Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le dimanche dans l'octave de l'Ascension

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Laetitia
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Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le dimanche dans l'octave de l'Ascension

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PREMIER SERMON POUR LE DIMANCHE APRÈS L'ASCENSION.

Développement de l'Évangile.
Consolations du Saint-Esprit ; préparation à le recevoir.


Ave Maria,...

Dans l'évangile de ce jour, notre Seigneur, pour armer ses disciples contre les souffrances qu'ils allaient affronter dans la prédication de l’Évangile, les leur prédit. En effet, la plus grande consolation, ou le meilleur remède contre tous les maux de cette vie, c'est de les prévoir. Ceux qui savent qu'on se prépare à les attaquer se fortifient par des fossés et des retranchements, et se munissent de toute espèce d'armes et de défenseurs pour que l'ennemi ne les prenne pas à l'improviste. Les philosophes nous conseillent de nous prémunir de la même manière contre l'adversité, et Sénèque s'exprime ainsi à ce sujet : « Un esprit préparé n'a rien à redouter. Or, il sera bien préparé, s'il a réfléchi sur toutes les vicissitudes humaines avant de les avoir éprouvées ; s'il possède femme, enfants, patrimoine, comme ne devant pas les posséder toujours. En effet, il n'y a rien de solide pour ce qui est faible, rien d'éternel pour ce qui est fragile ; tous les biens des mortels sont mortels eux-mêmes. Je parle des biens après lesquels court la foule. Car le vrai bien, c'est-à -dire la sagesse et la vertu, ne meurt point. Les mortels n'ont que cela d’immortel. » Epist. 99.

Ainsi, le sage, selon lui, ne doit pas se borner à contempler le présent, mais il doit jeter judicieusement les yeux sur l'avenir, jugeant des choses, non d'après l'opinion d'une multitude insensée, mais d'après leur propre nature. Aussi dit-il ailleurs : « Le sage a soin avant tout qu'aucun événement ne lui soit inopiné. Car en prévoyant ce qui peut survenir, on amortira tous les coups de l'adversité ; ils n'apportent rien de nouveau à ceux qui sont préparés et qui les attendent, tandis qu'ils sont douloureux pour les imprévoyants qui ne s'attendaient qu'à des biens. Maladie, captivité, ruine, incendie, tout cela n'est pour moi rien moins qu'inopiné. Je savais dans quelle société orageuse m'a placé la nature. On s'est tant de fois lamenté dans mon voisinage ! Tant de fois devant ma porte ont passé la torche et le cierge précédant des funérailles prématurées ! Souvent j'ai entendu le fracas d'un pompeux édifice croulant. Une nuit a emporté beaucoup de ceux que j'avais connus au forum, au sénat et ailleurs, et a séparé des mains unies par l'affection. Et je m'étonnerais que des périls qui n'ont cessé d'errer autour de moi m'aient quelquefois approché ! La plupart des hommes sur le point de s'embarquer ne pensent pas à la tempête. Publius ( car jamais je ne refuserai mon assentiment à un mauvais auteur disant une vérité), Publius, dont les tragédies et les comédies sont si virulentes, dit entre autres choses : « Ce qui peut arriver à quelqu'un, peut arriver à tous. » Celui qui se pénétrera de cette pensée, qui envisagera tous les maux d'autrui qui peuvent le frapper (et ils sont nombreux), aura soin de se prémunir longtemps avant d'être assailli. Quand le péril est venu, il est trop tard de le combattre. — Je ne m'y attendais pas, dit-on, je n'aurais jamais cru que cela serait arrivé. — Et pourquoi ? Quelles sont les richesses après lesquelles ne courent la pauvreté, la faim et la mendicité ? Quelle est la haute position dont les insignes ne puissent être remplacés par des haillons ? Où est la royauté qui n'ait devant elle la ruine, et l'avilissement, et un maître, et un bourreau ? Tout cela se tient de bien près, et il n'y a pas loin du trône à l'esclavage. » De trang. vitæ. Lib. I.

