Combien la tiédeur est dangereuse (Saint Thomas O.P.)

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Xe MÉDITATION - Combien la tiédeur est dangereuse.
MEDITATIONS DE SAINT THOMAS SUR LES TROIS VIES PURGATIVE, ILLUMINATIVE & UNITIVE
par le R. P. Antonin MASSOULIÉ, O.P.
Paris, 1888.


Il n'y a rien de plus dangereux, dans la poursuite de
la vertu, que la tiédeur, que cette langueur ou ce dégoût
de l'âme qui la fait tomber dans la routine et agir en
toutes choses sans esprit surnaturel. Cette disposition
s'est attirée, de la part d'un prophète, la plus effroyable
des condamnations: « Maudit soit celui qui travaille
négligemment à l'œuvre de Dieu (1). » Quelle est cette
œuvre ? Notre salut. Quoi de plus étonnant et de plus
terrible que cette autre parole divine que nous lisons dans
l'Apocalypse : « Utinam frigidus esses, aut calidus (2) » :
« Je souhaiterais que vous fussiez froid ou chaud;
mais, parce que vous êtes tiède, ni entièrement froid,
ni entièrement chaud, je vous vomirai de ma bouche ! »


Non, Dieu ne peut supporter les âmes languissantes
dans la pratique de la vertu; la tiédeur, au milieu du
feu qu'il est venu répandre sur la terre, lui est intolérable.
Oh ! efforçons-nous de sortir de cet état si dangereux
qu'il commence déjà notre perte. Pour exciter en nous
un peu d'ardeur, considérons donc ces trois choses :

I. La gravité de ce mal: un grand pécheur se convertirait
plutôt qu'une âme négligente.

II. Son danger: il expose à tomber dans une insen-
sibilité extrême.

III. L'injustice dont il nous rend coupable envers
Dieu : quel outrage de le servir avec tant de tiédeur,
tandis qu'on est si ardent pour les vanités du monde !


A SUIVRE...

(1) Maledictus qui facit opus Domini fraudulenter. Jèr 48, 10.
(2) Apoc. 3, 15.

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PREMIER POINT


Gravité de la tiédeur qui alanguit l'âme. Ce mal
éloigne si fort du salut que, presque toujours, l'on voit
les grands pécheurs se convertir plus facilement que
les âmes tièdes et languissantes. Pour ces pécheurs, le
remède est prompt : la considération des mystères de
la Religion, qu'ils n'ont jamais bien connus, et l'exercice
de la vertu, qu'ils n'ont jamais pratiquée, les peuvent
convertir. Mais qu'est-ce qui convertira des âmes sur
lesquelles les plus augustes mystères, les attraits de la
vertu, la fréquentation des Sacrements, ne font aucune
impression ? Celui-là n'est-il pas très gravement malade,
qui reste toujours dans le même état, en prenant si souvent
les remèdes qui guérissent les autres (1)?
Il semble donc que la tiédeur est un mal incurable, puisque
les remèdes, malgré leur usage fréquent, demeurent sans
effet. Ah ! une âme tiède, qui ne cesse de vouloir sans
jamais commencer, est semblable à ces personnes phthisiques
ou hydropiques chez lesquelles la maladie, devenue irrémédiable
par sa longueur, ne laisse de forces qu'autant qu'il en faut
pour souffrir longtemps (2). Et c'est en ce sens
qu'il est dit que Dieu vomit les âmes tièdes, car, à cause de
leur langueur au milieu de ce qu'il y a de généreux et de
salutaire dans la Religion, il n'existe plus, on le dirait, de
remèdes capables de les guérir.


A SUIVRE...


(1) Ille periculosissime infirmatur, cui nec cibus, nec medicina,
quae alios juvat, prodesse potest. D. Th. ex coll. PP. 3 de Mal. A.
13 — (2) Comparatur ei qui continuo ab ipfirmitate gravatur, puta
phthisico vel hydropico. Ibid.

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DEUXIEME POINT


Danger de la tiédeur. Cet état est si déplorable qu'il
suffit d'un pas de plus pour choir dans le profond
abîme de l'insensibilité, et y être tellement enseveli sous
ses propres vices que Dieu seul, par un dernier effort de
son bras, par un vrai miracle, peut triompher de ce tombeau.
A quoi sera sensible une âme qui ne sent plus
ni amour, ni crainte; que les bienfaits divins n'attirent
plus; que la terrible voix des menaces ne réveille plus ?
Cet état, tout rempli de bons désirs et de bons vouloirs,
mais où l'on ne voit nul bon effet qui les suive, n'est-il
pas comparable à celui de l'enfer ? Cette vie des âmes
tièdes n'approche-t-elle pas de celle des réprouvés,
toujours déchirée par la lutte de l'esprit contre la volonté,
et de la volonté contre l'esprit ? N'est-ce pas
ainsi que ces âmes sont malheureuses, puisque, ayant
à souffrir la peine qui accompagne leurs exercices, elles
n'en goûtent cependant jamais la consolation (1)?


