que, pour mériter la couronne, « il faut avoir bien combattu. » II Tim. II, 5.
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Re: Sermon de Saint Louis de Grenade pour le IIIème dimanche de Carême

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III.


Il reste maintenant à examiner quels sont les signes auxquels on reconnaît que le démon est expulsé. L'Evangéliste semble l'indiquer en peu de mots, quand il ajoute : « Et lorsqu'il eut chassé le démon, le muet parla. » Non-seulement il parla, mais il recouvra encore la faculté de voir et d'entendre. Le recouvrement des sens fut donc la preuve de l'expulsion du démon. Mais il faut savoir aussi que le démon ne peut être chassé de l'âme, à moins que Dieu n'y entre. Comme le lever du soleil dissipe les ténèbres, et fait le jour, de même l'entrée de Dieu dans l'âme de l'homme chasse les ténèbres du péché, et le prince des ténèbres. Délivré du démon, qui l'avait rendu et aveugle, et sourd, et muet, aussitôt l'homme voit, entend, et parle. Voilà donc trois preuves qui attestent que le démon est banni de l'âme. D'ailleurs, Dieu arrivant, il faut d'abord que tous les péchés disparaissent avec le démon, auteur du péché. Car notre Dieu est un feu consumant ; il consume tout ce qui lui est contraire, et rien ne lui fait opposition que le péché. Ainsi, de même que l'éclat du jour dissipe l'horreur des ténèbres, de même l'auteur de l'innocence bannit de son temple tous les péchés mortels. Car « la sainteté est l'ornement de sa maison dans la suite des siècles. » Ps. XCII, 5.

Ensuite il faut que celui qui précédemment était aveugle, voie clair. Car, point de justification pour l'homme, sans la haine du péché et sans l'amour de Dieu : en sorte que celui qui autrefois négligeait Dieu, et aimait le péché plus que Dieu, doit maintenant, tout au contraire, aimer Dieu par-dessus tout, et détester le péché plus que tout le reste. Mais comment pourrait se faire un tel changement de la volonté humaine, si la lumière de l'entendement ne changeait aussi ? C'est-à-dire, s'il n'était si bien éclairé de la lumière divine qu'il vît nettement que le péché mérite toute haine, et que Dieu mérite d'être aimé par-dessus tout ? Autrement, si l'entendement conservait ses anciennes idées, la volonté conserverait ses anciennes affections. Il est donc nécessaire que l'âme, éclairée des rayons de la lumière supérieure, voie d'un œil spirituel la difformité du péché, et la beauté de Dieu, afin de haïr l'une, et d’être transporté d'amour pour l'autre.

Il faut encore que celui qui a recouvré la faculté de voir, entende ; c'est-à-dire, qu'il perçoive, par l'oreille du cœur, la parole de Dieu, comme l'explique le Seigneur dans notre Évangile même: « Heureux qui entend la parole de Dieu, et qui la garde.» Ainsi écoutait ce saint Prophète, qui disait : « Le Seigneur mon Dieu m'a ouvert l'oreille, et je n'ai point contredit ; je ne me suis point retiré en arrière. J'ai abandonné mon corps à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui les arrachaient. » Isa. L, 5. Ainsi devons-nous écouter, selon l'apôtre saint Jacques, qui dit : « Observez cette parole, et ne vous contentez pas de l'écouter, en vous séduisant vous-mêmes. Car celui qui écoute la parole, et ne l'observe point, est semblable à un homme qui regarde son visage naturel dans un miroir. Il se regarde, puis il s'en va, ayant oublié quel il était. » Juc. I, 22 et seq. C'est-à-dire, de même qu'il ne sert de rien de voir sa figure dans un miroir, si on ne la nettoie pas ; de même il ne sert de rien de voir les souillures de son âme dans le miroir de la parole divine, si on ne prend soin de les faire disparaître, et de régler sa vie sur la sainte doctrine. Car il faut se pénétrer des paroles de l'Apôtre : « Ce ne sont pas ceux qui écoutent la loi qui sont justes devant Dieu ;mais ce sont ceux qui pratiquent la loi qui seront justifiés. » Rom. II, 13. Quiconque est délivré du démon doit écouter ainsi la parole sacrée.
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Re: Sermon de Saint Louis de Grenade pour le IIIème dimanche de Carême

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Les oreilles ouvertes et libres, reste à délier la langue, et à faire parler le muet. — Quoi donc ? est-ce qu'ils ne parlent pas ceux qui sont dans le péché ? — Non certes, ils ne parlent pas à Dieu, quoiqu'ils parlent aux hommes. Que ce muet parle donc dans la confession, dans la prière, et dans l'action de grâces. Ce sont là les trois manifestations de la parole les plus agréables à Dieu. Que cette bouche qui naguère s'ouvrait au mensonge, au parjure, à la médisance, à la raillerie, aux imprécations, à la flatterie, aux turpitudes, désormais muette et sans langue pour de telles choses, ne s'ouvre plus que pour le langage spirituel et divin, suivant le conseil de l'Apôtre : « Si quelqu'un parle, qu'il paraisse que Dieu parle par sa bouche. » Si quis loquitur, quasi sermones Dei. 1 Petr. Iv, 11.