Puis ayant rappelé les revers inattendus d'une foule de princes et de grands hommes, de Pompée, de Séjan, de Crésus, de Ptolémée, de Mithridate et de Jugurtha, il conclut en ces termes : « Au milieu de tant de vicissitudes et de révolutions, si tu ne regardes pas comme devant arriver tout ce qui est possible, tu fournis contre toi des armes à l'adversité, tandis que c'est la désarmer que de la prévoir. »

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Cependant bien peu suivent le conseil de ce grand philosophe ; la plupart, jugeant de la stabilité des choses qu'ils aiment, non d'après la nature de ces choses, mais d'après l'attachement qu'ils ont pour elles, s'imaginent que les biens dont ils désirent la permanence seront éternels, et ils n'osent s'en former aucune idée qui puisse leur apporter de la tristesse et de la crainte. Il résulte de là que, séduits par leur aveugle convoitise, et regardant comme stable ce qui est fragile, ils y placent leur affection, leur espérance et leur bonheur, et accordent à une créature frêle et misérable ce qui n'est dû qu'au Créateur, à la fin dernière, au souverain bien. Mais souvent ils en sont cruellement punis ; car s'ils viennent à perdre ce sur quoi ils fondaient toute leur félicité, ils sont accablés de douleur, et alors ils sentent le bras de cette providence divine qui gouverne le monde. Le Seigneur, en effet, leur envoie cette leçon pour qu'ils sachent qu'en cette vie il n'y a rien de solide, de stable et de permanent, sinon ce qu'il couvre de sa sollicitude et de sa providence paternelle.

Cette leçon salutaire, quoique dure, le Prophète la demande à Dieu en ces termes : « Faites connaître la force de votre bras, et nous appliquerons notre cœur à la sagesse. » Dexteram tuam sic notam fac, et eruditos corde in sapientia ; ou, suivant une autre version, et offeremus cor sapientiæ. Ps. LXXXIX, 12. C'est-à-dire, quand vous aurez manifesté votre puissance en nous envoyant des fléaux, alors nous qui nous promettions toutes sortes de prospérités, sans penser qu'elles dépendaient de vous, instruits par nos malheurs, nous reconnaîtrons la puissance de votre bras qui gouverne tout.

Voilà comme méritent d'être instruits ceux qui s'imaginent que Dieu est indifférent aux choses d'ici-bas. Bien autres sont les pensées du juste : il considère la condition, l'instabilité, la fragilité des choses humaines; comme il ne voit en elles que ce qu'elles ont, il ne s'y attache, ou ne s'y fie pas plus que ne le comporte leur nature. Car pourquoi chercherais-je dans un vase de verre la solidité du fer ou de l’airain ? C'est du verre ; je l’estimerai donc comme tel, c'est-à-dire comme une chose fragile et exposée à mille dangers.

Pour en revenir à notre sujet, le Seigneur annonce ordinairement aux justes les coups qui doivent les frapper, afin qu'avertis par cette prédiction, ils se munissent d'armes spirituelles pour les combats à venir. Saint Paul, dans toutes les églises, entendait prédire la cruelle persécution qui lui était réservée à Jérusalem. Un jour, le prophète Agabus, prenant la ceinture de Paul, et s'en liant les pieds et les mains, s'exprima ainsi : « Voici ce que dit le Saint-Esprit : L'homme à qui est cette ceinture sera lié de cette sorte par les Juifs, et ils le livreront entre les mains des Gentils. » Act. XXI, 11.

Comme le bienheureux Laurent, déchiré par d'affreuses tortures, suppliait le Seigneur de recevoir son âme, il entendit une voix lui dire du haut du ciel : « Il te manque encore bien des combats. »

De même, dans le saint évangile de ce jour, le Sauveur annonce ouvertement à ses disciples les persécutions qui les attendaient dans la prédication de l’Évangile ; ils purent ainsi les prévoir, s'y préparer longtemps à l'avance ; et quand vint le moment de les endurer, elles n'eurent plus pour eux rien de nouveau ni de surprenant.
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I.


« Lorsque sera venu le Consolateur, cet Esprit de vérité qui procède du Père, et que je vous enverrai de la part de mon Père, il rendra témoignage de moi, et vous en rendrez aussi témoignage parce que vous êtes avec moi dès le commencement. »

Oui, par les miracles éclatants qu'il vous fera opérer, par l'admirable sagesse qu'il mettra dans votre bouche (car ce n'est pas vous qui parlerez, mais l’Esprit de votre Père parlera en. Vous), il portera de moi un magnifique témoignage, et vous serez aussi mes témoins, vous qui, depuis que j'ai commencé à prêcher ma doctrine, êtes restés à mes côtés et avez vu mes œuvres merveilleuses.

