Musique au Moyen Âge

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Gaudeamus in Domino
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Musique au Moyen Âge

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Annales archéologiques, Tome III, Paris, 1845, pp76-81 a écrit :
ESSAI SUR LES INSTRUMENTS DE MUSIQUE AU MOYEN AGE. Par Monsieur E. de Coussemaker


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Il est peu de parties de l'histoire musicale qui présentent autant d'obscurité que celle des instruments de musique, depuis l'établissement du christianisme jusqu'au XIème siècle. Les monuments figurés, qui sont toujours d'un si grand secours dans les études historiques, et qui suppléent même souvent aux documents écrits, sont en petit nombre à cette époque, et l'incorrection qu'on remarque dans les dessins qui les figurent, offre rarement la garantie d'exactitude nécessaire pour que l'on puisse se former une opinion à l'abri d'erreurs. Ce n'est donc qu'avec une certaine réserve qu'on peut les admettre comme représentation fidèle des instruments alors en usage; ce n'est également qu'avec une sorte de défiance que nous abordons ce sujet difficile. En conséquence, nous invoquerons l'indulgence du lecteur.

Les contrées qui forment aujourd'hui les principaux états de l'Europe occidentale, et surtout la France, étaient à cette époque, pour ainsi dire, le centre du mouvement de rénovation sociale, produit, tant par le choc de moeurs rudes mais pleines d'avenir des peuples du Nord contre la civilisation romaine, que par la fusion des éléments divers de ces deux nations, et par leur contact avec le monde chrétien qui grandissait de jour en jour. C'est là qu'il faut étudier la transformation qui s'est opérée dans les arts, l'influence qui en est résultée sur les moeurs et, pour rester dans le sujet qui nous occupe, l'état des instruments de musique alors en usage.

Bien que les renseignements sur la civilisation des Gaulois et des autres peuples celtiques, avant la conquête des Gaules par les Romains, soient en général très vagues et très incomplets, l'on en possède assez néanmoins pour savoir que les bardes, à la fois poètes et musiciens, composaient des chants qu'ils exécutaient avec accompagnement d'instruments de musique. Ammien Marcellin parle d'une lyre avec laquelle ils accompagnaient leurs chants héroïques(1). Diodore de Sicile n'est pas aussi explicite; il dit seulement que les bardes se servaient d'instruments semblables aux lyres(2). Selon les uns, c'était la harpe ; suivant d'autres, c'était la cythare ou le psaltérium. Rien, à cet égard, n'est démontré. Ce qui résulte de plus précis des témoignages historiques, c'est que les instruments à cordes servaient à accompagner les chants des bardes, tandis que les instruments à vent, principalement les trompettes, étaient employés à exciter le courage des soldats, à jeter l'épouvante et la terreur parmi les ennemis. Les sons qui sortaient de ces trompettes produisaient, parait-il, un bruit horrible(3), ce qui laisse supposer que c'étaient des instruments de grande dimension. Les trompettes que l'on voit représentées sur un manuscrit, du VIIIe siècle de la bibliothèque Cottonienne, et dont nous reproduisons plus loin le dessin, donneront une idée de ce que pouvaient être ces instruments de guerre plutôt que de musique. On ne voit nulle part que les Gaulois se servaient d'instruments à percussion; mais il est probable qu'ils en avaient, cette sorte d'instruments étant en usage chez les peuples même les plus sauvages.

Les Grecs, en s'établissant dans le midi de la Gaule, les Romains en faisant la, conquête de cette contrée, y ont nécessairement introduit, avec leurs moeurs, leurs instruments de musique. Le perfectionnement qui, sous beaucoup de rapports, existait chez les premiers, surtout en tout ce qui concernait les arts, a dû produire des modifications dans l'art des Gaulois et, partant, dans leurs instruments de musique. Un autre fait est venu bientôt y apporter de nouvelles modifications : ce fait, c'est l'invasion des peuples du Nord, c'est leur amalgame avec la société romaine et gauloise. A la suite des Barbares, on voit apparaître de nouveaux instruments de musique, dont le type et le caractère semblent avoir été inconnus jusqu'alors.

Avant d'en parler, nous dirons quelques mots de l'usage des instruments de musique dans les cérémonies chrétiennes durant les premiers siècles. Ainsi que nous l'avons rapporté ailleurs, on n'est point d'accord sur ce point. Ceux qui adoptent l'affirmative, comme ceux qui se prononcent pour la négative, s'appuient sur divers passages des Saints Pères; mais, il faut le dire, ces passages sont la plupart peu clairs. Pour résoudre cette question, il nous semble qu'il faut non seulement consulter les documents écrits, mais aussi examiner la nature même des choses. Qu'on se rappelle donc la misère et les persécutions qu'eurent à supporter les premiers chrétiens; leur inexpérience dans la musique, l'irrégularité de leur culte pendant ces temps de terreur, et il paraîtra presque impossible que leur chant ait été, au milieu de telles circonstances, accompagné d'instruments de musique. Plus tard au contraire, lorsque les cérémonies furent devenues publiques et qu'on voulut y donner de la pompe et de la splendeur, il ne parait pas douteux qu'on les ait introduits dans l'Eglise ; mais, soit qu'on en abusât alors, en s'en servant à la manière des païens, soit que leurs sons n'eussent pas la dignité convenable, ils furent le sujet de sévères prohibitions de la part de plusieurs dignitaires de l'Eglise. Saint Ambroise et saint Augustin les proscrivirent de toute leur influence. Les efforts de ces grands hommes ne purent néanmoins en obtenir l'exclusion; loin de là, à côté des instruments à cordes, on introduisit les instruments à vent et à percussion. L'usage des instruments de musique ne fut toutefois ni général ni continu; on le prohiba ou on le maintint selon les lieux. Il n'y eut rien de réglé jusqu'à l'apparition de l'orgue, dont la force et l'éclat répondaient mieux à la vigueur du chant de la multitude, et qui, à cause de ses sons graves et majestueux, fut reconnu bientôt pour le seul et véritable instrument de musique de l'Église.

Les renseignements sur les instruments de musique du VIe au XIe siècle sont un peu plus nombreux que ceux de la période précédente; mais ils ne sont pas toujours néanmoins assez clairs ni assez précis pour donner les éléments d'une notion complète et exacte. Il est une autre source dont nous avons déjà parlé, et dans laquelle nous trouverons des secours précieux : c'est celle des monuments figurés que nous examinerons et interrogerons avec soin. Quant aux documents écrits, nous nous attacherons principalement à ceux fournis par les personnages contemporains qui ont vécu au milieu de cette société composée d'éléments hétérogènes. Nous n'invoquerons ceux des écrivains postérieurs que pour compléter ou expliquer les premiers, et nous serons fort sobres de conjectures.

Nous diviserons les instruments de musique de cette époque en trois classes :

- 1° en instruments à cordes, qui comprendront ceux dont les cordes sont pincées avec les doigts ou frappées avec un plectre, et ceux dont les cordes sont mises en vibration par frottement ;

- 2° en instruments à vent ;

- 3° en instruments à percussion.

(1) « Et bardi quidam fortia virorum illustrium heroicis composita versibus, cum dulcibus lyrae modulis cantitarunt.» Lib. XV, 25.
(2) « Sunt etiam apud eos melici poetae, quos bardos nominant. Hi ad instrumenta quaedam, lyris similia, horum laudes, illorum vituperationes decantant.» Lib. V, 31.
(3) « Barbaricis etiam pro suo more tubis utuntur, quae horridum et bellico terrori convenientem reddunt mugitum.» Diod. Sic. lib. V, 30. — « Terribilis erat classicorum sonitus, cum quibus simul omnis Gallorum multitudo tantum clamorem ululatumque attollebat, ut incredibilis vociferatio audiretur, nec tubae solum militesque, verum etiam circumstantia omnia loca vocem emittere viderentur.» Polybius, Lib. II.
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Gaudeamus in Domino
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[i]Annales archéologiques[/i], Tome III, Paris, 1845, pp 81-88 a écrit :
INSTRUMENTS A CORDES.

LYRE.


La lyre était, chez les Grecs et chez les Romains, l'instrument à cordes par excellence. Il y en avait de plusieurs formes et dont les cordes étaient plus ou moins nombreuses; mais celle à sept cordes était la plus usitée et passait pour la plus parfaite. La lyre se touchait avec les doigts ou avec un plectre; les musiciens les plus habiles la touchaient sans plectre. On en jouait quelquefois aussi des deux mains; cela s'appelait jouer en dedans et en dehors.
La lyre, après avoir été introduite dans les Gaules par les Romains et peut-être même par les Grecs, y resta en usage pendant longtemps; on la trouve avec sa forme antique parmi les monuments des IXe, Xe et XIe siècles.

Voici une lyre tirée d'un manuscrit, du IXe siècle ou du Xe, de la bibliothèque d'Angers (1).

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1.— Lyre antique. — IXe ou Xe siècle. — Ms. d'Angers.

Dans cette figure, le musicien touche la lyre avec les doigts. Mais on en jouait aussi avec un plectre, et Strutt, dans son « Angleterre ancienne, » a reproduit, d'après un manuscrit de la bibliothèque cottonienne, un groupe dans lequel se trouve un personnage qui joue de la lyre avec un plectre.
Les peuples germaniques se servaient aussi de la lyre; mais, en supposant qu'ils ne la connussent pas avant leur arrivée dans les Gaules, ils y apportèrent quelques modifications. L'abbé Gerbert a tiré, d'un manuscrit du IXe siècle, de Saint-Eméran, et d'un autre du même temps, de Saint-Blaise, deux instruments qui ont la plus grande analogie avec la lyre antique; ils y sont appelés « cythara teutonica. »
L'un d'eux, que nous reproduisons ici, est remarquable en ce qu'il a un cordier fixé à l'extrémité et en dehors du corps sonore, et en ce qu'il a un chevalet posé au milieu de la table; deux choses qui n'existaient pas dans la lyre antique, et qui appartiennent à la forme caractéristique des instruments à archet d'origine occidentale.

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2. — Lyre du Nord. — IXe siècle.

PSALTERIUM.

L'instrument de musique qui, chez les anciens, s'appelait psalterium, était un instrument à cordes, qu'on pinçait avec les doigts ou avec un plectre, et qui, à la différence de la cythare, dont nous parlerons plus loin, avait le corps sonore placé en haut.

A l'époque dont nous nous occupons, c'était un instrument du même genre. Il y avait deux sortes de psalterium : le psalterium carré et le psalterium triangulaire.

Le psalterium carré était monté de dix cordes tendues verticalement. Le corps sonore qui, d'après saint Augustin et Isidore de Séville, était en bois, en airain suivant saint Basile et Eusèbe, se trouvait en haut comme chez les anciens. On touchait les cordes avec la main droite et l'on soutenait l'instrument avec l'autre.

Le psalterium carré se jouait de deux manières. Dans l'une, il se posait sur les genoux de l'exécutant, comme dans le manuscrit d'Angers, et dans le n° 1118 , fonds latin de la Bibliothèque Royale de Paris, dont nous reproduisons ici de préférence la figure, à cause de la particularité suivante, qui mérite d'être remarquée, à savoir, le prolongement du corps sonore que le musicien appuie sur son épaule gauche.

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3. — Psalterium carré. — — Ms. de la Bibliothèque Royale



Il serait difficile de dire si ce prolongement était creux et formait suite au corps sonore. Ce corps sonore et ce prolongement sont peints en vert dans le manuscrit. Il est à présumer que cette couleur indique qu'ils étaient en airain; mais on ne saurait l'affirmer.

Dans l'autre manière, le psalterium carré se plaçait sur une espèce de piédestal creux comme dans la figure suivante, tirée d'un manuscrit du IXe siècle de la bibliothèque de Boulogne-sur-Mer (2).

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4. — Psalterium carré. — IXe siècle. — Ms. de Boulogne.

Ce dessin, remarquable sous bien des rapports, et dont nous sommes redevables, ainsi que des autres du même manuscrit, à l'obligeance de M. de Baiser, architecte à Boulogne, représente le roi David. Il en est de même de celui de la bibliothèque d'Angers. Nous ferons observer, à ce propos, que, dans les manuscrits datant du IXe au XIe siècle, David est figuré jouant presque toujours du psalterium carré « in modum clypei ; » tandis qu'à partir du XIIe siècle , c'est principalement la harpe qu'on voit entre les mains du chantre des Psaumes. Ce qui semble indiquer que le psalterium était considéré alors comme l'instrument le plus noble et le plus convenable aux louanges de Dieu.

Les mêmes manuscrits contiennent un autre instrument d'une forme à peu près semblable. Il est appelé, dans le premier : « Nabulum filii Jesse apud Hebreos; » dans le deuxième : « Psalterium in modum clypei. » Le nombre des cordes est différent dans les deux manuscrits. Voici le dessin de celui du manuscrit de Boulogne.

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5. — Psalterium à cordes nombreuses. — IXe siècle. — Ms. de Boulogne.


Le psalterium triangulaire, ou en forme de delta, était semblable à la cythare barbare. Suivant Isidore de Séville, il était appelé « canticum. » Ses cordes étaient posées perpendiculairement au côté du triangle qui formait le corps sonore; le nombre n'en semble pas avoir été déterminé. L'exécutant touchait l'instrument avec les doigts et le tenait par l'angle opposé au corps sonore. L'abbé Gerbert a reproduit (3) la figure d'un psalterium triangulaire qui offre peu de différence dans sa forme avec la cythare du manuscrit de Saint-Blaise que nous donnons plus loin. Mais le manuscrit 1118 contient un musicien portant en main un psalterium triangulaire d'une forme qui mérite d'être remarquée, et que voici :

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6. — Psalterium triangulaire. — IXè siècle — Ms. de la Bibl. Royale

Ce sont sans doute les rapports de cet instrument avec la harpe qui le firent tomber en désuétude. Le nom de psalterium ou psalterion fut conservé; il fut donné plus tard à un instrument à cordes qui avait de l'analogie avec celui-ci, mais qui avait encore plus de ressemblance avec le nable dont nous allons parler.