A SUIVRE...


(1) Nonne tibi horum vita inferno penitus appropinquare videtur,
dum, intellectu affectui et affectu intellectui répugnante, necesse
habent mittere manum ad opéra fortium, qui cibo fortium minime
sustentantur, socii plane tribulationis, sed non consolationis.
S. Bern., Serm. in Ascens.

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TROISIÈME POINT


Enfin, injure que la tiédeur fait à Dieu. Il faudrait
avoir mille et mille coeurs pour aimer Dieu dignement;
et voilà que l'âme tiède n'est pour lui que négligence
et mollesse, pendant qu'elle est toute de feu et de flamme
pour les choses du monde. Est-ce bien possible ? Quand
il s'agit d'accorder à la nature satisfactions et plaisirs,
on ne se plaint jamais de sa faiblesse, et, avec le secours
du démon, on fait des efforts au-dessus de ses forces (1) :
« Il a fait plus qu'il ne pouvait, dit un prophète, et c'est la
cause de sa perte (2). » Mais vous, Simon
Pierre, vous dormez auprès de votre Maître, tandis que Judas ne
dort pas et se hâte de le venir livrer aux mains de ses ennemis (3).
Ah ! quelle n'est pas ma honte, s'écriait un Père, quand je vois
la ferveur qu'on a pour les frivolités du siècle (4) !
On ne se lasse pas de travailler pour amasser du bien,
ou se procurer les commodités de la vie ; on ne se lasse
pas de penser aux vanités, ou d'en parler : et un moment
d'oraison, le moindre exercice de vertu et de pénitence épuisent
toutes nos forces ! Hélas ! nous faut-il tant d'ardeur pour courir
à la ruine que le démon nous destine, et tant de langueur pour
aller au bonheur céleste où Dieu nous appelle ? De cette
conduite nous serons un jour nous-mêmes les juges, et notre
ardeur pour des choses de néant condamnera
notre tiédeur pour les richesses du ciel !


A SUIVRE...


(1) Cum adjutorio diaboli faciunt plus quam possunt. D. Th. Op..
61. C. 22. — (2) Plus fecit quam potuit; idcirco perierunt. Jér. 48. 36.
— (3) O Simon, dormis, et Judas non dormit, sed festinat, D. Th. Ibid.
— (4) Considerare pudet quantus fervor in saeculo. D. Hier. Epist. ad Demetr.

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RÉFLEXION

C'est à vous, ô mon Dieu, que je viens me plaindre
de l'insensibilité de mon cœur. O Feu éternel, qui brûlez
sans vous consumer, brûlez et consumez ce cœur des
flammes que vous avez portées et répandues sur la terre !
Je tremble — et je ne saurais revenir de cette crainte —je
tremble en entendant cette terrible parole : « Puissiez-
vous être froid ou chaud ! Mais parce que vous êtes
tiède, je ne puis vous souffrir, et je vous vomirai. »
mon Dieu, il en est ainsi dans la nature et vous avez daigné
vous servir de cette comparaison : on peut souffrir ce qui
est chaud, ou ce qui est froid; mais ce qui est tiède provoque
le vomissement. Bonté infinie, vous recevez dans votre sein
et les pécheurs glacés de crimes, et les justes brûlants de
charité. Mais, une fois qu'une âme a été reçue dans ce sein
de miséricorde, si elle se rend indigne de cette grâce,
vous en êtes soulevée et vous la rejetez. O ingratitude !
vous aimer si peu, vous qui êtes tout amour pour elle ;
être si tiède au milieu de vos feux, dont une étincelle
suffit pour embraser les Séraphins ; se montrer si négligente pour
éviter le danger d'où vous l'aviez retirée déjà : que
faut-il de plus pour mériter vos répugnances et votre
abandon ? Mon Dieu, convertissez, changez entièrement
mon cœur ! Que je sois dorénavant tout languissant
pour les attraits du monde, que je sois tout ardeur pour
les vôtres et pour l'affaire si importante de mon salut.


FIN