Après la résurrection du Sauveur, les apôtres rendirent ces deux témoignages ensemble devant les princes des prêtres, lors que, questionnés sur la vérité de leur doctrine, ils répondirent avec confiance : « Nous sommes les témoins de ce que nous vous disons, et le Saint-Esprit, que Dieu a donné à tous ceux qui lui obéissent, l'est aussi avec nous. » Act. v, 32.

Voilà comment, de concert avec le Saint-Esprit, vous porterez témoignage de moi. Mais qu'arrivera-t-il après que vous m'aurez ainsi rendu ce témoignage ? Il ajoute : « Je vous ai dit ces choses pour vous préserver des scandales et des chutes ; » c'est-à-dire pour que, à l'apparition des maux qui viendront vous assaillir, vous ne pliiez point sous le fardeau, et que vous ne perdiez rien de votre vertu. Quels seront donc ces maux ?

Il l'explique en ces termes : « Ils vous chasseront de leurs synagogues ; » c'est-à-dire, ils vous infligeront la plus forte des peines, l’excommunication ; ils vous expulseront de la société des hommes comme des fléaux publics ; ils vous interdiront le feu et l'eau pour vous réduire à vivre dans la solitude et dans la détresse. Et ce qui est plus grave que tout cela, ils vous croiront tellement ennemis de Dieu et des hommes, qu'ils s'imagineront que le sacrifice le plus agréable à Dieu sera de se défaire de vous après vous avoir soumis à toutes les tortures.

Saint Paul le dit ouvertement de lui et des autres apôtres. Car, au lieu de la leçon : Tanquam purgamenta hujus mundi facti sumus, « nous sommes devenus comme les ordures, les balayures que tout le monde rejette, » I Cor. IV, 13, d'autres ont traduit lustramenta, objets expiatoires ; c'est-à-dire, le monde a conçu de nous une telle opinion, qu'il croit ne pouvoir apaiser ses dieux qu'en nous exterminant, et il s'imagine que ses divinités, pardonneront à la terre et aux hommes quand elles auront assouvi leur colère dans notre sang.

Voilà jusqu'où iront vos épreuves et la fureur d'un monde en démence. Cette persuasion impie s'empara avec une telle ténacité des hommes d'alors, que c'est pour l'arracher de leurs cœurs que furent publiés trois célèbres écrits : la Cité de Dieu de saint Augustin, le livre de Salvien contre les Gentils, et celui de saint Cyprien contre Démétrien. Car les infidèles prétendaient que la religion chrétienne était la cause de tous les maux dont le monde était alors affligé, et qu'il était nécessaire d'anéantir totalement cette religion, afin que le monde pût respirer en paix et jouir des bienfaits célestes. Y avait-il rien de plus insensé et de plus exécrable ?
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Mais d'où venait une telle fureur, une telle rage ? « Parce que, dit le Seigneur, ils ne connaissent ni mon Père, ni moi. » Que pouvaient-ils donc connaître, Seigneur, ceux qui ne vous connaissaient pas, vous la puissance et la sagesse de Dieu ? Il fallait qu'ils vécussent plongés dans de noires ténèbres, eux qui ne voyaient pas votre lumière.

Cependant puisque toute la doctrine des apôtres consistait à exalter la vertu et la vérité ; puisque, d'autre part, la vérité est ce qui perfectionne l'entendement humain, et que la beauté, la splendeur de la vertu est en honneur même chez les nations les plus barbares ; comment put-il se faire que le monde ait persécuté si cruellement ceux qui enseignaient la vertu et la vérité ?

A cela nous répondrons que la vérité est bien la lumière de l'entendement humain, et qu'elle le préserve des ténèbres de l’erreur et de l'ignorance. Mais de même que la lumière, agréable pour de bons yeux, est importune pour des yeux malades ; de même pour des âmes saines et pures de toute turpitude, rien de plus séduisant et de plus aimable que l'éclat de la vérité ; tandis que pour des âmes impures et plongées dans le bourbier des voluptés charnelles, rien de plus désagréable, de plus haïssable que cette vérité qui condamne leurs souillures, et qui par sa splendeur en manifeste la difformité.