NABULUM.

Le nable, « nabulum » était un instrument à cordes composé d'une boîte sonore triangulaire, dont l'un des angles était souvent légèrement aplati ou arrondi. Les cordes étaient placées sur la face supérieure et perpendiculairement au côté opposé de l'angle aplati. Il est facile de voir que c'est l'instrument qui, aux XIVe et XVe siècles, fut appelé psalterion; avec cette différence qu'alors les cordes étaient placées, non perpendiculairement, mais parallèlement au contraire à la face opposée de l'angle tronqué. La figure de nable, que nous donnons ici, est tirée du manuscrit d'Angers.

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. . .. . .7. — Nabulum. — IXe siècle. — Ms. d'Angers.

Une figure semblable se trouve dans le manuscrit de Boulogne et dans un autre d'où Strutt a extrait les instruments de musique représentés sur la planche XIX de son « Angleterre ancienne. »


CYTHARA.

Le mot « cythara » servait, au commencement du christianisme, à désigner tous les instruments à cordes. C'est ainsi que l'on appelait « cythara barbara, » — « cythara teutonica, » — « cythara anglica, » des instruments à cordes qui ne se ressemblaient point, et dont le nom germanique se latinisait sans doute difficilement.

Il y avait néanmoins aussi un instrument auquel on donnait simplement le nom de cythare. Les manuscrits du IXe siècle contiennent des figures de cythares dans lesquelles le nombre de cordes seulement varie. Nous reproduisons ici la cithare du manuscrit de Boulogne.

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. . .. . .8 — Cythare. — IXe siècle. — Ms. de Boulogne.

La cythare barbare, en forme de delta, avait une grande ressemblance avec le psalterium triangulaire. La principale différence qui parait avoir existé dans ces deux instruments c'est que, contrairement à ce qui se pratiquait dans le psalterium, le corps sonore de la cythare se plaçait en bas. Nous donnons ici le dessin d'une cythare à douze cordes, d'après Gerbert, qui l'a tirée d'un manuscrit du IXe siècle de Saint-Blaise.

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. . .. . . 9. — Cythare. — IXe siècle. — Ms. de Saint-Blaise.

Le nombre des cordes de la cythare n'était point déterminé d'une manière invariable; les unes étaient montées de vingt-quatre cordes, d'autres n'en avaient que six. Suivant Hucbald, le demi-ton de l'échelle diatonique de cette dernière se trouvait placé entre la troisième et la quatrième corde, tant en montant qu'en descendant —Nous ne disons rien ici de la cythare teutonique et anglaise; il en est parlé sous les mots lyre et harpe.



(1)M. Achille Deville, membre non résident du Comité historique des arts et monuments, a eu la gracieuse obligeance de nous envoyer les dessins d'instruments de musique de ce manuscrit, dont Mabillon fixe la date au IXe siècle, mais qu'on pourrait peut-être, suivant M. Deville , reporter au Xe.
(2) En tête de cet article, nous donnons le dessin complet de cette grande miniature ; on n'a ici que l'instrument de musique même, sans le piédestal.
(3) De canto et musica sacra, pl. XXIV.
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Abbé Zins
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Re: Musique au Moyen Âge

Message par Abbé Zins »

Grand merci,

cher Gaudeamus in Domino,

pour ce magnifique dossier, si en correspondance avec le pseudo choisi !

Continuez en une si bonne voie !
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Gaudeamus in Domino
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Re: Musique au Moyen Âge

Message par Gaudeamus in Domino »

[i]Annales archéologiques[/i], Tome III, Paris, 1845, pp 145-155 a écrit :
. .. .. .. .. .. .INSTRUMENTS A CORDES.

. .. .. .. .. .. .CHORUS.


Le « chorus » ou choron, comme on l'appela plus tard, était un instrument à cordes, dans le genre de la cythare; mais les cordes, au nombre de quatre, étaient plus grosses. Selon Gerson, on les touchait avec de petits bâtons. La forme du chorus est à peu près la même dans presque tous les manus­crits, du IXe au XIe siècle; la disposition des cordes seulement diffère quelque peu. Le chorus que nous reproduisons ici est extrait du manuscrit de Bou­logne.

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. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .10. — Choron à quatre cordes. — IXe siècle. — Ms. de Boulogne.

On ne voit nulle part de quelle manière l'exécutant tenait la cythare et le chorus; privé de toute indication à cet égard, l'on se figure assez difficilement comment on en jouait. — Le mot chorus servait aussi à désigner un instrument à vent. Nous en parlerons plus loin.



. .. .. .. .. .. .HARPE.

La présence de la harpe, parmi les sculptures des monuments de l'ancienne Égypte, atteste l'antiquité de son origine. Les Grecs ne semblent pourtant pas en avoir fait usage; du moins, il ne s'en rencontre pas sur les nombreux monuments qu'ils nous ont laissés. Cela paraît d'autant plus étonnant que les Grecs passent pour avoir puisé chez les Égyptiens les principes des sciences et des arts. C'est au moyen âge, avec l'invasion des peuples du Nord, qu'on voit apparaître la harpe en Occident. Fortunat nous fait voir, dans deux pas­sages de ses poésies, qu'elle était un des instruments spécialement usités par les peuples du Nord(1).

La harpe, la plus ancienne, parvenue jusqu'à nous, est celle que l'abbé Gerbert a tirée d'un manuscrit, du IXe siècle, de saint Blaise. La voici :

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. .. .. .. .. .. .11. Harpe à douze cordes. — IXe siècle. — Ms. de Saint-Blaise.

Cet instrument, monté de douze cordes et percé de deux ouïes, est remar­quable par la simplicité et l'élégance de sa forme. Les mots « cythara an­glica » écrits dans le manuscrit, au-dessus de cette harpe, indiquent qu'elle était, vers le IXe siècle, un des instruments favoris des peuples bretons, soit qu'ils l'eussent adoptée des Saxons, soit qu'ils en fussent déjà en possession auparavant.

. .. .. .. .. .. . MONOCORDE.

Le monocorde, ainsi appelé parce qu'il n'avait qu'une corde, est, de tous les instruments du moyen âge, celui dont les auteurs de musique de cette époque parlent le plus souvent et avec le plus de détails. Le monocorde était composé d'une petite boîte carrée, oblongue, sur la table de laquelle étaient fixées, à chaque extrémité, deux espèces de chevalets immobiles, de forme ronde ou carrée. Sur ces chevalets était tendue une corde, dont l'un des bouts était attaché d'une manière fixe, et dont l'autre tenait à une petite cheville qui permettait de la tendre à volonté. L'échelle des tons était divisée sur une ligne parallèle à la corde et tracée sur la table de l'instrument.. Un chevalet mobile, qu'on promenait entre cette ligne et la corde et qu'on fixait. à volonté, sur l'une des divisions tonales, faisait rendre par cet instrument. le son qu'on voulait obtenir (2). Le monocorde, que nous donnons ici, a été tiré par Gerbert du manuscrit de Saint-Blaise, dont nous avons déjà parlé.

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. .. .. .. .. .. .12. — Monocorde. — IXe siècle. — Ms. de Saint-Blaise.

Trop simple pour offrir des ressources au musicien pratique, le monocorde était employé principalement par les théoriciens dans leurs recherches spécu­latives sur l'art. Il servait aussi cependant dans l'enseignement, pour incul­quer aux enfants les intonations du chant (3); il servait pour apprendre et composer la musique plutôt que pour l'exécuter. C'était un instrument, dans toute la force de l'expression.

. .. .. .. .. .. .INSTRUMENTS A CORDES FROTTÉES.

. .. .. .. .. .. .CROUT.


Les instruments de cette époque, qui offrent le caractère le plus prononcé d'originalité et qui ont porté la plus grande influence sur la musique instru­mentale moderne, sont les instruments à archet. L'archet n'était point connu des peuples de l'antiquité qui ont habité l'Orient; les monuments écrits ou figurés de l'Égypte et de la Grèce n'en présentent ni indice ni trace. On peut donc le regarder comme originaire de l'Occident, et, quoiqu'on ne l'y voie apparaître que vers le VIe siècle, tout porte à croire qu'il remonte à une antiquité reculée.

Le monument le plus ancien qui représente un instrument à archet est celui qui est donné par l'abbé Gerbert dans le deuxième volume de son « His­toire de la musique sacrée » et dont nous parlerons plus loin. Cette figure date de la fin du VIIIe siècle ou du commencement du IXe; mais il est déjà fait mention d'un instrument à archet dans un poème de V. Fortunat, écrit plus de deux siècles auparavant, et où l'on trouve ce passage :

« Graecus achilliaca chrotta Britanna canat. »

Le crout, dont l'antiquité paraît constatée d'ailleurs, tant par les vieux manuscrits gallois que par les traditions populaires, est resté longtemps l'instrument de prédilection des bardes welches ou cambro-bretons.

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. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .13. - - Crout à six cordes. — IXe siècle. — Ms. anglais.

Le crout est un instrument à archet, composé d'une caisse sonore, en carré long, évidée de deux côtés, avec un manche au milieu. Il est monté de six cordes, dont quatre sont placées au-dessus de la touche et deux se jouent à vide. Nous donnons ici la figure d'un crout, extraite du troisième volume de l'ouvrage anglais intitulé : « Archaeologia. »

Cet instrument, qui est encore en usage dans quelques parties des îles britanniques, a conservé à peu près sa forme primitive et a subi peu de modifications. A l'exception d'un cordier et de quelques cordes qu'on y a ajoutée, il est resté le même qu'il était au XIe siècle. On en jugera d'après une figure assez grossièrement dessinée que nous donnons ici et qui pro­vient du manuscrit n° 1118.

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. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .14. —Crout à trois cordes. -- XIe siècle. — Ms. 1118

Le crout n'avait alors que trois cordes; il se plaçait, comme l'on voit, sur les genoux de l'exécutant (4)

Quoique principalement en usage chez les Bretons, le crout était d'origine barbare, et il a pris le nom de rote chez les poètes et les romanciers du moyen-âge. Plusieurs auteurs ont pensé que le mot rote était donné à la vielle; c'est une erreur. Rota ou rotta ne dérive pas de « rottare » mais bien de « chrotta, » mot germanique dont on a supprimé le signe d'aspiration ch, comme on l'a fait dans beaucoup de noms qui avaient la même origine.

La forme du crout, la disposition de ses cordes indiquent qu'on ne pou­vait guère jouer de cet instrument qu'en touchant plusieurs cordes à la fois et en faisant entendre conséquemment plusieurs sons à la fois. Ces sons si­multanés, ou accords, étaient sans nul doute des assemblages d'octaves, de quintes et de quartes, alors en usage, et dont Hucbald, le premier, a formulé les règles dans ses traités de musique.

. .. .. .. .. .. . VIOLON.

On a beaucoup discuté sur l'origine du violon. Quelques écrivains la font remonter à l'antiquité; mais cette opinion ne parait pas fondée. Il est reconnu aujourd'hui que les monuments, invoqués comme preuve sur ce point, n'ont pas le caractère d'authenticité qu'on leur attribuait.

La figure la plus ancienne, parvenue jusqu'à nous, d'un instrument à archet, ayant du rapport avec celle du violon, est celle que l'abbé Gerbert a donnée dans le deuxième volume de son « Histoire de la musique sacrée, » d'après un manuscrit de la fin du VIIIe siècle ou du commencement du IXe, et que nous reproduisons ici :

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. .. .. .. .. .15 — Forme de violon. — VIIIe ou IXe siècle.

Cet instrument, qui a la forme d'une mandoline, sans échancrures sur les côtés pour laisser passage à l'archet, n'est monté que d'une seule corde. Attachée d'un côté à un cordier semblable à celui de nos anciennes violes, cette corde est tenue, de l'autre côté, en dessous du manche, après avoir passé par un trou percé au bout de celui-ci. Deux ouïes, en forme de demi-cercles, sont pratiquées dans le milieu de la table. Entre ces deux ouïes, est placé un chevalet sur lequel repose la corde. C'est évidemment, comme on le voit, — l'origine grossière mais primitive du violon.

Cette forme est restée la même jusqu'à la fin du XIe siècle. Telle est celle de l'instrument à archet qu'on voit représenté sur un fragment de sculpture du Xe siècle, dans l'église de Saint-Émilion, et dont l'état de dégradation ne permet pas de distinguer le nombre de cordes dont il était monté. Telle est celle de deux autres instruments figurés, l'un sur un manuscrit anglo-saxon du XIe siècle de la bibliothèque Cottonienne, l'autre sur un modillon ou cor­beau du XIIe, qui se voit à l'église Saint-Georges de Bocherville. Ces deux derniers instruments sont montés de quatre cordes qui paraissent attachées à une espèce de cheviller, dans la sculpture fort curieuse de Bocherville que nous avons tirée de l'ouvrage de M. Deville sur cette église et que nous don­nons ici.

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. .. .. .16. — Violon à quatre corde,. — XIIe siècle. — Chapiteau de Bocherville.

Le personnage qui joue de l'instrument chante en même temps, ce qui indique que déjà alors cet instrument servait à accompagner le chant. L'ar­tiste le tient sous le menton, appuyé sur la poitrine, à la manière actuelle. On n'y voit point d'ouïes; c'est probablement un oubli du sculpteur. Mais ce qui doit fixer l'attention, c'est le nombre de cordes dont il est surmonté. Tant que l'instrument n'avait qu'une corde, sa forme était peu importante; qu'elle fût conique, ovale ou carrée, cela était indifférent, puisque cela n'apportait aucun obstacle au mouvement de l'archet sur la corde. Il n'en était pas de même dès que le nombre des cordes était augmenté et porté à trois, quatre ou cinq. L'instrument conservant sa forme sans échancrures sur les côtés, il était impossible que l'exécutant touchât moins de deux ou trois cordes à la fois; ce qui nous conduit naturellement à tirer cette conséquence, qu'on exécutait sur cet instrument quelques accords de deux ou trois sons. C'étaient sans doute des accords dans le genre de ceux décrits par Hucbald sous le nom d'Organum ou Diaphonie. Ce qu'il y a de certain, c'est que, du temps de cet auteur, il existait quelques instruments sur les­quels on pouvait exécuter des accords de cette espèce.

