Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le Ve dimanche après l'Épiphanie

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Laetitia
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Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le Ve dimanche après l'Épiphanie

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SERMON POUR LE CINQUIÈME DIMANCHE APRES L'ÉPIPHANIE.

Explication de l'Évangile.


Domine, nonne bonum semen seminasti in agro tuo ? Unde ergo habet zizania ?
Seigneur, n'avez-vous pas semé de bon grain dans votre champ ? D'où vient donc qu'il s'y trouve de l'ivraie ?
Matth., XIII, 27.


Lorsque le Seigneur descendit sur le mont Sinaï pour donner des lois aux Hébreux, il apparut, dit la sainte Écriture, sous la forme du feu : « L'aspect de la gloire du Seigneur était comme un feu ardent au plus haut de la montagne, en présence de tous les enfants d'Israël. » Erat species gloriæ Domini, quasi ignis ardens super verticem montis, in conspectu filiorum Israel. Exod., XXIV, 17. Tout homme raisonnable doit reconnaître là un dessein particulier de la divine sagesse ; car les œuvres de Dieu sont parfaites, et toutes, soit dans l'ordre de la nature, soit dans l'ordre de la grâce, ont leur raison d'être. Puis donc qu'il pouvait manifester sa gloire aux hommes sous une autre image, pourquoi a-t-il choisi celle du feu ? Il me semble en trouver la principale raison dans les propriétés de cet élément, qui figure très-bien la nature de la divine bonté. En effet, de tous les éléments, c'est le feu qui tend avec plus de force à se répandre dans les autres corps, à les pénétrer de sa vertu et à se les rendre semblables.
Mettez en contact avec lui de l'huile, du bois, un morceau de fer, même de l'eau, il s'efforce aussitôt de les changer en sa nature, et de leur communiquer sa forme et son éclat. Or, telle est la nature de la bonté de Dieu, qui se répand partout, embrasse tout, et tâche, dans une certaine mesure, de tout amener à sa ressemblance. C'est ce qu'atteste cette prière de Notre-Seigneur Jésus Christ à son Père : « Je leur ai donné, dit-il, la gloire que vous m'avez donnée, afin qu'ils soient un comme nous sommes un. Je suis en eux, et vous en moi, afin qu'ils soient consommés en un, » ego claritatem quam dedisti mihi, dedi eis, ut sint unum, sicut et nos sumus unum. Ego in eis, et tu in me, ut sint consummati in unum, Joann., XVII, 22, 23. Vous voyez ici une communication évidente de la gloire divine, conséquence nécessaire de l'unité des esprits.

La nature de la bonté de Dieu ne se révèle pas moins clairement dans la parabole du Père de famille, qui sort à différentes heures du jour et loue des ouvriers pour sa vigne, c'est-à-dire, appelle le genre humain à la pratique de la vertu et de piété, qui nous rend semblables à Dieu, et imprime en nous une image de ses perfections; dans la parabole du semeur, qui répand la semence sur toute la surface de son champ, même dans les parties que les pierres ou les épines doivent rendre stériles ; enfin dans la parabole de ce dimanche, où nous voyons : 1° avec quel soin et quelle sollicitude le céleste Père de famille cultive son champ, c'est-à-dire, travaille au salut des hommes ; 2° par quelle ruse le démon, ennemi acharné du genre humain, s'efforce d'empêcher ce bienfait de la providence divine ; 3° quelle occasion favorable il trouve pour exécuter ses funestes desseins ; 4° enfin quelles sont les causes d'un si grand mal. Le développement de ces quatre points fera la matière de ce discours.

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I.

« Le royaume des cieux est semblable à un homme qui avait semé de bon grain dans son champ. » Cet homme représente le Dieu très-bon et très-grand, qui a entrepris de cultiver avec un grand soin le champ de son Église. La semence qu'il y jette, ce n'est pas seulement la parole de Dieu, ce sont tous les moyens par lesquels cette infinie bonté opère le salut des âmes. Ainsi la première semence qu'il jeta dans le champ de la nature humaine fut la justice et la grâce originelle; car, dit saint Basile, dans le moment même où il créa la nature, il répandit la grâce, simul et naturam condidit, et gratiam infudit. Fécondé par cette céleste semence, notre cœur devait produire les fruits célestes des bonnes œuvres.