Ne voyons-nous pas cela par l'exemple de bien des tyrans, et notamment d'Hérodiade qui, irritée contre saint Jean, dont tout le crime était d'avoir condamné ses adultères, préféra le supplice de ce saint homme au royaume d'Hérode ? Matth. xiv, 8.

J'en conviens, les hommes même débauchés, admirent et honorent la vertu ; toutefois comme un ancien l'a dit : Probitas laudatur et alget. Juv. « On loue la vertu, mais on ne la pratique pas 4. »

Ils louent donc la vertu, comme ils louent la sévérité des juges et des magistrats, à condition qu'ils n'auront rien à démêler avec cette sévérité. Ils désirent que vous soyez chauds partisans de la vertu, mais pour vous, pas pour eux ; c'est-à-dire, que vous ne les forciez pas à suivre votre exemple.

C'est ainsi que des moines relâchés, pleins d'admiration pour la vertu de saint Benoît, parvinrent, à force de prières, à obtenir de lui qu'il voulût bien être leur chef. Mais lorsqu'il entreprit de les astreindre sévèrement aux pratiques de la vertu et de la religion, ils conçurent contre lui tant de haine, qu'ils essayèrent de s'en défaire au moyen d'un vin empoisonné.

Cela étant, il n'y a pas à s'étonner, si les apôtres qui se donnaient tant de peine pour détourner un monde pervers de l'impiété et de l'injustice, et l'amener au bien, qui faisaient luire à des yeux malades la lumière de la vertu, ont soulevé contre eux une telle haine et une telle rage de la part des impies.
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A de si grands maux quel remède appliquez-vous donc, Seigneur ? Comment laissez-vous vos amis exposés à tant de calamités ?. .. Il ajoute : « Je vous dis ces choses, afin que, quand le temps sera venu, vous vous souveniez que je vous les ai dites. » – La première consolation qu'il leur donne, c'est donc de leur annoncer longtemps à l'avance les maux qui les attendent, pour que rien ne leur fût nouveau et inopiné; sur ce point, nous n'avons rien à ajouter à ce qui a été dit plus haut.

Mais cette consolation en renfermait une autre bien plus solide : c'est que la prédiction assurée d'événements futurs, montrait aux disciples la grandeur de leur Maître, Dieu seul pouvant connaître l'avenir. Or, quand ils auraient été placés en face de la mort, qu'est-ce qui pouvait les fortifier plus que de savoir, dans leurs combats, qu'ils avaient Dieu pour aide et pour protecteur ? Ne pouvaient-ils pas alors s'écrier avec le Prophète : « Le Seigneur est ma lumière et mon salut ; qui craindrai-je ? Le Seigneur est le protecteur de ma vie ; qui pourrai-je redouter ? » Ps. XXVI, 1.

Telle était donc leur première et principale consolation. La seconde, c'était la suavité merveilleuse du Paraclet, qui arme d'une force invincible les cœurs des justes. Car les délices spirituelles différent des charnelles, non-seulement en ce que celles-ci entretiennent les vices, et celles-là les vertus; mais aussi parce que les dernières affaiblissent, au lieu que les autres fortifient ; et parce que les unes font des hommes mous et efféminés, et les autres, des cœurs vaillants et virils. C'est ce que, dans le Cantique, les Esprits célestes insinuent de l'Eglise, sous le nom de la Sunamite, c'est-à-dire, de la pacifique : « Que verrez-vous dans la Sunamite, sinon un chœur de musique dans un camp. » Cant. VII, 1. Au lieu de choros, d'autres traduisent choreas, chœurs de danseurs. Mais quel rapport y a-t-il entre des chœurs de chanteurs ou de danseurs, et un camp ? Car un chœur est une troupe se livrant à la joie, et un camp, une troupe de guerriers.
Comment accorder le jeu avec le combat ? – Cela signifie que rien ne donne aux justes plus de force et d'énergie pour souffrir, que la suavité de l’Esprit divin, suavité si grande, que pour elle ils sont prêts à braver tous les périls.