Jusqu'au XIe siècle, la langue vulgaire ou romane, quoique déjà en usage depuis longtemps, n'était point encore écrite. La langue latine seule était la langue savante. La langue vulgaire s'appelait rustique. C'est pour cette raison sans doute que l'on ne voit pas d'une manière précise quel nom portait à cette époque l'instrument à archet dont il est question ici. Dans le manuscrit de Saint-Blaise, on lui donne le nom de lyre, « Lyra. » Au XIe siècle, les auteurs latins l'appelaient « Vistula » ou «Vidula, » du nom vulgaire de vielle qu'il avait déjà alors, pensons-nous, et qu'il conserva ensuite.


. .. .. .. .. .. . ORGANISTRUM .

Le monument le plus ancien connu d'un instrument dont les cordes étaient mises en vibration par frottement, au moyen d'une roue, est cet instrument appelé « Organistrum, » qui se trouve dans le manuscrit de Saint-Blaise.

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. .. .. .. .. .. .. .. .. .17. — Organistrum. — IXe siècle. — Ms. de Saint-Blaise.


La table de cet instrument, qui représente à peu près la forme d'une gui­tare moderne, est percée de deux ouïes qui sont de simples trous pratiqués dans la partie de la table la plus rapprochée du manche. Au milieu de l'autre partie se trouvent, et le chevalet sur lequel reposent les cordes, et la petite roue qui est gouvernée par une manivelle attachée au corps de l'instrument, du côté opposé au manche. L'organistrum est monté de trois cordes, tenues d'un côté à un cordier et de l'autre à un cheviller. Le long du manche sont appliqués huit silets mobiles qui se relevaient ou s'abaissaient au gré de l'in­strumentiste, et formaient comme autant de touches destinées à varier les sons. Une lettre alphabétique, placée à côté de chaque touche ou silet mo­bile, marque la distinction des sons. Cette indication de lettre correspond avec l'explication relative à cet instrument donnée par Odon, écrivain du Xe siècle, et avec une autre d'un auteur anonyme d'une époque un peu postérieure.

On se figurerait difficilement de quelle manière on jouait de l'organistrum sans le chapiteau de Bocherville, où l'on voit cet instrument placé en tra­vers sur les genoux de deux musiciens, dont l'un fait mouvoir les touches ou silets et l'autre la manivelle. Une seule main du personnage, qui tourne la manivelle, étant employée à ce travail, l'autre maintient l'instrument.

Les conséquences que nous avons tirées de la forme primitive des instru­ments à archet, par rapport aux notions qu'on avait et de l'usage qu'on fai­sait, à cette époque, de l'harmonie, acquièrent bien plus de force encore de la forme de l'organistrum, qui était telle qu'on ne pouvait évidemment jouer de cet instrument sans faire entendre plusieurs sons la fois. Il est facile, en effet, de voir que la manivelle, qui servait à gouverner la roue, faisait ré­sonner les trois cordes à la fois et que chaque touche ou silet portait néces­sairement sur les trois mêmes cordes. Or, il n'est pas vraisemblable que ces trois mêmes cordes étaient montées à l'unisson; il y a plus de probabilité qu'elles étaient accordées de manière à faire entendre l'octave, la quarte et la quinte, suivant la manière décrite par Hucbald. Ce qui au surplus ne peut laisser aucun doute, selon nous, que l'organistrum était un des instruments indiqués par Hucbald sur lequel on pouvait exécuter de semblables accords, c'est l'étymologie de son nom. Le mot « organistrum » est évidemment com­posé d'organum et d'instrumentum, et organum était précisément le nom des accords formés d'assemblages de quartes, de quintes et d'octaves.

C'est l'organistrum qui a donné naissance à la vielle de nos jours; mais il serait difficile de déterminer à quelle époque il a changé de nom et pris une forme assez commode pour être joué par une seule personne.

(1) « Romanusque lyra, plaudat tibi Barbarus harpa. » — Lib. VII
« Sola sape bombicans barbaros leudos harpa relidebat. » — Lib. I; Epist.
(2) « Musica domni Oddonis. » Apud Gerb. Script. t. I, p. 252.
(3) « Pueris quoque ad musicam adspirantibus adhibeatur, ut ad id, quod discere volunt, ipso duce sono facilius pertingant. » — Ibid. t. II, p. 237.
(4) Ce personnage est le seul de tous ceux représentés dans ce manuscrit qui ait une couronne sur la tête; les autres ont la tête découverte. On peut en induire que le dessinateur a regardé le crout comme plus noble que le psaltérion et les autres instruments qui y sont figurés.
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Gaudeamus in Domino
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Re: Musique au Moyen Âge

Message par Gaudeamus in Domino »

[i]Annales archéologiques[/i], Tome III, Paris, 1845, pp 269-282 a écrit :
. .. .. .. .. .. .INSTRUMENTS A VENT.


L'ORGUE AVANT LE XIIe SIECLE.


De tous les instruments de musique, l'orgue est le plus considérable et le plus beau. L'éclat, la majesté de ses sons en ont fait l'instrument d'église par excellence; c'est même le seul, il faut le dire, qui ait le caractère de grandiose et de dignité convenable au service divin.

L'orgue aujourd'hui est loin de sa simplicité primitive; ses nombreux registres, les jeux de toute espèce que l'on y a successivement ajoutés, les perfectionnements apportés à sa construction ainsi qu'à son mécanisme, lui ont donné une dimension colossale et l'ont rendu l'instrument le plus étendu, le plus varié et le plus puissant que l'on ait encore imaginé. Reste à savoir si ces augmentations ne l'ont pas détourné quelque peu de sa véritable destina­tion. C'est une question sur laquelle on ne semble pas être d'accord.

En examinant ce qui a été écrit sur l'orgue, on y trouve diverses opi­nions relativement à son origine. La plupart des, historiens s'accordent néan­moins à le regarder comme originaire de l'Orient. Quelques-uns font remonter son antiquité jusqu'aux Hébreux; mais cette opinion, qui ne repose que sur une fausse interprétation de la Bible, ne peut être accueillie. Dom Calmet, comme beaucoup de commentateurs, semble adopter la traduction « d'hug­gab » par « organum, » mais il restreint la signification donnée à ce mot par la Vulgate. Au lieu d'en faire un orgue semblable au nôtre, il considère cet instrument tout au plus comme une flûte dans le genre de la syrinx ou flûte de Pan. Voici ses paroles : « Huggab, dit-il, qui est ordinairement tra­duit dans la Vulgate par « organum » un orgue, est rendu différemment dans la Septante tantôt par cythara ou psalmus, tantôt par organum. La plupart des interprètes le prennent en ce dernier sens; mais il ne faut pas s'imaginer un corps d'orgue comme le nôtre : c'était un composé de plusieurs tuyaux de flûtes collés ensemble, dont on jouait, en faisant passer successivement ces divers tuyaux le long de la lèvre d'en bas. (1) »

Cette traduction n'est pas adoptée par tous les orientalistes. Quelques-uns sont bien d'avis que « huggab») était le nom d'un instrument à vent, mais sans pouvoir toutefois en déterminer la nature. D'autres pensent que ce mot servait à désigner tous les instruments à vent.

On a cru trouver une preuve de l'existence de l'orgue chez les Hébreux dans un passage de la lettre à Dardanus attribuée à saint Jérôme. Mais cette preuve n'est pas solide; car l'authenticité de cette lettre a été contestée, et il est généralement reconnu aujourd'hui qu'elle n'est pas de saint Jérôme, qu'elle appartient vraisemblablement à un écrivain nommé Jérôme, qui parait avoir vécu vers le IXe siècle. Suivant l'auteur de cette lettre, l'orgue en usage chez les Hébreux aurait été composé de deux peaux d'éléphants jointes ensemble et formant le réservoir d'air; il y aurait eu douze soufflets et quinze tuyaux. La force de ses sons aurait été telle qu'on l'entendait de Jérusalem au mont des Oliviers et plus loin (2). Cette description, incomplète d'ailleurs, concorde mal avec les figures qui l'accompagnent ordinairement dans les manuscrits anciens. Elle ne peut donc être que d'une mince valeur historique, même pour le temps où elle a été écrite.

En résumé, rien ne constate que les Hébreux ont connu l'orgue; il faut donc chercher ailleurs son origine.

C'est chez les Grecs que l'on trouve l'existence du premier orgue. C'est là, sans doute, qu'il a pris naissance; mais de quelle manière ? Voilà ce qu'il est fort difficile de déterminer exactement au moyen des faibles documents que l'on possède. Une conjecture, généralement admise et qui offre, du reste, tous les caractères de la vraisemblance, est celle qui consiste à considérer la syrinx ou flûte de Pan comme l'origine de l'orgue. En effet, pour faire de la syrinx un orgue, il ne s'agissait que de la renverser et d'introduire l'air dans les tuyaux d'une autre manière que par les lèvres ou les poumons. Cette idée devait se présenter naturellement à un peuple ingénieux comme le peuple grec; elle s'exécuta. Mais, ainsi qu'il arrive dans toute invention nouvelle, on ne procéda que par tâtonnements; ce ne fut qu'après bien des essais, plus ou moins infructueux, qu'on parvint à distribuer l'air à volonté dans chacun des tuyaux et à les faire résonner avec la même facilité qu'avec les lèvres. L'on rechercha et l'on imagina sans doute plus d'un procédé pour améliorer le mécanisme de l'orgue, mais aucun n'a réuni, parait-il, les avantages de celui dont on attribue l'invention à Ctésibius. Ces avantages auraient consisté principalement dans l'emploi de l'eau comme moteur pour faire entrer l'air dans les tuyaux. Ce procédé fut adopté par les Grecs d'une manière, pour ainsi dire, exclusive. On donna à cet instrument le nom d'hydraule, et plus tard on l'appela orgue hydraulique. L'usage de l'orgue hydraulique ayant existé en Occident pendant une partie du moyen lige, nous allons en donner une notion historique succincte.

Ctésibius, célèbre mécanicien d'Alexandrie et maître de Héron, vécut du temps de Ptolemée-Evergète (130 ans avant J.-C.). Il passe, comme nous venons de le dire, pour l'inventeur de l'orgue hydraulique; mais il est plus à croire qu'il n'a fait que perfectionner un instrument connu avant lui, en y appliquant l'emploi de l'eau. Tertullien en attribue l'invention à Archimède.
Héron (3) et Vitruve (4) ont laissé des descriptions de l'orgue hydraulique; mais elles sont si obscures, qu'il est impossible de se faire une idée précise de sa forme et de son mécanisme. C'est vainement que les commentateurs ont cherché à les expliquer; ils ne sont parvenus à les rendre ni plus claires ni plus intelligibles. Les uns le considèrent comme un orgue qui ne différait de notre orgue pneumatique qu'en ce que c'était l'eau qui mettait en mouvement les soufflets. Suivant d'autres, l'eau, mise en mouvement par un mécanisme quelconque, était l'agent de la sonorité. D'autres encore prétendent que l'eau ne servait qu'à maintenir l'air en équilibre et à le distribuer avec égalité et sans secousse; en un mot, qu'elle faisait l'office des poids placés sur les soufflets. Ces explications vagues et contradictoires, loin de donner une idée exacte de cet instrument, ne servent qu'à démontrer l'obscurité des textes originaux.

L'écrivain, qui a le plus approfondi tout ce qui est relatif à l'orgue hydrau­lique, est le savant Louis-Albert Meister (5). Il résulte, de ses recherches pleines d'érudition, que l'on ne peut puiser que des notions fort incomplètes sur cet instrument dans les descriptions de Héron et de Vitruve, et l'auteur arrive à cette conclusion , que l'orgue pneumatique moderne est incomparablement supérieur à l'orgue hydraulique auquel l'emploi de l'eau n'ajoutait aucune qualité, aucun avantage. Selon nous, ce que l'on peut en conclure seule­ment, c'est que l'orgue hydraulique était d'un mécanisme très-compliqué et qu'il avait un grand nombre de tuyaux qui produisaient des sons variés.

Quoi qu'il en soit, il était en grande estime et très-répandu chez les Grecs; il fut bientôt adopté par les Romains, qui l'employèrent avec succès dans leurs fêtes et leurs jeux(6).
Suétone raconte qu'il existait à Rome, sous Néron, un orgue hydraulique d'un genre nouveau, inconnu, et que l'empereur, très passionné, on le sait, pour la musique, prit plaisir à examiner pendant près d'un jour (7).

Placé, comme il l'était, entre les mains des mécaniciens les plus habiles, l'orgue hydraulique avait reçu et ne cessa de recevoir de grands perfectionne­ments. Aussi excitait-il l'admiration générale. Tertullien, lui-même, s'écrie : « Voyez cette machine merveilleuse d'Archimède, l'orgue hydraulique, com­posé de tant de pièces, de tant de parties distinctes, d'un assemblage de sons si variés, d'un si grand nombre de tuyaux, et ne formant pourtant qu'un seul instrument (8.). »
L'usage de l'orgue dans les cérémonies publiques, son accroissement suc­cessif, ses effets ne sauraient être mis en doute. Sous tous ces rapports, les témoignages des auteurs sont positifs.
Quant à sa forme, à l'étendue de son clavier et au nombre de ses tuyaux, sur lesquels on n'avait point de renseignements exacts jusqu'ici, cette lacune est comblée en grande partie par la description figurative d'un orgue que l'on trouve dans une pièce de vers de Porphyre Optatien, qui vécut au commen­cement du IVe siècle. Exilé d'après une fausse accusation ce poète adressa à l'empereur Constantin, sous le titre de « Panégyrique, » un certain nombre de poèmes parmi lesquels on remarque un autel, une syrinx et un orgue. Les vers y sont disposés de manière à figurer les objets décrits. Voici la pièce qui porte pour titre « Organon : »

. .. .. .. .. .. .Image

Bien qu'imprimée en 1590 dans les « Poemata vetera » de Pithou, bien que signalée à l'attention des érudits par M. Peignot, dans les « Amusements philologiques, » elle n'avait été remarquée par aucun antiquaire musi[cien. M. Danjou, dans une lettre pleine de savantes recherches sur l'orgue, publiée en 1838 dans la « Gazette musicale », est le premier qui en ait montré toute l'importance. « L'auteur, dit-il, a voulu représenter, par la forme de cette pièce, l'instrument qu'il décrit. Vingt six vers iambiques tiennent lieu des touches. Le vers :

« Augusto victore juvat rata reddere vota, »

placé horizontalement, désigne le sommier sur lequel sont posés les tuyaux, figurés par vingt-six vers hexamètres, dont le premier a vingt-cinq, et le dernier cinquante lettres.