Lorsque le péché eut fait perdre à.l'homme la justice originelle, Dieu voulut laisser dans la nature ainsi dépouillée et blessée d'autres semences de vertus, que nous retrouvons encore en nous, afin que l'homme ne fût pas tout à fait incapable de bien. Ainsi la nature elle-même, quoique déchue et portée au mal, nous dispose et nous excite au respect de nos parents et des personnes plus âgées que nous, à la piété envers Dieu, à la reconnaissance pour un bienfait reçu, à la pitié envers les malheureux, en un mot, à l'amour du bien et à la haine du mal ; elle a en outre, pour nous éloigner du mal, une sorte de frein, qui est la pudeur et la honte. Écoutons Cicéron, au III° livre des Tusculanes, exposer sur ce sujet les opinions des stoïciens : « La nature, dit-il, a jeté dans nos cœurs des semences de vertu, qu'il suffirait de laisser grandir pour arriver au bonheur. Mais aussitôt que nous venons au monde, la perversité nous entoure, et et nous suçons le vice avec le lait de nos nourrices. Rendus à nos parents nous sommes livrés à des maîtres qui nous pénètrent tellement de toutes sortes d'erreurs, que le mensonge étouffe la vérité, et ce qui est de convention triomphe de la nature. »

Mais, comme ces semences ne suffisent pas à nous rendre vertueux, Dieu met en nous d'autres secours beaucoup plus efficaces, savoir les mouvements intérieurs de l'âme et l'assistance de la grâce, par lesquels, sans que retentisse aucune parole, non seulement il nous apprend la vertu, mais encore nous y excite et у incline doucement notre volonté. « Il est écrit dans les Prophètes, dit le Sauveur : lls seront tous enseignés de Dieu. Quiconque a entendu le Père et appris de lui, vient à moi, » Est scriptum in prophetis : Erunt omnes docibiles Dei. Omnis qui audit a Patre, et didicit, venit ad me, Joan., VI, 45. Et ailleurs : « Me voici à la porte, et je frappe, » éveillant, par ces coups secrets, l'attention de l'âme, et avertissant les hommes de leur salut, ecce ego sto ad ostium, et pulso, Apoc., III, 20. Ces avertissements, quelque secrets qu'ils soient, sont entendus sans peine des hommes pieux, qui peuvent dire comme Job : « Une parole m'a été apportée furtivement, et mon oreille a saisi ce léger murmure, quasi furtive suscepit auris mea venas susurri ejus, Job, IV, 12 : furtivement, c'est-à-dire, sans bruit extérieur, en secret, et comme à la dérobée. Aussi arrive-t-il que beaucoup n'entendent pas cette voie du Seigneur, ou bien l'entendant, passent sans l'écouter, bien différents de celui qui disait : « J'écouterai ce que le Seigneur dira au-dedans de moi. » Audiam quid loquatur in me Dominus Deus, Ps. LXXXIV, 9. Il n'est personne qui n'entende souvent Dieu l'avertir et lui dire au-dedans de son cœur : « Enfants, jusques à quand aimerez-vous l'enfance ? jusques à quand les insensés désireront-ils ce qui leur est pernicieux ? » Usquequo, parvuli, diligitis infantiam, et stulti ea quæ sibi sunt noxia cupient ? Prov., I, 22. Non-seulement il jette cette semence au-dedans de nous par ses inspirations secrètes, mais encore il fait retentir à nos oreilles la voix de l’Église, lorsqu'il ne cesse d'appeler les hommes à la piété et à la justice par les prophètes, par les apôtres, par les docteurs, et par tous les ministres de sa parole.