En effet, l'appétit concupiscible, source du désir et de la jouissance, et l'appétit irascible, source de l'énergie, sont unies entre eux par des liens si étroits, que plus nous désirons un objet, plus nous avons d'énergie soit pour l'obtenir, soit pour le défendre contre toute attaque, si nous l'avons déjà obtenu. Ainsi, il n'est pas étonnant que la douceur si délicieuse et si désirable de l'Esprit divin remplisse les justes d'une grande énergie, qu'elle leur fasse affronter tous les combats, et qu'elle les rende plus ardents au service de Dieu.
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Or, aux premiers temps de l'Eglise, les fidèles jouissaient amplement de cette consolation. Car nous lisons dans les Actes des apôtres : « L’Église s'établissait, marchant dans la crainte du Seigneur, et remplie de la consolation de l'Esprit-Saint. » Act. IX, 31. Fortifiés par ces délices, les apôtres « sortaient du Conseil remplis de joie de ce qu'ils avaient été jugés dignes de souffrir des outrages pour le nom de Jésus. » Ibant gaudentes a conspectu concilii, quod digni habiti essent pro nomine Jesu contumeliam pati. Act. V, 41. Bien loin qu'ils fussent abattus, après avoir été fouettés, chargés de fers, accablés d'injures, ils voyaient dans la flagellation un plaisir, dans les chaînes, la liberté, et se faisaient honneur et gloire des outrages et des affronts. Le saint Évangéliste le dit clairement, quand il déclare que les apôtres se réjouissaient d'avoir été jugés dignes de souffrir pour le nom de Jésus.

Il est grand, j'en conviens, de se réjouir au milieu des affronts et des coups, et dans les fers ; mais qu'il est bien plus grand encore d'y trouver le comble de la dignité et de la gloire ! Or, c'est ce que faisaient les apôtres. Ils se réjouissaient non-seulement d'avoir reçu des outrages pour le nom de Jésus, mais aussi de ce que le Seigneur les avait élevés à une telle grandeur, qu'ils étaient dignes de souffrir pour sa gloire. Le saint Évangéliste a voulu distinguer ces deux sujets de joie, venant l'un et l'autre du Saint-Esprit.

Admirons ici la sagesse de Dieu, qui eut soin d'envoyer aux apôtres le Consolateur, pour les fortifier et les préparer au combat, avant que le monde s'insurgeât contre eux.

En effet, il leur fallait des forces, avant que sonnât l'heure du combat ; il leur fallait les consolations de l'Esprit, avant d'affronter les périls; ils avaient besoin d'être munis d'armes spirituelles, avant de lutter contre le prince de ce monde.

Voilà pourquoi le Sauveur, en les quittant, leur dit : « Demeurez à Jérusalem jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la force d'en haut, » c'est-à-dire, de l'Esprit céleste. Sedete in civitate donec induamini virtute ex alto. Luc. ultim. 49.

Puisque nous marchons, mes frères, sous la conduite du même chef, qui donc nous vaincrait dans la lutte ? Avec un tel consolateur, quelles douleurs assez poignantes pourraient nous abattre ? Il est bien permis d'employer ici le même argument que saint Paul : « C'est Dieu qui justifie, qui nous condamnera ? » Rom. VIII, 33. Disons donc : C'est Dieu qui console les justes, qui est ce qui serait en état de les attrister ? Car de cette immense majesté que peut-il venir, qui n'en reproduise la grandeur et la puissance ? « S'il détruit, dit Job, nul ne pourra édifier ; s'il tient un homme enfermé, nul ne lui ouvrira. S'il retient les eaux, tout deviendra sec ; et s'il les lâche, elles changeront la face de la terre. » Job. XII, 14 et 15. Si donc ce Dieu tout-puissant s'est donné la mission de consoler les justes, quelle douleur sera capable de les accabler, quand Dieu les console ? Puisse, mes frères, une étincelle de cet Esprit divin tomber dans nos entrailles !

Nul doute qu'alors aucune violence, aucune angoisse, aucune puissance des démons, aucune amorce de la chair ne sauraient empêcher notre âme de persévérer dans la vertu.

Telles sont donc, mes frères, les consolations que le Seigneur donne aux apôtres et à tous les justes, afin qu'ils supportent les difficultés de la vie chrétienne. C'est assez sur l’Évangile ; arrivons à ce que nous nous sommes proposé en commençant.
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DÉVELOPPEMENT DU SUJET.

Les philosophes qui s'occupent du mouvement des animaux et de ses causes, disent que la première est un bien que l'esprit perçoit. En effet, un bien extérieur quelconque frappe d'abord les yeux de l'homme; la sensation présente ce bien à l'entendement ; l'entendement, à la volonté ; et la volonté, s'éprenant de cet objet, meut, au moyen de ce qu'on appelle en physique esprits animaux, les membres du corps, afin qu'ils se mettent en marche à la conquête de ce bien. D'où il résulte clairement que ce bien externe est la première cause d'un tel mouvement.