A ces indices, nous pourrons, frères, juger en ce saint temps, du fruit de notre confession et de notre pénitence. Car, dans le sacrement de la confession, l'action du prêtre est la même que celle de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans ce miracle. Comme le Christ chasse le démon du corps de l'obsédé, le prêtre chasse de l'âme le démon. Et le démon expulsé, Dieu se choisit une demeure dans l'âme de l'homme, et là où Dieu réside, il n'y a aucune place pour le péché. — Mais si les mêmes désordres, la même manière de vivre, la même gourmandise, la même licence des yeux, la même rapacité des mains, la même agilité à courir au mal, si enfin les mauvaises passions dominent encore si bien qu'aucune porte n'est fermée aux pensées impures, à la soif de la vengeance, à toutes les convoitises illicites ; c'est une preuve certaine que le démon n'a pas été chassé de l'âme, ou au moins qu'il a été mal chassé, et qu'il y est rentré, escorté de sept esprits, pires que lui. Or, si restant dans les mêmes ténèbres, dans le même aveuglement, vous ne considérez point le péché comme ce que vous devez détester avant tout, et Dieu, comme ce que vous devez aimer plus que tout le reste ; vous n'avez pas encore recouvre la lumière spirituelle des yeux, vous n'avez pas encore banni votre cécité, et le démon, qui avait aveuglé les yeux de votre intelligence, est encore au dedans de vous. En outre, si vous avez encore les oreilles fermées à la voix de Dieu, si vous ne l'écoutez pas avec la résolution d'obtempérer à ses préceptes, le démon n'est pas banni de votre cœur.

Nous voyons quelquefois des hommes nourrir les uns contre les autres une haine implacable. Cherchez à les guérir de cette haine ; pour cela, mettez sous leurs yeux la difformité du péché, les récompenses réservées aux justes, les supplices destinés aux méchants, la mort, le jugement, la croix même et la passion du Seigneur ; ils ne vous entendent pas plus que s'ils étaient des « aspics sourds, fermant leurs oreilles pour ne pas entendre la voix fascinatrice de l'enchanteur.» Ps. LVII, 5,6. Cependant attaquez-les par un autre côté ; dites-leur que vous avez un moyen infaillible de les faire arriver aux honneurs, à la faveur du prince, tout à coup ils tomberont à vos pieds, se rangeront à votre avis, et se laisseront lier les mains, pour que vous les conduisiez partout où vous voudrez. Nous les qualifions donc justement de sourds, eux dont les oreilles, ouvertes aux voix du monde, sont entièrement bouchées pour Dieu. C'est à eux que, par l'organe du prophète, le Seigneur adresse ces paroles : « Sourds, écoutez ; aveugles, ouvrez les yeux, et voyez. Qui est aveugle, sinon mon serviteur ? Qui est sourd, sinon celui à qui j'ai envoyé mes prophètes ? Vous qui voyez tant de choses, n'observerez-vous pas ce que vous voyez ? Vous qui avez les oreilles ouvertes, n'entendrez-vous pas ? » Isa. XLII, 18 et seq. Paroles par lesquelles il énonce clairement, que ces hommes ouvrent aux voix du monde leurs oreilles, que cependant ils tiennent fermées aux avertissements et aux préceptes de la loi divine.

Tels sont les indices auxquels vous pourrez, mes frères, juger, en ce temps, du fruit de votre confession et de votre pénitence. Si vous ne voyez point en vous les fruits que nous avons signalés, si, après la confession faite au prêtre, il ne s'est pas opéré un changement dans vos mœurs et dans votre vie, c'est un grave indice que votre confession était incomplète, ou que vous avez perdu la grâce reçue, ce qui est un signe redoutable de réprobation ; la parabole de l’Évangile du jour nous l'apprend. Car, dès que le démon, chassé de l'âme, en reprend possession, « le dernier état de l'homme devient pire que le premier, parce que le mal qu'il était d'abord aisé de guérir est beaucoup plus difficile à extirper après l'entrée de tant de démons. De ce malheur nous préserve Notre-Seigneur Jésus-Christ qui, avec le Père et le Saint-Esprit, vit et règne dans les siècles des siècles.
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