CAMPION : « Vous connaissez tous, j'en suis sûr, l'importance de la charge que vous remplissez aujourd'hui, et le compte que vous devrez en rendre au jour terrible du jugement, dont je voudrais que celui-ci fût une image. Je ne doute pas non plus que vous avez considéré combien l'innocent est cher à Dieu, et combien le sang de l'homme a de valeur à ses yeux. Ici, nous sommes des accusés, exposés à une sentence de mort ; ici, vous avez un choix à faire : nous les rendre ou bien les perdre. Nous ne pouvons en appeler qu'à vos consciences ; nous n'avons à nous concilier ici que votre attention et votre discrétion.
« Faites attention, je vous en supplie ; ne vous laissez point tromper par de vaines apparences ; que vos fondements soient solides, car l'édifice est considérable. Vous remplirez tous ces devoirs, je n'en doute pas, si vous considérez attentivement ce qui a été traité après l'avoir ramené à trois points distincts. Tout ce qui s'est dit aujourd'hui consiste premièrement en présomptions et probabilités, deuxièmement en questions de religion, troisièmement en serments et dépositions de témoins. Le peu de force probante qui résulte de suppositions ne peut emporter la condamnation d'un si grand nombre de personnes et ne suffit pas dans une cause capitale. Les constitutions du royaume exigent une certitude écrasante et ne veulent pas qu'un homme voie sa vie dépendre des hasards de simples apparences: Les raisons les plus fortes de nos accusateurs consistent en de simples présomptions sans fondement ; vous ne pouvez vous y appuyer, vous qui devez accepter seulement ce qui est évident. Laissez de côté les détails non probants ; mettez à part les présomptions ; n'acceptez pour vous guider que des raisons certaines.
« Mais dans ce qui a été discuté mal à propos, il n'y a pas que les suppositions : on a employé aussi une grande partie de la journée à des points de doctrine et de religion tels que : excommunications, livres et pamphlets. Aujourd'hui même, en plus de nous, vous avez entendu aussi le pape, le roi d'Espagne, le duc de Florence, Allen, Sanders, Briston, Espigneta et beaucoup d'autres encore qui ont été mis en accusation.
« La valeur des excommunications, l'autorité due à l'évêque de Rome, la manière dont il faut former la conscience des hommes, ne sont point des faits matériels sur lesquels un jury puisse se prononcer, mais des points qui sont encore discutés et non résolus dans les écoles. Comment, simples laïques, ignorants de ces matières, pourriez-vous donner une décision à ce sujet, si sages et si expérimentés que vous soyez par ailleurs ? Et quand même vos connaissances et vos talents théologiques vous permettraient de trancher ces questions, elles ne rentrent point dans nos actes d'accusation, et par conséquent le jury n'a point à s'en occuper.
« Peut-être me demanderez-vous sur quoi portera votre examen si ces choses ne prouvent rien contre nous, car si on les met de côté, le reste n'est presque plus rien ? Pardonnez-moi, je vous en prie, car notre innocence est telle que si l'on retranchait tout ce qui a été allégué contre nous sans fondement et sans vérité il ne resterait, en effet, rien qui nous prouvât coupables. Mais je vous dirai qu'il reste des serments non pas à accepter comme des preuves réelles, mais à examiner, mais à considérer avec soin pour voir s'ils sont sincères et si leurs auteurs méritent crédit. Dans des causes ordinaires, nous voyons souvent des témoins récusés, et si leur crédit est faible d'une manière générale, il doit l'être encore plus quand , il s'agit de causes capitales. Rappelez-vous comment certains témoins ont parlé avec peu d'assurance, d'autres avec froideur, les autres sans vérité, surtout deux dont les dépositions ont été les plus longues. Que peut-il sortir de vrai de leur bouche ? L'un s'est avoué coupable d'un meurtre ; l'autre est un athée, un païen avéré, qui a causé déjà la mort de deux hommes. En conscience, pouvez-vous croire des gens qui ont trahi également Dieu et les hommes, qui n'ont rien laissé pour appuyer leurs serments, ni religion ni honneur ? Votre sagesse est trop grande, vos consciences trop droites pour les croire ; estimez-les ce qu'ils valent. Examinez les deux autres témoins : ni l'un ni l'autre n'ont affirmé d'une manière précise que quelqu'un d'entre nous ait rien fait de préjudiciable à ce royaume ou de dangereux pour ce gouvernement. Que Dieu vous accorde la grâce de peser nos causes avec justice, d'avoir du respect pour vos propres consciences. Je n'occuperai pas davantage l'attention du jury Je remets le reste à Dieu et vos décisions à votre discernement équitable. »
Les plaidoiries avaient duré trois heures....