Ce qui se remarque dans le mouvement corporel, a lieu également dans le mouvement spirituel de la volonté, lequel est l’amour et le désir. En effet, lorsqu'un bien est présenté par l'entendement à la volonté, celle-ci est portée à l'aimer et à le poursuivre de toutes manières ; et plus ce bien est grand et sublime, plus la volonté est entraînée à s'embraser d'amour pour lui.

Or, de tous les biens, le plus éminent est sans contredit le souverain bien, et parce qu'il n'y a rien au-dessus, et parce qu'il les comprend tous, et enfin parce qu'il les laisse si loin derrière lui, qu'en sa présence ils ne conservent même plus le nom de biens, puisque le Sauveur a dit : « Il n'y a de bon que Dieu. » Nemo bonus, nisi solus Deus. Luc. XVIII, 19.

Le bien et surtout ce grand et souverain bien ayant donc tant de puissance pour exciter notre volonté, Dieu, qui veut que tous les hommes se sauvent, I Tim. II, 4, leur montre partout dans les saintes Lettres ce bien suprême, afin que, l'aimant et le désirant avec ardeur, ils entrent dans la voie de la piété et de la justice, par laquelle seule on parvient à le posséder.

Ainsi il dit au Père des croyants, et en sa personne à toute sa postérité : « Ne craignez point, Abraham ; je suis votre protecteur, et votre récompense infiniment grande. » Gen. xv, 1. Et par la voix de Jérémie : « Suis-je devenu pour Israël un désert stérile, et une terre dont les fruits ne mûrissent point ? Pourquoi donc mon peuple a-t-il dit : Nous nous retirons, nous ne viendrons plus à vous. » Jer. II, 31. Quant au Sauveur, il se sert de la grandeur de la récompense céleste pour nous exhorter à la miséricorde : « Donnez, dit-il, et on vous donnera ; on vous versera dans le sein une bonne mesure, pressée, entassée, et qui se débordera. » Lục. VI, 38.
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Mais beaucoup sont insensibles à de si magnifiques promesses, non qu'ils les regardent comme insignifiantes, mais parce qu'elles sont pour l'avenir, et qu'elles ne tombent pas sous les sens. Car notre âme s'éprend surtout des biens présents et sensibles, tandis qu'elle dédaigne les biens spirituels et futurs, qu'elle ne perçoit pas. Voilà pourquoi l'Esprit divin accorde aux justes, même dans cet exil, un faible avant-goût et comme les prémices des joies célestes, afin qu'ils puissent en juger quelque peu, comme on jugerait de la grandeur d'un fleuve, en y puisant une goutte d'eau.

De même que ceux qui ont à vendre des vins précieux, offrent aux acheteurs, dans un petit vase, un échantillon à voir et à goûter, afin de les exciter par l'odeur, la couleur et la saveur, à conclure un achat ; de même la Bonté infinie, qui désire se communiquer à tous les mortels, accorde à beaucoup d'entre eux quelques faibles avant-goûts des délices supérieures, afin de les encourager plus vivement à acquérir le souverain bien dans sa plénitude.

Dieu fit apporter de la terre de Chanaan, qu'il avait promise aux Juifs, des fruits magnifiques, raisins, grenades, figues, afin que, séduits par la beauté et la douceur de ces fruits, ils ne redoutassent ni les fatigues du voyage, ni les périls des combats ; de même il a voulu faire goûter dans cet exil aux justes quelques prémices de la félicité future, comme l'atteste l’Epouse des Cantiques lorsqu'elle dit : « Le roi m'a fait entrer dans ses celliers ; c'est là que nous nous réjouirons en vous, et que nous serons ravis de joie en nous souvenant que vos mamelles sont meilleures que le vin. » Cant. I, 3. Introduxit me Rex in cellam vinariam ; exultabimus et lætabimur in te, memores uberum tuorum super vinum. Ici par celliers nous entendons le vin que le Seigneur promet de boire avec les apôtres dans son royaume, Matth. XXVI, 29, et dont s'enivrent les citoyens du ciel dans l'abondance de la maison de Dieu. Ps. xxxv, 9. Le verbe introducit indique quelque chose au-dessus de tous les biens extérieurs qui peuvent être perçus ou imaginés, quelque chose qui soit une image et comme un avant-goût de la félicité céleste. Après cet avant-goût vient la joie : « Nous serons ravis de joie, nous rappelant vos mamelles, » c'est-à-dire votre suavité douce et pure comme le lait, dont vous fortifiez dans cet exil notre enfance, jusqu'à ce que nous parvenions tous « à l'état d'homme parfait, à la mesure de l'âge et de la plénitude selon laquelle Jésus-Christ doit être pleinement formé en nous, » Ephes. IV, 13 ; alors nous serons nourris non plus de lait,mais de l'aliment solide et invisible des âmes bienheureuses.