« La description de l'orgue ne commence qu'au quatorzième vers hexa­mètre : hoec erit in varios. Ce qui précède ne contient rien d'important pour l'objet qui nous occupe. On y apprend que Porphyre Optatien, à l'occasion des fêtes qui avaient eu lieu pour célébrer les victoires de l'em­pereur, imagine aussi, dans l'exil, de figurer par ses vers l'instrument qui devait concourir à la pompe de ces réjouissances publiques. Il veut imiter les accents de l'orgue, haec vola sonore versa. Invoquant ensuite la muse Clio, il demande le don de terminer l'oeuvre difficile qu'il entreprend; puis il commence ainsi la description de l'orgue : « Ces vers sont là figure de l'instrument sur lequel on peut faire entendre des chants variés, et dont les sons puissants s'échappent de tuyaux d'airain, creux, arrondis, et dont la longueur s'accroît régulièrement, calamis crescentibus. Au-dessous des tuyaux sont placées les touches au moyen desquelles la main de l'artiste, ouvrant ou fermant à son gré les conduits du vent, enfante une mélodie agréable et bien rythmée. L'eau, placée au-dessous de ces tuyaux, et agitée par la pression de l'air que produisent le travail et les efforts de plusieurs jeunes gens, donne les sons nécessaires et assortis à la musique. Au moindre mouvement, les touches, ouvrant les soupapes, peuvent exprimer aussitôt des chants rapides et animés, ou une mélodie calme et simple, ou bien encore, par la puissance du rythme et de la mélodie, répandre au loin la terreur.»

M. Danjou fait remarquer ensuite la position des tuyaux qui vont de l'aigu au grave, au lieu d'aller du grave à l'aigu, comme dans nos orgues. Cette particularité, qui existe aussi dans les deux orgues pneumatiques figurés sur l'obélisque Théodosien, dont nous parlerons bientôt, peut s'expliquer, ce nous semble, par la disposition de la notation grecque, dont les sons se trouvent rangés de la même manière que les vers ou les tuyaux de l'orgue d'Optatien.

A la fin du IXe siècle, après que l'orgue pneumatique était connu en Occi­dent , l'orgue hydraulique y fut introduit et regardé presque comme une nouveauté. Eginard raconte qu'en 826, un prêtre de Venise, appelé Georges, vint se recommander à Louis-le-Débonnaire, comme facteur d'orgues, et que le prince l'envoya à Aix-la-Chapelle avec son secrétaire Thancolf, en ordon­nant de mettre à sa disposition tout ce qui lui était nécessaire pour la fabri­cation de cet instrument (9). D'après un autre récit d'Eginard, cet orgue, cons­truit avec un art merveilleux et placé dans le palais du roi, était un orgue hydraulique (10)

Aurélien de Réomé, écrivain sur la musique du IXe siècle, fait figurer l'or­gue hydraulique parmi les instruments dont il donne la nomenclature; mais il ne dit pas s'il était en usage à cette époque en Occident (11).

Faut-il conclure que l'orgue hydraulique de Georges était une importation nouvelle en Occident, ou que l'usage seulement en était perdu ? C'est ce qu'il serait difficile de décider, privé, comme on l'est, de renseignements sur ce qui le concerne. Qu'il fût construit, du reste, à l'imitation des anciens, ou qu'il fût d'invention nouvelle, toujours est-il que l'usage, quoique peu ré­pandu, s'en conserva pendant trois siècles.

Guillaume de Malmesbury, bénédictin anglais, qui vécut vers le milieu du XIIe siècle, rapporte qu'il existait de son temps, dans son monastère, un orgue hydraulique dans lequel l'air était poussé par la violence de l'eau bouillante dans les tuyaux, et que ceux-ci rendaient des sons puissants (12). Ce qui semble indiquer, en quelque sorte, l'emploi de la vapeur comme force motrice, à cette époque, et son application à l'orgue. Cet orgue hydraulique est le dernier dont il soit fait mention. L'usage en avait disparu entièrement au XIIIe siècle.

L'orgue pneumatique était connu dès le IVe siècle; saint Augustin, dans un passage de son commentaire sur le cinquante-sixième psaume, en donne une définition nette et précise : « On appelle « organa », dit-il, tous les instruments de musique; le nom « organum » est donné, non seulement à cet instru­ment de grande dimension et dans lequel l'air est introduit par des soufflets, mais aussi à tout instrument qui sert au musicien pour exécuter une mélodie (13) » Son commentaire sur le cent cinquantième psaume contient un passage non moins positif et qui démontre en même temps que l'orgue s'ap­pelait indifféremment « organa » et « organum » « Organum, dit-il, est le nom général de tous les instruments de musique, bien que l'habitude ait prévalu d'appeler « organa » l'instrument à soufflets. Je ne pense pas qu'il ait ici cette signification; car, quoique « organum » soit un terme grec général, s'appliquant à tous les instruments, les Grecs donnent un autre nom à l'instrument auquel sont adaptés des soufflets. C'est plutôt chez les Latins qu'on a pris l'habitude de l'appeler vulgairement « organum » (14). Ce passage ferait croire que les Grecs connaissaient l'orgue pneumatique; à moins de supposer que saint Augustin n'y fasse allusion à l'orgue hydrauli­que dont les soufflets auraient été mis en mouvement à l'aide d'une machine hydraulique.

Quoi qu'il en soit, aucun doute ne peut s'élever sur la nature de l'orgue dont parle saint Augustin; il ne saurait, du reste, en subsister depuis la dé­couverte qui a été faite sur l'obélisque érigé à Constantinople, sous Théodose ­le Grand, de deux orgues pneumatiques contenant les principaux éléments constitutifs de notre orgue moderne. Nous donnons ici le dessin d'un frag­ment de ce monument, qui appartient à l'époque même où écrivait saint Au­gustin ; on en reconnaîtra facilement l'importance.

Image
18. — orgues pneumatiques. — IVe siècle. — Sculpture de Constantinople.


Les deux orgues placés à droite et à gauche de la scène nous montrent cet instrument dans son état presque d'enfance. Les soufflets dont ils sont munis ressemblent à des soufflets de forge; ils sont unis en mouvement par deux hommes qui, par le poids de leur corps, paraissent les faire monter et descendre. Cette manière de souffler ne peut se concevoir qu'en supposant deux soufflets pour chaque souffleur ; ce qui en donne quatre pour chaque orgue. L'orgue de droite a huit tuyaux, celui de gauche n'en a que sept. Ces tuyaux sont tenus ensemble par un simple lien, semblable à celui de la syrinx. Il est facile de voir que les tuyaux de l'orgue de droite sont plus minces que ceux de l'orgue de gauche; les sons du premier étaient donc plus aigus que ceux du second. Cela semble démontrer qu'il y avait deux sortes d'orgues : un orgue grave et un orgue aigu. Les tuyaux sont placés sur une espèce de sommier dans lequel on faisait entrer l'air par les soufflets; cet air se transmettait ensuite et se distribuait dans chaque tuyau séparément, selon la vo­lonté de l'exécutant, au moyen de certaines touches qu'on n'aperçoit pas ici à cause de la position de l'instrument, mais qui sont clairement indiquées dans la description de l'orgue, donnée par Cassiodore dans son commentaire sur le cent cinquantième psaume. « L'orgue, dit-il, est une espèce de tour composée de divers tuyaux dans lesquels les soufflets font, entrer une grande quantité d'air, et, pour en tirer une mélodie convenable, on a ajusté dans l'intérieur certaines languettes de bois qui, artistement pressées par les doigts des exécutants, produisent des sons très forts et très agréables (15) »

L'existence de l'orgue pneumatique, au IVe siècle, est donc un fait complè­tement démontré.

Cherchons maintenant l'époque de son introduction dans l'Europe occi­dentale, et examinons rapidement ses développements.

Pour soutenir qu'il y était connu et en usage dans l'église, dès le VIIe siècle, on invoque un passage de la vie des papes par Platina, où il est dit que Vita­lien régla le chant ecclésiastique en y employant l'orgue (16). Quelques remar­ques suffiront pour faire voir que cette opinion ne repose sur aucune autorité valable, et qu'elle ne saurait être accueillie. Nous ne tirerons aucun argument, de ce qu'il est question ici d' organis » et non « d'organo », puisque, d'après un des passages de saint Augustin, que nous avons cités, on appelait l'orgue aussi bien « organa » que « organum. » Mais nous ferons observer d'abord que Platina n'exprime cette opinion que d'une manière dubitative, en ajou­tant : « ut quidam volunt »; et ensuite que les vers du Mantouan, poête du XVe siècle, qui servent d'appui à Platina, sont mal rapportés par lui (17). I1 y est question de Boniface VII, de Clément VI, de Sixte V, et nullement de Vitalien. En fût-il autrement d'ailleurs, fût-il question d'orgue et du pape Vitalien dans les vers du Mantouan, l'autorité de cet écrivain n'aurait que peu de poids sur un fait qui se serait passé au VIIe siècle.

Ce n'est donc pas là une preuve de l'existence de l'orgue ni de son usage dans l'Europe occidentale à cette époque.

Le premier indice de l'introduction d'un orgue en France nous est fourni par Eginard. On lit dans ses « Annales », à la date de 757 : « L'empereur Cons­tantin envoya au roi Pepin plusieurs présents, parmi lesquels se trouvaient des orgues « organa » , qui lui parvinrent à Compiègne, où il y avait une assemblée générale du peuple (18.). » Comme Eginard s'est servi dans ce pas­sage du mot « organa », quelques auteurs ont douté qu'il y fût question de l'orgue. Mais c'est une erreur, ainsi que nous venons de le montrer. Nous admettons donc, avec les chroniqueurs anciens, tels que Marien Scot, Lam­bert d'Aschaffenberg, et autres, qu'il y avait un orgue dans l'envoi de Cons­tantin. Nous l'admettons d'autant plus facilement que, d'après le moine de Saint-Gall, parmi les présents adressés plus tard par le même empereur à Charlemagne, il se trouvait « toute espèce d'instruments de musique, et une variété d'autres choses, qui toutes furent imitées très soigneusement par les ouvriers fort habiles de ce prince. Il y avait surtout l'orgue par excellence, dont les tuyaux d'airain, animés par des soufflets en peau de taureau, ren­daient des sons qui imitaient le rugissement du tonnerre, la douceur de la lyre et l'éclat des cymbales(19). Où il avait été placé, combien de temps il subsista, et comment, dans d'autres désastres, il périt, ce n'est pas ici le lieu ni le moment de le rapporter. »

Des historiens pensent que l'orgue décrit par le moine de Saint-Gall n'était qu'un orgue de petite dimension, une espèce d'orgue portatif. Nous ne sommes pas de cet avis, par la raison que, loin d'aller en diminuant, les orgues n'ont fait que prendre une extension de plus en plus grande. En supposant même que celles décrites, avec un peu d'exagération peut-être, par Cassiodore et le moine de Saint-Gall, aient été seulement de la dimension des orgues de l'obélisque théodosien , il faut admettre qu'il y a loin de ces orgues à souf­flets, mus par deux hommes, à un orgue portatif.

Sous Louis-le-Débonnaire, il y avait un orgue dans l'église d'Aix-la-Cha­pelle. Walafrid Strabon, qui nous fait connaître ce fait, nous raconte les effets merveilleux qu'il produisait (20). Cet orgue, construit probablement par les ouvriers de Charlemagne, était un orgue pneumatique différent, par conséquent, de celui fabriqué par Georges, et placé dans le palais du prince.

Ce qu'il y a de remarquable c'est qu'à la fin du IXe siècle, l'Allemagne possédait des organistes et des facteurs reconnus plus habiles que ceux des autres pays. Cela résulte d'une lettre du pape Jean VIII à Anno , évêque de Freising , dans laquelle le souverain pontife prie ce dernier de lui envoyer un très bon orgue avec un artiste capable d'en construire et d'en jouer (21). A quelle cause doit-on attribuer la supériorité des Allemands, à cette époque, dans cet art? Ne serait-ce pas à la sollicitude de Charlemagne pour tout ce qui pouvait rehausser la dignité du culte chrétien ? Ne serait-ce pas ce prince qui aurait reconnu l'orgue comme très convenable à cette destination et qui aurait propagé l'art de le construire? Cela nous parait vraisemblable.