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Aussi l'un d'eux : « Nous remplissons la charge d'ambassadeurs de Jésus-Christ, dit-il, et c'est Dieu qui vous exhorte par notre bouche. Nous vous conjurons, au nom de Jésus-Christ, de vous réconcilier avec Dieu. » Pro Christo legatione fungimur, tanquam Deo exhortante per nos. Obsecramus pro Christo, reconciliamini Deo, II Cor., v, 20. Et ce sont ces exhortations que l’Évangile appelle surtout semence de Dieu. Une semence, en effet, si elle est petite par son volume, ne l'est point par sa vertu, puisqu'elle donne naissance à un grand arbre, comme nous le montre la vie de saint François d'Assise et celle de saint Antoine, l'illustre fondateur de la vie érémitique. Le premier ayant entendu cette seule maxime du Sauveur : « Celui qui ne renonce pas à tout ce qu'il possède ne peut être mon disciple, » se dépouilla de tous ses biens; le second ayant entendu cette autre maxime : « Voulez-vous être parfait ? allez, vendez ce que vous avez, et donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel, » vendit tout ce qu'il avait et en distribua le prix aux pauvres. Voyez quel grand arbre produisit un grain de semence : un Antoine, qui fut le père de tant de moines, un François d'Assise, qui étendit ses rejetons jusqu'aux extrémités du monde.

Les exemples des saints sont aussi une semence, bien plus féconde encore en vertus que la parole des prédicateurs. La méthode des préceptes est longue, dit un sage, celle des exemples est courte et efficace ; en effet, les paroles instruisent, mais les exemples prennent l'homme comme par la main et le conduisent à la vertu. Le Seigneur n'a jamais cessé non plus, depuis l'origine du monde, de répandre cette semence ; il en a jeté parmi les hommes autant de grains qu'il a suscité de saints personnages ; car les saints sont désignés sous le nom de semence, comme l'atteste Isaïe : « Tous ceux qui les verront, dit ce prophète, les reconnaîtront pour la semence que le Seigneur a bénie. » Omnes qui viderint eos, cognoscent illos, quia isti sunt semen cui benedixit Dominus. Isa., LXI, 9.
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Que les exemples aient plus d'efficacité que les paroles pour exciter à la vertu, c'est ce que nous voyons dans saint Augustin, dont un pieux auteur nous dit : « L'amour de Jésus-Christ avait blessé son cœur, et il portait dans ses entrailles ses paroles comme des flèches aiguës, et les exemples des grands serviteurs de Dieu comme des charbons ardents. » Évidemment, cet auteur a voulu, par les charbons ardents, exprimer une idée plus forte que par les flèches aiguës. Augustin lui-même, qui avait longtemps différé sa conversion et lutte contre les affections de la chair, frappé enfin d'admiration pour les vertus de saint Antoine, dont son ami Potitien lui avait retracé le tableau, se décida à changer de vie. Il nous raconte, dans ses Confessions, l'agitation qui bouleversait son âme pendant le récit de Potitien : « Vous, Seigneur, dit-il, tandis qu'il parlait, vous me retourniez vers moi-même ; vous effaciez ce dos que je me présentais pour ne pas voir, et vous me placiez devant ma face pour que je visse enfin toute ma laideur et ma difformité, et mes taches, et mes souillures, et mes ulcères. Et je voyais, et j'avais horreur, et impossible de fuir de moi ! Et si je m’efforçais de détourner mes yeux de moi, cet homme venait avec son récit ; et vous m'opposiez de nouveau à moi, et me présentiez à mes propres regards, pour que mon iniquité me fût présente et odieuse. Je la connaissais bien ; mais par dissimulation, par connivence, je l'oubliais. Alors aussi, plus je me sentais d'ardent amour pour ces confiances salutaires qui se livraient sans réserve à votre cure, plus j'avais, au retour sur moi, de haine et d'imprécations contre moi-même. » Ces pensées et ces paroles étaient-elles autre chose que la semence de la grâce prévenante jetée dans son cœur ?

Vous comprenez maintenant, mes frères, la vérité de ce que nous disions en commençant ce discours; vous comprenez quelle est la libéralité et la tendresse de la bonté de Dieu, qui a recours à tant de moyens, à tant d'avertissements, à tant de bienfaits pour nous appeler à lui et nous faire participer à ces dons. Ces moyens sont la semence céleste par laquelle il féconde le champ de son Église, semence dont il est dit dans l’Évangile de ce dimanche : « Le royaume des cieux est semblable à un homme qui avait semé de bon grain dans son champ. »

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II.