Cependant, Seigneur, vos mamelles sont déjà plus douces que le vin ; l'Epouse disait un peu plus haut qu'elles exhalent les plus suaves parfums, et elle les préférait aux deux choses les plus agréables au goût et à l'odorat, voulant dire par là que cette suavité surpasse infiniment toutes les délices du monde. Comment, en effet, toutes les jouissances du monde ne seraient-elles pas au-dessous de celles qui offrent une image et un avant goût de l'éternelle félicité ? Salomon dit que ces délices de la Sagesse divine sont de beaucoup supérieures, non-seulement à tout ce qu'il y a de plus doux, mais aussi à tout ce qu'il y a de plus précieux : « La sagesse, dit-il, est plus estimable que tous les trésors, et ce qu'on désire le plus ne peut lui être comparé. » Prov. VIII, 11.
Dans le livre de la Sagesse il énumère tous les biens de la nature et de la fortune, et il les place bien au-dessous de ce présent céleste : « Je l'ai préférée, dit-il, aux royaumes et aux trônes, et j'ai cru que les richesses ne sont rien au prix de ce trésor.... » Sap. VII, 8, et seq. Vous le voyez : ce que les hommes estiment le plus, empires, royaumes, trônes, richesses, argent, or, pierreries, enfin la santé et la beauté, que l'on regarde comme les deux principaux présents de la nature, ne sont rien en comparaison de ce don du ciel. Mais qui persuaderait cela aux hommes du siècle ?
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Message par Laetitia »

Cependant, que le monde s'insurge tant qu'il voudra, pour moi je préférerai les divins oracles non-seulement au jugement grossier de la multitude, mais au jugement de tous les siècles et de tous les sages du monde.

Si vous demandez quel est l'auteur de cette ineffable suavité, il est hors de doute que c'est celui qui pour cela s'appelle Consolateur. Sa mission est décrite en ces termes par Isaie : « C'est ainsi que le Seigneur consolera Sion ; il la consolera de toutes ses ruines ; il changera ses déserts en des lieux de délices, et sa solitude en un jardin du Seigneur ; » c'est-à-dire, dans ce désert du monde hérissé de broussailles il plantera un jardin délicieux, pour y jouir de son bonheur avec les enfants des hommes. Aussi il ajoute : « On y verra partout la joie et l'allégresse, on y entendra les actions de grâces et les cantiques de louanges. » Isa. LI, 3. N'a-t-il donc pas lieu de se réjouir et de rendre grâces, celui qui naguère encore semblable à un désert aride, désolé et stérile, se voit tout-à-coup, par le bienfait de la grâce divine, transformé en un jardin délicieux ? Et pour qu'on n'aille pas s'imaginer que ces délices sont préparées par le ministère des anges ou d'autres créatures, le Seigneur ajoute : « C'est moi, oui, moi, qui vous consolerai. Ibid. 12. Non content d'avoir dit une fois, c'est moi, il répète l'affirmation ; ce qui donne au langage une force peu ordinaire. Or, si le Tout-Puissant se charge lui-même de consoler les justes, que ne sera pas une consolation venant d'une telle source ? De cette immense majesté que peut-il sortir qui n'en reproduise la grandeur ? Ailleurs, par la bouche du même Prophète, il fait plus clairement encore la même promesse en ces termes : « On vous portera à la mamelle, et on vous caressera sur les genoux. Comme une mère caresse son petit enfant, ainsi je vous consolerai. » Isa. LXVI, 12 et 13.