Aux Xe et XIe siècles, l'art de construire l'orgue était répandu dans pres­que toute l'Europe. C'étaient les monastères, seuls asiles, pour ainsi dire, des sciences et des arts, qui possédaient les artistes les plus remarquables dans l'art d'en jouer, aussi bien que dans l'art de le construire. Selon Bédos de Celles, les moines de l'abbaye de Bobbio, en Lombardie, s'y seraient distin­gués d'une manière toute particulière. Gerbert, devenu depuis pape sous le nom de Silvestre II, était aussi habile dans la facture de l'orgue qu'instruit dans la musique (22). 11 est probable que c'est au monastère de Bobbio , dont il fut abbé, qu'il apprit à construire cet instrument. Placé plus tard à la tête de l'école de Reims, il y enseigna aussi sans doute cet art en même temps que la musique et les mathématiques. Il parait certain, du reste, qu'il établit à Rome, pendant son règne papal, un atelier de construction; car l'abbé Gerhard d'Au­rillac, son ancien professeur, lui ayant demandé un orgue, Gerbert répondit que la guerre et les troubles d'Italie ne lui permettaient pas de lui en­voyer celui qu'il avait commandé (23). En 987, qui était l'année suivante et celle de la mort de Gerhard, Gerbert écrit à Raimond son successeur que, « de­vant suivre l'impératrice Théophanie en Allemagne , avec une suite de moines et de soldats, il ne peut rien dire de certain au sujet de l'orgue italien qu'il demande ni du moine chargé de son transport(24). »

La plupart des traités de musique du IXe siècle au XIIe , notamment ceux de Notker, de Hucbald , de Bernelin, d'Aribon , de Gerland et d'Eberhard (25), contiennent des instructions sur la mesure et les proportions des tuyaux d'Orgue: Ce qui prouve, non seulement qu'il était fort répandu alors, mais aussi le cas qu'on en faisait et l'importance qu'on attachait à sa bonne con­struction. Il est à regretter que ces écrivains ne nous donnent point des dé­tails sur le mécanisme de cet instrument.

L'on est dans une ignorance presque complète sur tout ce qui concerne l'état des orgues de France, d'Allemagne et d'Italie à cette époque. Il n'en est pas de même pour l'Angleterre ; il existe sur les orgues de ce pays des renseignements qui, sans être complets ou même suffisants, sont néanmoins précis et importants. Wolstan, moine et chantre de l'abbaye de Winchester, au Xe siècle, a donné, dans un poème sur la vie de Switun, une description en vers de l'orgue que l'évêque Elfège avait fait construire en 951 pour l'église de Winchester. D'après cette curieuse description que nous donnons en note (26), cet orgue surpassait en grandeur toutes les orgues qu'on avait vues jusqu'a­lors; il était composé de deux parties dont chacune avait sa soufflerie, son clavier et son organiste. Douze soufflets à la partie inférieure, quatorze à la partie supérieure étaient mis en mouvement avec beaucoup de peine par soixante-dix hommes robustes. L'air, refoulé d'abord dans un sommier sur lequel étaient rangés quatre cents tuyaux, se distribuait ensuite par quarante soupapes, dans chaque choeur ou groupe composé de dix tuyaux mis ingé­nieusement d'accord. Cet orgue était joué par deux organistes, et chacun d'eux gouvernait, comme dit Wolstan, son propre alphabet, c'est à dire son cla­vier ou série de touches sur lesquelles les notes étaient désignées par des lettres de l'alphabet. Chacun de ces claviers était composé d'un nombre égal ou inégal de touches, et chaque touche faisait résonner dix tuyaux à la fois. Mais comment ces tuyaux étaient-ils accordés entre eux, combien d'octaves chaque clavier comprenait-il, l'échelle des sons était-elle disposée chroma­tiquement ou diatoniquement? Ce sont toutes choses que le poète ne nous apprend pas. En l'absence de renseignements sur ces points, nous allons interroger la situation de l'art musical à cette époque et chercher à résoudre ces diverses difficultés.

(1)Dissertation sur la poésie et la musique des Hébreux. Édition d'Amsterdam, 1723, tome I, première partie, p. 110.
(2)Primum omnium ad organum, eo quod majus esse his in sonitu et fortitudine nimia compu­tantur clamores, veniam. De duabus elephantorum pellibus concavum conjungitur, et per duorum fabrorum sufflatoria comprensatur. Per quindecim cicutas aereas in sonitum nimium, quos in modum tonitrui concitat, ita ut per mille passuum spatia sine dubio sensibiliter utique et amplius audiatur. Sic apud Haebreos de organis, quae ab Hierusalem usque ad montem Oliveti et amplius sonitu audiuntur, comprobatur.
(3)Spiritalia seu pneumatica apud veterum mathematicorum opera , graece et latine. Paris, 1693.
(4)De architectura, lib. X, cap. 13.
(5)De veterum hydraulo, dans les Mémoires de la Société royale de Goettingue, t. II, p. 159 et suiv.
(6) Cornelius Severus, poème intitulé : Etna. — Pétrone, chap. 56.
(7) « Reliquam diei partem per organa hydraulica novi ignotique operis circumduxit. »
(8.) « Specta portentosam Archimedis munificentiam : organum hydraulicum dico, tot membra, tot partes, tot compagines, tot itinera vocum, tot compendia sonorum, tot commercia modorum , tot acies tibiarum, et una moles erunt omnia. » (Lib. De Anima.)
(9)« Venit c*m Balderico presbyter quidam de Venetia, nomine Georgius, qui se organum posse facere asserebat. Quem imperator Aquisgrani c*m Thancolfo sacellario misit, et ut ei omnia ad id instrumentum efficiendum necessaria praeberentur imperavit. » — De gestis Ludovici Pii, imp., ad an. 826.
(10)« Hic est Georgius veneticus, qui de patria sua ad imperatorem venit, et in Aquensi palatio organum, quod graece hydraula vocatur, mirifica ante composuit. » — De translatione et mira-cutis SS. Marcelini et Petri.
(11) apud Gerb. , Scriptores, t. I, p. 33.
(12) Extant etiam apud illam ecclesiam organa hydraulica, ubi mirum in modum aquae cale­factae violentia, ventus emergens implet concavitatem barbiti, et, per multi foratiles transitus aeneae fistulae modulatos clamores emittunt. — Guil. Malmesbury, apud Ducange , v° Organum.
(13) « Organa dicuntur omnia instrumenta musicorum. Non solum illud organum dicitur, quod grande est et inflatur follibus, sed etiam quidquid aptatur ad cantilenam et corporeum est quo instrumento utitur qui cantat, organum dicitur. »
(14) « Organum generale nomen est omnium vasorum musicorum, quamvis jam obtinuerit consue­tudo, ut organa proprie dicantur ea quae inflantur follibus; quod genus significatum hic esse non arbitror. Nam cùm organum vocabulum graecum sit, ut dixi generale (òργanon, quasi έργanon, ab έργon, opus) omnibus instrumentis musicis conveniens; hoc cui folles adhibentur, alio Graeci nomine appellant. Ut autem organum dicatur, magis latina et ea usitata et vulgaris est consuetudo. »
(15) « Organum itaque est quasi turris, diversis fistulis fabricata, quibus flatu follium vox copiosissima destinatur; et ut eam modulatio decora componat, linguis quibusdam ligneis ab interiori parte construitur, quas disciplinabiliter magistrorum digiti reprimentes grandisonam efficiunt et suavissimam cantilenam. »
(16) « At Vitalianus, cultui divino intentus, et regulam ecclesiasticam composuit, et cantum ordi­navit, adhibitis ad consonantiam (ut quidam volunt) organis. » — Plat., De rit. Pont., p. 85.
(17)Voici les vers du Mantouan :

. .. .. .. .. .. .Adjunxere etiam, molli conflata metallo
. .. .. .. .. .. .Organa, quae festis resonant ad sacra diebus.

Platina les a rapportés ainsi :

. .. .. .. .. .. .Segnius adjunxit, molli conflata metallo
. .. .. .. .. .. .Organa, quae festis resonant ad sacra diebus.

(18.) « Constantinus imperator Pipino regi mulla misit munera, inter quae et organa, quae ad eum in Compendio villa pervenerunt, ubi tunc populi sui generalem conventum habuit. » — Annales rerum gestarum Pipini regis.
(19) « Adduxerunt etiam iidem missi (Constantini Copronymi) omne genus organorum, sed et variorum rerum secum, quae cuncta ab opificibus sagacissimis Caroli, quasi dissimulanter aspecta, acturatissime sunt in opus conversa; et praecipue illud musicorum organum praestantissimum, quod doliis ex aere conflatis, follibusque taurinis per fistulas aereas mire perflantibus, rugitu qui­dem tonitrui boatum, garrulitatem vero lyrae vel cymbali dulcedinem coaequabat. Quod ubi positum fuerit, quamdiuque duraverit, et quomodo inter alia rei publicae damna perierit, non est hujus loci vel temporis enarrare. » — Lib. II, De rebus bellicis Caroli Magni, n. 10.
(20) « Carmina de apparatu templi Aquisgrani. »
(21) Precamur autem ut optimum organum c*m artifice, qui hoc moderari ac facere ad omnem modulationis efficaciam possit , ad instructionem musicae disciplinae nobis aut deferas, aut c*m eisdem reditibus mittas. » — Cf., Baluzii Miscellan lib. V, p. 490.
(22) Histoire littéraire de la France, tom. VI. — Duchesne, Hist. franç. , t. II, p. 789 et suiv.
(23) « Organa porro et quae vobis praecepistis in Italia conservantur, pace regnorum facta vestris obtutibus repraesentandae. » — Coll. , apud Duchesne, n° 71
(24) « At quoniam domina mea Theophonia, imperatrix semper augusta, VIII cal. april., proficisci me secum in Saxoniam jubet, eoque quosdam ex meis monachis ac militibus ab Italia convenire jussi , nunc non habeam quod certum scribam super organis in Balla positis, ac monacho dirigendo qui ea conducat. » — Ibid, no 91.
(25)Gerbert, Scriptores, t. I et II.
(26)Voici les vers techniques du chantre anglais du Xe siècle :


. .. .. .. .. .. .Talia et auxistis hic organa, qualia nusquam
. .. .. .. .. .. .. .Cernuntur, gemino constabilita sono.
. .. .. .. .. .. .Bisseni supra sociantur in ordine folles,
. .. .. .. .. .. .. .Inferiusque jacent quatuor alque decem;
. .. .. .. .. .. .Flatibus alternis spiracula maxima reddunt.
. .. .. .. .. .. .. .Quas agitant validi septuaginta viri
. .. .. .. .. .. .Brachia versantes, multo et sudore madentes,
. .. .. .. .. .. .. .Certatimque suos quisque monet socios,
. .. .. .. .. .. .Viribus ut totis impellant flamina sursum ,
. .. .. .. .. .. .. .Rugiat et pleno kapsa referta sinu.
. .. .. .. .. .. .Sola quadringintas quae sustinet ordine musas,
. .. .. .. .. .. .. .Quas manus organici temperat ingenii.
. .. .. .. .. .. .Has aperit clausas, iterumque lias claudit apertas ,
. .. .. .. .. .. .. .Exigit ut varii certa camaena soni.
. .. .. .. .. .. .Confiduntque duo concordi pectore fratres,
. .. .. .. .. .. .. .Et regit alphabetum rector uterque suum.
. .. .. .. .. .. .Suntque quater denis occulta foramina linguis,
. .. .. .. .. .. .. .Inque suo retinet ordine quoque decem.
. .. .. .. .. .. .Huc aliae currunt; illuc aliaeque recurrunt;
. .. .. .. .. .. .. .Servantes modulis singula puncta suis.
. .. .. .. .. .. .Et feriunt jubilum septem discrimina vocum,
. .. .. .. .. .. .. .Permixto lyrici carrnine semitoni.
. .. .. .. .. .. .Inque modum tonitrus vox ferrea verberat aures,
. .. .. .. .. .. .. .Praeter ut hunc solum nil capiat sonitum,
. .. .. .. .. .. .Concrepat in tantum sonus hinc, illincque resultans,
. .. .. .. .. .. .. .Quisque menus patulas claudat aut auriculas,
. .. .. .. .. .. .Haud quaquam suffere valens propiando rugitum,
. .. .. .. .. .. .. .Quem reddunt varii concrepitando soni
. .. .. .. .. .. .Musarumque melos auditur ubique per urbem ,
. .. .. .. .. .. .. .Et peragrat totam fama volans patria
. .. .. .. .. .. .Hoc decus ecclesia novit tua cura tonanti
. .. .. .. .. .. .. .Clavigeri inque sacri struxit honore Petri.
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Gaudeamus in Domino
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Re: Musique au Moyen Âge

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[i]Annales archéologiques[/i], Tome IV, Paris, 1845, pp 25-33 a écrit :
ORGUE (suite)


L'échelle tonale, au Xe siècle, était diatonique; elle s'étendait du sol grave (clef de fa, première ligne) à l'ut de la troisième octave (clef de sol, troisième interligne). On n'admettait qu'un seul intervalle chromatique, le si bémol destiné à éviter, dans la mélodie, la rencontre du triton contraire à la tona­lité du plain-chant. Cette échelle tonale réglait non seulement le chant, mais aussi l'accord des instruments. Eberhard, écrivain du XIe siècle, nous ap­prend que les tuyaux d'orgues s'accordaient par octaves et que chaque oc­tave comprenait sept sons, plus le si bémol pour la douceur et « l'ornement de la mélodie (1) ». L'orgue de Winchester était accordé de cette manière; c'est ainsi qu'il faut entendre le vingt-unième et le vingt-deuxième vers de la description de Wolstan (cf. message précédent).

Les quarante touches rendaient-elles quarante sons dissemblables en gra­vité ou acuité, c'est-à-dire représentaient-elles une étendue de cinq octaves ? ou bien les deux claviers étaient-ils composés d'un nombre, soit égal, soit inégal, de touches, et accordés de façon à donner seulement une étendue de deux octaves et demie ou trois octaves, les autres touches étant accordées à l'unisson avec les premières, mais rendant des sons d'un timbre et d'une qualité différents, c'est-à-dire formant un jeu à part ? Nous n'hésitons pas à adopter cette dernière hypothèse comme la plus vraisemblable. En effet, les orgues les plus étendues, du Xe au XIIe siècle (Eberhard, Aribon, et Guil­laume d'Hirschaw nous l'enseignent), n'avaient que trois octaves. Cette étendue, peu usitée d'ailleurs, est encore critiquée par ces maîtres comme trop grande et donnant au grave des sons sourds, à l'aigu des sons criards; ils accordent la préférence aux orgues de deux octaves et demie, et cette étendue n'a guère été dépassée avant le XVe siècle. En supposant donc que l'on fût parvenu à faire disparaître dans l'orgue de Winchester les imper­fections qui existaient alors dans les orgues à trois octaves, il est difficile de croire et d'admettre qu'on y ait ajouté deux octaves de plus.