Ces soins paternels, cette providence de Dieu, l'homme ennemi, c'est-à-dire le démon, qui est l'ennemi acharné du genre humain, s'efforce de les rendre inutiles, en jetant de son côté une semence mauvaise dans le champ du Seigneur. De même que Dieu, à l'origine, répandit dans l'âme de l'homme la justice originelle et la grâce, ainsi le démon y jeta l'ivraie du péché originel, souillant ainsi la pureté de notre nature et étouffant la semence divine de la grâce. Ce péché fut comme la semence fatale qui donna naissance à toutes les iniquités et à tous les maux de la terre. En effet, c'est de ce germe que vient l'amour excessif de soi, source, dit saint Thomas, des autres péchés, puisqu'il pousse l'homme aveugle à violer la loi de Dieu, soit pour se procurer quelque avantage, soit pour éviter quelque désavantage.

Non content de nous avoir entraînés dans cette chute déplorable, le démon tâche de nous pousser au mal par de secrètes suggestions, qui sont des semences de péché, de même que Dieu nous excite au bien par les bonnes inspirations dont nous avons parlé plus haut. Pour réussir à souiller nos âmes, il a aussi recours aux moyens extérieurs, tels que les conseils et les flatteries des méchants. Enfin, pour contrebalancer l'action de Dieu qui suscite de saints personnages, afin que l'exemple de leur vertu aiguillonne les autres, le démon jette dans le champ du Seigneur la semence des exemples pervers, et se sert des vices des méchants pour corrompre les justes. Dans les maisons de Babylone, dit Isaïe, les hiboux se répondent les uns aux autres, et respondebunt ibi ululæ in ædibus ejus, Isaï. XIII, 22 : les hiboux, c'est-à-dire, des oiseaux immondes, quoique leur plumage ne manque pas de beauté.

N'est-ce pas ce qui arrive dans le monde où les pécheurs semblent lutter de malice, et cherchent à l'emporter les uns sur les autres en vanité, en faste, en orgueil, en plaisirs, en richesses ?
Combien cette semence adultère cause de préjudice à la moisson de Jésus-Christ, c'est ce que nous apprend la prière suivante du Psalmiste : « Sauvez-moi, Seigneur, parce qu'il n'y a plus aucun saint, parce que les vérités ont été altérées par les enfants des hommes. » Salvum me fac, Domine, quoniam defecit sanctus, quoniam diminutæ sunt veritates a filiis hominum, Ps. XI, 2. Le pieux roi n'implorerait pas ainsi le secours divin, s'il ne connaissait parfaitement toute la puissance qu'ont tant de mauvais exemples pour pervertir les hommes. Il exprime d'ailleurs cette dernière pensée très-clairement dans un autre passage : « Les enfants d'Israël, dit-il, se mêlèrent parmi les nations, et ils apprirent leurs œuvres, et ils adorèrent leurs idoles, ce qui leur fut une occasion de scandale, » et commixti sunt inter gentes, et didicerunt opera eorum, et servierunt sculptilibus eorum, et factum est illis in scandalum. Ps. CV, 36, 37. Il connaissait aussi la grandeur de ce danger, ce chef illustre du peuple de Dieu, Josué, qui, près de mourir, assembla autour de lui les chefs des familles, et leur dit : « Que si vous voulez vous attacher aux erreurs des peuples qui demeurent parmi vous, et vous mêler avec eux par le lien du mariage et par une union d'amitié, sachez dès maintenant que le Seigneur votre Dieu ne les exterminera point devant vous, mais qu'ils deviendront à votre égard comme un piége et un filet, comme des épines qui vous perceront les yeux. » Quod si volueritis gentium harum, quæ inter vos habitant, erroribus adhærere, et cum eis miscere connubia atque amicitias copulare, jam nunc scitote quod Deus vester non eas deleat ante faciem vestram, sed sint vobis in foveam et laqueum, et sudes in oculis vestris. Jos. XXIII, 12, 13. Et c'est là surtout ce qui explique à mes yeux pourquoi ce peuple, malgré tant de promesses, tant de menaces, tant de châtiments divins, retombait toujours dans l'idolâtrie : il lui était extrêmement difficile de ne pas imiter les mœurs et les usages des nations avec lesquelles il se trouvait en contact.