Quoi de plus doux, de plus caressant, de plus tendre ? Quelles persécutions les justes n'endureront-ils pas volontiers pour jouir de cette tendresse plus que maternelle de Dieu ?
(à suivre)
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Laetitia
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Re: Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le dimanche dans l'octave de l'Ascension

Message par Laetitia »

II.


Si vous me demandez par quel moyen vous pourrez obtenir ces dons si merveilleux de l'Esprit divin, sachez que celui qui les confère prépare aussi l'âme à les recevoir. Il faut donc le supplier qu'il daigne nous préparer à recueillir ses dons. C'est ce que fait saint Augustin en ces termes : « Seigneur, la demeure de mon âme est étroite ; élargissez-la, pour que vous y veniez. C'est une ruine, réparez-la. Elle a de quoi blesser vos yeux, je l'avoue et je le sais. Mais qui est-ce qui la purifiera ? ou quel autre que vous invoquerai-je en disant : Purifiez-moi, Seigneur, de mes souillures cachées ? » Medit.

On prépare donc au Saint-Esprit une habitation digne de lui, en le suppliant assidûment de daigner se faire dans nos âmes un tabernacle pur. Aucun manque de confiance ne doit nous détourner de cette pratique, puisque la Vérité elle-même nous encourage par ces paroles : « Si donc vous, tout méchants que vous êtes, vous savez néanmoins donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison votre Père céleste donnera-t-il le bon Esprit à ceux qui le lui demandent ? Luc. XI, 13. Ces paroles montrent clairement que des prières assidues sont d'un grand secours pour obtenir les dons du Saint-Esprit.

Cependant qu'on ne s'imagine pas que cela seul suffit, si l'on ne met aussi la main à la charrue. Plutarque rapporte que les Lacédémoniens avaient coutume d'étendre la main pour invoquer la Fortune, une de leurs déesses ; par là ils donnaient à entendre que, si l'on veut réussir, il faut seconder ses vœux et ses prières par des efforts et de l'activité. Un grand historien, Salluste, est du même avis : « Ce ne sont pas, dit-il, des vœux efféminés qu'il faut pour obtenir le secours des dieux ; c'est par la vigilance et l'action que s'obtiennent les succès. » Cette pensée, quoique venant d'un païen, est tout-à-fait en harmonie avec notre foi, qui enseigne que les œuvres de piété et de justice doivent se joindre aux prières que nous adressons à Dieu.

Il ne suffit donc pas d'invoquer l'Esprit-Saint, pour qu'il établisse en vous sa demeure ; il faut vous appliquer aussi à orner votre âme de toute sorte de vertus. Car de même que le corps de l'enfant, dans le sein maternel, doit être muni de tous les organes, pour que l'auteur de la nature y unisse l'âme, qui perfectionne les sens eux-mêmes et les fait participer à la vie raisonnable, de même, l'âme, pour recevoir le Saint-Esprit, doit être ornée des dons célestes, ce qui n'empêche pas que le Saint-Esprit, venant dans l'âme perfectionne et agrandit ces dons : bien plus, c'est lui qui, même avant sa venue, aide l'âme à les acquérir.

Saint Augustin, commentant ces paroles du Seigneur, « Si vous m'aimez, gardez mes commandements ; je prierai mon Père, et il vous donnera un autre Consolateur, » Joan. XIV, 15, s'exprime ainsi : « Le Seigneur parle ici du Saint- Esprit, sans la possession duquel nous ne pouvons ni aimer Dieu, ni garder ses commandements. Comment donc aimer, afin de recevoir celui sans lequel nous ne pouvons aimer ? ou comment observer les commandements, afin de recevoir celui sans la possession duquel nous ne saurions observer les commandements ? Surtout quand l'Apôtre dit : « Personne ne peut confesser que Jésus est le Seigneur, si non par le Saint-Esprit. » I Cor. XII, 3. Car qui est-ce qui dit que Jésus est le Seigneur, sinon celui qui l'aime, pourvu qu'il le dise dans le sens que l'Apôtre veut qu'on l'entende ? » A cela saint Augustin répond : « Quiconque aime Dieu, a le Saint-Esprit; en l'ayant, il mérite de l'avoir davantage ; et en l'ayant davantage, d'aimer Dieu davantage. Ainsi les disciples avaient déjà le Saint- Esprit que Jésus promettait, et sans lequel ils ne pouvaient l'appeler Seigneur; cependant ils ne l'avaient pas encore comme le promettait Jésus. »
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