Quant à l'accord de dix tuyaux groupés sur chaque touche et ne formant qu'un seul son, Wolstan est encore muet à cet égard. il n'est pas vraisem­blable cependant que ces dix tuyaux aient été accordés à l'unisson, ou même seulement à l'octave; tout indique qu'il était joint à cette octave un son inter­médiaire, qui formait la quinte avec la note la plus basse et la quarte avec l'octave de celle-ci, ou vice versa. Il existait en effet à cette époque et aupara­vant (nous l'avons vu plus haut) des instruments sur lesquels s'exécutaient ces assemblages de sons appelés « organum » ou « diaphonie »; l'orgue était de ce nombre, il s'accordait ainsi. Aucun doute ne peut rester sur ce point en présence du témoignage d'Eberhard. Cet auteur nous apprend en effet que chaque choeur se composait d'autant de tuyaux qu'on avait l'habitude d'en mettre pour avoir l'art («d'organiser (2) » (« ad artem organisandi habendam »), et les notes extrêmes de chaque choeur sonnaient la double octave. La tierce et la sixte, regardées encore comme dissonances à cette époque, n'entraient pas dans l'accord; ce n'est que plus tard qu'elles ont été admises comme consonances.
Ainsi en résumé, selon nous, les sons de l'orgue de Winchester étaient disposés conformément à l'échelle diatonique d'alors, le si bémol seul ajouté. Chaque octave se composait de huit sons. Les quarante touches formaient, non une étendue de cinq octaves, mais seulement deux séries de notes ayant cha­cune une étendue de deux octaves et demie, accordées à l'unisson et rendant des sons d'une qualité différente. Peut-être un des claviers comprenait-il trois octaves et l'autre n'en avait-il que deux ? Dans ce cas, celui-ci était accordé à l'unisson de deux des trois octaves du premier.

Les dix tuyaux groupés sous chaque touche étaient accordés en « orga­num », c'est-à-dire par octaves, par quintes et par quartes, suivant les règles établies par Hucbald.

Le « talia auxistis » de Wolstan se rapporte moins à l'étendue de cet orgue qu'à la force et à l'éclat de ses sons. Cela résulte de la fin même de la des­cription, où il est dit que les sons de cet instrument ressemblaient au bruit du tonnerre; que leur puissance était telle, que l'on était obligé de se boucher les oreilles et qu'on les entendait dans toute la ville.

Il existait à la même époque, dans l'abbaye de Ramsey, un orgue dont les tuyaux en cuivre avaient coûté trente livres. Ces tuyaux, serrés les uns contre les autres dans une espèce de buffet et placés sur un sommier avec le­quel ils communiquaient, recevaient l'air par des soufflets et rendaient, les jours de fêtes, des sons agréables et puissants (3). Il est fort douteux que cet orgue ait eu la dimension de celui de Winchester.

D'après ce qui précède, il est facile de voir que les orgues de cette époque étaient d'une construction assez grossière et d'un mécanisme fort imparfait. Malgré leur imperfection, elles causaient néanmoins partout le plus grand étonnement, et chaque église voulait posséder un moyen aussi efficace pour attirer les fidèles. Aussi, à partir du Xe siècle, elles se répandent et se mul­tiplient en France, en Allemagne, en Italie et dans les Pays-Bas; on en trouve non seulement dans les cathédrales, mais encore dans les églises de moindre importance et dans les monastères.

Balderic, archevêque de Dol, mort en 1131, témoigne, dans une lettre qu'il écrit aux moines de Fécamp, le plaisir qu'il avait éprouvé à entendre l'orgue de leur monastère. Cet orgue avait des tuyaux en airain ou en cuivre, et ses soufflets ressemblaient aux soufflets de forge (4).

Prétorius (5) raconte que six cents ans avant lui, c'est-à-dire au XIe siècle, il existait des orgues dans les églises de Saint-Paul à Erfurt, de Saint-Etienne à Halberstadt et de Saint-Jacques à Magdebourg; qu'il en avait vu des restes qui contenaient des inscriptions. En Italie, suivant Muratori, l'orgue fut accueilli avec la plus grande faveur (6).

Lootens, auteur hollandais de la fin du dernier siècle, nous donne de curieux renseignements sur un orgue qui existait à Utrecht, au XIIe siècle. « Un facteur d'orgues de Flessingue, dit-il, Albert Van Os, a trouvé, il y a environ soixante-dix ans, en levant l'orgue de l'église Saint-Nicolas, à Utrecht sur le sommier du grand clavier à la main, la date de 1120. Ce sommier n'avait ni registres ni tirants, mais douze rangs de tuyaux dont le plus grand était un prestant de douze pieds. Sur chaque touche, tous les tuyaux parlaient à la fois sans qu'on pût en détacher un seul, de sorte qu'on n'entendait autre chose qu'une mixture criarde. Le clavier commençait avec fa ( clef de fa sous la ligne) et s'étendait jusqu'au la ( clef de sol, première ligne additionnelle supérieure ). Le clavier supérieur avait des registres fixes; celui intermédiaire, des registres mobiles, et le clavier pédale n'avait qu'une trompette (7). » Il est évident qu'en 1120, cet orgue n'avait que le grand clavier manuel et que les autres ont été ajoutés depuis.

Après l'exposé historique que nous venons de donner des principales orgues qui ont existé depuis Pépin jusqu'au XIIIe siècle, il convient peut-être d'entrer dans plus de détails sur tout ce qui tient à leur disposition et à leur méca­nisme. Nous examinerons donc rapidement quelle était l'étendue de leur clavier, combien de tuyaux résonnaient sous chaque touche, l'accord des tuyaux, la forme des touches, la matière dont les tuyaux étaient fabriqués, le nombre des soufflets, la manière dont ils étaient mis en mouvement, le caractère des sons que rendaient ces orgues, le genre de musique qu'on pou­vait y exécuter, enfin la cause de l'obstacle qu'a rencontré leur introduction dans quelques églises.

Le nombre des touches a varié, depuis neuf jusqu'à vingt-quatre; mais l'étendue la plus ordinaire était de quinze à seize. Jusqu'au Xe siècle, il n'était admis, dans le clavier de l'orgue, d'autres demi-tons que celui entre le deuxième et le troisième son, plus, celui entre le septième et le huitième son de l'octave. Odon est le premier qui donne place au demi-ton entre le sixième et le septième son de l'octave. Cette innovation a été adoptée par les musiciens postérieurs.

D'après Prétorius, les plus anciennes orgues d'Allemagne avaient générale­ment douze touches; il en a trouvé pourtant qui étaient munies de treize touches. Celui d'Halberstadt n'en avait que neuf.

Les claviers de trois octaves comprenaient vingt-quatre sons. La variété de disposi­tions tonales du clavier d'orgue et leur peu de conformité, quant à l'étendue, avec l'échelle tonale qui réglait le plain-chant, ferait douter que l'orgue servit à l'accompagner. Nous avons fait voir plus haut que, dans les orgues qui faisaient résonner plusieurs tuyaux à la fois sous une même touche, ces tuyaux n'étaient pas accordés à l'unisson, mais en quintes ou quartes et en octaves, suivant les règles établies par Hucbald.

Chaque touche produisait trois sons.

Dans les orgues composées d'un grand nombre de tuyaux, on doublait le son intermédiaire. Ou bien on doublait à la fois le son intermédiaire et l'octave. L'orgue de Winchester était vraisemblablement accordé de cette façon. Les autres tuyaux servaient à doubler et à multiplier à l'unisson un ou plusieurs sons, préférablement sans doute la tonique et ses octaves. C'est évidemment l'origine des jeux de mixture de nos orgues, dont l'effet extraordinaire est resté jusqu'ici inexplicable à la science elle-même.

S'il nous était permis de hasarder une conjecture à ce sujet, voici celle que nous soumettrions. Tout le monde sait que, indépendamment du son prin­cipal produit par une cloche ou une corde sonore, une oreille attentive en­tend, en outre, plusieurs autres sons accessoires, appelés sons concomitants, tels que la douzième, la quinzième et quelques autres, plus les octaves de ces sons. Ne serait-ce pas par un phénomène de même nature que, dans les jeux de mixture convenablement disposés, cette multitude de sons intermé­diaires, dont l'effet parait devoir être choquant au premier abord, vient porter leur concours au son principal et lui donner à la fois de la force et un carac­tère mystérieux ? Nous abandonnons la valeur de cette conjecture à de plus compétents que nous.

Les touches étaient grossièrement travaillées et d'une dimension considé­rable. Le clavier de l'ancien orgue d'Halberstadt, qui n'en avait que neuf, était large d'un mètre, et chaque touche avait une largeur de huit à dix cen­timètres. D'après Prétorius, elles avaient la forme suivante.

. .. .. .Image. .. .. .ou. .. .. .Image
. .. .. .. .19. — Touches de l'ancien orgue d'Halberstadt.

Cette forme est restée, avec peu de modifications, la même pendant longtemps; on la rencontre encore dans des orgues du XIVe siècle.

On voit que ces touches sont bien différentes de celles qu'on fait actuelle­ment pour nos orgues.

Bedos de Celles parle de touches qui avaient cinq à six pouces de lar­geur. Le mécanisme en était si lourd, si difficile, qu'on ne pouvait les mettre en mouvement qu'à coups de poing. Dans certaines orgues, elles étaient telle­ment dures que l'organiste était obligé de se munir les mains de morceaux de bois pour ne point se blesser. C'est de là qu'est venue cette expression alle­mande « orgel schlagen » (battre de l'orgue ), pour jouer de l'orgue.

Les tuyaux étaient en métal dans le plus grand nombre des orgues. C'était ordinairement le cuivre ou le bronze que l'on employait à leur fabrication. Les tuyaux de l'orgue de Charlemagne et de celui de Ramsey étaient en cuivre. L'on en faisait aussi en huis, en verre, en albâtre, en ivoire, en or et en argent. Dom Bedos de Celles rapporte qu'un Napolitain avait construit un orgue avec tuyaux et clavier en albâtre. Il existait à Milan un orgue avec des tuyaux en argent, et l'empereur Michel en possédait un dont les tuyaux étaient en or. A Venise, il y en avait aussi un avec des tuyaux en or.

Après bien des essais dont le résultat était plus ou moins heureux, on s'ar­rêta au plomb, au zinc et au bois, comme étant les matières les plus avan­tageuses à la fabrication des tuyaux.
On s'explique difficilement comment l'orgue de Charlemagne joignait la force du tonnerre à la douceur de la lyre et à l'éclat des cymbales; car on ne voit nulle part qu'il y eût alors des registres au moyen desquels on pût faire taire ou résonner à volonté un certain nombre de tuyaux. Il faut cependant admettre qu'il devait y avoir dans cet orgue un mécanisme qui, sans ressem­bler aux registres de nos orgues modernes, permettait néanmoins à l'orga­niste de faire entendre séparément un certain nombre de tuyaux. Quelques orgues encore semblent avoir réuni la force à la douceur; mais, dans un grand nombre d'autres, les sons étaient aigus et criards : leur caractère dominant était la force et le bruit.

Quelle mélodie pouvait-on exécuter sur un instrument dont le clavier était tellement imparfait qu'il fallait frapper les touches à coups de poing pour les faire résonner ? aucune autre, il nous semble, qu'une lente et simple mélodie de plain-chant. Il résulte en effet, de tous les documents historiques, qu'il n'était pas possible d'exécuter un chant plus rapide ou plus compliqué.
La soufflerie, l'une des parties les plus importantes de l'orgue, était dans un état très-imparfait. Pour s'en convaincre, il suffit de se rappeler que l'orgue de Winchester avait vingt soufflets qui ne pouvaient être mis en mouvement, et avec beaucoup de peine, que par soixante-dix hommes ro­bustes. L'orgue d'Halberstadt avait vingt soufflets et dix souffleurs, celui de Magdebourg avait vingt-quatre soufflets et douze souffleurs. Dans ces der­nières orgues, un souffleur mettait en mouvement deux soufflets; à cet effet, il était attaché à chaque soufflet une espèce de soulier en bois. Le souffleur, plaçant chaque pied dans un de ces souliers, faisait baisser et monter alter­nativement les soufflets en transportant le poids de son corps, tantôt sur l'un, tantôt sur l'autre. Ces soufflets n'étant chargés d'aucun autre poids pour régler la distribution de l'air, l'intensité de celui-ci dépendait de la pesan­teur seule des hommes qui faisaient aller les soufflets. Il est facile de com­prendre combien l'inégalité du poids des souffleurs devait donner de l'iné­galité dans le produit du vent et dans sa distribution dans les tuyaux. Il est donc évident que l'orgue, en de pareilles conditions, ne pouvait être bien réglé.
Toutes les orgues n'étaient pas néanmoins dans un état aussi imparfait sous le rapport de la soufflerie. Celles d'Angleterre principalement paraissent avoir possédé, au XIIe siècle, un mécanisme dont le progrès devait contribuer beaucoup à une bonne condition de sonorité.
On trouve le dessin d'un orgue du XIIe siècle dans le psautier d'Eadwine, à Cambridge. Ce curieux monument, le seul que nous connaissions d'une époque aussi éloignée, nous montre une soufflerie assez bien organisée.

. .. .Image
. .. .. .. .. .. .. .. .. . 20. — Orgue à soufflets. — XIIe siècle. — Manuscrit de Cambridge.

Les trois tubes cylindriques que l'on voit placés sur le devant sont évi­demment des réservoirs destinés à contenir l'air et à le distribuer avec égalité dans les tuyaux par le sommier, sur lequel ceux-ci étaient placés. Quatre hommes sont occupés à faire mouvoir les soufflets qui introduisent l'air dans les réservoirs. Il ne s'agit plus ici de soufflets de forge, mais de soufflets tels qu'ils s'en trouve encore dans plusieurs orgues modernes. Nous voyons aussi deux organistes, comme dans la description de l'orgue de Winchester. Chacun gouverne son alphabet ou son clavier, et donne des instructions aux souffleurs. Cet orgue ne devait avoir qu'une faible étendue, puisqu'on n'y voit que six tuyaux simples et quatre doubles.