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Voilà pourquoi encore, avant le déluge, tous les hommes avaient oublié leur voie, et Noé avec sa famille était le seul juste qui restât sur la terre. En effet, l'homme est porté par la nature elle-même à imiter ceux avec lesquels il vit ; il appréhende, au contraire, il redoute plus qu'on ne saurait dire tout genre de vie nouveau et inaccoutumé; et tous les mauvais exemples qu'il a sous les yeux sont autant d'aiguillons qui l'excitent au péché. C'est pourquoi tout homme qui désire pratiquer la vertu et la piété doit éviter avec le plus grand soin le commerce des méchants. « Si vous vivez longtemps dans la compagnie des gens pervers, dit Sénèque, de deux choses l'une, ou vous les imiterez, ou vous les haïrez; or, il ne faut tomber dans aucune de ces deux extrémités : ni devenir semblable aux méchants, parce qu'ils sont nombreux ; ni haïr cette multitude, parce qu'elle ne vous ressemble pas. » D'ailleurs qui peut toucher de la poix sans en être souillé ? Qui tetigerit picem, inquinabitur ab ea. Eccli. XIII, 1. Qui peut marcher sur des charbons, sans se brûler la plante des pieds ? Numquid potest homo ambulare super prunas, ut non comburantur plantæ ejus ? Prov. VI, 28. C'est avec raison que l’Ecclésiastique prononce cet oracle : « L'homme pervers porte la perdition sur ses lèvres, et sous sa langue cache le feu, » perversus in ore suo portat perditionem, et in labiis suis ignem condit : la perdition pour lui même, le feu et l'incendie pour les autres. De là ces paroles de saint Grégoire : « Un air corrompu souvent respiré nuit au corps ; ainsi les discours mauvais des pécheurs souvent entendus nuisent aux âmes faibles. »

Telles sont les raisons pour lesquelles l'homme ennemi sème l'ivraie dans le champ du Seigneur.
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Pourquoi donc, me demanderez-vous peut-être, le démon nous poursuit-il d'une haine semblable, et s'efforce-t-il de toutes manières de mettre obstacle à notre avancement et à notre salut, ce qui fait que l'évangile de ce dimanche lui donne le nom d'ennemi ?
Nous répondons que le démon est l'ennemi acharné de Dieu qui l'a précipité des hauteurs célestes dans l'abîme de l'enfer, pour y être livré à un supplice éternel. Or, ne pouvant nuire à Dieu lui-même, ni porter aucune atteinte à son infinie majesté, il s'attaque à son image, afin de se venger de lui, autant qu'il le peut, sur ses créatures : semblable, dit saint Basile, à la panthère qui, naturellement ennemie de l'homme et acharnée contre lui, se précipite avec fureur sur les statues qui le représentent, et les met en pièces comme si elle avait affaire à l'homme lui-même.

Ainsi encore les rois de la terre que la haine divise, ne pouvant se nuire personnellement les uns aux autres, envahissent leur territoire réciproque, et livrent tout à feu et à sang. De même le démon, dans sa haine impuissante contre le souverain Juge, tourne les traits de sa fureur contre nous, faibles brebis. Aussi, dans l’Apocalypse, entendons-nous un ange s'écrier d'une voix forte : « Malheur à la terre et à la mer, parce que le diable est descendu vers vous plein de colère, sachant le peu de temps qui lui reste. » Væ terræ et mari, quia descendit diabolus ad vos, habens iram magnam, sciens quod modicum tempus habet. Apoc., XII, 12. Cette colère du diable est excitée par un double motif, et parce qu'il hait Dieu, et parce qu'il voit approcher la fin du monde, où son empire sera détruit, et lui-même enfermé pour toujours dans le noir abîme. Tandis que le démon est si ardent à notre perte, et rôde autour de nous comme un lion cherchant sa proie, nous, infortunés, exposés à un si grand danger, menacés par un si cruel ennemi, nous dormons sur les deux oreilles, sans nous inquiéter du péril, sans songer aux moyens d'y échapper.