C'est aux sons criards, au bruit désagréable des soufflets et aux autres imperfections de certaines orgues, qu'il faut attribuer, sans doute, l'obstacle qu'a rencontré leur introduction dans quelques églises. Ealred , abbé de Rieval , au XIIe siècle, se plaint du bruit des orgues ou plutôt de leurs souf­flets. « A quoi sert, dit-il, je le demande, ce terrible fracas de soufflets qui ressemble au bruit du tonnerre plutôt qu'à la douceur de la voix (8.) ?» Bal­deric, dans un passage de la lettre que nous avons déjà citée, nous apprend aussi que l'orgue n'était pas généralement approuvé. « Je sais, dit-il, qu'il y en a beaucoup qui n'ont point d'orgue dans leur église et qui blâment ceux qui en possèdent. (9) » Mais il prend leur défense en s'appuyant de l'exemple de David et d'Élisée. « Nous ne nous égarons pas, ajoute-t-il, en imitant, comme nous le pouvons, l'exemple d'aussi grands personnages. Nous permettons, en conséquence, l'usage de l'orgue, mais nous ne faisons aucun crime à ceux qui n'en possèdent pas. »

L'opposition à l'introduction de l'orgue dans l'église venait autant de ceux qui étaient contraires à l'admission des instruments en général, que de ceux qui trouvaient l'orgue trop imparfait. Mais le nombre d'ecclésiastiques qui envisageaient la chose d'une autre manière était plus considérable; ceux-ci favorisèrent l'introduction de l'orgue, dès qu'ils remarquèrent que son emploi, loin de nuire au but principal du culte, lui était, au contraire, favorable.

L'usage de l'orgue fut néanmoins borné pendant longtemps aux grandes fêtes. Les fonctions de l'organiste n'étaient point d'accompagner le chant; elles consistaient simplement à faire des préludes et à répondre au choeur pendant les intermèdes. Ce fut plus tard que le chant fut accompagné par l'orgue.

(1) Apud Gerb., Script. eccl., tome II, page 279.
(2) Organizare ne signifie pas jouer de l'orgue, mais exécuter une mélodie en l'accompagnant d'accords d'octaves, de quintes et de quartes appelés organum.— Voyez Ducange, v° Organi­zare; Lebeuf, Traité hist. du plain-chant, et notre Mémoire sur Hucbald.
(3) « Triginta praeterea libras ad fabricandos cupreos organorum calamos erogavit, qui, in alveo suo super unam cochlearum denso ordine foraminibus insidentes, et diebus festis, follium spira­mento fortiore pulsati, praedulcem melodiam et clangorem longius resonantem ediderunt.» — Ma­billon, Vita S. Oswaldi.
(4) « Illa in ecclesia unum erat, quod mihi non mediocriter complacuit, quod ad Deum laudan­dum et excitandum David canticis suis inservit : Laudate (inquit) Dominum in chordis et organo. Ibi siquidem instructum vidi musicum, fistulis aereis compactum, quod follibus excitum fabrilibus, suavem reddebat melodiam. Organa illud vocant, certisque temporibus excitabant. » Epist. Balderici ad mon. Fiscam.
(5)Synteigma music., t. II, cap. 2, p. 3.
(6) « Mirum in modum aucta deinde est populi delectatio, et ad sacras aedes concursus, quum primum ex Oriente in Occidentem translatus est organi pneumatici usus et melos. Incredibile dictu est quanto stupore ac voluptate primum exceptum fuerit. » — Muratori, Antiquit. ital. med.aevi tome IV, dissert. LVI, p. 777.
(7) Ce passage, inséré par Hess dans sa Courte esquisse de la plus ancienne invention et des progrès de la construction des orgues (en hollandais), a été extrait par lui de l'ouvrage de Lootens, intitulé : Aanmerking over de oudste orgelen (Observations sur les plus anciennes orgues).
(8.) « Ad quid, rogo, terribilis ille follium flatus, tonitrui potius fragorem quam vocis exprimens charitatem ? » — Speculum charitatis, lib. II, cap. 23.
(9) « Non tamen ignoro, quia sunt multi qui, tale quid in suis non habentes ecclesiis, eos qui habent murmurando dilapidant... Non igitur aberramus, si tantorum patrum vestigia, ut pos­sumus, imitamur. — Si igitur organa habemus, eis uti ecclesiastica consuetudine permittimus; sin autem, sine sacrilegio eis carere possumus. » Epist. Balderici ad monach. Fiscam.
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Gaudeamus in Domino
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Re: Musique au Moyen Âge

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[i]Annales archéologiques[/i], Tome IV, Paris, 1845, pp 33-39 a écrit : Image

Trompette droite et trompette recourbée, miniature d'un anglais. — Bibliothèque cotonnienne. — XIe siècle.



. .. .. .. .. .. .. .. .TROMPETTE.

La trompette est l'instrument à vent qu'on rencontre le plus fréquemment sur les monuments qui représentent les costumes et les moeurs des peuples du Nord. Sa forme était simple et peu variée, mais il y en avait de diverses grandeurs. La trompette prenait des noms différents, selon sa dimension, sa forme, sa destination et la matière dont elle était fabriquée. Il y avait des trompettes de guerre, des trompettes de chasse. On convoquait le peuple, on célébrait les fêtes et les jeux au son de certaines trompettes particulières. Parmi les trompettes guerrières, les unes servaient à sonner l'attaque et la mêlée, d'autres la victoire; les principales s'appelaient TUBA, CLARO, CLARIO, CLARASIUS, BUCCINA, LITUUS, TAUREA, SALPINX, CLASSICA. Les plus grandes et les plus bruyantes étaient en cuivre ou en airain. Il y en avait d'une dimen­sion qui égalait la taille de l'homme. On peut en juger d'après le dessin sui­vant, tiré d'un manuscrit du VIIIe siècle, de la bibliothèque Cottonnienne.

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21. — Trompette guerrière. — VIIIe siècle. — Manuscrit anglais.


On aurait de la peine à comprendre comment d'aussi énormes tubes pou­vaient être tenus en l'air par ceux qui les faisaient résonner, si un autre des­sin, d'un manuscrit du XIe siècle de la même bibliothèque, ne nous montrait la manière dont on en jouait. Cette trompette était posée sur une espèce de béquille, plantée en terre ou maintenue seulement par une des mains de l'exécutant.
Voyez, en tête de cet article , la gravure tirée de ce manuscrit anglais. Le roi David, assis sur son trône, pince de la harpe. A sa gauche, un jeune musicien sonne de la trompette recourbée; à sa droite, un autre jeune homme sonne de la trompette droite. Cette dernière trompette est maintenue sur un support.

Il est à croire que c'étaient des trompettes semblables dont se servaient les Gaulois, et dont les sons terribles, suivant Polybe et Ammien Marcellin, jetaient l'épouvante parmi les ennemis (1). Bartholin, « de tibiis veterum », dit que les Gaulois avaient une trompette guerrière, nommée CORNIX, dont le tuyau en plomb se terminait par une tète d'animal.

Les trompettes de chasse, appelées CORNUA ou CORNEA, étaient généralement formées de la corne d'un boeuf ou d'un taureau que l'on ornait de différentes manières. Ce genre de trompette n'était pas cependant uniquement em­ployé à la chasse. Dans le grand dessin qui précède cet article, on en voit une accompagnant la harpe; ailleurs, elle figure dans les cérémonies pu­bliques, dans les fêtes et dans les jeux (2).

La SAMBUCA ou saquebutte était une sorte de trompette dont la tige se repliait sur elle-même, de façon que le tuyau du pavillon était parallèle au tuyau de l'embouchure et de la même longueur que ce dernier. On trouve des dessins de saquebutte dans plusieurs manuscrits des IXe, Xe et XIe siècles. Celui que nous donnons ici est tiré du manuscrit de Boulogne.

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22. — Saquebutte — IXe siècle. — Manuscrit de Boulogne.

Cet instrument semble avoir beaucoup de rapport avec le trombone et en avoir été l'origine.
En général, les notions que l'on trouve sur les trompettes et sur leur em­ploi, à l'époque dont nous nous occupons, sont fort obscures; la plupart des auteurs confondent toutes ces trompettes les unes avec les autres.


. .. .. .. .. .. .. .. .FLUTE.

La flûte, dont l'origine remonte à la plus haute antiquité, a joué un grand rôle chez les Grecs et chez les Romains. Elle était employée à guider l'orateur et l'acteur dans leur débit déclamatoire, et à les maintenir dans tel ou tel mode. On prétend même que, dans les anciennes comédies, les vers se com­posaient au son de la flûte. Il est assez difficile de se figurer de quelle utilité pouvait être cet instrument dans cette circonstance. Quoi qu'il en soit, il y avait des flûtes de diverses formes et de diverses grandeurs. Les unes étaient droites ou à bec, les autres obliques ou traversières. Une autre, appelée syrinx ou flûte de Pan, était composée de sept tuyaux d'inégale grandeur.
La flûte droite était simple ou double. La flûte simple était composée d'un tuyau en bois, d'une seule pièce, avec un certain nombre de trous; ce nombre, restreint d'abord, fut augmenté dans la suite.

La flûte double avait deux tiges : l'une, appelée sinistra, gauche, parce qu'on la tenait de la main gauche, faisait entendre des sons aigus, ce qui lui fit donner le nom de flûte féminine; l'autre, appelée dextra, droite, parce qu'on la tenait de la main droite, rendait des sons graves et était plus longue que la première; on l'appelait flûte masculine. — La flûte oblique ou tra­versière était peu usitée.

Toutes ces flûtes étaient employées au moyen âge. Il s'en rencontre sur les monuments des IXe, Xe et XIe siècles, et l'on n'y remarque aucune modi­fication.

Il y avait deux espèces de flûtes doubles : l'une, était composée de deux tuyaux, tantôt liés ensemble, tantôt isolés (3); l'autre n'était formée que d'une tige, dans laquelle étaient percées deux ouvertures comme dans la figure suivante, tirée du manuscrit n° 1118 de la Bibliothèque Royale (4)

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23. — Flûte double d'une seule tige. — XIe siècle. — Manuscrit de la Bibliothèque Royale.


Cette flûte porte à l'extérieur des trous sur lesquels se promènent les doigts de l'exécutant, mais on ne voit nulle part comment cette flûte était accordée. On y remarque une double embouchure, ce qui laisse supposer qu'on pouvait jouer à volonté sur l'une ou l'autre flûte séparément ou sur les deux à la fois. Cette flûte, sous le nom de flûte d'accord, est restée en usage jusqu'au siècle dernier.

La syrinx ou flûte de Pan était en usage à l'époque dont nous nous occu­pons. On la trouve représentée sur plusieurs monuments des IXe, Xe et XIe siè­cles. Celle que nous donnons ici est tirée du manuscrit d'Angers où nous avons déjà pris plusieurs dessins.

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24. — Syrinx ou flûte de Pan à sept tuyaux. — IXe ou X

La syrinx était composée généralement de sept tuyaux d'inégale gran­deur, unis ensemble avec de la cire ou tout autre lien.

Le manuscrit n° 1118 de la Bibliothèque Royale de Paris nous montre une flûte de ce genre composée de neuf tuyaux, et d'une forme particulière qui mérite d'être remarquée. Nous la reproduisons ici.

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25 — Syrinx à neuf tuyaux. — XIe siècle. — Manuscrit de la Bibliothèque Royale.

. .. .. .. .. .. .. .. .CHORUS.

L'instrument à vent, qu'on appelait CHORUS, était formé, selon saint Jérôme, d'une peau et de deux tuyaux d'airain, dont l'un était l'embouchure et l'autre le pavillon. Voici un chorus d'après le manuscrit de Boulogne. Il en existe de semblables dans le manuscrit d'Angers et dans celui de la bibliothèque Cot­tonnienne.

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26. — Chorus à pavillon simple. — IXe siècle. — Manuscrit de Boulogne.

Il y avait, aussi un chorus à pavillon double. Le suivant est tiré du ma­nuscrit de la bibliothèque Cottonnienne.

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27. — Chorus à pavillon double. — IXe siècle. — Manuscrit anglais.

Ces instruments, qui apparaissent là dans leur grossièreté primitive, avaient une étendue nécessairement bornée. Tous n'étaient point cependant dans un état aussi imparfait. Gerbert en a extrait deux d'un manuscrit du IXe siècle, de Saint-Blaise, dans lesquels le tuyau qui n'est point embouché a plusieurs trous que l'exécutant fermait ou laissait ouverts pour modifier les sons. Ce tuyau se termine par un pavillon à tête d'animal (5).

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28. — Chorus à pavillon simple avec trous. — IXe siècle. — Manuscrit de Saint-Blaise.

I1 y avait encore quelques instruments à vent, en usage à cette époque; mais l'on n'a sur la plupart que des renseignements imparfaits, et nous n'en avons point rencontré les dessins. Tels sont les instruments appelés :
CALAMUS, CALAMELLUS OU CALAMELLA, MUSA, STIVA, PANDURIUM, PANDORIUM ou PANDORIUS.

Le chalumeau (calamus, calamellus ou calamella) était une sorte de tube creux, formé à l'origine par un simple roseau percé de trous. — Musa, Mira étaient deux instruments du même genre. — On ne voit pas bien ce qu'était le Pandorium ou Pandurium, ou Pandorius, classé au nombre des instru­ments à vent par Cassiodore et Isidore de Séville. Ce dernier semble laisser entendre que c'était la flûte de Pan.

(1) Voir la note 3 dans ce message : http://www.micael.byethost7.com/viewtop ... 1103#p1103
(2) Voir Strutt, Angleterre ancienne.
(3) Strutt, Angleterre ancienne, a reproduit une flûte double, à tiges isolées, qu'il a tirée d'un manuscrit du IXe siècle de la bibliothèque Cottonnienne.
(4) Ce dessin et tous ceux qui proviennent du même manuscrit sont fort grossiers, mais parfaite­ment exacts. En archéologie, l'exactitude est la qualité suprême, et nous devons lui sacrifier tout. Voilà pourquoi nos dessins sont laids, quand ils sont laids dans l'original, beaux quand le modèle lui-même a de la beauté. — Un jeune jongleur lance en l'air des couteaux et, alternativement, des disques ou boules, aux sons de la double flûte dont joue cet homme plus âgé et barbu, qui doit être son père. (Note du Directeur.)
(5) Nous remarquerons ici, pour en prendre note et pour en parler ailleurs, à propos de l'orne­mentation et du style figuré qui régna pendant tout le moyen âge, l'affection particulière que les sculpteurs, les peintres et les littérateurs de cette époque avaient pour les représentations d'ani­maux et les images en général. (Note du Directeur.)
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Gaudeamus in Domino
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Re: Musique au Moyen Âge

Message par Gaudeamus in Domino »

[i]Annales archéologiques[/i], Tome IV, Paris, 1845, pp 33-39 a écrit : . .. .. .. .. .. .. .. .INSTRUMENTS A PERCUSSION.


. .. .. .. .. .. .. .. .CLOCHE.



L'origine des cloches est fort obscure. Les cloches paraissent avoir été incon­nues aux anciens peuples de l'Orient. C'est donc dans l'Occident qu'elles doi­vent avoir pris naissance; mais il serait difficile de déterminer d'une manière précise l'époque et le lieu de leur invention, qu'on attribue généralement à saint Paulin, évêque de Nole en Campanie, au VIe siècle. On prétend que c'est de là qu'est venu le nom de « Campana » ou de « Nola » qui a été donné à la cloche. Mais rien n'est moins certain que cette opinion; car saint Paulin ne parle ni de cloche ni de clocher dans la description qu'il fait de l'église bâtie par lui. Quoi qu'il en soit, les renseignements que l'on trouve à cet égard dans les auteurs des VIIIe, IXe et Xe siècles prouvent que l'on appelait la cloche « Campana » et « Nola » (1).
Suivant Strabon, « Campana » désignait les cloches de grande dimension, et « Nola », les petites (2).

Dès la fin du VIIe siècle, un grand nombre d'écrivains parlent des cloches en des termes d'où l'on peut conclure qu'il s'agit de grandes cloches et non de simples sonnettes

Un passage d'un capitulaire de Charlemagne, daté de 789, indique que l'on connaissait alors aussi le nom de cloche : « cloccae non sunt baptizandae ». Les détails que donne le moine de Saint–Gall sur une cloche fabriquée par un des habiles ouvriers de cet empereur prouvent encore qu'il y avait à cette époque des cloches d'une assez grande dimension.

Le soin de sonner la cloche appartenait dans les premiers temps aux prêtres, et Saint Benoît imposa cette fonction à l'abbé ou à un moine vigilant.

L'usage de baptiser les cloches est fort ancien. Baronius raconte que le pape Jean XIII, avant de faire placer dans la tour de Latran une cloche d'une belle grandeur, qu'il avait fait fondre pour cette église, la baptisa avec les cérémonies ordinaires et lui donna le nom de Jean. Selon Ménard, cet usage remonterait à une époque beaucoup plus ancienne.


. .. .. .. .. .. .. .. .TINTINNABULUM.

Le « Tintinnabulum » n'était d'abord qu'une simple sonnette qu'on tenait à la main et qu'on faisait résonner en l'agitant, ainsi que l'indique l'inscrip­tion suivante du manuscrit d'Angers : « Tintinnabulum excutitur manu tenentis. » Plusieurs manuscrits contiennent des dessins de « tintinnabulum ». Celui que nous donnons ici est tiré du manuscrit de Boulogne.

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30. — Tintinnabulum ou sonnette à main. — IXe siècle. — Manuscrit de Boulogne.


On donnait aussi le nom de cloche à cet instrument (4); mais ce mot, d'origine germanique, fut bientôt employé presque exclusivement pour dé­signer les grosses cloches placées dans les tours d'églises.

« Tintinnabulum » était aussi le nom donné à une sorte de carillon formé d'une barre de bois ou de fer, sur laquelle on attachait en file un nombre plus ou moins grand de clochettes de diverses dimensions, qu'on faisait résonner au moyen d'un petit marteau. Celui que nous reproduisons ici a été extrait, par Gerbert, d'un manuscrit du IXe siècle, de Saint-Blaise.

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31. — Carillon — IXe siècle. — Manuscrit de Saint Blaise.


. .. .. .. .. .. .. .. .CYMBALES.


Les cymbales appelées « Cymbala » ou « Acetabula » par Cassiodore et Isidore de Séville étaient deux instruments d'airain ou d'argent creux, en forme d'hémisphère, dont on jouait en les frappant l'une contre l'autre comme les cymbales modernes. On les tenait par une espèce d'anneau attaché au milieu de la partie convexe.

Les cymbales étaient employées principalement dans les danses, pour marquer le rythme.
Le nom de « cymbalum » parait avoir été donné à un instrument d'un tout autre genre. Un manuscrit de Saint-Éméran et celui de Saint-Blaise, que nous avons déjà cité plusieurs fois, contiennent des dessins de cet instrument. Nous reproduisons ici celui du manuscrit de Saint-Blaise.

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32 — Cymbale. — IXe siècle. — Manuscrit de Saint-Blaise.

C'est, comme l'on voit, un instrument composé d'un certain nombre de clochettes attachées deux par deux à des baguettes de fer; ces baguettes sont fixées elles-mêmes à une espèce de manche par lequel on tenait l'instrument qu'on agitait pour le faire résonner. Ce devait être un instrument dans le genre des bonnets chinois de la musique militaire moderne.

On appelait aussi cymbale une sorte de clochette, sans doute en forme de cymbale antique, placée dans le réfectoire des monastères.


. .. .. .. .. .. .. .. .CROTALES.

Les Crotales, que l'on confond souvent avec les cymbales, avaient une forme à peu près semblable, mais elles étaient plus petites et se jouaient d'une seule main. Elles ressemblaient aux castagnettes; il y en avait en airain et en bois. Cet instrument n'était usité que par les danseurs ou danseuses.

D'après un passage de J. de Salisbury, on aurait aussi donné le nom de crotales à une espèce de grelots (5).


. .. .. .. .. .. .. .. .TRIANGLE.

Le Triangle était connu des anciens; quelques monuments indiquent qu'ils en faisaient usage. Le triangle était un instrument composé de trois verges de fer attachées ensemble. Celui qui en jouait le tenait par un anneau attaché à l'un des angles; on battait les trois côtés avec une baguette de fer. Du côté opposé à l'angle par lequel était tenu l'instrument étaient souvent attachés des anneaux mobiles, qui donnaient un caractère aigu et, perçant aux sons qu'il rendait. Le triangle est resté en usage jusqu'à nos jours. L'abbé Gerbert a trouvé un triangle d'une formé particulière dans un manuscrit du IXe siècle, de Saint-Éméran; nous le reproduisons ici.

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33. — Triangle. — IXe siècle. — Manuscrit de Saint-Émeran.


. .. .. .. .. .. .. .. .BOMBULUM OU BUNIBULUM.


On trouve, parmi les dessins d'instruments de musique de divers manuscrits des IXe et Xe siècles, un instrument à percussion appelé tantôt « Bombulum » tantôt «Bunibulum ». Cet instrument, que nous donnons ici d'après le ma­nuscrit de Saint-Éméran , paraît avoir consisté en un tuyau quadrangulaire d'un métal composé d'airain et de fer.

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34. — Bombulum. — IXe siècle. — Manuscrit de Saint-Éméran.


. .. .. .. .. .. .. .. .TAMBOUR.

Les instruments de la famille du Tambour, c'est-à-dire ceux composés d'un corps creux en forme de cylindre et recouvert aux ouvertures d'une peau tendue, sont d'origine fort ancienne. Les Grecs appelaient le tambour tύμπανον et les Romains « tympanum. » Au VIe siècle, le tambour avait la forme que nous lui connaissons, excepté que le corps de l'instrument était en bois au lieu d'être en cuivre, comme dans le tambour moderne. Isidore de Séville, qui en donne la description, l'appelle « symphonia »; il dit qu'on en jouait en frappant de chaque côté avec une baguette, à peu près, sans doute, comme on joue de la grosse caisse. Suivant le même auteur, le « tympanum » était un instrument de même genre, mais recouvert seulement, d'un côté, d'une peau ou de cuir; il avait la forme d'un crible. Le « tympanum », qui n'avait que la moitié de la grandeur de la symphonie, ressemblait au tambourin mo­derne. Le « tympaniolum », appelé « margaretum » par Isidore de Séville, était un tambourin qui n'avait en grandeur que la moitié du tympanum. On le frappait aussi avec un petit bâton (6).

Nous terminerons ici la partie de cet essai relative aux instruments de musique antérieurs au XIIe siècle. Nous ne nous flattons pas d'avoir dit sur ce sujet tout ce qu'il est possible d'en dire; nous croyons cependant que notre tra­vail, tel qu'il est, ne sera pas tout à fait inutile aux archéologues pour déter­miner le nom et le genre des instruments qui se rencontrent sur les monuments de cette époque.
E. DE COUSSEMAKER



(1) « Notum campanae sonum quo ad orationes excitari vel convocari solebant. » — Beda, Hist., lib. IV, cap. 23. — «Fecit in ecclesia S.-Andreae campanile, et posuit campanam c*m malleo aereo et cruce exaurato. » — Anastasius, Vita Leonis IV.
(2) « Unde et a Campania, qua; est Italiae provincia, eadem vasa majora quidem campante dicuntur : minora vero, quae et a sono tintinnabula vocantur, nolas appellant a Nola ejusdem civitate Campaniae, ubi eadem vasa primo sunt commentata. » — Rerum eccles., cap. 5.
(3) Voici le dessin d'une cloche, envoyé par M. Ramboux, conservateur du musée de Cologne, qu'on attribue précisément au VIIe siècle, et qui existe encore à Cologne


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29. — Cloche de Sainte Cécile. — VIIe siècle. — A Cologne,

A son dessin, dans une lettre qu'il nous fit l'honneur de nous adresser, le généreux conservateur du musée de Cologne ajoutait : « Cette petite cloche est de quelque importance pour l'histoire archéologique de la musique. Elle appartenait à l'ancienne église Sainte Cécile de Cologne, ac­tuellement chapelle de l'hôpital. Le hasard l'a sauvée; elle se trouve sur la voûte de la tour de l'église. Cette cloche est composée de trois lames de fer battu, jointes par des clous, à la manière des chaudrons. Cette construction parait avoir précédé l'usage de fondre les grosses cloches. Cette petite a 42 centimètres de haut; elle est de forme allongée, aplatie ; le son en est assez fort et sonore. On dit qu'elle a été baptisée par Cumbert, quinzième évêque de Cologne. On l'appelle le SAUFANG , parce qu'elle aurait été trouvée par un cochon, une truie, vers l'an 613. Selon la tradi­tion populaire, c'est dans un marais, près des églises Saint-Pierre et Sainte Cécile, que la truie aurait trouvé cette cloche. Il existe peut-être encore une trace historique de l'existence de ce marais dans le nom de la rue « Peterspfuhl » , qui veut dire étang ou puits de Saint-Pierre. — Il y avait aussi autrefois à Cologne une petite cloche appelée le «Rauertchen »; elle était plus ancienne que la première cathédrale commencée en 814, par Hildebold , ami de Charlemagne. Cette cloche a disparu sans doute pendant la révolution. »—L'inspection de cette cloche singulière, de ce chaudron de Cologne, cloué, boutonné comme un habit, en dira plus qu'une description que nous pourrions faire. Il ne faudrait pas croire toutefois que les oreilles de nos ancêtres, plus grossières que les nôtres, n'étaient pas difficiles sur le son des cloches. Tout le moyen âge, beaucoup plus que nous encore, s'est laissé charmer par l'harmonie des cloches, et nous trouvons, depuis les plus an­ciennes époques jusqu'à la renaissance, une série de faits où cet amour des cloches mélodieuses est porté au plus haut degré. Nous transcrivons l'anecdote suivante, non pas comme la plus curieuse pour démontrer notre assertion, mais comme une des plus anciennes. Elle se trouve dans la Vie de saint Loup écrite au IX siècle, et se passa au VIIe, vers 620, à l'époque même où l'on construisait la cloche de Cologne.

« Le roi Clotaire ayant entendu parler de la cloche de Saint-Etienne (la cathédrale de Sens), qui avait une douceur merveilleuse, commanda de la faire venir à Paris, pour qu'il pût l'entendre plus souvent. Mais cet ordre déplut au pontife (saint Loup, évêque de Sens). Aussi, à peine la cloche fut-elle enlevée de Sens qu'elle perdit la beauté de ses sons. Le roi, en ayant eu connais­sance, ordonna de la reporter aussitôt à son ancien endroit. Dès que la cloche arriva à Pont-sur­-Yonne, le son lui revint par la grâce de Dieu et les mérites de saint Loup, et elle se mit à sonner. » — Dom Bouquet, Recueil des historiens des Gaules et de la France, t. III, p. 492.
(Note du Directeur.)
(4) « Cloccam qualem ad manum habui , tuae paternitati mittere curavimus. » — Saint Boniface, Epistola 9
(5) « Crotala dicuntur sonorae spherulae quae, quibusdam granis interpositis pro quantitate sua et specie metalli, varios sonos edunt. »
(6) « Tympanum est pellis vel corium ligno, ex una parte, extensum; est enim pars mediae sym­phoniae in similitudinem crebri. Tympanum autem dicitur, quod medium est, unde et margare­tum medium tympanum dicitur, et ipsum, ut symphonia, ad virgulam percutitur. »
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