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III.

Notre-Seigneur n'a pas négligé de nous apprendre quelle circonstance favorable le démon choisit pour accomplir son dessein. « Pendant que les hommes dormaient, dit-il, l'ennemi vint et sema de l'ivraie au milieu du froment. » A la lettre, cela paraît s'appliquer aux hérétiques et aux pasteurs négligents : pendant que les pasteurs dorment et ne veillent point sur leur troupeau, les loups, c'est-à-dire les hérétiques, à la faveur du silence et de l'obscurité de la nuit, envahissent le bercail de Jésus-Christ, et y causent d'affreux ravages. Mais comme il ne s'agit ici ni de pasteurs ni d'hérétiques, laissons-là leur cause pour nous occuper de la nôtre ; car pendant notre sommeil aussi l'homme ennemi sème l'ivraie. Quand je dis pendant notre sommeil, il est clair qu'il faut entendre un sommeil spirituel, dont le sommeil corporel toutefois nous fera connaître la nature.

Or nous disons que le corps est plongé dans le sommeil lorsque toute opération de l'âme est suspendue, et que la vie végétative seule exerce ses fonctions. C'est pourquoi les philosophes présentent le sommeil comme une image de la mort, et un poète célèbre, Virgile, l'appelle le frère de la mort : non que toutes les facultés de l'âme soient alors éteintes, mais parce qu'elles sont à peu près aussi inactives que si la mort les avait frappées.

Pour en venir à l'application, il y a des chrétiens qui veillent et gardent leur âme avec tant de soin, que le diable ne peut trouver auprès d'eux aucun accès, aucun moment favorable pour semer l'ivraie ; à peine a-t-il commencé à se glisser qu'on lui ferme les portes et qu'on le repousse au loin. Mais il en est d'autres si paresseux, si adonnés au sommeil, si oublieux de Dieu, que l'affaire de leur salut ne les touche en aucune manière. Ils ont la foi, mais une foi morte, et si bien morte, qu'elle ne leur donne aucune force pour faire le bien, et ne leur inspire même plus de remords lorsqu'ils violent la loi du Seigneur. Tels sont les hommes dont notre évangile dit qu'ils dorment; ils ne pratiquent plus aucune œuvre de vertu et de piété, et les facultés de leur âme, pour tout ce qui regarde la vie chrétienne, sont assoupies et comme frappées de mort. Combien ne trouverions-nous pas de ces chrétiens endormis ! Demandez-leur s'ils pensent à Dieu dans la méditation, s'ils l'aiment de tout leur cœur, s'ils se rappellent ses bienfaits, ils vous répondront, s'ils sont sincères, qu'ils n'ont jamais réfléchi à ces choses ni excité en eux ces sentiments. Les facultés supérieures de leur âme sont donc, par rapport aux choses spirituelles et divines, comme plongées dans un sommeil de mort, sommeil auquel le Psalmiste fait allusion dans ce passage : « Dieu n'est point en sa présence, » non est Deus in conspectu ejus, Ps. IX, 26 ; d'autres traduisent plus clairement : « Dieu n'est point dans ses pensées. » Non est Deus in ullis cogitationibus ejus. Ils se conduisent en effet comme si Dieu n'était pas dans le monde, ou comme si leur âme était, par rapport à Dieu, morte et ensevelie.
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Non-seulement les facultés de l'âme, mais les vertus aussi sont plongées dans ce sommeil. La foi est endormie, puisqu'elle ne fait aucune attention à ce qu'elle croit ; car si elle y réfléchissait, ne mènerait-elle pas une vie toute différente ? L'espérance est endormie, puisqu'elle ne se met jamais devant les yeux les biens invisibles et célestes, dont la vue l'exciterait aux bonnes œuvres.

La charité est endormie, que dis-je ? elle est éteinte, puisqu'elle ne fait plus briller une étincelle d'amour pour la bonté et la beauté divine. La prudence surnaturelle est endormie et morte avec la charité; elle ne remplit plus son office qui est de discerner le bien du mal, ce qui est précieux de ce qui est vil ; et pendant qu'elle dort l'homme ennemi sème l'ivraie et étouffe la bonne semence sous la mauvaise. Ainsi s'était endormie, en nettoyant du blé, la femme qui gardait la porte du roi, et pendant son sommeil les fils de Remnon entrèrent et égorgèrent sur sa couche Isboseth, le fils de Saül : telle est la conduite de l'antique ennemi du genre humain lorsqu'il s'aperçoit que la vertu de prudence et de discrétion, dont cette femme, occupée à à nettoyer du blé était la figure, sommeille en nous. Alors aussi la vigilance est endormie, la vigilance, gardienne de notre âme, placée comme sur une éminence pour apercevoir de loin le danger, pour reconnaître l'ennemi et nous mettre en garde contre ses attaques, la vigilance enfin que la sainte Écriture nous recommande dans ce passage : « Conservez-vous donc vous-même, et gardez votre âme avec un grand soin. » Custodi igitur temetipsum, et animam tuam sollicite. Deut., IV, 99

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Pourquoi les animaux mystérieux de la vision d’Ezéchiel nous sont-ils représentés avec des yeux répandus sur toutes les parties du corps, sinon pour nous figurer cette vigilance sans laquelle notre vie ne peut trouver aucune sûreté au milieu de tant de pièges, de tant de traits et de tant d'ennemis ? Si cette vertu vient à faire défaut, si l'âme trompée par une fausse apparence de sécurité se livre au sommeil, notre ennemi appelle aux armes ses compagnons et leur adresse les paroles que les espions de la tribu de Dan se disaient les uns aux autres en voyant le peuple de Laïs plongé dans les délices de la paix : « Nous trouverons des gens qui ne sont pas sur leur garde. » Intrabimus ad securos. Judic., XVIII, 10.

Que les plus grands maux découlent de cette négligence, c'est ce que Salomon nous enseigne, lorsqu'il dit : « J'ai passé par le champ du paresseux, et par la vigne de l'homme insensé, et j'ai trouvé que tout était plein d'orties, que les épines en couvraient toute la surface, et que la muraille de pierres était abattue. » Per agrum hominis pigri transivi, et per vineam viri stulti, et ecce totum repleverant urticæ, et operuerant superficiem ejus spinæ, et maceria lapidum destructa erat. Prov., XXIV, 30, 31. Vous voyez comment, lorsque les hommes se livrent au sommeil et à la négligence, l'ennemi jette la semence mauvaise d'où naissent les épines et les orties. Écoutez maintenant avec quelle force et quelle indignation Salomon gourmande l'homme indolent et apathique : « Jusques. à quand dormirez-vous, paresseux ? Quand vous réveillerez-vous de votre sommeil ? Vous dormirez un peu, vous sommeillerez un peu, vous mettrez un peu les mains l'une dans l'autre pour vous reposer ; et l'indigence viendra vous surprendre comme un voyageur, et la pauvreté se saisira de vous comme un brigand armé. » Usquequo, piger, dormies ? Quando consurges e somno tuo ? Paululum dormies, paululum dormita bis, paululum conseres manus tuas ut dormias, et veniet tibi quasi viator egestas, et mendicitas quasi vir armatus. Prov., VI, 9, 10.

Le Saint-Esprit compare la pauvreté à un homme armé, parce que, de même qu'il est difficile de vaincre un homme revêtu d'une bonne armure, ainsi on ne triomphe pas sans de grands efforts de la nature humaine corrompue par le vice de son origine et endurcie par une longue habitude du péché. Il la compare aussi à un voyageur, parce que, de même qu'un voyageur, en s'avançant un peu chaque jour finit par arriver au terme de son voyage, ainsi la puissance ou plutôt la tyrannie de la mauvaise habitude ne jette pas en un moment de profondes racines dans l'âme ; mais elle les y enfonce lentement et par degrés, et finit par l'enlacer avec tant de forces qu'il devient extrêmement difficile de l'arracher à ses étreintes.

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